Décret d’expulsion des juifs de Castille (31 mars 1492)
Après la fondation de l’Inquisition espagnole (1478) et la conquête du royaume de Grenade, dernier État musulman de la péninsule ibérique, les rois d’Espagne Isabelle et Ferdinand décident l’éradication du judaïsme dans leurs États.
» Don Ferdinand et doña Isabelle, par la grâce de Dieu, roi et reine de Castille, de Léon, d’Aragon, de Sicile, de Grenade, de Tolède, de Valence, de Galice, de Majorque, de Séville, de Sardaigne, de Cordoue, de Corse, de Murcie, de Jaén, de l’Algarve, d’Algéciras, de Gibraltar et des îles Canaries, comte et comtesse de Barcelone et seigneurs de Biscaye et de Molina, ducs d’Athènes et de Néopatrie, comtes du Roussillon et de Cerdagne, marquis d’Oristano et de Gociano.
Au prince don Juan, mon très cher et aimé fils, et aux infants, prélats, ducs, marquis, comtes, maîtres des ordres, prieurs, nobles, commandeurs, gouverneurs des châteaux et places fortes de nos royaumes et seigneuries, et aux conseillers, corrégidors et juges royaux, alguazils, juges [merinos], chevaliers, écuyers, officiers et hommes de bien de la très noble et royale cité de Burgos et des autres cités, villes et localités de son évêché et des autres archevêchés, évêchés et diocèses de bis royaumes et seigneuries et aux quartiers juifs [aljamas] de la dite cité de Burgos et de toutes les autres villes et localités des royaumes et seigneuries susdits et à tous les juifs ainsi qu’à ceux qui s’y rattachent, autant hommes que femmes, quel que soit leur âge, et à toutes les autres personnes quels que soient leur loi, leur état, leur dignité, leur privilège ou leur condition, à qui de droit est ou peut être concerné par notre charte, salut et grâce.
Sachant que nous avons été informés que dans nos royaumes il y avait quelques mauvais chrétiens qui judaïsaient et apostasiaient notre sainte foi catholique, ce qui était surtout dû au commerce des juifs et des chrétiens, sachant que lors des Cortes réunies par nous dans la ville de Tolède l’année écoulée 1480, nous avons ordonné d’écarter les dits juifs de toutes les villes et localités de nos royaumes et seigneuries et de leur accorder des quartiers réservés [juderias] dans des endroits écartés où ils vivraient en espérant que leur éloignement fournirait une solution.
Par ailleurs, nous avions donné l’ordre de mener l’inquisition dans nos royaumes et seigneuries. Elle existe et agit depuis plus de douze ans et a permis, comme vous le savez, de trouver beaucoup de coupables. Cela est notoire et nous avons été informés par les inquisiteurs et par beaucoup d’autres personnes, religieux et laïcs, que les chrétiens ont subi et subissent un grand dommage en participant, conversant et communicant avec les juifs ; car il est prouvé que ceux-ci essaient toujours par toutes les voies et manières possibles de pervertir les fidèles chrétiens et de les soustraire à notre sainte foi catholique, de les en écarter pour les attirer à leurs croyances et opinions si nuisibles, en les instruisant lors de leurs cérémonies et par l’observation de leurs lois, en organisant des réunions où on leur lit et apprend ce qu’ils doivent croire et pratiquer selon leur loi, s’employant à les circoncire, eux et leurs enfants, leur donnant des livres pour réciter leurs prières, les incitant à jeûner et à se réunir avec eux pour lire et apprendre les histoires de leur loi, leur annonçant les Pâques avant qu’elles n’arrivent, les prévenant de ce qu’ils doivent faire pendant celles-ci, leur apportant dans leurs maisons le pain azyme et les viandes mortes lors de cérémonies, les instruisant de choses dont ils doivent s’écarter, aussi bien pour la nourriture que dans les autres domaines en observance de leurs lois, et les persuadant dans toute la mesure du possible de garder la loi mosaïque [loi de Moïse, Torah], en leur faisant comprendre qu’il n’y a pas d’autre loi et d’autre vérité que la leur. Tout cela est connu par de nombreux récits et confessions aussi bien de juifs eux-mêmes que de ceux qui furent pervertis et trompés par eux. Tout cela a eu les plus graves conséquences pour notre sainte foi catholique.
Étant donné que nous avons été informés que ni ces mesures, ni les sentences prises envers certains des dits juifs jugés infiniment coupables des crimes et délits susnommés contre notre sainte foi catholique, n’ont suffi pour porter remède et faire cesser un si grand opprobre et offense de la foi et de la religion chrétienne ; parce que chaque jour il semble que les dits juifs accroissent leur méchant et nuisible projet là où ils vivent et où ils parlent, et pour qu’il n’y ait plus d’endroit où offenser notre sainte foi, aussi bien parmi ceux que Dieu a voulu protéger comme chez ceux qui sont tombés, se sont corrigés et ont été réintégrés dans notre sainte Mère l’Église, toutes choses qui n’arriveraient pas sans la faiblesse de notre humanité et sans la ruse et la suggestion du démon qui sans cesse nous combat avec facilité, et qui se reproduiraient si la cause principale n’en était supprimée, c’est-à-dire en éjectant les dits juifs de nos royaumes. Parce que, quand un crime grave et détestable est commis par un membre quelconque d’une collectivité [colegio y universidad], il est raisonnable de dissoudre et d’anéantir la dite collectivité, punissant les petits pour les grands pêcheurs, les uns comme les autres, et que ceux qui pervertissent la bonne et honnête cohabitation dans les villes et localités et qui, par contamination, peuvent nuire, soient renvoyés de leurs communautés, et si c’est le cas pour des motifs légers, d’ordre public, alors que dire quand il s’agit du plus grand des crimes, aussi périlleux et contagieux que celui-ci.
C’est pourquoi, nous, suivant les conseils et avis de prélats, de grands et de chevaliers de nos royaumes et d’autres personnes de science et de conscience de notre Conseil, ayant sur tout ceci beaucoup délibéré, nous ordonnons de faire sortir tous les dits juifs et juives de nos royaumes et qu’ils ne retournent jamais dans aucun d’entre eux. Et pour cela nous promulguons cette charte par laquelle nous ordonnons à tous les juifs et juives quel que soit leur âge, qui habitent et demeurent dans nos dits royaumes et seigneuries, natifs et non natifs, quels que soient le moyen et la raison de leur venue et de leur séjour, qu’ils sortent avant la fin du mois de juillet prochain de la présente année de nos dits royaumes et seigneuries avec leurs fils et filles, leurs domestiques mâles et femelles et leurs familles, les grands comme les petits, de n’importe quel âge, et qu’ils n’osent pas y retourner ni y résider, ni à demeure ni de passage, sous peine que s’ils ne le fissent pas et qu’ils fussent trouvés dans nos dits royaumes et seigneuries ou en voie d’y retourner d’une manière ou d’une autre, d’être passibles de la peine de mort ou de la confiscation de tous leurs biens au bénéfice de notre Trésor. Ils seront soumis à ces peines sans autre forme de procès, de jugement ou de déclaration. Nous ordonnons et défendons à quiconque de nos royaumes, quels que soient son état, ses privilèges et sa condition, de recevoir, soigner, accueillir ou défendre, en public ou secrètement, des juifs et des juives une fois passé le dit terme de fin juillet et ce, pour toujours, ni sur ses terres ni dans ses maisons, nulle part dans nos royaumes et seigneuries, sous peine de la perte de tous ses biens, vassaux et forteresses et autres valeurs ainsi qu’à celle de n’importe quelle grâce reçue de nous, ceci en faveur de notre Trésor.
Et pour que les dits juifs et juives puissent pendant le temps qui s’écoulera jusqu’à la fin du mois de juillet disposer d’eux et de leurs biens et propriétés, par la présente charte, nous les prenons et les recevons sous notre protection royale et nous les assurons, eux et leurs biens, pour que pendant ce temps, jusqu’à la fin du dit mois de juillet, ils puissent se déplacer en sûreté, vendre, échanger et aliéner tous leurs biens meubles et immeubles et en disposer librement ; pendant le dit temps, il ne leur sera pas fait de mal ni porté de tort sur leurs personnes ni sur leurs biens sans s’exposer aux peines qui menacent tous ceux qui enfreignent notre royale sûreté.
De même, nous autorisons les dits juifs et juives à sortir de nos royaumes et seigneuries leurs biens et richesses par mer et par terre, pour autant qu’ils ne sortent ni or, ni argent, ni monnaie frappée, ni d’autres choses interdites par les lois de nos royaumes, à l’exception de marchandises et de lettres de change. De même, nous ordonnons à tous les conseils, hauts justiciers, échevins, chevaliers, écuyers, officiers, hommes de bien de la dite ville de Burgos ou des autres villes et localités de nos royaumes et seigneuries, à tous nos vassaux, sujets et naturels, de veiller à l’exécution de notre charte et de tout ce qu’elle contient et d’aider en tout ce qui serait nécessaire, sous peine de perdre notre protection et de subir la confiscation de tous leurs biens et offices au profit de notre Trésor.
Et pour que ceci soit connu de tous et que personne ne puisse prétendre l’ignorer, nous ordonnons que notre charte soit criée sur les places et lieux habituels de cette ville et des principales villes et localités de l’évêché par un crieur public et devant notaire. Et les uns et les autres ne vous y opposez d’aucune manière, sous peine de perdre nos faveurs, d’être privés de vos charges et de supporter la confiscation de vos biens. Et en outre, nous ordonnons à l’homme qui vous montre cette charte qu’il vous cite à comparaître devant nous dans notre Cour, où qu’elle se tienne, dans les quinze jours suivant la proclamation, sous peine de la sanction susdite. En conséquence, nous mandons à chaque notaire qu’il vous montre un témoignage écrit avec son nom pour que nous sachions que notre ordre est respecté.
Fait dans notre ville de Grenade au XXXIe jour du mois de mars, année de naissance de notre Seigneur Jésus-Christ, 1492. Moi le roi. Moi la reine.
Moi, Juan de Coloma, secrétaire du roi et de la reine, nos seigneurs, l’ayant fait écrire à leur demande. En registrée : Cabrera, Almazan, le chancelier. »
Décret royal [Réal Provision] pour la Couronne de Castille, Archives Générales de Simancas, Patronato Real, legajo 28, fol. 6, dans PEREZ, Joseph, Historia de una tragedia : la expulsion de los judios de España, Barcelone, 1993, p. 147 – 151. (traduction : I. Poutrin).
L’expulsion des juifs d’Espagne (1492)
Justification et témoignage d’un curé d’Andalousie
» Les catholiques très-chrétiens Roi et Reine ayant vu le grand dommage qui provenait de l’opiniâtreté et de l’aveuglement perpétuel des juifs, et comment l’hérétique perversité mosaïque tirait de là son aliment, étant au siège de Grenade en l’an 1492, ordonnèrent que, à tous les juifs de toute l’Espagne et dans tous ses royaumes, soient prêchés le saint Evangile et la foi catholique, et la doctrine chrétienne, et que ceux qui voudraient se convertir et se baptiser resteraient dans leurs royaumes comme leurs vassaux, avec tous leurs biens, et que ceux qui ne voudraient pas se convertir, dans un délai de six mois, s’en aillent et quittent leurs royaumes, et que, sous peine de mort, ils n’y retournent jamais, et qu’ils emportent tous leurs biens ou qu’ils les vendent, à condition de ne faire sortir ni or ni argent. Cet édit publié et ordonné dans toutes les synagogues, les places et les églises, le Saint Évangile et la doctrine de notre sainte mère l’Église leur furent prêchés par les hommes doctes d’Espagne, et il leur fut prouvé par les Écritures mêmes, que le Messie qu’ils attendaient était notre Rédempteur Jésus-Christ, qui était venu au temps qu’il convenait, et que leurs ancêtres, dans leur malice, avaient ignoré, et tous les autres par la suite n’avaient jamais voulu écouter la vérité ; bien au contraire, trompés par le livre mensonger du Talmud, alors qu’ils avaient la vérité devant leurs yeux et qu’ils la lisaient chaque jour dans leur Loi, ils l’ignoraient (…). Aveuglés par cette maudite doctrine du Talmud, les juifs qui en ce temps vivaient en Espagne, bien qu’ils vissent clairement leur expulsion et leur perte, et malgré les prédications et les admonestations, restèrent toujours obstinés et incrédules et, bien qu’ils prêtassent l’oreille de force, jamais dans leur cœur ils ne recevaient de doctrine profitable. Au contraire, dès qu’ils avaient fini d’entendre la prédication de l’Evangile, leurs rabbins leur prêchaient la doctrine contraire et les encourageaient avec de vaines espérances, en leur disant qu’ils devaient être certains que cela venait de la part de Dieu, qui voulait les tirer de leur esclavage et les mener à la terre promise ; et que dans cette sortie ils verraient comment Dieu faisait pour eux de grands miracles. (…) Les juifs riches assuraient les frais du voyage des juifs pauvres, et ils usaient les uns avec les autres dans ce départ, d’une grande charité. Si bien qu’ils ne voulurent se convertir en aucune manière, sauf quelques uns, très peu, des plus démunis. Communément les juifs, simples ou instruits, en ce temps, pensaient et croyaient tous, où qu’ils habitassent, que comme Dieu, d’une main forte et le bras étendu, avec grand honneur et richesses, avait miraculeusement tiré d’Egypte l’autre peuple d’Israël, grâce à Moïse ; de même, à leur départ d’Espagne, ils allaient, pour leur plus grand honneur et fortune et sans perdre aucun de leurs biens, posséder la sainte terre promise (…).
J’ai appris par les rabbins que j’ai baptisés quand ils sont revenus de l’étranger (il en y avait dix ou douze), et d’un qui avait l’esprit très fin, qui s’appelait Zentollo, qui était de Vitoria, et auquel j’ai donné le nom de Tristan Bogrado, qu’il y avait en Castille plus de trente mille juifs mariés, et qu’il y avait en Aragon six mille foyers, en incluent la Catalogne et Valence, où il y avait plus de cent soixante mille âmes, au moment où le Roi et la Reine donnèrent la sentence que ceux qui ne voudraient pas être chrétiens fussent exilés d’Espagne pour toujours (…) Dans le délai de six mois donné par l’édit , ils vendirent et marchandèrent leurs biens comme ils le purent, et petits et grands préparèrent leur voyage, en montrant un grand espoir d’une sortie heureuse et de choses divines, mais ils furent malheureux en tout. Les chrétiens obtinrent de nombreuses propriétés, et de très riches maisons pour de faibles sommes, et ils cherchaient partout à les vendre, sans trouver d’acheteurs, et ils donnaient une maison pour un âne, un vignoble pour une pièce de toile, car ils ne pouvaient faire sortir d’or ni d’argent. Mais il est vrai qu’ils sortirent clandestinement d’infinies quantités d’or et d’argent en secret, et notamment beaucoup de pièces d’or [cruzados y ducados] mastiquées avec les dents, qu’ils avalaient et emportaient dans leurs ventres, soit dans les endroits où ils devaient être fouillés, soit dans les ports maritimes et aux frontières, et surtout les femmes en emportaient plus, et chacun devait en avaler au moins trente ducats d’un seul coup. (…)
Ces juifs de Castille, à l’époque de l’édit du Roi et de la Reine, avaient des biens dans les meilleures villes et localités, et sur les terres les meilleures et les plus fertiles, et pour la plupart habitaient les terres des seigneuries, et ils étaient tous marchands et vendeurs, fermiers des alcabalas et des revenus des amendes, intendants des seigneurs, tondeurs, tailleurs, cordonniers, tanneurs, corroyeurs, tisserands, épiciers, colporteurs, soyeux, orfèvres, ou d’autres offices semblables. Aucun ne cultivait la terre, n’était laboureur, ni charpentier, ni maçon, mais ils cherchaient tous des métiers reposants, qui permettaient de gagner de l’argent avec peu de travail. C’étaient des gens très habiles, qui vivaient habituellement d’affaires et d’usures avec les chrétiens, et en peu de temps beaucoup de pauvres, parmi eux, devenaient riches. Ils avaient une très grande charité les uns envers les autres. Bien qu’ils payassent leurs tributs aux seigneurs et aux rois des terres où ils habitaient, jamais on ne trouvait de gens très misérables parmi eux, parce que leurs conseils, qu’ils appelaient Aljamas, payaient pour les nécessiteux. (…) Confiant dans les vaines espérances de leur aveuglement, ils se mirent en route et ils sortirent des lieux où ils étaient nés, petits et grands, vieux et jeunes, à pied, à cheval, à dos d’âne ou d’autres bestiaux, ou en charrette, et poursuivirent leur voyage chacun vers les ports où ils devaient se rendre. Ils allaient par les chemins et les champs avec de grandes fatigues et infortunes, les uns tombant, les autres se relevant, mourant, naissant, tombant malades, de sorte qu’il n’y avait de chrétien qui ne les regarde avec douleur, et partout où ils allaient on les invitait au baptême, et certains, poussés par le malheur, se convertissaient et restaient, mais très peu, et les rabbins les encourageaient, ils faisaient chanter les femmes et les jeunes, et jouer du tambourin pour égayer les gens, et c’est ainsi qu’ils sortirent de Castille et arrivèrent aux ports où les uns embarquèrent, et que les autres parvinrent au Portugal. »
Andrés BERNALDEZ, curé de Los Palacios , Historia de los Reyes Católicos don Fernando y doña Isabel, escrita por el bachiller Andrés Bernaldez, dans Cronicas de los Reyes de Castilla, vol. 3, « Biblioteca de Autores Españoles », t. LXX, Madrid, M. Rivadeneyra, 1878, p. 651 – 653 (traduction : I. Poutrin).
Expulsion des maures des royaumes de Castille et de Léon (1502)
Pragmatique d’Isabelle et Ferdinand, 12 février 1502
» (…) Considérant le grand scandale qui résulte, tant à l’égard des nouveaux convertis que de tous nos autres sujets et naturels, de la présence des maures dans nos royaumes et seigneuries, et ce qui pourrait découler de ce scandale au détriment de la chose publique : car voir que nous avons fait tant d’efforts que dans le royaume de Grenade où tous étaient infidèles, il n’en reste plus aucun et qu’avec l’aide de Notre-Seigneur nous en avons ôté la racine de la honte de notre sainte Foi, de cette espèce qu’il y avait dans les Espagnes, et que nous pourrions permettre que d’autres poussent dans nos autres royaumes, présente un inconvénient. Ainsi qu’il a plu à Notre-Seigneur de chasser de ce royaume, sous notre règne, nos anciens ennemis qui y sont demeurés tant d’années en combattant contre notre sainte Foi, contre les Rois nos prédécesseurs et contre nos royaumes, ainsi il est juste que, nous montrant reconnaissants pour cela et pour les autres grands bienfaits que nous avons reçus de sa divine Majesté, nous chassions de nos royaumes les ennemis de son très saint nom et que nous ne permettions plus qu’il y ait dans nos royaumes des gens qui suivent des lois réprouvées. Considérant aussi que la plus grande cause de la subversion de nombreux chrétiens que l’on a vu dans nos royaumes a été le contact et la communication avec les juifs ; et que de même la communication entre les maures de nos royaumes et ceux qui se sont récemment convertis est un grand danger et pourrait conduire les nouveaux convertis à être incités à abandonner notre Foi et à revenir à leurs erreurs précédentes – ce qui pourrait bien arriver selon la faiblesse de notre condition humaine et les suggestions du démon qui nous combat sans cesse, comme on l’a déjà vu par expérience par quelques cas dans ce royaume et en-dehors, si la cause principale n’était pas supprimée en chassant les maures de nos royaumes et seigneuries ; et parce qu’il est mieux de prévenir par le remède, qu’espérer châtier les erreurs après que les délits sont commis ; et parce que quand leur présence est cause de scandale ou de danger et que leur sortie ou leur expulsion est nécessaire, même s’ils sont pacifiques et vivent tranquillement, il est justifié de les expulser des villages, et que soient punis les petits pour les grands et les uns pour les autres.
Pour ces causes Nous, avec le conseil et l’avis de quelques Prélats et Grands de nos royaumes, Chevaliers et autres personnages de science et conscience de notre Conseil, après de longues délibérations sur cette affaire, nous avons convenu d’ordonner de sortir à tous les maures, hommes et femmes, de nos royaumes de Castille et de Léon, et que jamais ils n’y reviennent. Et sur ce nous ordonnons de donner cette présente lettre, par laquelle nous ordonnons à tous les maures âgés de quatorze ans et plus, et à toutes les femmes maures âgées de douze ans et plus, vivant, demeurant et se trouvant dans nos royaumes, et seigneuries de Castille et de Léon, qu’ils soient naturels ou non, quelles que soient la cause ou les modalités de leur arrivée et de leur présence, à l’exception des maures captifs à condition qu’ils portent les fers pour être identifiés, qu’à compter de la fin du mois d’avril de l’année courante de 1502 ils sortent de tous nos royaumes et seigneuries, et qu’ils s’en aillent avec les biens qu’ils voudraient emporter ; à condition qu’ils ne puissent emporter ni faire sortir, ni n’emportent ou ne fassent sortir, ni d’autres à leur place, hors de nos royaumes, ni or ni argent, ni aucune des choses dont la sortie est par nous interdite et défendue ; et qu’ils sortent par les ports de notre comté de Biscaye, et non par aucun autre port, et nous ordonnerons de placer dans ces ports des personnes chargées de voir ce qui sort par ces ports ; sous peine que, s’ils sortaient par une autre voie, ou s’ils emportaient par ces ports de l’or ou de l’argent ou toute autre chose interdite, que de ce fait même ils encourent la peine de mort, et la perte de tous leurs biens au profit de notre Chambre et Trésor. Nous ordonnons à ces maures qu’ils ne puissent aller, ni que personne n’ose les amener par terre ou par mer dans nos royaumes d’Aragon et de Valence et notre Principat de Catalogne, ni dans le royaume de Navarre. Et parce que nous sommes en guerre contre les maures d’Afrique et contre les Turcs, de même nous interdisons et défendons qu’ils puissent aller dans les territoires d’Afrique ou chez les Turcs, sous la même peine de mort et de confiscation des biens au profit de notre Chambre ; mais nous permettons qu’ils puissent aller et qu’ils aillent vers la terre du Soudan, et dans toute autre partie du monde où ils voudraient, à l’exception de celles que nous interdisons. Nous ordonnons que ces maures, ni aucun maure naturel de nos royaumes ou étranger, à l’exception des captifs, n’ose revenir ou se trouver en aucune partie de ceux-ci, habitant ou de passage, ni d’aucune manière, et à jamais ; sous peine que, s’ils désobéissaient et étaient trouvés présents ou entrant dans nos royaumes, ils encourent par ce fait même et sans autre procès, sentence ou condamnation, la peine de mort et de confiscation de tous leurs biens pour notre Chambre et Trésor. Et nous interdisons et défendons à quiconque dans nos royaumes, de quelque état, prééminence ou dignité que ce soit, n’ose recevoir, accueillir ou défendre, publiquement ou secrètement, aucun maure homme ou femme, passé le terme de la fin du mois d’avril, dorénavant et pour toujours, sur ses terres ou dans sa maison et en aucune partie de nos royaumes et seigneuries, sous peine de perdre tous ses biens, vassaux et forteresses et autres héritages, et de perdre également toute somme qu’ils tiendraient de notre part et que tout cela soit appliqué à notre Chambre et Trésor. (…) Nous interdisons qu’aucun maure captif, homme ou femme, ni quiconque, ose dire à ceux qui sont récemment convertis à notre sainte Foi Catholique, quoi que ce soit qui les incite à abandonner notre Foi, sous peine de mort. »
Isabelle et Ferdinand à Grenade, le 20 juillet 1501 et par pragmatique à Séville le 12 février 1502, dans Novissima Recopilación de las leyes de España, t. V, l. XII, titulo II, ley III, p. 311 – 312 (Recopilación, lib. 8, tit. 2, ley 4). (traduction : I. Poutrin).
Constitutions relatives aux morisques du concile provincial de Grenade (1565)
» Nous ordonnons aux curés de ne pas marier les dits nouveaux chrétiens sans qu’ils ne sachent les quatre oraisons et les dix commandements de la Loi et les cinq de l’Église, et ce qu’on dit en entrant dans l’église et quand on adore le Saint-Sacrement. Quant aux femmes, que le curé qui doit les marier les interroge à l’endroit où l’on entend les confessions des femmes et en nul autre, sous peine d’un ducat, sur quoi nous nous en remettons à leur conscience. Et les hommes viendront prier devant les officiaux, visiteurs ou vicaires, et recevront un billet attestant qu’ils savent la doctrine ; et qu’aucun d’eux ne reçoive pour cela des dits nouveaux chrétiens ni argent ni volailles, ni autre chose directement ou indirectement, sous peine de le restituer au quadruple ; et de même que les curés ne marient aucun vieux chrétien sans avoir vérifié qu’il sait la doctrine.
Nous demandons que le nonce ou curseur du tribunal ecclésiastique soit aussi l’interprète en langue arabe pour les affaires des nouveaux chrétiens ; et autant que possible, qu’il s’agisse d’un vieux chrétien et non d’un nouveau, de bonne réputation et crédit (…).
Bien qu’il soit d’usage parmi les fidèles chrétiens de se faire parfois enterrer dans des cimetières bénits, comme les nouveaux chrétiens en usent comme d’une cérémonie de maures, nous ordonnons que dorénavant dans notre archidiocèse et province tous, les nouveaux chrétiens comme les vieux, soient enterrés dans les églises ; et si la place ou la possibilité faisait défaut, ils peuvent être enterrés dans des cimetières, à condition qu’ils soient bénits, enclos et fermés, avec une croix au milieu.
Nous ordonnons qu’aucun des nouveaux chrétiens, lors du baptême et de la conformation, ne donne à ses enfants des noms ou des surnoms de maures, sinon de saints honorés par la sainte Église, et qu’ils les appellent ainsi chez eux et à l’extérieur, comme l’ordonne S. M. lors de l’assemblée tenue avec les prélats dans la Chapelle royale le 7 novembre 1526, sous peine de cinq cents maravédis pour les œuvres de piété, payables la première fois par les parents et par eux si, étant adultes, ils s’appelaient ou acceptaient qu’on les appelle [avec des noms ou surnoms maures], et la seconde fois dix jours de prison en plus, et la troisième ils seront châtiés comme suspects en la foi. Et que ceux qui à présent ont de tels noms ou surnoms, qu’ils se les changent, sous la même peine.
Nous ordonnons aux femmes nouvelles chrétiennes qu’au cas où il y aurait dans leur paroisse ou village une accoucheuse vieille chrétienne, qu’elles n’accouchent pas avec une nouvelle chrétienne ou une de leur race, si cela peut se faire commodément. Et que le curé, dans les deux jours qui suivent la naissance d’un enfant de nouveaux chrétiens, aille lui rendre visite, et si c’est un garçon qu’il lui regarde les parties où ils ont coutume de faire la circoncision, parce qu’il se rendra compte si elle a été faite à la main ou si elle est naturelle, comme certains d’entre eux ont l’habitude de le dire en prétendant pour s’excuser, qu’ils sont nés ainsi. Et si le curé trouvait quelque indice qu’elle a été faite à la main, qu’il le constate devant témoins et qu’il en informe le prélat ou ses officiaux dans un délai de six jours, sous peine de deux ducats pour chaque négligence.
Il est ordonné aux curés de faire des sermons au peuple avec fréquence, et spécialement les jours qu’indique cette constitution : ordonnant en outre que, là où il y a des nouveaux chrétiens, on leur prêche la divinité de Jésus-Christ, le mystère de notre Rédemption, du Sacrement de l’autel, la confession auriculaire et le mystère de la Sainte Trinité, parce que ce sont les articles où ces gens se trouvent les moins solides. Et que ces sermons se fassent, si possible, en langue arabe.
Qu’ils traitent en tout comme tels [= nouveaux chrétiens] ceux qui se sont convertis avant la prise de Grenade et leurs descendants qui disent être vieux chrétiens, s’ils portent des habits de nouveaux chrétiens ou parlent leur langue ou imitent leurs usages, de même que les vieux chrétiens qui porteraient l’habit de nouveaux chrétiens ou seraient mariés avec eux, s’ils portent cet habit, en raison du doute que cela produit sur leur religion et christianisme. »
Source : Juan Tejada Ramiro, Colección de Canónes y concilios de la Iglesia Española, t. V, Madrid, 1855, p. 389 – 392, publié par Antonio Domínguez Ortiz et Bernard Vincent, Historia de los moriscos. Vida y tragedia de una minoría, Madrid, Revista de Occidente, 1973, p. 268 – 272 (traduction : I. Poutrin).
La révolte des morisques du royaume de Grenade (1569)
» Les choses étant en cet état dans ce royaume [de Grenade], Votre Majesté a ordonné, sur le conseil et avec l’accord de personnes graves, lettrées et de grande conscience, que se fissent des lois et des pragmatiques concernant les vêtements et la langue des Morisques, leurs bains, l’ordre pour leurs femmes de marcher à visage découvert, l’obligation pour eux de laisser ouvertes trois jours par semaine les portes de leurs maisons, et autres choses qu’ils ont terriblement ressenties. J’ai alors exprimé au Révérendissime Cardinal Président (1) combien je pensais que les Morisques ressentiraient ces mesures, et combien je craignais qu’il en résultât de graves inconvénients, car, bien que le zèle des personnes qui les avaient conseillées fût excellent et saint, les affaires du royaume n’étaient pas, à mon avis, en tel état qu’on pût lancer de telles innovations, ni que le temps fût opportun pour expérimenter jusqu’où iraient la loyauté et la fidélité d’une race aussi traîtresse et suspecte […]. Malgré quoi, il fut décidé que lesdites pragmatiques seraient publiées et exécutées, et je fus envoyé en ce royaume, mais sans qu’on me donnât les troupes que je demandais. Arrivé dans ledit royaume, j’eus connaissance du grand ressentiment qu’éprouvaient les Morisques de ces pragmatiques et de leur mécontentement et désespoir, et j’eus clairement conscience de leurs mauvaises intentions et desseins maudits, par des lettres qu’ils écrivaient au Grand Turc et par d’autres preuves évidentes. J’en rendis compte à Votre Majesté et j’insistais à nouveau avec beaucoup de force pour que Votre Majesté fît suspendre l’exécution des pragmatiques, ou du moins fît tempérer la grande rigueur avec laquelle elles étaient exécutées. Mais d’autres personnes ont donné à Votre Majesté un avis contraire, affirmant que les Morisques prenaient en bonne part les pragmatiques et qu’en les exécutant il n’en résulterait aucun péril ni inconvénient ; à quoi Votre Majesté ayant donné crédit, Elle ordonna qu’elles fussent exécutées, et qu’on usât à l’avenir de la plus grande rigueur pour cette exécution, ce qui anéantit entièrement toute espérance que les Morisques avaient conservée jusqu’alors d’une rémission ou d’une suspension des lois, et les poussa à se déterminer à mettre en œuvre leur maudit projet : ce qu’ils firent, commençant à se révolter le 23 décembre dans certains villages des tahas (2) d’Orgiva et des Alpujarras, au point qu’en peu de jours se révoltèrent plus de 182 villages desdites Alpujarras et des tahas de Marchena [etc.]. Ils élurent pour leur chef Fernando de Valor, homme jeune, mal intentionné, de mauvaises mœurs et de peu d’entendement bien qu’issu de bon sang, et le nommèrent roi.
Lequel, ayant su que dans l’Albaicín de la cité de Grenade, où il y avait 7 500 maisons de Morisques, il n’y avait qu’une garde de 25 soldats sous les ordres du Président, décida d’envoyer 150 brigands maures audit Albaicín, qui y entrèrent de nuit, à minuit du 24 décembre, et tuèrent un des soldats du Président, en blessèrent un autre, et les autres s’enfuirent (…). Mais les Morisques de l’Albaicín restèrent dans leurs maisons sans que personne en sortît ni bougeât, sur quoi les dits brigands, voyant qu’ils n’avaient pas réussi leur dessein de soulever l’Albaicín, en sortirent et se retirèrent dans la Sierra Nevada, par où ils étaient venus des Alpujarras (…).Et quand, après le lever du soleil, j’eus avis que les ennemis qui avaient pénétré dans l’Albaicín en étaient ressortis, et qu’ils retournaient dans la Sierra Nevada, je fis sonner l’alarme et je sortis en personne du château de l’Alhambra avec tous les gens de pied et de cheval que je pus réunir, mais bien que nous eussions couru à grande diligence, nous ne pûmes les rejoindre avant qu’ils atteignissent la Sierra Nevada où les cavaliers ne pouvaient s’approcher d’eux ni les poursuivre, à cause des chemins trop escarpés et difficiles, et où les fantassins ne pouvaient pas non plus les atteindre parce qu’ils étaient plus légers et plus agiles qu’eux. La nuit étant alors survenue, je revins à Grenade, ne voulant pas rester hors de la ville tant que celle-ci n’aurait pas une garnison suffisante, de peur de surprise (…).
Je reçus avis que les ennemis venaient en force puissante, avec enseignes déployées et troupe de nombreux hommes bien aguerris, soulevant sur leur passage tous les villages de Morisques, les uns de plein gré et les autres par la force, infligeant aux prêtres, sacristains et vieux-chrétiens des morts atroces, et commettant toute sorte d’outrages et d’insolence. Sur quoi, me trouvant dépourvu d’hommes, d’artillerie et de munitions (…), j’envoyai des courriers en toute diligence aux grands et aux cités d’Andalousie pour les informer de ladite révolte et du besoin où j’étais de gens de pied et de cheval (…). Et le vendredi 11 février, il y eut une bataille dans les Alpujarras depuis deux heures de l’après-midi jusqu’à la nuit, mais les nôtres ne purent la gagner, bien qu’ils eussent tué un si grand nombre d’ennemis qu’à peine en survivait-il quelques-uns, car les femmes combattaient aussi bien que les hommes, et les ennemis avaient fortifié la montée, qui était si rude et si étroite que nos soldats ne pouvaient marcher qu’un à un, et étaient obligés de s’aider des mains, de sorte que lesdits ennemis les tuaient et les blessaient à foison en leur jetant des pierres du haut de la montagne, ce qui nous causa de grandes pertes (…).
Iñigo López de MENDOZA, marquis de Mondejar, Mémoire présenté au roi Philippe II, dans A. MOREL-FATIO, L’Espagne aux XVIe et XVIIe siècles, Heilbronn, 1878, p. 13 – 56 (traduction par Michel DUCHEIN, Archives de l’Occident, t. 3, Les temps modernes, 1559 – 1700, Paris, Fayard, 1995, p. 123 – 125).
1) Le Cardinal Diego de Espinosa, président du conseil nommé par Philippe II pour l’admnistration du royaume de Grenade.
2) Districts.
Une affaire de sorcellerie dans la région de Tolède (1591)
» Catalina Mateo, veuve, domiciliée au Casar de Talamanca, cinquante ans. Elle fut arrêtée par le vicaire d’Alcalá, suite aux dépositions de seize témoins qui affirmaient qu’au cours des quatre dernières années, quatre ou cinq bébés étaient morts de mort violente au Casar dans des circonstances telles que seules des sorcières [brujas] avaient pu le faire et que ladite Catalina, ainsi qu’Olalla Sobrina et Juana Izquierdo étaient publiquement tenues pour telles. Au cours du procès, et sous la torture, la Mateo avoua qu’il était vrai que quatre ou cinq ans auparavant, Olalla Sobrina lui avait proposé d’être sorcière [bruja], lui déclarant qu’elle l’était elle-même, que le démon la connaissait charnellement et que c’était un bon métier. Elle l’avait convoquée une nuit, par l’intermédiaire de Juana Izquierda et, alors qu’elles étaient toutes trois réunies, le diable était entré sous la forme d’un bouc. Parlant d’abord en particulier à Olalla et à Juana, il les avait embrassées. Quand elles lui eurent dit que Catalina voulait elle aussi devenir sorcière, il s’était adressé à elle et lui avait demandé un fragment de son corps. Elle lui proposa l’ongle du majeur de sa main droite. Ensuite, pour fêter la nouvelle venue, elles avaient dansé avec le bouc et celui-ci les avait connues charnellement toutes les trois, en présence les unes des autres.
Cette nuit-là, Olalla lui oignit les articulations des doigts des pieds et des mains, et, en compagnie du bouc, elles se rendirent toutes dans une maison où, portant les braises dans une tuile, elles entrèrent par la fenêtre, à minuit. Ayant endormi les parents en glissant des pavots et d’autres herbes sous leur oreiller, elles tirèrent une petite fille du lit et l’étouffèrent en lui pressant les hanches (?) [las ancas]. Puis, allumant le feu avec la braise qu’elles portaient, elles lui brûlèrent le bas du dos et lui rompirent les bras. Le bruit réveilla alors les parents et elles revinrent toutes les trois à Olalla, en compagnie du bouc. Là, elles s’habillèrent et chacune regagna sa maison, car, à l’aller comme au retour, elles volaient nues dans les airs, et disaient, en passant au-dessus de la faîtière ( ?) de chaque maison : « Par la colère de Sainte Marie ».
Quelques jours plus tard, le bouc s’était rendu, de nuit, chez la Mateo et, la trouvant au lit, l’avait forcée et connue charnellement. Elle donna des détails sur ce point. Il revint faire de même dix ou douze nuits d’affilée et de nombreuses autres fois pendant les quatre ans en question, jusque dans les prison du vicaire. Quelques jours plus tard, chez Olalla, il lui remit un couteau avec lequel elle coupa l’ongle qu’elle lui avait promis et le lui donna. Elles se réunirent chez Olalla en compagnie du bouc d’autres nuits encore. Elles allèrent dans une autre maison et y étouffèrent un petit garçon, auquel elles avaient arraché le sexe. Puis, dans deux autres maisons, elles tuèrent deux autres bébés. L’accusée n’avait invoqué le diable qu’une fois, lui disant : « Démon, viens à moi, sans qu’on aille te chercher ni qu’on t’appelle ». Elle ratifia ses déclarations après le délai légal. Le vicaire la confronta avec Olalla et elle répéta en sa présence tout ce qu’elle avait dit, alors qu’Olalla niait.
On en était là lorsque le vicaire remit la cause au Saint-Office, qui plaça l’accusée en détention préventive. Au cours de la première audience, elle demanda miséricorde du grave péché qu’elle avait commis en s’accusant, elle et les deux autres, devant le vicaire. Elle ne l’avait fait que par peur de la torture. L’office examina seize témoins au Casar. Il en ressortit que les enfants étaient bien morts et qu’on les avait trouvés de la façon que disait l’accusée qui avait avoué les faits. Le procès étant instruit, elle fut mise à la question. Une fois la sentence prononcée, on descendit à la chambre de torture et, admonestée, avant même qu’on la déshabille, elle déclara que tout ce qu’elle avait dit devant le vicaire d’Alcalá était vrai. Elle le répéta effectivement en substance, bien qu’elle variât un peu sur les détails. Elle insista beaucoup sur le fait que tout cela étant exact.
Au cours des audiences qui suivirent, elle ratifia ses aveux et nia savoir de quoi était fait l’onguent, ni avoir eu d’autre pacte tacite ou explicite avec le démon. Elle donna pour se justifier l’inimitié qu’elle éprouvait pour les parents des enfants des raisons qu’ils avaient eux-mêmes indiquées et qui les avaient poussés à soupçonner les accusées de leur mort. (…) La cause fut votée : autodafé, abjuration de levi, avec mitre, deux cents coups de fouet et réclusion à volonté du tribunal. »
Relation de cause conservée à l’Archivo Historico Nacional de Madrid, section Inquisition, liasse 2105, exp. 73, relations, de causes, Catalina Mateo ; traduit et publié par Jean-Pierre Dedieu, L’administration de la foi. L’Inquisition de Tolède (XVIe – XVIIIe siècle), Madrid, Casa de Velazquez, 1989, p. 325 – 326.
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