Prélude à la « Révolution de velours » en Tchécoslovaquie

Le mécontentement en Tchécoslovaquie en 1989

Mise en contexte :

2.12.1988 : V. Havel, dissident tchèque, publie dans Le Monde un article intitulé « Tchécoslovaquie, le masque et le visage ». Il y souligne l’aggravation de la répression dans son pays et le contraste avec l’évolution observée depuis peu dans les pays voisins (Hongrie, Pologne).
8-9.12.1988 : F. Mitterrand est en visite en Tchécoslovaquie et reçoit à l’ambassade de France à Prague V. Havel et quelques autres dissidents.
16.1.1989 : un rassemblement pacifique et un hommage à Jan Palach est violemment dispersé par la police place Venceslas à Prague. V. Havel est arrêté et inculpé le 10 février pour « provocation à actes criminels » et « obstruction à l’ordre public ».
21.2.1989 : V. Havel est condamné à neuf mois d’emprisonnement (le 21 mars, la peine est réduite en appel à huit mois).
24.2.1989 : dans Le Monde, F. Mitterrand lance un appel pour la libération du célèbre dissident.
17.5.1989 : V. Havel est libéré.
Après la « Révolution de velours » fin 1989, V. Havel deviendra président de son pays pour deux mandats successifs.


Déclaration de Václav Havel lors de son procès le 21 février 1989

« Madame le Juge,

Je me suis déjà expliqué suffisamment sur les principaux arguments de l’accusation, tant au cours de l’instruction que devant le tribunal. Je n’ai pas l’intention de me répéter et me bornerai donc à résumer ma position.

J’estime que l’on n’a produit aucun élément de preuve de nature à établir que j’ai troublé l’ordre public ou fait obstacle à l’action de fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Je me regarde donc comme innocent et demande ma libération. Je voudrais toutefois, en conclusion, dire quelques mots sur un aspect de cette affaire qui n’a pas été mentionné jusqu’ici. Selon l’accusation, j’ai « tenté de dissimuler le caractère anti-étatique et antisocialiste de la réunion projetée ». Cette déclaration, à l’appui de laquelle, on le notera, aucune preuve n’est apportée ni ne peut l’être, impute à mon action des motifs politiques. J’ai donc bien le droit de commenter les aspects politiques de l’ensemble de cette affaire.

En premier lieu, je ferai remarquer que les termes « antiétatique » et « antisocialiste » ont perdu depuis longtemps toute signification en tant que tels : ils ont été, au fil des années, utilisés arbitrairement, aux seules fins de calomnier les citoyens qui gênent le régime, quelle qu’en soit la raison. Ils n’ont aucun lien avec leurs opinions politiques réelles. Ils ont été appliqués à trois secrétaires généraux du parti communiste tchécoslovaque, Slansky (1), Husak (2) et Dubcek (3), à des moments divers de leur carrière. On les utilise aujourd’hui contre le mouvement de la Charte 77 et contre d’autres initiatives indépendantes venant des citoyens, pour une seule raison : le gouvernement désapprouve leurs activités et estime nécessaire de les discréditer d’une manière ou d’une autre. Comme on l’a vu, l’acte d’accusation me concernant a repris à son compte le même genre de diffamation politique.

Quel est donc le but politique réel de notre activité? La Charte 77 a été créée et continue à exister en tant que communauté informelle s’efforçant de recueillir systématiquement des informations sur le respect des droits de l’homme dans notre pays, y compris l’application des conventions internationales qui s’y rapportent et celle de notre propre Constitution, selon les cas. Depuis douze ans, la Charte 77 n’a cessé d’attirer l’attention des autorités sur la distance importante qui sépare leurs obligations juridiques et la pratique réelle de notre société. Depuis douze ans elle a mis en garde ses interlocuteurs contre des phénomènes inquiétants et des signes de crise. Elle a mis en lumière les violations des droits constitutionnels, les comportements arbitraires, l’incompétence des autorités ou le gâchis provoqué par elles. En agissant de la sorte, la Charte 77 exprime l’opinion d’une grande partie de notre société. Depuis douze ans nous n’avons cessé d’inviter les pouvoirs publics à prendre part à un dialogue sur ces sujets. Depuis douze ans les autorités de notre pays sont restées sourdes à notre campagne, se bornant à nous emprisonner ou à nous poursuivre.

Un fait demeure : le régime reconnaît aujourd’hui l’existence de bien des problèmes discutés par la Charte 77 il y a des années et qui auraient pu être résolus depuis longtemps, du moins si l’on nous avait écoutés.

La Charte 77 a toujours insisté sur le caractère non violent et juridique de son activité. Elle n’a jamais eu pour objectif de troubler l’ordre dans la rue. J’ai mis moi-même en relief à plusieurs reprises que le degré de respect accordé aux citoyens qui sont en désaccord avec les autorités et qui les critiquent sert à mesurer le respect envers l’opinion publique en général. J’ai plusieurs fois souligné que le mépris prolongé pour l’expression pacifique de l’opinion ne peut que conduire à des mouvements de protestation sociale publics et violents. J’ai dit et répété que nul ne sera gagnant si le gouvernement attend que les gens manifestent et se mettent en grève, et que l’on pourrait aisément l’éviter si les pouvoirs publics commencent à engager le dialogue et se montrent prêts à écouter les critiques. On n’a tenu aucun compte de ces avertissements, et l’on recueille aujourd’hui les fruits de la politique du mépris.

Je dois faire un aveu : le 16 janvier j’avais bien l’intention de quitter la place Wenceslas après avoir déposé une couronne à la mémoire de Jan Palach. Si je suis resté plus d’une heure, c’est surtout parce que je ne pouvais en croire mes yeux. Il est arrivé quelque chose que je n’aurais jamais cru possible. L’intervention tout à fait inutile de la police contre ceux qui voulaient, en silence et sans publicité, déposer des couronnes près de la statue a réussi en un instant à transformer un groupe de passants en une foule de protestataires.

J’ai alors compris, à voir ce qui se passait, la profondeur du mécontentement de mes concitoyens. Selon l’acte d’accusation, j’aurais dit à nos dirigeants politiques que la situation était grave. A la vérité, je leur ai dit qu’elle était plus grave qu’ils ne le pensaient. Le 16 janvier, j’ai compris qu’elle était plus grave que je ne le pensais moi-même.

En tant que citoyen qui souhaite une évolution pacifique de notre pays dans le calme, j’espère sincèrement que les pouvoirs publics comprendront enfin la leçon des événements et engageront un dialogue réel avec tous les secteurs de la société, en n’en excluant personne sous prétexte d’« antisocialisme ».

J’espère sincèrement que les pouvoirs publics cesseront d’agir comme ce laideron qui brisait le miroir, pour punir son image. C’est pourquoi je suis convaincu que je ne serai pas, une fois de plus, condamné sans motif. »

(1) Exécuté en 1952.
(2) Condamné à la réclusion perpétuelle en 1954.
(3) Exclu du parti communiste en 1969.

Extrait de V. HAVEL, Essais politiques, Paris, Calmann-Lévy, 1990, p. 251-255.


La chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989

« Nuit d’allégresse à Berlin »

« Un morceau du mur de Berlin est tombé cette nuit. Des milliers de Berlinois et d’Allemands de l’Est ont franchi, aux premières heures du vendredi 10 novembre, les divers points de passage entre les deux parties de la ville pour se rendre quelques heures à Berlin-Ouest, où leur arrivée a suscité une gigantesque fête dans le centre-ville et aux abords du mur.

Le conseil des ministres est-allemand avait annoncé, jeudi soir, que tout citoyen de RDA pourrait dorénavant emprunter les points de passage le long de la frontière interallemande et à Berlin (…). (…) [L]a police avait reçu l’ordre de laisser passer à partir de minuit toutes les personnes munies d’une carte d’identité à tous les points de passage entre les deux Berlins.

Annoncée en début de soirée (…) à l’issue d’une conférence de presse sur les travaux en cours du comité central du Parti communiste est-allemand [SED], la nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre des deux côtés du mur. Vers 23 heures, des petits groupes, beaucoup de jeunes surtout, ont commencé, côté Est, à converger vers les points de passage, histoire de tâter le terrain. Les grilles étaient encore fermées, mais les policiers de faction, avec une bonhomie qu’on ne leur connaissait pas, confirmaient que la frontière serait ouverte après minuit…

A l’heure prescrite, sur simple présentation du livret d’identité bleu, chacun pouvait franchir sans plus de formalité la ligne de démarcation. (…)

Débordés par le nombre, les policiers se contentaient de faire passer les gens par paquets, sans même, la plupart du temps, jeter un œil sur les documents. « Il faut bien qu’il y ait un peu de changement là aussi », s’exclamait un officier rigolard au Checkpoint [Charlie].

La plupart des gens ne comprenaient pas encore très bien ce qui leur arrivait, mais sans aucun doute, ils voulaient être là pour ne pas rater ce moment d’histoire. « La seule fois que je suis allée à Berlin, c’était avant le mur » , se souvenait une élégante dame (…).

A peine sorti des chicanes, on tombait sur des centaines d’autres Berlinois, ceux d’en face, venus fêter ces retrouvailles. (…) Il fallait se frayer un chemin à travers des dizaines de mains avides de toucher, de palper les arrivants. A la porte de Brandebourg, lieu de rencontre symbolique entre les deux Berlins, où l’Avenue Unter den Linden [à l’Est ] se prolonge par l’Avenue du 17 Juin [à l’Ouest] qui commémore le soulèvement de 1953 contre le régime communiste, des centaines de personnes s’étaient massées, là aussi, en attente.

Henri de Bresson, Le Monde (quotidien français) du 11 novembre 1989

Y La chute du mur de Berlin -vidéo