Machiavel écrit en 1513 son œuvre la plus connue, Le Prince, (publié en 1532), à la fin de sa carrière diplomatique. L’ouvrage présente un régime politique où la raison d’État prime et doit permettre l’amélioration de l’homme et de la société. On y voit une méthode de gouvernement, à laquelle on a souvent reproché son cynisme, mais qui est en usage dans les multiples Etats et les principautés de l’Italie de la Renaissance, comme dans le reste de l’Europe.

Une conception du pouvoir politique : Machiavel

Macchiavelli (Niccolo) : humaniste italien.
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La loyauté des Princes (1513)

« Combien il serait louable chez un prince de tenir sa parole et de vivre avec droiture et non avec ruse, chacun le comprend : toutefois, on voit par expérience, de nos jours, que tels princes ont fait de grandes choses qui de leur parole ont tenu peu compte, et qui ont su par ruse manœuvrer la cervelle des gens ; et à la fin ils ont dominé ceux qui se sont fondés sur la loyauté.

Vous devez donc savoir qu’il y a deux manières de combattre : l’une avec les lois, l’autre avec la force ; la première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme la première, très souvent, ne suffit pas, il convient de recourir à la seconde. Aussi est-il nécessaire à un prince de savoir bien user de la bête et de l’homme […]

Puisque donc un prince est obligé de savoir bien user de la bête, il en doit choisir le renard et le lion ; car le lion ne se défend pas des rêts, le renard ne se défend pas des loups. Ceux qui s’en tiennent simplement au lion n’y entendent rien. Un souverain prudent, par conséquent, ne peut ni ne doit observer sa foi quand une telle observance tournerait contre lui et que sont éteintes les raisons qui le firent promettre. (…) Et jamais un prince n’a manqué de motifs légitimes pour colorer son manque de foi. De cela l’on pourrait donner une infinité d’exemples modernes, et montrer combien de paix, combien de promesses ont été rendues caduques et vaines par l’infidélité des princes : et celui qui a su mieux user du renard est arrivé à meilleure fin.»

Machiavel, Le Prince (1513), ch. XVIII, in La pensée politique, Larousse, « Textes essentiels », 1992.

Autre traduction d’une partie du même passage :

«Un prince […] doit savoir bien utiliser la bête, il doit choisir le renard et le lion ; car le lion ne peut se défendre des filets, le renard des loups ; il faut donc être renard pour connaître les filets, et lion pour faire peur aux loups. Ceux qui veulent seulement faire les lions n’y comprennent rien [à la politique]. Donc, un seigneur intelligent ne peut pas tenir sa parole quand cela se retournerait contre lui, et quand les causes qui l’ont conduit à promettre ont disparu […] Et jamais un prince n’a manqué d’excuses pour cacher son manque de parole ; on pourrait trouver beaucoup d’exemples du temps présent, montrant combien de paix, combien de promesses ont été faites pour rien et annulées par l’infidélité des princes : celui qui a mieux su faire le renard s’en est toujours le mieux trouvé. Mais il faut savoir bien masquer cette nature, être grand simulateur et dissimulateur.»

Machiavel, Le Prince, Paris, Gallimard (Folio classiques), 1980, chap. XVIII.


L’art de gouverner

«Il n’est pas bien nécessaire qu’un prince possède toutes les bonnes qualités, mais il l’est qu’il paraisse les avoir. J’ose même dire que, s’il les avait effectivement, et s’il les montrait toujours dans sa conduite, elles pourraient lui nuire, au lieu qu’il lui est toujours utile d’en avoir l’apparence. Il lui est toujours bon, par exemple, de paraître clément, fidèle, humain, religieux, sincère […] On doit bien comprendre qu’un prince, et surtout un prince nouveau […] est souvent obligé, pour maintenir l’Etat, d’agir contre l’humanité, contre la charité, contre la religion même. Il faut donc qu’il ait l’esprit assez flexible pour se tourner à toutes choses, selon que le vent et les accidents de la fortune le commandent ; il faut que, tant qu’il le peut, il ne s’écarte pas de la voie du bien, mais qu’au besoin il sache entrer dans celle du mal […]
Au surplus, dans les actions des hommes et surtout des princes, qui ne peuvent être scrutées devant un tribunal, ce que l’on considère c’est le résultat. Que le prince songe donc uniquement à conserver sa vie et son État; s’il y réussit, tous les moyens qu’il aura pris seront jugés honorables et loués par tout le monde; le vulgaire est toujours séduit par l’apparence et par l’événement; et le vulgaire ne fait-il pas le monde ?»

Machiavel, Le Prince, ch. XVIII.

Autre traduction d’une partie de ce passage :

«Un prince […] est souvent contraint, pour maintenir ses États, d’agir contre sa parole, contre la charité, contre l’humanité, contre la religion […] Qu’un prince donc se propose pour son but de vaincre et de maintenir l’État: les moyens seront toujours estimés honorables et loués de chacun ; car le vulgaire ne juge que de ce qu’il voit et de ce qui advient.»

N. Machiavel (1469-1527), Le Prince, 1513, chap. XVIII, Le Livre de poche classique, 1962.

Sur Clio-Texte, il y a d’autres extraits sur Machiavel la politique au XVIe s., dans le fichier sur l’absolutisme en France.