Les habitants de Champagney en Franche-Comté et l’esclavage des noirs
Cet article est assez rare en France dans un cahier de doléances (1789). Il fut peut-être suggéré par un notable de Champagney, Priqueler, capitaine de cavalerie et membre de la Société des Amis des Noirs.
«Les habitants et communauté de Champagney ne peuvent penser aux maux que souffrent les nègres dans les colonies sans avoir le cœur pénétré de la plus vive douleur, en se représentant leurs semblables, unis encore à eux par le double lien de la religion, être traités plus durement que ne le sont les bêtes de somme. Ils ne peuvent se persuader qu’on puisse faire usage des productions desdites colonies si l’on faisait réflexion qu’elles ont été arrosées du sang de leurs semblables, ils craignent avec raison que les générations futures, plus éclairées et plus philosophes, n’accusent les Français de ce siècle d’avoir été anthropophages ce qui contraste avec le nom français, et plus encore celui de chrétien. C’est pourquoi leur religion leur dicte de supplier très humblement Sa Majesté concerter les moyens pour de ces esclaves en faire des sujets utiles au royaume et à la patrie.»
Cahier de doléances de Champagney cité par Godard et Abensour, Cahiers de doléances du Bailliage d’Amont, 1927.
Association des professeurs d’histoire et de géographie régionale de Besançon, Histoire de la Franche-Comté de 1789 à nos jours, collection «Archives et documents», CRDP, Besançon, 1988, p. 94.
Les débats sur l’esclavage au club des Jacobins
Mosneron de l’Aunay, armateur nantais député à l’Assemblée législative, discours à la société des Jacobins, 26 février 1790 :
«
Il convient, Messieurs, de ne pas perdre un moment pour rassurer les planteurs et pour les ramener aux sentiments d’amour et d’attachement qu’ils doivent à la mère patrie. Il faut ôter tout prétexte aux ennemis étrangers et intérieurs ; il faut donc que l’Assemblée décrète que la traite des Noirs sera continuée comme par le passé.
Ici, j’aperçois la Déclaration des Droits de l’homme qui repousse ce décret ; (…) mais j’aurai le courage de vous dire que c’est l’écueil placé dans toutes nos relations extérieures et maritimes. (…)
Il faut donc décréter que l’Assemblée nationale n’entend faire aucune application de ses décrets aux colonies, et que leur commerce ainsi que toutes les branches qui en dépendent seront exploités comme par le passé.»
Discours de Robespierre le 13 mai 1791 :
«L’intérêt suprême de la nation et des colonies est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos propres mains les bases de la liberté. Périssent les colonies ! (il s’élève de violents murmures) s’il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire, votre liberté ! Je le répète : périssent les colonies si les colons veulent par leurs menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs intérêts ! Je demande que l’Assemblée déclare que les hommes libres de couleur ont le droit de jouir des droits de citoyens actifs.»
Histoire, Seconde, collection « Le Pellec », Bertrand-Lacoste, 1996, p. 255.
La première abolition de l’esclavage. Décret du 16 pluviôse an II (4 février 1794)
«La Convention nationale déclare aboli l’esclavage dans toutes les colonies ; en conséquence, elle décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens français, et jouiront de tous les droits assurés par la Constitution.»
Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises. Décret du 20 mai 1802
«Article 1. – Dans les colonies restituées à la France, en exécution du traité d’Amiens du 6 germinal an X, l’esclavage sera maintenu, conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789 […]
Art. 3. – La traite des Noirs et leur importation dans lesdites colonies auront lieu conformément aux lois et aux règlements existant avant ladite époque de 1789.»
Rétablissement de l’esclavage, 1802
Texte intégral
[Après la proclamation en 1791 du principe suivant lequel le sol de la France affranchit l’esclave qui le touche, l’esclavage est aboli dans les colonies françaises par le décret du 16 pluviôse, an II, (4 février 1794). Mais la guerre entraîne l’occupation de plusieurs colonies par les Britanniques qui y rétablissent l’esclavage avec l’aide des colons français.
En 1802, a la suite de la paix d’Amiens, Bonaparte décide de maintenir l’esclavage dans les colonies rendues à la France et de rétablir l’esclavage dans les autres territoires (Guadeloupe, Guyane, Haïti), indépendants de fait, ce qui y provoque la révolte des Noirs et entraîne l’indépendance de Haïti.
La seconde abolition de l’esclavage est proclamée le 4 mars 1848 par le gouvernement provisoire établi quelques jours plus tôt, à la suite des journées révolutionnaires des 22-24 février 1848.]
Loi du 30 floréal, an X
Loi relative à la traite des noirs et au régime des colonies
[20 mai 1802]
Article premier
- Dans les colonies restituées à la France en exécution du traité d’Amiens, du 6 germinal, an X, l’esclavage sera maintenu conformément aux lois et règlements antérieurs à 1789.
Article 2
- Il en sera de même dans les autres colonies françaises au delà du Cap de Bonne-Espérance.
Article 3
- La traite des noirs et leur importation dans lesdites colonies, auront lieu, conformément aux lois et règlements existants avant ladite époque de 1789.
Article 4
- Nonobstant toutes lois antérieures, le régime des colonies est soumis, pendant dix ans, aux règlements qui seront faits par le Gouvernement.
La digithèque
Une vente d’esclaves en 1807
Le Directeur particulier du domaine,
Prévient le public qu’il sera vendu, conformément aux ordres de M. le Général Préfet, et par-devant M. l’Inspecteur colonial, le 5 janvier 1807, au plus offrant et dernier enchérisseur, les nègres ci-après, détenus à la geôle de la Basse-Terre, savoir :
Le nègre épave (1), nommé Phaëton, menuisier, âgé d’environ 60 ans, se disant à M. Jamet-Delorme, de la Martinique;
La négresse Suzanne, âgée d’environ 20 ans, provenant des prises (2) ;
Le nègre épave, nommé Mathurin, âgé d’environ 15 ans, se disant appartenir à M. Dupaty, de Sainte-Anne ;
La cabresse (3) nommée Rose, âgée d’environ 6 ans, ne connaissant point de maître ; sa mère, nommée Praxelle, marronne (4) depuis longtemps .
Les réclamations, dans le cas où il s’en présenterait, doivent être adressées à la direction particulière du domaine, avant le 4 janvier 1807. »
Notes :
1. Épave : esclave vieux ou malade, abandonné par le maître.
2. Prise : esclave pouvant provenir des prises en mer (guerre de course menée par les corsaires).
3. Cabresse, capre : on désigne ainsi des personnes noires et relativement claires de peau.
4. Marron, marronne : esclave en fuite. Verbe marronner : vivre clandestinement, généralement caché dans les montagnes.
Texte intégral d’une annonce reproduite par Auguste Lacour, Histoire de la Guadeloupe, tome quatrième : 1803-1830, Basse-Terre, 1860, rééd. EDCA, 1976, p. 75, cité sur http://abolitions.free.fr. L’auteur, un blanc-créole de la Basse-Terre, évoluait dans une famille d’avocats et de notaires. Il n’était donc pas d’un milieu de planteurs. Il publia cette page afin de souligner combien le gouverneur Kerversau faisait peu de cas de l’article 47 de l’édit de 1685 (Le Code noir préparé jusqu’en 1683 sous la direction de Colbert) qui interdisait la vente d’enfants impubères.
L’hostilité des colons aux projets d’abolition
Débats au Conseil colonial de la Martinique du 15 novembre 1839.
«M. Dufougeray : Nous devons nous attendre aux motions les plus désastreuses, toujours sous le masque de la philanthropie ; ils viendront dire que le travail libre est possible aux colonies et donneront pour exemple, le résultat du système qui se pratique chez nos voisins ; nous savons à quoi nous en tenir ; ce résultat n’est plus un problème ; nous le connaissons déjà par les rapports qui nous parviennent journellement et l’opinion de diverses personnes qui ont eu pour mission d’étudier sur les lieux ce système ; nous savons tous que, dans les colonies émancipées, les cultures ont été en grande partie abandonnées ; le malheureux colon ne peut obtenir du travail des nouveaux libres qu’au poids de l’or (…).
Si l’Angleterre a obtenu ce résultat après vingt ans de préparation, quel est celui que la France obtiendrait, si elle se décidait à suivre cet exemple ? Vous le devinez facilement : abandon de culture, incendie, massacre et pillage, voilà ce que nous aurions en perspective.
M. Pécoul : Alors ils reconnaîtraient que toute réforme intempestive et irréfléchie de la société coloniale serait également funeste et à la race africaine, qu’elle replongerait dans la barbarie, et à la race française, qu’elle livrerait à la spoliation et au massacre ; ils en viendraient à dire avec nous : l’émancipation, dans l’état actuel des choses, est impossible.
Si toutefois une juste et véritable indemnité nous était offerte avec des garanties certaines pour le maintien de la propriété du travail et de l’ordre, je ne crois pas qu’il se trouvât, parmi les habitants de cette colonie, un seul homme qui cherchât à repousser ou à entraver l’émancipation. Mais nous sommes tous d’accord sur l’évidence de ce point : que ces garanties ne sauraient actuellement se fournir, parce que nos nègres sont fort loin d’être préparés à ce changement de condition, et que l’émancipation, si elle s’opérait aujourd’hui, leur serait aussi funeste qu’à nous et à la France.»
L’abolition définitive de l’esclavage.
Décret du gouvernement provisoire de la Seconde République, 27 avril 1848.
«Le gouvernement provisoire, considérant que l’esclavage est un attentat contre la dignité humaine ; qu’en détruisant le libre arbitre de l’homme, il supprime le principe naturel du droit et du devoir ; qu’il est une violation flagrante du dogme républicain Liberté, Égalité, Fraternité ; considérant que si des mesures effectives ne suivaient pas de très près la proclamation déjà faite du principe de l’abolition, il en pourrait résulter dans les colonies les plus déplorables désordres,
Décrète
Art. 1er. L’esclavage sera entièrement aboli dans toutes les colonies et possessions françaises, deux mois après la promulgation du présent décret dans chacune d’elles. (…)
Art. 4. Sont amnistiés les anciens esclaves condamnés à des peines afflictives ou correctionnelles pour des faits qui, imputés à des hommes libres, n’auraient point entraîné ce châtiment. Sont rappelés des individus déportés par mesure administrative.
Art. 5. L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons. (…)
Art. 8. A l’avenir, même en pays étranger, il est interdit à tout Français de posséder, d’acheter ou de vendre des esclaves, et de participer, soit directement, soit indirectement, à tout trafic ou exploitation de ce genre […]»