Allocution du roi d’Espagne Juan Carlos
« En m’adressant à tous les Espagnols, avec brieveté et concision, dans les circonstances extraordinaires que nous vivons en ce moment, je demande à tous la plus grande sérénité et la confiance et vous informe que j’ai donné aux capitaines généraux des régions militaires, zones maritimes et régions aériennes l’ordre suivant:
devant la situation créée par les événements qui se déroulent au Palais du Congrès, et pour éviter toute confusion, je confirme que j’ai ordonné aux autorités civiles et au Conseil des chefs d’état-major que soient prises toutes les mesures nécessaires pour maintenir l’ordre constitutionnel, dans le cadre de la législation en vigueur.
Toute mesure de caractère militaire qui, éventuellement, devrait être prise devra être approuvée par le conseil des chefs d’état-major. La couronne, symbole de la permanence et de l’unité de la patrie, ne peut tolérer, d’aucune manière, les actions ou les attitudes des personnes qui prétendent interrompre par la force le processus démocratique que la Constitution votée par le peuple espagnol détermina, en son temps, par référendum.
Message télévisé du roi d’Espagne Juan Carlos adressé au peuple espagnol dans la nuit du 24 février 1981 à 1heure ¼.
Version originale en espagnol
Al dirigirme a todos los españoles con brevedad y concisión en las circunstancias extraordinarias que en estos momentos estamos viviendo, pido a todos la mayor serenidad y confianza y les hago saber que he cursado a los Capitanes Generales de las regiones militares, zonas marítimas y regiones aéreas, la orden siguiente:
Ante la situación creada por los sucesos desarrollados en el Palacio del Congreso y para evitar cualquier posible confusión, confirmo que he ordenado a las autoridades civiles y a la Junta de Jefes de Estado Mayor que tomen todas las medidas necesarias para mantener el orden constitucional dentro de la legalidad vigente.
Cualquier medida de caracter militar que en su caso hubiera de tomarse deberá contar con la aprobación de la Junta de Jefes de Estado Mayor.
La Corona, símbolo de la permanencia y unidad de la Patria, no puede tolerar en forma alguna acciones o actitudes de personas que pretendan interrumpir por la fuerza, el proceso democrático que la Constitución votada por el pueblo español determinó en su día a través de referéndum.
discours du roi Juan Carlos 24 février 1981
Commentaires
Cette allocution télévisée du Roi d’Espagne Juan Carlos est un document incontournable dans le cadre du programme de spécialité HGGSP première. Il s’inscrit dans une étude du retour à la démocratie de l’Espagne, l’un des jalons de l’axe 2 du thème 1 sur la démocratie. Il est accompagné de la version originale et de la vidéo qui peut servir de support pédagogique, sachant que la majorité des élèves de lycée sont hispanisants.
Ce message adressé aux espagnols vise à mettre en échec la tentative de coup d’État du lieutenant- colonel de la guarda civil Tejero et de ses hommes qui retiennent en otage les députés aux Cortès depuis plusieurs heures. Juan Carlos est monté sur le trône d’Espagne le 22 novembre 1975 à la mort de Franco, conformément aux volontés du vieux caudillo. Il a été un acteur-clé de la Transition Démocratique qui a abouti à l’adoption de la constitution du 6 décembre 1978 approuvée par une large majorité des espagnols, lors du référendum du 6 décembre 1981 ( près de 88¨% de ‘oui »). C’est donc en tant que monarque constitutionnel d’un régime démocratique et en tant que chef suprême des forces armées qu’il s’exprime ici.
Le choix d’apparaître en uniforme n’est donc pas neutre. Dans ce message « bref et concis », sans emphase rhétorique, le roi poursuit trois objectifs. Rassurer les espagnols sur sa capacité à gérer la crise et faire échec au coup d’État. Apparaître comme le chef des armées auquel tous les généraux doivent obéissance. Se poser en défenseur de la démocratie espagnole, de la constitution et de la souveraineté populaire.
L’échec du coup d’État fut consommé par la reddition du lieutenant-colonel Tejero dans la matinée du 24 février. Mal préparé, le coup d’État avait bien peu de chances de réussir (mais c’est facile de le dire après coup…). La majorité des officiers était sans doute acquis au nouveau régime, soit par conviction soit par légalisme. Il est probable que l’engagement sans équivoque de Juan Carlos en tant chef des armées a dissuadé un certain nombre d’officiers supérieurs de se lancer dans l’aventure… D’autant que de par sa formation militaire (voulue par Franco) dans les différentes armes, le roi connaissait bien le milieu militaire et sa légitimité en tant que chef des armées était peu contestée.
Le coup d’État du 23 février 1981 et l’intervention personnelle du roi ont donc finalement contribué à l’enracinement de la démocratie en Espagne. Le roi par son action y a gagné une popularité durable ( qui ne s’est effritée que dans les dernières années de son règne) et a ainsi consolidé le régime constitutionnel de décembre 78. Le 23 février 1981 a porté un coup fatal au « franquisme historique » et à l’extrême droite, en tant que force politique susceptible d’incarner une alternative crédible pour la nation espagnole.
La « crise » de février 81 n’a duré que 17 heures, 17 heures d’incertitude et d’angoisse pour des millions de citoyennes et de citoyens d’Espagne qui ont fait l’expérience de la fragilité de la démocratie et de la nécessité de la défendre quand elle est menacée.
Il peut être utile de rappeler cette « leçon d’histoire » à nos élèves…
Trackbacks / Pingbacks