L’analyse de Jaurès sur l’Affaire Dreyfus
« Quelle est l’institution qui reste debout ? Il est démontré que les conseils de guerre ont jugé avec la plus déplorable partialité ; il est démontré que l’état-major a commis des faux abominables pour sauver le traître Esterhazy et que la haute armée a communié, sous les espèces du faux, avec la trahison.
Il est démontré que les pouvoirs publics, par ignorance ou lâcheté, ont été traînés pendant trois ans à la remorque du mensonge.
Il est démontré que les magistrats civils se sont ingéniés, par des artifices de procédure, à couvrir les crimes militaires.
Et le suffrage universel lui-même, dans son expression légale et parlementaire, n’a su trop longtemps, jusqu’à l’éclair du coup de rasoir, que donner au mensonge et au faux l’investiture nationale.
Oui, quelle est l’institution qui reste debout ? Il n’en est plus qu’une : c’est la France elle-même. Un moment, elle a été surprise, mais elle se ressaisit et même si tous les flambeaux officiels s’éteignent, son clair bon sens peut encore dissiper la nuit.
C’est elle et elle seule qui fera la révision. J’entends par là que tous les organes légaux, la Cour de cassation, les conseils de guerre, sont incapables désormais de la vérité complète, si la conscience française n’exige pas chaque jour toute la vérité.
Voilà pourquoi, bien loin de désarmer aujourd’hui, les citoyens qui ont entrepris le combat contre les violences et les fraudes de la justice militaire doivent redoubler d’efforts pour éveiller et éclairer le pays. Voilà pourquoi aussi nous tenons à fournir au prolétariat les éléments de discussion et de preuve que nous avons recueillis.
Source : Jean Jaurès, Les Preuves, Paris, La Petite République, Août-septembre 1898.