Maurice Barrès (1862-1923) fut, avec Charles Maurras et Edouard Drumont, l’une des grandes figures de l’extrême droite française avant 1914. Écrivain à succès, il exerça une  certaine influence sur la jeunesse de son temps. Il mena en parallèle une carrière politique, d’abord comme partisan du général Boulanger, sous l’étiquette duquel il fut élu député en 1889. Antidreyfusard militant, Barrès développa un nationalisme violemment xénophobe et antisémite.

L’article de Maurice Barrès a été publié par le quotidien Le Journal, dans son numéro du 15 février 1900. Le Journal, fondé en 1892, est un quotidien républicain qui se distingue en  accueillant dans ses colonnes de grandes plumes de la vie littéraire et c’est à ce titre que Barrès peut s’y exprimer.

L’article de Barrès est motivé par la création au quartier Latin d’une « association nationaliste de la jeunesse » dont les fondateurs proposent à Barrès la direction. Celui-ci y répond favorablement et, à la fin de l’article reproduit ci-dessous, expose sa  conception nationaliste de la France.

En quelque lignes, Maurice Barrès y exprime  quelques idées qui constituent le fonds idéologique du nationalisme :

  • L’angoisse du déclin et de la disparition de la nation française liée à « l’abaissement de notre natalité, l’épuisement de notre énergie depuis cent années ». Et son corollaire, la nécessité de lutter pour sa survie, car « avec une apparence de paix, la France est en guerre civile ».
  • Une conception identitaire de la nation (alors qu’en 1900, les identités régionales sont encore très vivantes en France).
  • La xénophobie qui conduit à concevoir l’immigration comme un problème national et les Français naturalisés comme une menace existentielle pour la France : « le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie ».

Ces idées ont, semble-t-il, retrouvé une nouvelle actualité dans la France de 2025. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil de l’extrême droite …


Les études nationalistes au quartier Latin (extraits)

[…] Ceux qui ont un peu réfléchi sur l’évolution des nationalités, et qui savent que tous les peuples ont leurs jours comptés, distinguent le germe de destruction que nous portons en nous. L’abaissement de notre natalité, l’épuisement de notre énergie depuis cent années que nos compatriotes les plus actifs ont disparu dans les guerres révolutionnaires et impériales, déterminent l’envahissement de notre territoire et de notre sang par des éléments étrangers qui aspirent à soumettre les éléments nationaux.

  Jadis, nous vivions sous la direction d’idées communes et avec des instincts, bons ou mauvais, qui étaient constamment acceptés comme bons par nos directeurs politiques. Aujourd’hui, parmi nous, se sont glissés de nouveaux Français que nous n’avons pas la force d’assimiler, qui ne sont peut-être pas assimilables, auxquels il faudrait du moins fixer un rang, et qui veulent nous imposer leur façon de sentir. Ce faisant, ils croient nous civiliser ; ils contredisent notre civilisation propre. Le triomphe de leur manière de voir coïnciderait avec la ruine réelle de notre patrie. Le nom de France pourrait bien survivre ; le caractère spécial de notre pays serait cependant détruit, et le peuple installé dans notre nom et sur notre territoire, s’acheminerait vers des destinées contradictoires avec les destinées et les besoins de notre terre et de nos morts.

Avec une apparence de paix, la France est en guerre civile. Aussi, à l’ « Association nationaliste », ne se bornera-t-on pas à étudier les vérités françaises ; on s’armera pour les défendre, on se groupera autour des noms aimés des patriotes, autour des tribuns comme Déroulède, et autour des purs héros comme Marchand, étranger à toute politique.

MAURICE BARRÈS.

Le Journal, 15 février 1900, Page 1