Yaroslav Fedortchouk (1878-1916) est un ukrainien né en 1878 dans la ville de Sniatyn, situé à cette époque dans l’empire austro-hongrois. Journaliste, il s’exile en 1902 à Genève puis à Paris où il préside, de 1908 à 1914, le  « Cercle des Oukrainiens » (sic) et écrit de nombreux articles sur la situation dans les territoires peuplés d’ukrainiens, publiés principalement dans l’hebdomadaire Le courrier européen.  Il meurt  en Suisse en 1916.

Dans son ouvrage le réveil national des Ukrainiens, publié en français à Paris en 1912, Yaroslav Fedortchouk évoque la situation des Ukrainiens en tant que peuple placé sous la tutelle des deux grands empires multinationaux de cette époque. Dans l’extrait ci-dessous, il évoque en particulier la répression qui sévit dans l’Empire russe (jusqu’à la révolution de 1905 qui amorce un tournant libéral) contre l’expression de la culture et de l’identité ukrainiennes. Cette oppression s’exerce en particulier contre la langue et la littérature en langue ukrainienne, et  que l’on peut mettre en parallèle avec la politique de russification mise en oeuvre dans les territoires polonais de l’Empire tsariste.

 


UkraineLa nation ukrainienne se répartit entre la Russie et l’Autriche-Hongrie de la façon suivante : 30 millions en Russie, 3 millions et demi en Galicie, 30 000 en Bukovine, un demi-million en Hongrie. Au total, le nombre des Ukrainiens est de 34 millions, répandus sur un vaste territoire qui s’étend des Carpathes, par le rivage septentrional de la mer Noire, jusqu’au bassin nord du Donetz. En langue officielle, les Ukrainiens de Russie sont dénommés Petit-Russiens, et ceux d’Autriche-Hongrie. Ruthènes. Cette énorme masse ethnographique que d’aucuns croient morte parce qu’assimilée par ses voisins, s’éveille, reprend conscience d’elle même, s’organise. Ses oppresseurs s’étonnent de voir leur butin leur échapper et redoublent d’effort pour endiguer davantage le mouvement ukrainien. […]

[…] En 1863, le gouvernement déclarait par une circulaire du ministre de l’intérieur, le comte Waloueff, que la  langue et la nationalité ukrainiennes n’avaient jamais existé et qu’elles n’existeraient jamais. Il allait même jusqu’à prétendre que l’ukrainien était une corruption de la langue russe. Tous les livres parus dans cette langue furent proscrits, non pas à cause de leur sujet et de leur contenu, mais simplement parce qu’ils étaient imprimés en ukrainien. On fit une petite exception pour les belles-lettres, mais pour le reste la censure sévissait avec une telle rigueur qu’aucun ouvrage ne pouvait plus paraître. Même les livres populaires et ceux à l’usage de la jeunesse étaient prohibés. En 1876, de nouvelles chaînes furent forgées pour la littérature ukrainienne. Par une ordonnance secréte, signée par Alexandre II à Ems, la nation ukrainienne fut privée de l’usage de sa langue que le gouvernement entendait faire disparaître, et elle fut prohibée jusque dans les théâtres, les concerts, et la musique même. Ce n’est qu’en 1881 que ces mesures de rigueur se mitigèrent quelque peu. L’importation des ouvrages écrits en ukrainien et publiés en Galicie était prohibée, la littérature et la langue considérées comme illégales. Aujourd’hui encore, les livres publiés à l’étranger en caractères russes sont grevés de l’impôt de 17 roubles par poud (16,36 kilos). Les ouvrages écrits en ukrainien et publiés en Galicie et qui entrent en Russie sont assimilés aux ouvrages russes. […]

Yaroslav Fedortchouk, Le réveil national des Ukrainiens, Paris,  1912, extrait