Un quotidien de droite[1] : l’Action française, organe du « nationalisme intégral »

« Suites d’une bagarre tragique

Nous avons relaté, hier, la sanglante bagarre qui avait éclaté la nuit précédente, devant un débit du boulevard Blanqui. Le charron Francis Boucher, qui avait reçu une balle dans la tête, est mort à l’hôpital Cochin. Une enquête très serrée est menée sur ces faits douloureux par la police judiciaire. Dès que les rapports seront parvenus au cabinet de M. Leullier, des sanctions très sévères seront prises contre l’agent Goujon, dont le manque de sang-froid n’a pas d’excuse. Le gardien Menu, auxiliaire, qui sortait du cabaret où, violant sa consigne, il buvait et qui fut le premier auteur de l’incident, est suspendu. Une mesure plus rigoureuse sera prise d’ici peu à son égard. L’agent Goujon est également suspendu. M. Jousselin, chargé de l’instruction, l’a interrogé hier et l’a inculpé de « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner. »

Il a ensuite été écroué à la Santé. »

L’Action française, 27 juin 1922.

 

« À l’instruction

La bagarre du boulevard Blanqui

Jousselin a interrogé l’agent Goujon, qui, dans la nuit du 24 au 25 juin, croyant sa vie en danger, avait fait usage de son revolver, tuant net M. Francis Bouchet et blessant grièvement M. Arrous. Goujon a déclaré qu’attiré par des cris et le tumulte d’une bagarre, il s’était dirigé vers l’endroit d’où partaient les cris. Il a vu alors un groupe, qui ressemblait à une mêlée et au milieu duquel paraissaient se débattre deux agents. Un homme avait roulé par terre, puis, se relevant, s’était dirigé vers lui, s’étant cru menacé, il avait tiré.

L’agent Menu, qui fut involontairement la cause de la bagarre, a expliqué au magistrat qu’il avait été pris à partie par des consommateurs d’un bar dans lequel il était entré se faire servir une tasse de café. Ces consommateurs, soucieux à l’excès du règlement, lui avaient reproché en termes grossiers d’entrer dans un bar tandis qu’il était de service. Ce fut le point de départ de la bagarre. Cependant l’agent Menu, qui n’est pas tolérant à l’excès, se rebiffa un peu vivement contre ces récriminations bruyantes et frappa l’un des consommateurs. Inculpé de violences par M. Jousselin, il a répondu :  « Je n’ai fait que me défendre. » »

L’Action française, 2 juillet 1922.

 

 

Dans la presse modérée[2] : le Temps, le quotidien du soir et de la rue des Italiens

« Deux gardiens de la paix devant le jury

Deux gardiens de la paix, Ange-Marie Goujon et Edmond Menu, étaient assis, hier, sur les bancs de la cour d’assises de la Seine, le premier pour coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner et le second pour violences et voies de fait.

Dans la nuit du 24 au 25 juin, alors qu’il était de service boulevard Blanqui, Edmond Menu, pris de boisson, avait, dans un bar, provoqué une bagarre en insultant et bousculant les consommateurs qui s’y trouvaient. Avisés du fait, des agents étaient accourus. Pour dégager leur collègue Menu, ils avaient dû tirer des coups de revolver en l’air, mais l’un d’eux, l’agent Goujon, avait malheureusement fait feu sur un groupe qui fuyait, un homme avait été tué et un autre blessé. Mes Alcide Delmont[3] et Serge Martin, qui, hier, défendaient les deux agents, ont plaidé l’affolement et l’hostilité de la foule, et la cour a condamné Goujon à deux ans de prison et Menu à trois mois de la même peine, leur accordant à chacun, en raison de leur dossier qui est excellent, le bénéfice de la loi de sursis. »

Le Temps, daté 11 novembre 1922.

 

 

Dans la presse communiste[4]

« Les flics qui tuent

Les magistrats sont d’une grande mansuétude pour eux

Je me rappelle avoir assisté à un pénible débat en Cour d’assises. Un tout jeune homme très considéré et parfait à tous égards, avait, un jour, au cours d’une manifestation syndicaliste tiré un coup de feu sur un groupe d’agents dont la brutalité l’avait révolté. Il n’avait tué personne. Il avait seulement blessé deux agents.

Bien qu’il fût ancien combattant et travailleur honnête, on lui infligea 10 ans de réclusion.

Hier la cour d’assises jugeait deux agents spécialement chargés d’assurer l’ordre et la sécurité de la rue. L’un d’eux, l’agent Menu, en état d’ivresse avait, un soir, interpellé grossièrement une femme, brutalisé son ami sans la moindre provocation. Et comme le couple menacé avait pu appeler au secours, d’autres agents intervinrent. L’un d’eux, l’agent Goujon, tira stupidement quatre coups de feu sur des passants paisibles et sans armes. Il tua l’un d’eux, blessa l’autre grièvement. Naturellement, le parquet laissa en liberté ces deux individus. Mieux même, il ne retint contre eux que les « coups et blessures ayant entraîné la mort sans intention de la donner » et les « coups et blessures simples ».

Aussi, après un réquisitoire-plaidoirie de M. l’avocat général Béguin demandant la loi de sursis, la Cour sans y être invitée par le jury a-t-elle condamné les deux flics, l’un à deux ans, l’autre à 3 mois d’emprisonnement et les a-t-elle fait bénéficier tous deux du sursis.

Notre amie Suzanne Lévy qui se présentait comme partie civile a justement flétri les procédés scandaleux de la police qui lui valut un rappel à l’ordre du président.

La Cour ne statuera sur les réparations civiles que mardi prochain. »

L’Humanité, 10 novembre 1922.

 

 

Dans la presse de centre-gauche[5]

« Condamnation de deux gardiens de la paix

Dans la nuit du 24 au 25 juin, le gardien de la paix Edmond Menu, du 13e arrondissement, prenait à partie des passants qu’il injuria grossièrement.

Ceux-ci s’enfuirent, mais l’agent, qui était en état d’ivresse, les poursuivit rue de la Santé, les fuyards arrêtèrent une voiture d’ambulance qui transportait une femme en couches à la Maternité.

À ce moment, d’autres gardiens de la paix accoururent et l’un des nouveaux arrivants, le gardien Ange Goujon, tira plusieurs coups de revolver sur le groupe, tuant un passant nommé Bouchet et traversant de part en part le forgeron Arroux, qui survécut à sa blessure.

Hier, la Cour d’assises, après plaidoiries de Mes Alcide Delmont et Serge Martin, a condamné Goujon à deux ans de prison avec sursis et Menu à trois mois également avec sursis. »

L’Œuvre, 10 novembre 1922.

Source : Gallica BNF – https://gallica.bnf.fr/

Notes :

[1] Durant la Troisième République, le terme « droite » ou « droite nationale » est réservé à l’extrême-droite du spectre politique, qui refuse la République. Dans la Chambre « bleu horizon » de 1919, le seul groupe intitulé « la droite » est un groupe parlementaire constitué de royalistes dont beaucoup sont nobles.

[2] Durant la Troisième République, ce qui correspond géométriquement au centre-droit de la Chambre et à un libéralisme socialement conservateur récuse le terme « droite » et lui préfère « modéré ». Les groupes parlementaires modérés usent volontiers du terme « gauche » qui renvoie à l’identité républicaine en vertu d’un vocabulaire datant de la seconde moitié du XIXe : « indépendants de gauche », « républicains de gauche », « gauche démocratique », « gauche radicale ».

[3] Avocat martiniquais et membre bien connu du barreau parisien. Il est élu en 1924 député (républicain socialiste puis indépendant de gauche) de la Martinique. Tardieu le nomme sous-secrétaire d’État aux colonies en 1929, ce qui suscite l’étonnement du militant et sociologue africain-américain W. E. B. Du Bois, leader de la NAACP. Celui-ci sollicite le député guadeloupéen noir Candace pour obtenir une photo du « colored man » membre d’un gouvernement français.

[4] Si les communistes se considèrent bien comme la seule gauche digne de ce nom, ils ne sont pas perçus ainsi par les observateurs de la vie politique. Ceux-ci classent en effet les socialistes SFIO à l’extrême-gauche en s’interrogeant sur la pertinence de classer à gauche un PCF opposant la révolution prolétarienne à la République.

[5] L’Œuvre est un journal à la confluence des idées des républicains socialistes – gauche rétive à l’unification socialiste de 1905 et qui évolue vers des positions modérées (Viviani, Barthou, Augagneur, Briand,…) –  et des radicaux (gauche-centre-gauche de l’entre-deux guerres). Son fondateur Gustav Téry est anticlérical, pacifiste, volontiers indigénophile et antisémite. Le journal évolue plus tard par pacifisme vers les positions du Rassemblement national populaire de l’ex-socialiste Marcel Déat devenu collaborationniste.