« J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam (1) d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier (2) de s’être rendu coupable, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot (3) d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre (4) et le général Gonse (5) de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte inattaquable (…).
J’accuse les bureaux de guerre d’avoir mené dans la presse (…) une campagne abominable pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre d’avoir couvert cette illégalité par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable. »
Source : Emile ZOLA, l’Aurore, 13 janvier 1898.
(1) C’est lui qui a conduit l’enquête qui aboutit à l’arrestation de Dreyfus.
(2) Ministre de la Guerre en 1894.
(3) Ministre de la Guerre en 1897 au moment où se trouve révélé le rôle d’Esterhazy.
(4) Chef de l’état-major.
(5) Supérieur direct du colonel Picquart.
idem un peu plus long…
« J’accuse le lieutenant-colonel Du Paty du Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son oeuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier [ministre de la Guerre de 1893 à 1895] de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle. J’accuse le général Billot [ministre de la Guerre du cabinet Méline, avril 1896] d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèsehumanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis (…).
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la Guerre, l’arche sainte, inattaquable. J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité (…).
J’accuse les trois experts en écriture, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux (…). J’accuse les bureaux de la Guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Éclair et dans l’Écho de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre [celui de 1894, qui jugea Dreyfus] d’avoir violé le droit, en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre [celui de janvier 1898, qui jugea Esterhazy] d’avoir couvert cette illégalité, par ordre, en commettant à son tour le crime juridique d’acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que J’accuse, je ne les connais point, je ne les ai jamais vus, je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et. l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! »
Source : É. Zola, » J’accuse « , L’Aurore, 13 janvier 1898.
idem plus long encore
« La vérité est en marche et rien ne l’arrêtera. c’est aujourd’hui seulement que l’affaire commence, puisque aujourd’hui seulement les positions sont nettes : d’une part les coupables qui ne veulent pas que la lumière se fasse ; de l’autre les justiciers qui donneront leur vie pour qu’elle soit faite. (…)
J’accuse le Lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables.
J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblese d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Bilot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innoncence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendu complice du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable.
J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravry d’avoir fait une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace.
J’accuse les trois experts en écriture, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et fruaduleux, à moins qu’un examen médical les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement.
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Eclair et dans l’Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit, en condammant un accusé sur pièce restée secrète, et j’accuse le second conseil de guerre, d’avoir couvert cette inégalité, par ordre. (…)
Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle d’explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en Cour d’Assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends ! »
Source : Lettre ouverte au président de la République Félix Faure dans le journal L’Aurore le 13 janvier 1898.
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