(Notes tirées du « Manuel de Diplomatique » de A. GIRY, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1894, pages 479 à 492)

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L’étude des caractères extérieurs des documents diplomatiques, c’est-à-dire de la matière sur laquelle ils ont été tracés, de leur disposition matérielle et de leur écriture, est proprement du ressort de la paléographie. Ces caractères toutefois ont trop d’importance pour la critique, ils sont liés trop étroitement avec la nature des divers documents pour qu’il ne soit pas nécessaire d’en parler ici. Mais on le fera brièvement, en renvoyant pour plus de détails aux ouvrages dont l’objet est l’histoire de l’écriture et la paléographie.

Matière subjective de l’écriture.

Le papyrus.

Les plus anciens documents diplomatiques qui nous sont parvenus sont écrits sur papyrus. Bien que le parchemin fût depuis longtemps connu et que son emploi présentât de nombreux avantages sur celui du papyrus, matière coûteuse, fragile, sur laquelle on ne pouvait écrire qu’au calame et d’une écriture large et espacée, cependant la tradition le fit longtemps préférer pour les actes publics importants et en particulier pour ceux qui émanaient de l’autorité souveraine.

On conserve dans divers bibliothèques de l’Europe des fragments de rescrits impériaux du IVe ou du Ve siècle; ils sont tous sur papyrus. Il en est de même des documents célèbres, du VIe siècle, connus sous le nom de Charles de Ravenne, aujourd’hui dispersés dans un grand nombre de collections.

La chancellerie pontificale se conforma en ce point comme en bien d’autre aux traditions impériales et employa le papyrus jusqu’au milieu du XIe siècle.

Les rois mérovingiens adoptèrent le même usage; parmi leurs diplômes originaux qui se sont conservés plusieurs sont sur papyrus; le plus ancien est un précepte de Clotaire II de l’année 625; le plus récent, un jugement de Clovis III de 692. Mais on se servit encore parfois en France de papyrus pour d’autres actes jusqu’à la fin du VIIIe siècle; en 787, l’abbé de Saint-Denis, Maginaire, écrivait sur papyrus un rapport à Charlemagne sur une mission en Italie.

Le papyrus dont on se servit en Occident au moyen âge fut longtemps de fabrication égyptienne. Une bulle du pape Jean VIII, de l’année 876, pour Tournus, a conservé l’estampille arabe du directeur des finances qui en indique à la fois la provenance et la date de fabrication (la comparaison de ce document avec d’autres papyrus d’El-Fayûm a montré que Saïd-Ibn-Abd er Rahmân, dont le nom figure sur la bulle de Jean VIII, exerçait les fonctions de directeur des finances en l’an 223 de l’Hégire, c’est-à-dire en 838 de notre ère. L’original de la bulle de Jean VIII est à la Bibliothèque nationale, manuscrit latin 8840).

Lorsque l’on eut cessé de fabriquer du papyrus en Egypte, c’est-à-dire vers le milieu du Xe siècle de l’ère chrétienne, les fabriques de Sicile purent approvisionner la chrétienté, mais d’un produit fort inférieur.

Les documents sur papyrus sont généralement des pièces de très grande dimension et beaucoup plus longues que larges. La longeur de la bulle de Jean VIII pour Tournus citée plus haut est de 3 mètres 90; celle d’un privilège de Benoît III pour Corbie atteint 6 mètres 50. La largeur était toujours beaucoup moindre : elle variait entre 30 et 75 centimètres.

Les termes employés pendant le haut moyen âge pour désigner le papyrus étaient charta, tomus, chartarum tomi, tomus chartaceus, chartinacius, etc.; mais, lorsque l’usage de ce produit fut complètement tombé en désuétude, on en méconnut absolument l’origine et on lui appliqua des désignations plus ou moins propres.

Celle de papier d’écorce, que l’on rencontre souvent, mérite une observation spéciale parce que, sur la foi de ces mentions, et surtout d’un passage de Tritheim (mort en 1516), les érudits ont longtemps cru à la réalité de documents écrits sur un papier fabriqué avec de l’écorce d’arbre. Il n’est pas inutile de rappeler que ce papier n’a jamais existé et que, vérification faite, les documents désignés comme étant en un prétendu papier d’écorce se sont trouvés en papyrus.

Le parchemin.

Ce n’est pas avant la seconde moitié du VIIe siècle que l’on voit le parchemin employé pour écrire les actes.

En France, le plus ancien document sur parchemin qui se soit conservé est la fondation, par Chlotilde, du monastère de Bruyère, en 670 ou 671 (Archives nationales, K 2, n° 10); le plus ancien acte royal est une acte royal est un précepte de Thierry III de 677 (Archives nationales, K 2, n° 12).

Dans les pays germaniques, on n’a pas signalé d’acte original sur parchemin antérieur au second quart du VIIIe siècle. En Italie, on connaît un acte notarié sur parchemin écrit à Plaisance en 716; les plus anciennes pièces sur parchemin des archives de Turin et de Florence sont d’une dizaine d’années postérieures. A partir de cette époque le parchemin tendit à remplacer partout le papyrus, dont l’emploi fut exceptionnel depuis le milieu du VIIIe siècle, sauf à la chancellerie pontificale. Depuis le IXe siècle et pendant tout le moyen âge la presque totalité des chartes fut écrit sur parchemin.

Entre les diverses espèces de parchemin dont on s’est servi pour écrire les chartes, il y a, suivant les pays et suivant les époques, des différences notables. Dans le nord de la France, en Angleterre et dans les pays germaniques, on se servait presque aussi souvent de peaux de veau que de peaux de mouton pour fabriquer le parchemin. Au midi de la France et en générale dans toute l’Europe méridionale, on employait de préférence les peaux de mouton et fréquemment aussi les peaux de chèvres.

Souvent et spécialement en Italie, on a traité de manière différentes les deux côtés du parchemin destiné à écrire les chartes. Le côté de la chair seul subissait toutes les préparations nécessaires pour recevoir l’écriture, seul il était saupoudré de « groison », c’est-à-dire d’une fine poudre crayeuse, puis soigneusement poncé et lissé, ce qui lui a donné une couleur blanche et un poli luisant; le côté de la laine ou du poil est demeuré au contraire d’une nuance jaune ou grisâtre, un peu rugueux au toucher, et l’on y discerne facilement à l’oeil les traces de bulbes pileux. Dans certains parchemins mal préparés, principalement au XIVe et au XVe siècle, le groison en excès a formé une sorte de couche dont certaines parties, celles surtout qui ont été recouvertes par l’encre, tendent souvent à se détacher sous l’action de l’humidité. Beaucoup de parchemins du XVIe et du XVIIe siècle, ont subi insuffisamment l’action du plein de chaux et sont restés gras et transparents. Il est bien difficile cependant de s’appuyer sur ces différences de fabrication pour dater le parchemin ou en déterminer la provenance.

On a employé au moyen âge pour écrire les chartes des feuilles de parchemin de toutes dimensions. Ces documents de grande étendue sont écrits sur des peaux presque entières, auxquelles on n’a rogné que le nécessaire pour en faire des feuilles régulières. La charte de coutumes de Condom, de 1314, est écrite sur une feuille de parchemin de 75 centimètres de hauteur sur 95 centimètres de largeur. Certaines chartes au contraire mesurent à peine 3 ou 4 centimètres de largeur sur 8 ou 10 de largeur.

Lorsqu’une feuille de parchemin était insuffisante, on en ajoutait une seconde, que l’on cousait à l’extrémité de la première, et, si cela ne suffisait pas, on en ajoutait de même à la suite autant d’autres que cela était nécessaire, de façon à former un rouleau (rotulus). Certains de ces rouleaux comprennent jusqu’à trente-cinq ou quarante peaux de parchemin et mesurent 10 ou 15 mètres de long. Ce sont généralement des documents judiciaires ou financiers, procédures, enquêtes, comptes, tarifs, etc. Le procès-verbal original de l’interrogatoire des Templiers par un inquisiteur de la foi, en novembre 1307, forme un rouleau de quarante-cinq peaux de parchemin de 22 mètres 20 de long.

La disposition de feuilles en cahier était très anciennement usité pour les manuscrits; on s’en servait aussi pour les cartulaires et pour les registres, mais ce n’est pas avant le XVe siècle qu’on a écrit des documents originaux sur des feuilles disposées de la sorte.

En générale, les chancelleries bien organisées employaient de larges feuilles de beau parchemin, choisies soigneusement sans trous ni défauts, et parfaitement dressées.

Dans le nord de la France, les chancelleries inférieures, les officiaux et tous les bureaux d’écriture se montrèrent naturellement, pour tous les actes non solennels, fort ménagers d’une manière aussi coûteuse et employèrent des feuilles de dimensions aussi réduites que possible, mais en générale bien préparées et toujours régulièrement taillées; dans le midi au contraire on se servait volontiers, jusqu’au XIIIe siècle surtout, de toute espèce de rognures et de morceaux, souvent irréguliers, où l’on trouve fréquemment des trous et d’autres défauts.

En Italie et dans l’Empire, on dut interdire aux notaires l’emploi du parchemin qui avait déjà servi .

Le parchemin était désigné dans les textes du moyen âge par les mots membrana, pergamenum, carta pergamena.

Le papier.

Le papier fait son apparition en Europe à la fin du XIe siècle, mais, pour les documents diplomatiques, l’usage en a toujours été assez restreint.

On sait qu’il n’y a pas lieu de faire la distinction admise autrefois entre le papier de chiffre et un prétendu papier de coton. Il n’a jamais existé de papier de coton. En préparant, en collaboration avec M Aimé Girard, professeur de chimie au conservatoire des Arts et Métiers, un recueil des traités de technologie du moyen âge qui sera prochainement publié, nous fûmes amenés, mon collaborateur et moi, il y a une dizaine d’années, à étudier la question de la fabrication des anciens papiers. Pour interpréter notamment un passage du moine Théophile (Schedula diversarum artium, I, XXIII), où il est question de pergamena greca que fit ex lana ligni (ou lini, selon les manuscrits), nous nous demandâmes s’il s’agissait bien là de coton, comme on l’avait dit, et s’il avait réellement existé au moyen âge un papier composé de coton. Après avoir recueilli des échantillons de papiers anciens, de provenance tant orientale qu’européenne, considérés jusque-là comme papier de coton avérés, nous avons vainement recherché, par l’analyse microscopique, la fibre si caractéristique du coton; toujours nous n’avons rencontré que celle du chanvre ou du lin. Nous avons eu depuis la satisfaction de voir les résultats de nos recherches corroborés par les études de M. Briquet de Genève et plus complètement encore par les travaux de M. Julius Wiesner, professeur de physiologie botanique à l’université de Vienne, sur les papiers orientaux de la collection de l’archiduc Rainier, provenant d’El-Fayûm…

On cite ordinairement comme les plus anciens documents occidentaux sur papier des actes des rois de Sicile du XIIe siècle, Roger II, Guillaume Ier et Guillaume II. Toutefois le papier ne se propagea que lentement en Europe au XIIe siècle, et son emploi demeura limité aux pays en relation avec les Arabes.

Au commencement du XIIIe siècle, la chancellerie de Frédéric II expédia sur papier quelques mandements de l’empereur, mais bientôt la fragilité et le peu de durée de ce produit, facilement altéré par l’humidité, en fit proscrire l’emploi pour la rédaction des actes dont on voulait assurer la conservation (on sait que beaucoup des anciens documents sur papier qui se sont conservés sont presque illisibles et souvent presque réduits en pâte. Dès 1222, Frédéric II renouvelait des actes sur papier de Guillaume II de Sicile, datés de 1168, 1170, 1187, quoniam incipiebant vetustate consumi).

Frédéric II, en 1231, en défendit l’emploi pour les actes publics, et Alphonse le Savant, en Espagne, distingua avec soin les écritures que l’on pouvait faire sur papier de celles que l’on devait faire sur parchemin (Constitutiones regni Siciliae, tit. 63 : « Volumus etiam et sancimus ut predicta instrumenta publica et alie similes cautiones non nisi in pergamenis in posterum conscribantur. Cum enim eorum fides multis futuris temporibus duratura speretur, justum esse decernimus ut ex vetustate forsitam destructionis periculo non succumbant. Ex instrumentis in chartis papyri… scriptis… nulla omnino probatio assumatur »).

L’interdiction de rédiger les actes sur papier devint une clause des brevets de nomination des notaires impériaux et fut même insérée dans les privilèges qui conféraient aux comtes le droit de créer des notaires; ceux-ci, au XIVe et au XVe siècle encore, devaient prêter serment en entrant en charge de se conformer à cette défense (« Jubemus autem quod in carta rasa vel bonbicina non scribat publicum instrumentum »).

Au cours du XIIIe siècle cependant, lorsque des fabriques de papier eurent été établies en Italie, en Espagne et dans la France méridionale, ce nouveau produit, devenu beaucoup moins cher que le parchemin, se vulgarisa rapidement. On ne l’employa ni pour les actes solennels, ni pour aucun de ceux qui devaient supporter des sceaux pendants, mais on s’en servit couramment pour les lettres missives, les lettres closes, les mandements, les cédules, les pièces financières, les actes de procédure, les minutes, et surtout pour les rouleaux et les registres de toutes sortes, registres de notaires, de comptes, de chancellerie, etc.

Parmi les documents sur papier du XIIIe siècle on peut citer le Liber plegiorum de Venise, dont les premières mentions remontent à 1223, les registres de délibération du conseil général de Sienne depuis 1248, de nombreux registres de notaires italiens, les registres judiciaires du podestat de Bologne, les lettres adressées de Castille à Édouard Ier roi d’Angleterre depuis l’année 1279.

En France on connaît de nombreux registres et actes des notaires marseillais depuis 1248; le registre de reconnaissance du Briançonnais de 1260, aux archives de l’Isère; le registre des comptes d’Alphonse de Poitiers (1243-1248); le registre des enquêteurs royaux dans la sénéchaussée de Beaucaire (1248); le registre des sentences des commissaires royaux dans le Toulousain (1272-1274); etc.

Tous ces documents, on le voit, proviennent de la France méridionale. Ce fut au XIVe siècle seulement que le papier se répandit dans les provinces du nord. Mais depuis cette époque ses progrès furent constants et ils devinrent très rapides au XVe siècle. Toutefois les actes publics continuèrent longtemps encore à être écrits sur parchemin, et ce ne fut guère qu’au XVIIe et après l’invention du papier timbré (1655) que l’on cessa de s’en servir pour certains d’entre eux. L’emploi du parchemin pour l’original des actes du pouvoir exécutif ne fut aboli que par un décret du 10 octobre 1792.

Si l’histoire de la fabrication du papier pouvait être faite avec assez de précisions pour permettre de discerner avec quelque certitude la provenance et la date des papiers anciens, l’érudition disposerait d’un précieux instrument de critique. Mais il est à craindre que, pour l’époque ancienne du moins, on n’arrive jamais à rassembler des renseignements suffisants. Force est donc de se contenter de notions générales et quelque peu incertaines.

Le papier le plus ancien est généralement assez épais, brillant, satiné ou du moins lissé, mou, sans grain, souvent nuageux par transparence et spongieux, lorsqu’il a été, ce qui arrive souvent, altéré par l’humidité. Fréquemment il s’en détache, principalement sur les bords, des espèces de flocons plucheux, auxquels il a dû longtemps le nom de papier de coton. Les formes sur lesquelles ces papiers devaient être préparés n’y ont souvent laissé aucune empreinte; parfois cependant on y trouve, marqués plus ou moins nettement, des vergeures et des pontuseaux.

Dans les dernières années du XIIIe siècle apparaissent les filigranes, qui sont des marques de fabrique, et, à partir du XIVe siècle, la grande majorité des papier en est pourvue. Ces marques peuvent avoir, on le comprend, une grande importance pour la critique du document sur papier, et l’on en a commencé l’étude scientifique (« Etudes sur les filigranes des papiers employés en France aux XIVe et XVe siècles« , de Midoux et Matton, Paris, 1868). Il est bon de remarquer toutefois que les recherches fondées sur les filigranes sont toujours délicates; il est rarement possible de fixer avec précision la date d’apparition d’une marque déterminée; les marques renommées ont duré très longtemps et ont été souvent contrefaite; enfin l’industrie et le commerce du papier se sont développés si rapidement à partir du XIVe siècle que les produits d’une même fabrique se sont répandus dans l’Europe entière, et que d’autre part on rencontre dans une seule localité des produits d’une multitude de fabrique différentes.

Les expressions usitées dans les textes du moyen âge pour désigner le papier furent celles-là mêmes qui avaient servi auparavant à désigner le papyrus, dont l’usage était tombé en désuétude : on l’appellera charta et plus souvent papirus, charta papiri, parfois aussi charta bambacis, banbagina, bonbycina. On a cru longtemps que ces derniers termes indiquaient la substance même qui composait le papier, ou bien qu’ils se rapportaient à son apparence extérieure, cotonneuse ou soyeuse; mais il vaut mieux admettre qu’ils furent à l’origine une indication de provenance; de même qu’on désignait un certain produit sous le nom de « papier de Damas » (charta Damascena), l’expression charta Bambacis devait, semble-t-il, désigner une autre localité de Syrie, Bambyce, à trois journées d’Alep, ville prospère jusqu’au XIVe siècle et qui fabriquait aussi du papier.

Le papyrus, le parchemin et le papier ont été en somme les trois seules matières sur lesquelles on a écrit des chartes pendant le moyen âge. Il est vrai qu’on a cité et qu’il existe encore des actes gravés sur pierre et sur métal, et que l’on a imaginé abusivement de dénommer « chartes lapidaire » une catégorie de documents. Mais, en réalité, les inscriptions de cette espèce ne sont que des copies, souvent abrégées, dont les originaux étaient écrits sur parchemin.

Il n’en est pas moins certain que ces textes sont intéressants à recueillir, surtout lorsque les originaux ne se retrouvent plus. Les monuments de ce genre paraissent avoir été assez nombreux en Italie; on connaît plusieurs bulles des papes Serge Ier, Léon IV, Grégoire VII, gravées sur métal ou sur pierre. On peut encore citer, comme particulièrement curieuse, l’inscription du serment prêté en 1131 par les chevaliers et consuls de Nepi, encastrée dans le mur de la cathédrale de cette ville. En France, c’est dans le Midi et spécialement en Dauphiné que l’on a signalé la plupart des inscriptions qui reproduisent des chartes. A côté de celles qui sont indiquées dans le mémoire de M. Deloye, on peut citer la charte de franchise d’Etoile (Drôme), de 1244, gravée sur une table de marbre encastrée au-dessus de la porte latérale de l’église d’Etoile. Ces monuments sont relativement rares au nord de la Loire, aussi signalerons-nous la charte de Simon de Montfort pour la ville de Saint-Arnoult (1201-1202), qui présente cette particularité que le graveur y a figuré un sceau (l’inscription n’est que du XVIe siècle et le document probablement faux). On rencontre en Allemagne des inscriptions analogues : la plus célèbre est la reproduction des privilèges concédés à Mayence en 1135, gravée sur les portes de bronze de la cathédrale.

On sait que l’usage d’écrire sur des tablettes de bois ou d’ivoire enduite de cire a été répandu pendant tout le moyen âge et s’est perpétué presque jusqu’à nos jours. L’école des Chartes possède une tablette de cire qui servait il y a moins de quarante ans à la poissonnerie de Rouen; elle est tout à fait semblable aux tablettes du moyen âge qui nous sont parvenues et accompagnée de son « style » de métal, pointu d’un côté, aplati de l’autre pour permettre d’effacer l’écriture. Mais naturellement on n’a jamais écrit sur la cire des actes dont on voulait assurer la durée.

On employait les tablettes pour apprendre à écrire et prendre des notes; on y écrivait des minutes ou même des lettres (Wibald de Stavelot écrit, en 1148, au pape Eugène III : « Quae vero post exitum nostrum acta sint, ex litteris quas quidam frater Fuldensis nobis, non in membrana scriptas est in tabella, transmisit, cognoscere poteritis« ). Un auteur du Xe siècle reproduit un testament écrit au IXe sur des tablettes de cire . Mais on s’en est servi surtout pour écrire des comptes; ce sont des comptes qui renferment la plupart des tablettes du moyen âge qui nous sont parvenues. Les plus célèbres sont les quatorze tablettes conservées au Trésor des chartes qui contiennent les comtes de recettes et de dépenses, en 1256 et 1257, de Jean Sarrasin, chambellan de Louis IX (publiées dans le tome XXI du « Recueil des historiens de la France« ); d’autres tablettes conservées à la Bibliothèque Nationale, à Genève et à Florence, contiennent des comptes analogues de Pierre de Condé et de Jean de Saint-Just pour les règnes de Philippe III et de Philippe IV (publiées dans le tome XXII du susdit « Recueil… »). On doit citer aussi les tablettes de cire des archives municipales de Senlis, contenant la minute des comptes faits à l’occasion d’une enquête sur la gestion financière des magistrats municipaux en 1319, et des tablettes de cire de l’abbaye de Citeaux contenant des comptes du commencement du XIVe siècle .

Encres; initiales ornées.

L’encre noire a été employé à peu près seule pour écrire les documents diplomatiques.

De nombreuses recettes, dont quelques-unes remonte à l’antiquité, nous renseigne sur la composition des encres qui ont été en usage pendant le moyen âge. La plupart avait pour base la noix de galle et le vitriol (sulfate de fer ou de cuivre), auxquels s’ajoutait de l’eau, additionnée de gomme et souvent de vin ou de vinaigre. L’excès d’acidité de sulfate de fer a souvent donné à l’encre une teinte rousse ou jaunâtre; le sulfate de cuivre lui donnait du brillant, mais parfois la faisait tourner au vert. La teinte rousse ou jaunâtre s’observe fréquemment dans les documents antérieurs au XIe siècle; du XIe à la fin du XIIIe, l’encre a été particulièrement noire et brillante, celle des documents postérieurs a ordinairement pâli. Ces caractères généraux sont du reste trop incertains pour que la critique en puisse tirer parti; en cas d’addition postérieures, de surcharge ou d’interpolations, les différences dans la teinte des encres les signalent aussi sûrement que les caractères de l’écriture.

Souvent, par suite de la mauvaise qualité de l’encre, sous l’action du temps, de la lumière ou du frottement, l’écriture a presque disparu. Pour le faire revivre on a fréquemment employé des procédés qui ont laissé sur les documents de larges traces brunes ou bleuâtres et rendu les textes encore moins lisibles qu’ils n’étaient auparavant.

Il n’existe qu’un seul moyen de faire revivre les anciennes écritures sans altérer les manuscrits : il consiste à étendre à l’aide d’un pinceau sur la partie du texte qui est effacée une couche légère de sulfhydrate d’ammoniaque concentré. Ce procédé a l’inconvénient de ne faire reparaître l’écriture que pour quelques instants, mais c’est à peine s’il laisse sur le parchemin ou sur le papier une légère trace brillante (il va de soit que aujourd’hui, nous ne pouvons plus utiliser cette technique. On préfèrera de beaucoup l’utilisation des rayons ultraviolets avec une lampe de Wood).

A l’imitation des empereurs d’Orient, quelques souverains de l’Italie et de l’Allemagne firent expédier certains diplômes particulièrement solennels en lettres d’or, tracées parfois sur du parchemin teint en pourpre. Le plus célèbre de ces documents est le privilège accordé, le 13 février 952, par l’empereur Otton Ier à l’église romaine. Il faut observer toutefois que l’exemplaire écrit en or sur parchemin pourpre, conservé aux archives du Vatican, n’est qu’une copie contemporaine non dépourvue d’un certain caractère officiel.

En Italie, l’usage de la chrysographie ne fut pas restreint aux diplômes des souverains ; M. Paoli a signalé deux actes privés, l’un de Salerne (1015), l’autre d’Arezzo (1114), où certains mots et quelques formules ont été écrits à l’encre d’or. Il ne semble pas qu’aucune chancellerie française ait jamais fait usage d’encre métallique, sinon dans quelques lettres ornées dont il sera question plus loin. La dernière mention qu’on possède d’un document écrit en lettres d’or est relative à la copie d’un privilège de Frédéric II et se trouve dans un diplôme du même empereur en date du 24 février 1219.

L’encre rouge, d’un usage si fréquent dans les manuscrits du moyen âge, n’a été que très exceptionnellement employée dans les documents diplomatiques. On sait que les empereurs byzantins souscrivaient leurs diplômes au cinabre. Un de leurs actes, conservé dans les archives de Saint-Denis, au bas duquel se lit le mot legimus, tracé en grands caractères rouges (Archives nationales K 7, n° 17 3), paraît avoir servi de modèle à la chancellerie de Charles le Chauve dont plusieurs diplômes reproduisent, également à l’encre rouge, cette souscription. Vers le même temps les princes de Capoue, de Bénévent et de Salerne traçaient à l’encre rouge le monogramme qui se trouve au bas de leurs diplômes. On observe le même fait dans un diplôme du roi de France, Louis VI le Gros, de 1127, où la première ligne et les lettres initiales de chaque phrase ont été, comme le monogramme, tracées à l’encre rouge (Archives nationales K 22, n° 5).

Si, dans les diplômes et les chartes, l’emploi de l’encre rouge a toujours été exceptionnel, elle a été par contre d’un usage fréquent dans les cartulaires et d’une manière plus générale dans les registres et les rouleaux, où l’on s’en servait pour les titres, qui en on retenu le nom caractéristique de rubriques.

Les grandes initiales peintes, ornées et historiées, ont toujours été des exceptions dans les documents diplomatiques. On pourrait les croire plus fréquentes, d’après le nombre des documents ainsi ornés que l’on rencontre dans les vitrines des dépôts publics ou dans les recueils de fac-similés, si l’on ne savait qu’on est toujours complu assez naturellement à rechercher ces curiosités pour les exposer ou les reproduire. Les exemples que l’on peut citer se rapportent généralement à des actes d’une solennité ou d’une importance particulières, et ce sont parfois, non pas les originaux même, mais des copies que le possesseur de l’acte a fait exécuter avec luxe, plus ou moins longtemps après la date de l’original. De ce nombre est par exemple une copie, accompagnée de miniatures, exécutée en 1293, de la charte confirmative de biens, concédée en 968, à l’abbaye de Sainte-Glossinde par l’évêque de Metz .

Dans les documents originaux, ce n’est pas avant le XIe siècle que l’on rencontre parfois quelques ornements; encore ne portent-ils guère que sur la lettre de l’acte, tracée en capitale, en onciale ou en écriture de fantaisie et accompagnée de quelques rinceaux. Tel est le C initial d’une charte d’Imbert, évêque de Paris, de 1045 (Archives nationales K 19, n° 2 6).

Au XIIe siècle, quelques copistes de manuscrits, auxquels il arrivait d’écrire des chartes, y apportaient leurs habitudes de calligraphie et y plaçaient des initiales ornées et peintes. C’est le cas d’une charte de l’église de Laon de 1186 (Archives nationales L 731).

Ces enjolivement sont un peu plus fréquent au siècle suivant, et il n’est pas très rare de rencontrer des chartes du XIIIe siècle dont la lettre initiale est ornée d’une vignette. L’ornementation de la première lettre ou même de la première ligne des chartes devint bientôt presque une mode pour certaines catégories de documents.

A coté de grandes initiales pleines, ajourées ou brodées, ornées de rinceaux, peintes et dorées, analogues à celles des manuscrits du même temps, on en trouve d’autres où les ornements à la plume, à peine rehaussés de touches légères de couleur, sont d’une fantaisie bizarre et charmante et d’une grande variété; ce sont des têtes grimaçantes, des animaux fantastiques, des monstres de toutes sorte, parfois des figures élégantes et gracieuses, ou de petites scènes de la vie réelle, qui prennent place dans les grandes lettres par lesquelles commencent les chartes.

Les actes les plus sérieux, ceux même de la chancellerie royale, reçoivent parfois de la fantaisie et de l’imagination des calligraphes une décoration de ce genre. L’un des plus ancien exemple que l’on puisse citer est une charte du roi Philippe le Hardi de 1283, dont les lettres Ph. (abréviation de Phillipus) sont ornées de figures grotesques et surmontées d’un rat (Archives nationales K 33, n° 8). Mais ce sont surtout les actes des princes du XIVe siècle, amateurs de beaux livres, Philippe VI, Charles V, Charles VI, Louis de Bourbon, Jean de Berry, qui présentent en ce genre un véritable luxe de vignettes et d’ornements.

Toute une catégorie d’acte, les promesses de prières faites aux princes par les églises, en reconnaissance de fondations, ont reçu ainsi une ornementation calligraphique historiée, souvent d’une grande finesse et d’une grande élégance d’exécution. On peut citer à titre d’exemple des chartes de ce genre du chapitre de Rouen (1366 – Archives nationales J 463 n° 53), de celui de Noyon (1368 – Archives nationales J 465 n° 36), du chapitre général des Chartreux (1368 – Archives nationales J 465 n° 32), des cordeliers de Paris (1370 – Archives nationales J 465 n° 40), de l’abbaye de Royaumont (1374 – Archives nationales J 461 n° 48), de l’abbaye de Chaalis (1378 – Archives nationales J 466 n° 52), de la Sainte-Chapelle (1386 – Archives nationales J 187 n° 15).

Une autre espèce de documents, les actes d’aveu et d’hommage, commence assez souvent aussi, particulièrement au XVe siècle, par une lettre historiée, représentant le vassal aux pieds de son suzerain, mais celle-ci communément exécutée dans le goût des miniatures de manuscrits et généralement sans grand intérêt artistique. Il est probable que les enlumineurs exécutèrent couramment à cette époque des feuilles de parchemin ainsi ornées, comme on a vendu plus tard du papier décoré d’attributs.

A partir du XIVe siècle, des armoiries figurent parfois, soit comme motif principal, soit comme accessoire, dans l’ornementation des initiales. Cette ornementation devient depuis la fin du XVe siècle plus rare encore qu’auparavant et en quelques sorte purement calligraphique : ce ne sont plus que des paraphes hardis, formés de pleins et de déliés, combinés et enchevêtrés pour former des entrelacs, des rinceaux ou d’autres motifs. La première ligne des bulles pontificales notamment a parfois reçu une décoration de ce genre. Tout à fait exceptionnellement on retrouve au XVIIe siècle des majuscules à rinceaux dorés et coloriés .

Les ornements sont plus fréquents dans les cartulaires et dans les registres que dans les chartes originales. Ils se rapprochent davantage de l’exécution des livres et il est moins rare d’y rencontrer des initiales ornés, des encadrements et même des miniatures indépendantes.

On se bornera à signaler ici, à titre d’exemples, la représentation d’un aveu rendu au procureur du roi de Majorque, en tête d’une page d’un registre d’aveu ou capbreu de Saint-Laurent de la Salanque, écrit dans les dernières années du XIIIe siècle, et le registre JJ 5 du Trésor des chartes qui renferme la copie exécutée en 1309, des négociations de Philippe III et de Philippe IV avec l’Angleterre, Lyon, la Flandre et l’Écosse. Ce volume est remarquable par ses encadrements et ses initiales; l’une d’elles représente les bourgeois de Lyon remettant à l’envoyé du roi de France Philippe le Hardi l’acte par lequel ils se placent sous sa protection.

L’écriture

Les documents diplomatiques originaux ont toujours étaient écrits à longues lignes, sans alinéas ni interlignes, d’un seul côté du parchemin ou du papier. Cette règle générale ne comporte qu’un petit nombre d’exceptions.

Quelques rares documents d’une teneur particulièrement longue ont été disposés sur deux colonnes, comme par exemple un vidimus de 1273 de la charte des coutumes de Montferrand.

Les alinéas ou l’inégal espacement des lignes sont plus rares encore. Dans les chartes anciennes, les souscriptions et la date se détachent seules de la teneur; elles y sont presque toujours réunies depuis le XIIe siècle. Au XIe siècle cependant, époque ou l’on méconnaissait volontiers toutes les règles, on rencontre quelques actes originaux divisés par des alinéas. Mais, en dehors de ces exceptions, si long que soit le document, si multipliées qu’en soient les dispositions, elles se suivent sans intervalle du commencement à la fin.

La ponctuation, qui ne comporte guère que deux signes : le point pour la fin des phrases, et le point surmonté d’une virgule retournée pour la ponctuation faible, y est fort irrégulièrement marquée; parfois seulement des lettres majuscules, auxquelles le scribe a donné plus d’importance qu’à d’autres, marquent le commencement des périodes ou de ce que nous pourrions appeler des paragraphes. Quelquefois aussi, dans certains documents, quelques noms propres, écrits en capitales, en onciales ou en lettres espacées, se détachent de l’écriture uniforme du texte.

La règle de n’écrire la teneur d’un document original que d’un seul côté de la feuille, du côté de la chair lorsqu’il s’agissait de parchemin, paraît avoir été absolue au moyen âge. Les prétendues chartes opistographes que l’on a signalées se sont trouvées, vérification faite, n’être que des copies. C’est tout au plus si l’on a pu citer un document du VIIIe siècle, dans lequel le défaut de place au recto a fait ajouter au verso quelques-unes des souscription. Cet usage d’écrire sur un seul côté de la feuille remonte certainement à l’antiquité, au temps ou les actes écrits sur papyrus devaient former des rouleaux; il s’est maintenu lorsque le parchemin se fut substitué au papyrus, et lorsque, au lieu de rouler les documents, on eut pris l’habitude, générale au moyen âge, de les replier sur eux-mêmes plusieurs fois dans chaque sens, de façon à former de chaque acte une sorte de paquet aussi petit que possible. La partie visible du verso de la pièce ainsi pliée recevait des cotes, des titres ou des analyses. Ces indications, parfois contemporaines des documents ou de peu postérieures, peuvent être fort utiles pour en déterminer la provenance.

Depuis le XVe siècle, on écrivit au recto et au verso les actes d’une longueur exceptionnelle, pour lesquels on employa des feuillets de parchemins disposé en cahier. Il en fut ainsi notamment de certaines bulles pontificales et de certains actes d’aveu et de dénombrement. Cet usage s’étendit peu à peu à d’autre actes pendant les siècles suivants, mais il ne devint jamais général, et jusqu’à nos jours des actes tels que les diplômes universitaires, les brevets, les commissions, les passeports, etc., ont conservé la tradition et ne sont écrits que d’un seul côté de la feuille.

Dans les documents sur papyrus et dans les plus anciens documents sur parchemin on ne voit aucun vestige de réglure. Mais depuis le commencement du IXe siècle, les parchemins sur lesquels on devait écrire des chartes portent fréquemment la marque des lignes parallèles, tracées avec un style à pointe mousse, pour servir de guide au scribe. Tantôt ces lignes étaient tracées sur la face du parchemin destinée à recevoir l’écriture et tantôt au verso; dans ce cas le scribe se guidait sur la saillie produite au recto par cette réglure.

L’usage de régler le parchemin à la pointe sèche dura jusqu’à la fin du XIe siècle, mais il ne fut jamais général; faute de cette précaution, dans nombre de documents, les lignes d’écriture ne sont ni droites, ni également espacées, ni parallèles. A la fin du XIe siècle apparaît la réglure au crayon. Pour exécuter cette réglure, souvent le scribe indiquait préalablement par des points, marqués probablement à la pointe du compas, le commencement et la fin de chaque ligne : Puncti punctantur, sequitur quos linea plumbi, consilio quorum linea tendit iter (« De natura animalium« , poème de Conrad de Mure).

Fréquemment ces points demeurent le seul vestige de la réglure, soigneusement effacée suivant le précepte du même auteur: « Si linee cum ligniculo vel alias fiunt pro ipsius scribentis ductu, non debent apparere« .

Parfois aussi depuis le XIIe siècle, la réglure a été faite en traçant des lignes légère à l’encre, et quelquefois, mais rarement, à l’encre rouge. Dans les actes soignés, on s’appliquait à ne tracer de lignes qu’aux endroits destinés à recevoir l’écriture, et presque toujours on en ménageait les marges.

La réglure peut servir d’élément utile à la critique diplomatique, mais à la condition de multiplier les observation sur les documents émanés d’une même chancellerie. On ne l’a guère fait jusqu’ici que pour les actes des monarques carolingiens, des souverains de la Germanie et des papes antérieurs au XIIIe siècle.

Lorsqu’un acte était aboli ou annulé, ou simplement lorsqu’il était devenu inutile, on en barrait la teneur à l’encre par de grands traits qui se croisaient en X, ou encore on le lacérait de la même manière au canif. C’est là un procédé qui remonte à l’antiquité et qu’on exprimait par le mot cancellare, parce que l’écrit ainsi effacé était recouvert comme d’une espèce de treillis. La chose et le mot se sont conservés au moyen âge. C’est ainsi qu’on eut souvent soin, à partir du XIIIe siècle, de spécifier dans les vidimus que l’acte vidimé n’était pas cancellé. Les documents cancellés sont assez communs dans les dépôts d’archives, encore faut-il observer que la cancellation n’a pas eu toujours la même valeur ; les notaires par exemple cancellaient leurs minutes lorsqu’ils en avaient délivré expédition.

Les corrections, ratures, exponctions, grattages et renvois ne sont pas très rares dans les originaux des actes authentiques, surtout à l’époque ancienne. Même à la chancellerie pontificale on s’est toujours moins soucié de les éviter que d’observer par exemple certaines règles d’abréviations, et il arrivait qu’on effaçât un passage où ces règles étaient mal observées pour le récrire en surcharge; aussi les bulles apostoliques présentent assez souvent des traces de grattages qui ne doivent pas les rendre suspectes. Dans les actes dressés par les notaires, ceux-ci mentionnaient et approuvaient, généralement dans la formule de souscription, à peu près comme on le fait encore aujourd’hui, les corrections, ratures et surcharges qui pouvaient se trouver dans les documents.

Les documents désignés sous le nom de chartes-parties présentent des dispositions particulières. Lorsque, pour une raison quelconque, on devait expédier un acte en plusieurs originaux, l’habitude s’établit d’écrire ces divers originaux sur une même feuille de parchemin et de tracer en gros caractères entre eux une devise que l’on coupait par le milieu en séparant les exemplaires. Le rapprochement des originaux pouvait éventuellement justifier leur authenticité respective. C’est l’origine du système si répandu aujourd’hui des registres à souche. Il est difficile de déterminer avec précision l’époque où l’on a commencé à user de ce procédé. Il existe bien, et dès l’époque mérovingienne, des mentions nombreuses d’originaux multiples, de chartes d’une même teneur (chartae paricolae eodem tenor conscriptae), d’exemplaires remis à chacune des parties intéressées. Lorsque Richer raconte l’élévation au siège de Reims de l’archevêque Arnoul en 989, il dit bien que l’on dressa de ses engagements vis-à-vis du roi de France un cirographum bipertitum (Historiarum lib IV, 29), mais le défaut de toute allusion à une devise et l’absence de tout original ainsi disposé laissent douter qu’on ait alors employé ce procédé.

Le plus ancien document où j’aie rencontré la trace de cette disposition est un diplôme sans date du roi de France Henri Ier pour l’abbaye de Sainte-Geneviève, au bas duquel, dans l’exemplaire qui nous est parvenu, subsiste la partie inférieure des lettres capitale d’une devise formée de trois noms : PETRVS. PAULVS. GENOVEFA. De la même époque environ est un accord entre l’évêque de Gérone et Roger Ier, comte de Foix, où la devise était formée des lettres de l’alphabet de A à R, et dont l’exemplaire que nous possédons n’a conservé que la partie supérieure.

Les actes auxquels on a donné cette disposition ingénieuse sont devenus très nombreux dès le commencement du XIIe siècle, et le nombre s’en est encore accru au XIIIe et XIVe. On a rédigé de la sorte des actes de toute espèce, des privilèges, des donations, des chartes de commune, des aveux, etc., mais de préférence les actes qui devaient être nécessairement dressés en autant d’originaux que de parties, tel que des accords, des conventions, des échanges, etc., et surtout les contrats dont on voulut garder un original au siège de la juridiction qui les avait dressés.

La devise à partager fut très souvent le mot cirographum, soit seul, soit accompagné d’autres mots : cirographum memoriale, cirographum commune, cirographum manuscriptum. Le terme qui suivait cirographum spécifiait parfois la nature de l’acte : cirographum pacis, cirographum de molendino. Il en résulta que le mot cirographum, qui à l’origine avait exprimé toute espèce de contrats, prit peu à peu une acception plus complexe et ne désigna plus guère que les actes rédigés en plusieurs expéditions et auxquels il servait de devise commune. C’est en ce sens que l’emploient beaucoup d’auteurs du moyen âge depuis la fin du XIIe siècle et qu’on le trouve dans un grand nombre de documents authentique. En Angleterre on disait de préférence charta cyrographata.

Mais on appelait fréquemment aussi ces actes au moyen âge chartae partitae ou divisae et en français chartes-parties; c’est cette dernière expression que nous avons adoptée pour les désigner parce qu’elle est plus exacte et prête moins à l’équivoque que le mot chirographe.

Le mot cirographum n’était pas du reste, ainsi qu’on l’a déjà vu, le seul qui fût employé comme devise. C’était souvent une invocation ou une formule pieuse : In nomine Domini nostri; Pacem habete inter vos; Pax hominibus bone voluntatis; des noms de saints, et parfois même un dessin. Mais la devise la plus fréquente, avec le mot cirographum, c’était particulièrement dans le midi de la France, la série des lettres de l’alphabet. D’où le nom de littera per alphabetum divisa et en provençal carta partida per ABC que l’on donnait fréquemment à ces actes.

Au lieu de séparer les actes par un trait droit, on a souvent, depuis le XIIIe siècle, découpé la devise en ligne brisée, de façon à former une suite de dents. Ce procédé, employé surtout en Angleterre, y a fait donner aux chartes-parties le nom de chartae indentatae, indenturae, et en français endentures. On a parfois aussi découpé la devise en lignes ondulées, d’où le nom de charta undulata que l’on rencontre parfois, mais il n’a pas eu son équivalent en français.

Bien que le nombre de ces actes ait beaucoup diminué au cours du XVe siècle et qu’on ait peu à peu restreint presque exclusivement l’emploi des chartes-parties aux contrats privés reçus par les échevinages, là du moins cette forme a persisté pendant très longtemps. Elle a duré dans le nord de la France jusqu’à l’époque de la création des notaires royaux et, dans les provinces qui faisaient partie des Pays-Bas espagnols, jusqu’à l’époque de la conquête française. En France même on fit une exception pour le pays de l’Alloeu où les chartes-parties subsistèrent jusqu’à la fin de l’ancien régime. Il en fut de même à Tournai, où j’ai vu moi-même, aux archives municipales, des actes de ce genre dressés en 1795, l’année même de la réunion à la France.

L’écriture des documents diplomatiques a naturellement subi les même transformations générales que celles des manuscrits proprement dits. Toutefois, dans la plupart des documents, elles s’en distingue par certaines particularités, dont la plus caractéristique est l’allongement des hastes et des queues de lettres. Comme elle est spéciale aux diplômes et aux chartes, elle a reçu le nom d’écriture diplomatique.

Habituellement la première ligne des diplômes et des chartes, ou parfois une partie de la première ligne, est en caractères particuliers, différents de ceux du reste de la teneur. On y a employé communément, depuis l’époque mérovingienne, une écriture allongée, à jambages grêles, souvent fort serrée et conséquemment difficile à lire. Tout en se modifiant avec le temps, l’écriture allongée est restée en usage, dans certaines chancelleries, jusqu’au XIIIe siècle. Mais, au XIe et au XIIe, on se servit aussi de capitale, d’onciale ou de caractères de fantaisie, parfois enchevêtrés ou enlacés les uns dans les autres. Plus tard, depuis le XIIIe siècle, on employa simplement des caractères plus gros que ceux de la teneur, et souvent aussi, même dans des actes écrits en cursive, de gros caractères gothiques plus ou moins élégants. Ajoutons que cette règle n’est pas absolue : dans un grand nombre de chartes, l’écriture de la première ligne est la même que celle du reste de l’acte.

On trouve encore parfois des écritures différentes de celles de la teneur au bas de l’acte, dans certaines souscriptions et dans la date, qui était quelquefois d’une autre main que la teneur. Lorsque les souscriptions sont autographes, elles présentent naturellement toutes les variétés possibles d’écritures.

Les écritures cursives et minuscules ont seules été employées depuis l’antiquité pour les documents diplomatiques. La capitale et l’onciale ne s’y rencontre pas, sauf toutefois, comme on l’a vu plus haut, dans la première ligne, dans les souscriptions, dans les devises des chartes-parties et parfois aussi dans certains noms propres de la teneur que l’on a voulu mettre particulièrement en relief.

L’ancienne cursive romaine de chancellerie, dont quelques fragments de rescrits impériaux nous ont conservé des spécimens, a donné naissance à d’autres écritures diplomatiques qui sont diversement développées, en France, en Italie et en Espagne, et qui ont été peu à peu remplacées dans toute la chrétienté, entre le IXe et le XIIe siècle, par la minuscule romane, qui procède de la réforme calligraphique accomplie en France sous Charlemagne, particulièrement dans l’école de Tours.

Dans les monastères des îles Britanniques, en Irlande d’abord, puis en Angleterre, s’est formée et développée une écriture particulière (scriptura scottica), qui, à la différence des écritures du continent, ne dérive pas de l’ancienne cursive romaine. Répandue dans toute la chrétienté par les missionnaires irlandais et anglo-saxons, elle ne fut pas sans influence sur la réforme calligraphique du IXe siècle. Sous ses formes onciale et semi-onciale, puis surtout sous la forme cursive, elle fut employée dans les îles Britanniques à écrire les actes jusqu’à l’époque de la conquête normande; elle entra alors en concurrence avec la minuscule romane importée par les vainqueurs, et fut bientôt complètement supplantée par elle, sauf toutefois pour les actes en langue nationale, pour lesquels on continua à l’employer jusqu’au cours du XIIe siècle.

En Italie on peut suivre les transformations de l’ancienne cursive dans les documents sur papyrus de Ravenne, de Naples et d’Arezzo, et, pour les siècles postérieurs, dans les chartes des grandes abbayes du sud de l’Italie. Cette écriture s’est en effet perpétuée dans la péninsule, non sans se modifier peu à peu, mais sans que la tradition en ait de longtemps été interrompue. Par suite de la rareté et de la cherté du papyrus et plus tard du parchemin, les caractères en sont devenus plus serrés et plus menus, en même temps que certaines lettres ont pris des formes particulières caractéristiques. Dans le nord, l’influence française fit prévaloir dès le VIIIe siècle la cursive mérovingienne; et la cursive particulière à l’Italie fut refoulée dans les provinces méridionales demeurées soumises à la domination lombarde. De là le nom d’écriture lombarde qui lui a été donné par les érudits. Elle y resista longtemps à la minuscule romane, jusqu’à l’époque où Frédéric II la prohiba dans la pratique des notaires, où elle était devenue un grimoire à peu prés indéchiffrable. Cette lombarde dégénérée, employée par les notaires du sud de l’Italie, variait de principauté à principauté, aussi la trouve-t-on nommée, suivant la provenance, littera beneventana, napolitana, amalfitana, salernitana, capuana, etc., on lui donne le nom générique d’écriture curiale.

L’écriture employée dans les bulles apostoliques est une dérivation particulière de l’écriture lombarde, qui s’est développée à la chancellerie pontificale sous diverses influences. Elle subit, à partir du XIe siècle, celle de la minuscule romane, et bientôt certains scribes de la cour romaine usèrent de préférence de cette dernière. Cependant, on retrouve certaines formes caractéristiques de l’écriture lombarde jusque dans les lettres du pape Pascal II (mort en 1118).

En Espagne, la cursive romaine est devenue, par une série de transformation, dont les manuscrits des VIIe et VIIIe siècles nous ont conservé des exemples, l’écriture à laquelle les savants ont mal à propos attribué le nom de visigothique. On la trouve employée dans les chartes sous la forme cursive, depuis le milieu du IXe siècle, – l’original le plus ancien que l’Espagne ait conservé date de 857 de l’ère chrétienne. Il s’y ajoute, au siècle suivant, une écriture ronde et posée, toujours exceptionnelle dans les chartes, et une cursive allongée qui fut surtout employée pour la première ligne et les souscriptions. La cursive diplomatique visigothique devint peu à peu moins lisible qu’elle ne l’était d’abord; elle se surchargea d’abréviations et présenta une grande complication de traits.

Dés le Xe siècle elle entra en lutte avec la minuscule romane. La Catalogne, placée sous l’influence française, renonça la première, à cette époque , à l’écriture visigothique. Au siècle suivant, la letra francisca, propagée surtout par les moines clunisiens, prit peu à peu possession de toute la région pyrénéenne (Aragon et Navarre), aussi bien pour les chartes privées que pour les actes royaux.

On sait qu’au témoignage de Rodrigue Ximenès (archevêque de Tolède de 1210 à 1247), la substitution de la minuscule romane à l’écriture visigothique aurait été prescrite, en 1079, par une décision d’un synode de Léon, présidé par l’archevêque de Tolède, Bernard, moine de Cluny (« …Celebrato concilio cum Bernardo Toletano primate, multa de officiis ecclesiae statuerunt, et etiam de cetero omnes scriptores, omissa littera Toletana, quam Gulfilas Gothorum episcopus adinvenit, gallicis litteris uterentur« ). Quoi qu’il en soit de cette décision, elle ne fit pas disparaître immédiatement l’ancienne écriture. Dans les chartes de Castille, de Léon et des Asturies, la « lettre française » fait son apparition sous le règne d’Urraque (1109-1126), les deux écritures sont employées concurremment; l’écriture française domine dans les documents de Castille et de Léon, la visigothique dans ceux de Galice. Avec Alphonse VII (1126-1157) l’écriture nouvelle prédomine dans les actes royaux. Dans les actes privés, où elle a commencé à être employée après 1115, elle se propage assez rapidement, sauf en Galice, où il n’est pas rare de rencontrer des chartes en écriture visigothique jusqu’à l’extrême fin du XIIe siècle.

L’écriture usitée en France et dont les plus anciens spécimens connus remontent au VIe siècle, fut elle aussi une transformation de l’ancienne écriture romaine de chancellerie. Sous sa forme cursive elle a été employée, pendant la période mérovingienne, à écrire les actes authentiques (Presque tous les originaux qui se sont conservés sont aujourd’hui aux Archives nationales. Ils ont été reproduits en fac-similés dans les Diplomata et chartae Merovingical aetatis in Archivo Franciae asservata).

On lui donne communément le nom de cursive mérovingienne parce que la plupart des documents où on la rencontre sont des diplômes royaux. C’est une écriture dont les caractères sont très serrés et chevauchent même parfois les uns sur les autres; ils sont de plus surchargés de ligatures compliquées et de traits parasites. Elle a persisté, sans grandes modifications, jusque sous Charlemagne, époque où son développement fut brusquement interrompu par une réforme calligraphique, qui substitua à la cursive une autre forme d’écriture, dont les caractères sont indépendants les uns des autres, de formes plus arrêtées et de contours plus arrondis.

Cette nouvelle écriture est la minuscule carolingienne ou caroline, qui, devenue célèbre sous le nom d’écriture française, devait se répandre dans le monde entier, au moyen âge d’abord, en remplaçant du Xe au XIIe siècle dans toute la chrétienté les écritures nationales, et une seconde fois à la Renaissance, en se substituant aux formes gothiques, sous l’influence des humanistes, pour devenir l’écriture dite humanistique et plus tard le caractère romain de la typographie d’où dérive celui qui est encore en usage.

Ce n’est point ici le lieu d’exposer comment et sous quelles influences s’est opérée sous Charlemagne la réforme calligraphique. L’écriture diplomatique n’en ressentit les effets qu’à partir du règne de Louis le Pieux.

La minuscule qui fut employée depuis lors dans les diplômes et les chartes peut être désignée, jusqu’à la fin de la dynastie carolingienne, sous le nom de minuscule romane. Elle ne cessa jusqu’au XIIe siècle de se perfectionner en acquérant plus de régularité. Chaque caractère y a sa forme déterminée et est indépendante des autres; les traits en sont droits et nettement arrêtés; les abréviations sont fixes et employées avec mesure. C’est sous cette forme que la minuscule romane s’est propagée, comme on l’a dit plus haut, dans toute l’Europe.

Dans chacun des pays qui l’ont adoptées elle a continué ensuite à se transformer peu à peu, et naturellement les modifications qu’elle a subies n’ont point été partout uniformes. Dans l’écriture des différentes contrées de l’Europe depuis le XIIe siècle, on peut constater des divergences locales qui vont s’accentuant avec le temps. Bien plus, dans un même pays, l’écriture de chaque province acquiert un caractère particulier, qu’un oeil exercé peut parvenir à discerner; et les usages de certaines chancelleries ont donné à l’écriture de certaines catégories d’actes un aspect particulier. Mais, chose remarquable, ces modifications locales sont relativement peu importantes, à peine assez pour qu’elles puissent aider à discerner la provenance des documents, et somme toute l’évolution de l’écriture a suivi depuis le XIIe siècle une marche commune dans les États même les plus éloignés les uns des autres.

Une marche commune, mais non point partout aussi rapide : on peut dire que le développement de l’écriture a été en avance dans les pays de l’Ouest, en retard dans ceux de l’Est, et qu’entre les deux il y a approximativement une différence de tout un siècle. Mais il faut observer que cette notion, pour vraie qu’elle soit en ce qui touche l’évolution générale de l’écriture, est d’un secours bien insuffisant pour la solution du problème qui se pose constamment à qui étudie les textes du moyen âge : dater un document d’après ses caractères paléographiques. Non seulement, en effet, certains pays étaient en retard sur d’autres, certaines chancelleries ou certains bureaux d’écriture s’appliquaient à conserver la tradition d’une écriture ancienne, mais surtout les scribes conservaient toute leur vie l’écriture de leur jeunesse; aussi les problèmes de ce genre ne peuvent guère comporter que des solutions approximatives ou pour mieux dire incertaines.

Le XIIe siècle est l’âge de la belle minuscule romane, de celle que M Wattenbach appelle la minuscule achevée de forme (ausgebildete Minuskel) . Mais dès la fin de ce même siècle se manifestent les premiers symptômes d’une dégénérescence : on écrit beaucoup plus qu’autrefois, avec plus de rapidité et conséquemment de négligences; les abréviations se multiplient, et peu à peu les caractères tendent à prendre un aspect anguleux. C’est le commencement de la métamorphose de l’écriture romane en gothique qui s’effectue au cours du XIIIe siècle. Ce terme de gothique n’implique bien entendu aucune relation avec les Goths; il date d’un temps où on l’appliquait non sans mépris à toutes les choses du moyen âge.

Dès le commencement du XIIIe siècle avait reparu dans les actes non solennels une écriture cursive ou plutôt courante qui n’est autre chose qu’une minuscule négligée, dans laquelle les lettres d’un même mot sont écrites sans lever la plume. D’abord raide et droite ou penchée à gauche, formée de caractères serrés, elle ne tarde pas à s’espacer tout en réunissant les lettres par des ligatures, puis elle se resserre et devient plus anguleuse à la fin du même siècle et au commencement du suivant. Vers le même temps la combinaison de cette cursive avec la minuscule forme une nouvelle écriture diplomatique très uniforme, très répandue, et qui sert à écrire jusqu’aux actes les plus solennels.

L’usage de la cursive se propagea de plus en plus au XIVe siècle et au XVe siècle et presque partout elle tendit à se substituer à l’écriture mixte. Dans la pratique des notaires, des greffiers, des procureurs, elle aboutit à une écriture précipitée, dont les abréviations, souvent nombreuses, sont très irrégulières, et qui est à grand’peine lisible. En même temps les variétés se multiplient et l’écriture prend un caractère personnel plus accusé. La grande gothique et les lettres de forme, dont l’emploi est très fréquent dans les manuscrits, sont très rares au contraire dans les documents diplomatiques, où on ne les rencontre guère que dans la première ligne et encore exceptionnellement.

Au XVe siècle, une nouvelle réforme calligraphique se produisit en Italie. Les humanistes abandonnèrent la gothique et s’appliquèrent à reproduire l’écriture des beaux manuscrits où s’était conservés un grand nombre de chefs-d’oeuvre de l’antiquité, c’est-à-dire la minuscule caroline. Cette réforme, inaugurée à Florence dans les premières années du XVe siècle, se propagea rapidement en Italie. La cour romaine adopta la nouvelle écriture pour l’expédition des brefs.

En France, elle ne pénétra qu’assez tard. A partir du règne de Louis XII les documents diplomatiques en subirent l’influence; mais seulement les plus solennels, ceux qui’l était d’usage d’écrire avec le plus de soin. On imita plus tard l’écriture inclinée à droite des chancelleries italiennes, qui a conservé le nom d’italique. Ce fut ainsi que les formes gothiques disparurent à peu près complètement des documents diplomatiques au cours du XVIe siècle. Mais ce qui prédomina surtout pendant ce siècle, ce fut d’une part l’écriture individuelle et, d’autre part, pour toutes les écritures courantes des notariats, des greffes et des administrations, une cursive dégénérée, à peine formée et pleine des abréviations les plus arbitraires.

A la fin de ce même siècle, sous le pontificat de Clément VIII (1592-1605), la chancellerie apostolique inaugura une écriture nouvelle, singulière et particulièrement laide, composée de pleins énormes et de déliés d’une finesse extrême, surchargée d’abréviations sans rapport avec les abréviations conventionnelles du moyen âge. C’est la littera sancti Petri ou scrittura bollatica, qui est demeurée en usage pour l’expédition des bulles jusqu’au pontificat de Léon XIII (1878 à 1903).

Au XVIIe siècle, l’écriture s’améliora notablement. Dans les actes publics, à l’italique ou à la bâtarde du siècle précédent se substitua généralement en France une grosse ronde, souvent tracée avec un soin extrême et dont le principal mérite est d’être parfaitement lisible. Elle est restée en usage, concurremment avec la bâtarde, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Mais dans les greffes comme dans les études de procureur on conserva longtemps la tradition de la cursive déformée et dégénérée, qui semble au premier aspect un griffonnage indéchiffrable, et ce fut seulement au début du XVIIIe siècle que l’écriture judiciaire commença à devenir un peu plus lisible.

Il n’est pas rare de rencontrer dans les documents antérieurs au XI° siècle quelques mentions en notes tironiennes. On sait que l’on désigne sous ce nom un système de tachygraphie dont l’invention est attribuée à un affranchi de Ciceron du nom de Tiron. L’étude de cette écriture est naturellement du ressort de la paléographie et il n’y a lieu de s’occuper ici que de l’emploi qui en a été fait dans les documents diplomatiques.

Il suffira de rappeler brièvement que dans ce système, chaque mot est représenté par un seul caractère, composé d’éléments d’origine alphabétique, mais dont la combinaison a pris en quelque sorte par l’usage une valeur idéographique; et qu’à côté de ces caractères, on y emploie, pour exprimer les noms propres ou d’autres mots inconnus aux glossaires tironiens, des signes phonétiques de même origine, représentant chacun une syllabe.

C’est surtout dans les documents français et spécialement dans les diplômes royaux que l’on rencontre des notes tironiennes. A l’époque mérovingienne, elle accompagne le plus souvent la souscription du référendaire. La plus ancienne qu’on ait signalée se trouve dans un diplôme de Clotaire II (diplôme de 625), mais ce n’est qu’à partir du règne de Thierry III qu’elles deviennent fréquentes. Il n’est pas douteux que l’écriture tironienne ait été un système de tachygraphie, et non pas, comme l’a dit longtemps à tort, une écriture secrète, mais son emploi dans les diplômes et à cette place semble bien avoir été une précaution contre les faussaires.

Les mentions en notes des diplômes mérovingiens, d’une grande difficulté de lecture à cause de l’enchevêtrement des caractères, sont généralement courtes; elles contiennent des indications relatives à la confection de l’acte; le nom par exemple de celui qui l’a prescrit, ou de celui qui l’a collationné, relu ou souscrit. Mais, en somme, ces brèves mentions ne sont pas indifférentes à l’histoire. L’indication que l’ordre émane du maire du palais, la plus fréquente de toutes, et que l’on rencontre dés 677 (ordinante Ebroino majore domus), est un indice à retenir sur le rôle de ce grand personnage.

L’usage des notes tironiennes, fort restreint à l’époque mérovingienne, semble s’être développé sous la dynastie carolingienne. On écrivit alors en notes des manuscrits entiers, comme le recueil des formules de la chancellerie impériale de Louis le Pieux; on continua à mettre des mentions en note dans les diplômes des souverains, et dans certains pays on prit même l’habitude d’en ajouter aux chartes solennelles. Bien plus, l’emploi des notes était devenu courant à ce point, au milieu du IXe siècle, qu’un moine de Saint-Arnoul de Metz, voulant garder mémoire des détails d’une affaire, la résumait en notes tironiennes au verso d’un acte qui la concernait, trouvant plus pratique et plus rapide de l’écrire en tachygraphie qu’en écriture ordinaire.

Dans les diplômes des monarques carolingiens depuis Louis le Pieux, les notes accompagnent le plus souvent, comme auparavant, la souscription de chancellerie et se placent dans la ruche, mais on en trouve aussi qui sont jointes à l’invocation monogrammatique du début, placées à la suite de la date, ou parfois même immédiatement après la teneur. Non seulement les mentions sont plus nombreuses, mais elles sont souvent aussi plus développées. Ce sont assez fréquemment des invocations, des formules pieuses ou d’autres mentions oiseuses, mais fréquemment aussi des indications intéressantes, plus variées que celles des diplômes mérovingiens. On y trouve, par exemple, le nom du personnage par l’intermédiaire duquel le diplôme a été obtenu, le nom du dictator, celui du scribe, etc.

Ces mentions en notes, très fréquentes dans les actes royaux et impériaux jusqu’à la fin du IXe siècle, en disparaissent au Xe siècle, et bientôt la connaissance même des notes tironiennes ne tarda pas à se perdre si complètement dans la chancellerie des rois de France que les scribes ajoutèrent souvent par tradition, à l’endroit où il avait été d’usage de mettre des notes, des signes quelconques qui ressemblent vaguement aux caractères tironiens mais qui n’ont plus aucune signification. Parfois même ils s’appliquèrent à reproduire, d’après un diplôme antérieur, des notes qui défient toute tentative de déchiffrement si on ne les rapproche du modèle.

Si, dans les diplômes, l’usage des notes se perd au Xe siècle, c’est au contraire l’époque où elles se rencontrent le plus fréquemment dans les chartes ecclésiastiques ou privées, mais seulement dans une certaine région, la Touraine, où la connaissance s’en était perpétuée dans quelques écoles monastiques. On a dit plus haut que dans les actes des souverains l’emploi des notes avait dû être une précaution contre les faussaires, mais il semble bien que celles des chartes privées n’ont eu d’autre raison d’être que la fantaisie et la vanité des clercs qui les traçaient. Ce sont très rarement des mentions développées; on les rencontre presque toujours dans les souscriptions et elles n’en représentent le plus souvent que quelques mots, rarement le nom propre, généralement le titre suivie du signe S+ qui signifie subscripsit. Les plus longues sont les souscriptions des scribes. Cet emploi des notes a duré jusqu’à l’extrême fin du Xe siècle. Au XIe on rencontre encore quelque temps la signification, mais qui se perdent peu à peu. Le plus usité est toujours le signe S+ (subscripsit) qui termine les souscriptions; mais la notion exacte de la signification finit aussi par s’oublier, et il n’est pas rare, au cours du XIe siècle, de le voir plaçé devant le nom au génitif (S+ Gosfredi, par exemple); dans la pensée de ceux qui le traçaient il représentait alors évidemment le mot signum.

Un autre système de tachygraphie, une écriture syllabique, dérivée des notes tironiennes, a été employée en Italie au Xe siècle et dans les premières années du XIe. Comme les notes tironiennes proprement dites, cette écriture a servi tantôt de tachygraphie, pour prendre des notes rapides, inscrire au dos des actes des mentions (analyses ou minutes), et tantôt d’écriture secrète, comme précaution contre les faussaires. C’est le cas, par exemple, des souscriptions en notes qui se trouvent au bas de quelques bulles de Silvestre II.

Les éditeurs de textes du haut moyen âge négligent trop souvent les notes qui se rencontrent dans les documents qu’ils publient. Pour cette époque reculée, toutes ces mentions et même les moindres ont un intérêt; à défaut d’un déchiffrement, qu’il n’est pas toujours possible de donner, il faut avoir soin de faire mention de ces signes, ou mieux d’en donner une reproduction exacte. Les procédés de fac-similés d’après les images photographiques sont aujourd’hui assez répandus et assez peu coûteux pour qu’il soit souvent possible de joindre aux publications de textes des illustrations de cette nature.

L’étude critique des documents conduit fréquemment le diplomatiste à essayer de discerner le caractère individuel d’une écriture et à y rechercher pour ainsi dire la marque de la personnalité de son auteur. Il faut décider si toutes les parties d’une charte sont de la même main, déterminer dans une série de diplômes ceux qui sont l’oeuvre d’un même scribe, reconnaître dans un document l’écriture d’un personnage.

Il n’est pas indifférent à la critique de savoir si, dans les grandes bulles, par exemple les souscriptions des cardinaux sont autographes ou si elles ont été tracées par des scribes, de discerner dans un diplôme royal, dont l’authenticité ou le caractère original pourraient être suspectés, la main d’un scribe ordinaire de la chancellerie. Et, pour prendre un exemple plus précis, on conviendra qu’il y a quelque intérêt à reconnaître dans la date des années de l’incarnation ajoutée à presque toutes les chartes anciennes de l’abbaye de Saint-Maur-des-Faussés, l’écriture d’un moine historien qui les compulsait au XIe siècle en vue de raconter la vie du bienfaiteur de l’abbaye.

La solution de tous les problèmes de ce genre qui peuvent se présenter est fondée en grande partie sur la comparaison des écritures. Relativement faciles à partir de l’époque où l’emploi ordinaire de la cursive donne à l’écriture un caractère assez personnel, les recherches de cette nature sont beaucoup plus délicates pour l’époque où l’emploi ordinaire de la cursive donne à l’écriture un caractère assez personnel, les recherches de cette nature sont beaucoup plus délicates pour l’époque de la minuscule. On peut dire toutefois que, si impersonnelle qu’ait été pendant longtemps l’écriture des chartes, un oeil exercé arrive toujours à y discerner certaines particularités par où se décèle la personnalité du scribe. La première des conditions, en effet, pour arriver à faire avec fruit les observations et les comparaisons utiles au but que l’on poursuit, c’est d’apprendre à voir, d’acquérir par l’exercice l’éducation de ses yeux.

Mais il n’en est pas moins vrai qu’il existe dans les écritures du moyen âge certains caractères particuliers qui peuvent déterminer la méthode à suivre à cet égard. L’un des plus importants est ce que l’on pourrait nommer le trait, qui dépend de la manière particulière à chaque scribe de tenir et de conduire sa plume, et qui donne à l’exécution des pleins et des déliés plus ou moins de force, de finesse, d’élégance, de fermeté ou d’incertitude.

Il faut aussi remarquer que les scribes du moyen âge, à l’époque du moins où ils employèrent la minuscule, dessinaient plutôt qu’ils n’écrivaient dans le sens que nous attachons aujourd’hui à ce terme; au lieu de tracer comme nous le faisons une lettre d’un seul trait, ils levaient la plume à plusieurs reprises; il en résulte que certains caractères sont composés de trois, quatre et jusqu’à cinq traits de plume, droits ou courbés. C’est en ce point que la manière particulière à chaque scribe se révèle le plus sûrement. A défaut des originaux, l’observation se peut faire sur les fac-similés qui ont pour base de bonnes reproductions photographiques; mais on comprendra qu’elle n’a plus la même valeur si on la fait sur des reproductions qui dérivent d’un dessin ou d’un calque.

On doit considérer encore que les écrivains des chartes n’ont pas eu plus que nous une écriture uniforme, constante, toujours semblable à elle-même. Le plus ou moins de hâte, l’existence d’un modèle, la dimension et la qualité du parchemin, la nature même de l’acte, sont, entre beaucoup d’autres, des circonstances qui influaient sur le caractère de l’écriture d’un scribe.

On ne saurait, non plus, comme on l’a fait trop souvent, déterminer son jugement d’après la forme particulière d’une seule ou même de quelques lettres. Il pouvait arriver, et il arrive en effet, qu’entre les diverses formes d’une même lettre un scribe choisissait à sa fantaisie tantôt l’une et tantôt l’autre. On doit donc se garder d’employer pour comparer des écritures le procédé en quelque sorte mécanique qui consiste à isoler quelques caractères d’un texte également isolés. Il faut reconnaître cependant que, tout en comparant les écritures dans leur ensemble, il y a dans les documents certaines parties, certaines phrases, certains mots, certaines lettres, certains signes, sur lesquels on peut porter une attention particulière.

Il en est ainsi des parties où se rencontrent des formules communes à la plupart des documents : invocation, suscription, clauses finales, souscription, date, apprécation, que le scribe devait écrire pour ainsi dire machinalement, et où se trahissent inconsciemment ses habitudes de plume; il en est ainsi encore de la première ligne en écriture allongée et de tous les mots dont l’écriture diffère de la minuscule ordinaire; il en est ainsi enfin des lettres initiales ou finales des mots, des hastes et des queues, des ligatures, des signes d’abréviations et de ponctuation, etc., partout enfin où l’on peut présumer que certaines formes se sont en quelque sorte stéréotypées et doivent déceler la main d’un seul scribe alors même qu’il aurait employé des écritures différentes. Il va de soi que les habitudes orthographiques doivent entrer aussi en ligne de compte. Mais il ne faut pas oublier que beaucoup de ces particularités d’écriture peuvent provenir d’influences d’école ; qu’elles peuvent se transmettre de maître à élève, et, dans les bureaux, de supérieur à subalterne.