On a ici publié plusieurs textes qui mettent en lumière le soutien des principaux chefs religieux de l’Église orthodoxe russe à la politique de guerre menée par Vladimir Poutine en Ukraine.
Pourtant, ce soutien n’est pas unanime comme le montre le texte ci-dessous. Son auteur est le métropolite orthodoxe Hilarion Alfeïev. Théologien polyglotte, Hilarion est nommé en 2009 président du département des relations extérieures du patriarcat de Moscou. C’est donc un homme d’Église éminent et ouvert sur les réalités du monde.
Cette déclaration a été faite sur la chaîne de télévision russe Rossia 24, le 29 janvier 2022, soit deux mois avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, à un moment où il était encore possible aux voix dissonantes de se faire entendre un peu.
Hilarion Alfeïev s’oppose sans ambiguïté à la perspective d’une guerre impliquant la Russie. Le théologien s’appuie ici, non pas sur des arguments religieux, mais sur le précédent historique de la première guerre mondiale qui a vu « la Russie s’effondrer en trois ans » et appelle à se « souvenir que l’issue d’une guerre est imprévisible ».
NB : le texte que nous reproduisons ici est issu de l’article « le patriarcat de Moscou face à la guerre » de Kathy Rousselet, publié dans le numéro de mai 2022 de la revue Études, article dont nous conseillons vivement la lecture.
En Russie, certains hommes politiques nous rappellent que notre pays n’a jamais perdu de guerre et que, par conséquent, « tous ceux qui prennent l’épée périront par l’épée ».
Tout d’abord, rappelons-nous à quel prix la Russie a gagné les guerres. Ce prix était la vie de millions de personnes. Deuxièmement, rappelons que toute guerre entraîne des dommages incalculables pour les populations. Nous devons également nous souvenir que l’issue d’une guerre est imprévisible. Peut-on considérer que la Russie a gagné la Première Guerre mondiale? Rappelons-nous avec quel enthousiasme la Russie y est entrée, quels sentiments patriotiques ont accompagné l’entrée de la Russie dans la guerre. Qui aurait pu imaginer à l’époque que la Russie s’effondrerait en trois ans ? Pour toutes ces raisons, je suis profondément convaincu que la guerre n’est pas le moyen de résoudre les problèmes politiques qui se sont accumulés. Par conséquent, les hommes politiques et nous tous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher une escalade du conflit et le scénario dont les Américains parlent aujourd’hui.
Propos du métropolite Hilarion Alfeïev, le 29 janvier 2022, dans l’émission « L’Eglise et le monde » diffusée sur la chaîne Rossia 24