En Pologne, il a toujours existé une résistance de fait au régime totalitaire communiste. Le poids du catholicisme et d’une Eglise catholique structurée, une agriculture jamais collectivisée, des intellectuels contestataires et un fort sentiment national anti-russe rendaient les rapports du pouvoir avec la société civile plus difficile encore qu’ailleurs dans les pays de l’Est.
Suite aux accords d’Helsinki, un groupe d’intellectuels, le KOR (Comité de défense des ouvriers) apparut en 1976. En 1978, à la surprise générale, un cardinal polonais, Karol Wojtyla, devient pape sous le nom de Jean-Paul II. En juin 1979, son voyage en Pologne est un triomphe.
Durant l’été 1980, une vague de grèves ouvrières pour cause de hausse des prix surgit. Dans les chantiers navals de Gdansk, Lech Walesa devient un leader syndical. Un comité de grève inter-entreprises se créent et structurent des revendications sociales et politiques (droit de grève, réforme économique, libération des prisonniers politiques). Le pouvoir communiste se révèle vulnérable devant l’ampleur de la mobilisation populaire et, le 31 août 1980, il cède en signant les « accords de Gdansk » (existence légale de syndicats indépendants, droit de grève, droit à l’information). Solidarnosc (le syndicat Solidarité dont Lech Walesa est le président), créé en septembre 1980, gagne rapidement de l’importance (en juin 1981, il regroupe 9,5 millions de travailleurs pour une population totale de 35 millions d’habitants).
On craint une intervention soviétique sur l’air déjà vu de « Budapest 1956 » et « Prague 1968 ».
Jean-Paul II écrit à Brejnev en décembre 1980.
« A son excellence, M Leonid Brejnev Président du Soviet suprême de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (1)
Je me fais l’expression de l’inquiétude de l’Europe et de l’ensemble du monde à propos de la tension engendrée par les événements intérieurs survenus en Pologne au cours de ces derniers mois. La Pologne est un des pays signataires des accords d’Helsinki. Cette nation fut, en septembre 1939, la première victime d’une agression à l’origine de la terrible période de l’Occupation, qui durerait jusqu’en 1945. Pendant toute la seconde Guerre mondiale, les Polonais restèrent aux côtés des Alliés, se battant sur chacun des fronts de la bataille, et la rage destructrice de ce conflit coûta à la Pologne la perte de près de six millions de ses fils, soit un cinquième de sa population.
Ayant donc à l’esprit les divers motifs graves de préoccupation engendrés par la tension concernant la situation actuelle en Pologne, je vous demande de faire tout ce qui est en votre pouvoir afin que disparaisse ce qui constitue, selon l’opinion générale, les causes de cette préoccupation. Cela est indispensable à la détente en Europe et dans le monde. Un tel résultat ne peut être obtenu ma semble-t-il qu’en demeurant fidèle aux principes solennels des accords de Helsinki, qui définissent les critères régulant les relations entre les Etats. Et notamment en respectant les droits relatifs à la souveraineté, ainsi que le principe de non-intervention dans les affaires intérieures de chacun des Etats participants. Les événements qui se sont déroulés en Pologne ces derniers mois ont été provoqués par la nécessité inéluctable d’une reconstruction économique du pays, qui exige, en même temps, une reconstruction morale fondée sur l’engagement conscient, dans la solidarité, de toutes les forces de la société.
Je suis sûr que vous ferez tout votre possible pour dissiper la tension actuelle, afin que l’opinion publique soit rassurée au sujet d’un problème aussi délicat et urgent.
J’espère vivement que vous serez assez aimable pour accueillir et examiner avec attention ce que j’ai cru de mon devoir de vous exposer, en considérant que je ne suis inspiré que par les intérêts de la paix et de la compréhension entre les peuples.
JOHANNES PAULUS PP.II
Le Vatican
16 décembre 1980 »
(1) Lettre écrite en français, sur un papier crème frappé des armes personnelles de J.P II, publiée dans « La vie » en 1998
L’intervention soviétique n’eut pas lieu, probablement parce que le général polonais Jaruzelski à la tête d’un « Conseil militaire de salut national », proclama l’état de guerre (couvre-feu et arrestation des opposants) le 13 décembre 1981 et arrêta ainsi la libéralisation. Lech Walesa connut la prison pendant un an ; un levée partielle de la loi martiale eut lieu en décembre 1982.
La fin de la doctrine Brejnev (souveraineté limitée des pays de l’Est) annoncée par Gorbatchev entraîna des négociations entre le pouvoir et Solidarité, aboutissant aux élections de 1989 et à la nomination de Tadeusz Mazowiecki (intellectuel catholique, membre de Solidarité) premier ministre. Il s’agissait de la première nomination d’un chef de gouvernement non communiste dans le bloc de l’Est. En 1990, Lech Walesa devint le premier président d’une Pologne démocratique.