La mort accidentelle d’Emile Zola  par asphyxie au monoxyde de carbone (si l’on s’en tient à la version officielle…), le 29 septembre 1902, fut un événement médiatique considérable largement couvert par la presse nationale. L’écrivain de 62 ans avait atteint la gloire littéraire depuis longtemps, grâce à sa série des Rougon-Macquart. Il fut surtout un personnage central de l’Affaire Dreyfus, depuis la publication de son article pamphlétaire « J’accuse », le 13 janvier 1898.

L’Aurore bien évidemment fait  sa Une sur  la mort de Zola et consacre une page entière à l’écrivain. D’autres journaux sont beaucoup moins élogieux, comme nous pouvons le constater avec l’article du Gaulois, publié le lendemain du décès.

Le Gaulois, quotidien fondé en 1868, se distingue par une ligne éditoriale très conservatrice, très à droite. Il s’adresse à un lectorat cultivé de la bonne société, dont beaucoup sont monarchistes. Pendant l’Affaire Dreyfus, Le Gaulois a une ligne anti-dreyfusarde.

Alors que l’écrivain vient tout juste de mourir, Le journal adopte un ton très critique contre celui « qui n’a pas eu le temps de reconnaître et de regretter le mal qu’il avait fait à la France »  et on ne lui pardonne son engagement en faveur du capitaine Dreyfus. 

Cet article illustre donc le rôle central de Zola en tant qu’intellectuel engagé dans l’Affaire Dreyfus et la passion qu’il déchaîna dans le pays,  à tel point que le journaliste  Le Gaulois omet de rappeler que Zola fut aussi un écrivain majeur de son siècle.


Le drame de la rue de Bruxelles

Mort de M. Zola

M. Zola est mort de façon presque soudaine ; il n’a pas eu le temps de reconnaître et de regretter le mal qu’il avait fait à la France.
Il est mort sans avoir tenté de se réconcilier avec ceux qu’il avait si gravement et si injustement outragés, et sa dernière œuvre sensationnelle sera ce pamphlet trop célèbre: “J’accuse » qui le classe au premier rang des ennemis de son pays. 
Dans le parti dont il voulut être le verbe, il y avait de braves gens illusionnés, naïfs, qui croyaient sincèrement à l’innocence de Dreyfus et recherchaient par les voies légales la réparation de ce qu’ils jugeaient être une erreur judiciaire.

Ceux-là, nous nous sommes efforcés de les éclairer, nous ne les avons jamais attaqués. M. Zola mit sa plume au service des autres, de ceux qui voyaient surtout dans l’affaire Dreyfus un moyen de favoriser les ambitions des internationaux en déconsidérant le haut commandement militaire et en détruisant la discipline de l’armée.
Il haïssait d’instinct toutes les supériorités, et son orgueil ne pouvait se plier à admirer ou à respecter, qui que ce fût en dehors de lui même.
Il indigna jusqu’à M. Manau, et l’on n’a pas oublié que le procureur général ultra-dreyfusiste de la cour de cassation lui cria, dans un mouvement patriotique promptement réprimé et bientôt oublié :
« Ayez donc pitié de la. France !”

II nous a fait beaucoup de mal, et dans l’histoire, s’il y pénètre, il figurera comme un précurseur des tristes gens qui nous gouvernent aujourd’hui.
II est devant son juge. Nous sommes chrétiens, et nous souhaitons de toute notre âme que la miséricorde du Dieu qu’il méconnut, qu’il blasphéma, s’étende à ce pauvre être qui en connut pas la pitié.
Les passions qu’il a soulevées se sont graduellement éteintes, le grand trouble qu’il a causé s’est peu près apaisé : espérons que les haines qu’il a suscitées disparaîtront avec lui, que la même tombe recèlera pour jamais le corps de Zola et les derniers vestiges de l’affaire Dreyfus.
Ce sera le premier service qu’il aura rendu à notre pays.

L. Desmoulins, Le Gaulois, mardi 30 septembre 1902, extrait page 1

 

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