Fondée par la congrégation des Assomptionnistes en 1880, « La Croix » devient un quotidien en juin 1883, au moment où se développe en France une presse de masse, populaire et bon marché. Dans une France républicaine mais où le catholicisme conserve de solides bastions, La Croix s’affirme rapidement  comme le premier journal catholique du pays.

La ligne éditoriale  du journal est ultra-conservatrice (à mille lieux de la ligne éditoriale actuelle…) et il n’accepta le ralliement à la République que contraint et forcé.  Pendant l’Affaire Dreyfus, le journal  La Croix se classe sans ambiguité dans le camp antidreyfusard.

L’extrait de l’article présenté est daté du 14 janvier 1898. C’est une réaction à chaud à la publication, la veille, du « J’accuse » d’Émile Zola par le journal L’AuroreBien que l’article de Zola ne soit jamais cité explicitement, les allusions y sont nombreuses.

On y retrouve ici tous les clichés de l’antisémitisme de la fin du siècle : l’argent juif corrupteur ; le goût du secret et du complot au service du « patriotisme juif » ; le Juif étranger, « Judas » par essence.

Un antisémitisme qui, par sa virulence, n’est pas très éloigné de celui d’un Drumont


DEUX LOIS

[…]  La campagne de presse se poursuit plus vive que jamais, elle se poursuivra jusqu’à complet épuisement des subsides. Le syndicat cherche un successeur au commandant Esterhazy, en qualité de bouc émissaire. Plusieurs noms sont mis en avant, tous appartenant à l’armée.

D’ici à quelques jours, les meneurs se seront mis d’accord. On commencera l’attaque en rééditant les mêmes tours. Les uns parlent de M. du Puty de Clam, d’autres tiennent pour la candidature du général de Boisdeffre, à son défaut, le général de Pellieux ou le président du Conseil de guerre.
Cela ne finira jamais, à moins que le gouvernement ne se montre vigoureux et ne coupe court.
Il entre dans cette voie l’arrestation du colonel Picquart le prouve.
Les intérêts en jeu sont si grands !
Il s’agit de conquérir une sorte d’immunité par rapport à la justice : il s’agit de proclamer le juif intangible.
Dans l’univers entier, tout sujet de la reine Victoria est assuré de la protection de son gouvernement. Quoi qu’il fasse, toujours il a raison il est toujours soutenu !

Pour le juif, il doit en être de même.  Le gouvernement juif mettra toutes ses forces, ses finances et ses armées occultes, ses sociétés secrètes et ses alliés prolestants au service du moindre de ses compatriotes!
Au fond, nous ne saurions blâmer ce peuple d’en agir ainsi : il fait preuve comme l’Angleterre d’une grande cohésion et d’un véritable patriotisme israélite.
Nous le combattons, comme nous combattrions l’Allemagne ou l’Italie au cas d’invasion.
Nous le combattons parce qu’au mépris de l’hospitalité française et par trahison, en un baiser de Judas, il a déclaré la guerre à la nation !
                                                                                   LE PAYSAN.

La Croix, vendredi  14 janvier 1898, page 1, extrait