Coluche ou « l’histoire d’un mec » et de sa bande de copains qui décident de monter un gros gag en étant candidat à la présidentielle…

Michel Colucci dit « Coluche » est né le 28 octobre 1944 à Paris et vit dans le quartier de Montrouge. Après avoir exercé tout un tas de petits métiers (garçon de café, télégraphiste, fleuriste…), il décide à la fin des années 60 de se lancer dans la musique. Il fréquente le monde du cabaret et, en 1969, il fait partie des fondateurs du Café de la gare où finissent par se retrouver une bande de jeunes comédiens dont la plupart deviendront célèbres par la suite (Miou-Miou, Martin Lamotte, Patrick Dewaere, Gérard Jugnot …). Il les quitte pour incompatibilité d’humeur.

Au milieu des années 70, il se lance dans une carrière solo et joue, dès ses premiers sketches le rôle d’un urbain pauvre, raciste,  et grossier, dans un style inédit dans le milieu de l’humour de scène (mais jamais vulgaire selon ses termes !), manière pour lui de pointer du doigt et d’interroger la société, ses paradoxes et ses travers .

En parallèle, il débute une carrière radio à partir de 1978 et anime notamment sur Europe 1 l’émission On n’est pas là pour se faire engueuler,  coanimée avec Gérard Lanvin et Robert Willar. 

En janvier 1980, il passe sur RMC mais très rapidement (et très logiquement) il est remercié pour « incompatibilité d’humeur ». C’est à la suite de cet épisode et de la censure sous-jacente l’accompagnant, qu’il décide, sur la suggestion de son collaborateur Romain Goupil, de se présenter à la présidence de la République de 1981. Après quelques mois d’hésitations, Coluche tente le coup avec le soutien de ses amis proches et de l’équipe de Charlie hebdo. C’est ainsi qu’il annonce sa candidature par un communiqué le au théâtre du Gymnase, où il donnait auparavant ses spectacles, qu’il continue en parallèle. Le bouffon devient une personnalité politique de premier plan. L’idée n’est pas une nouveauté : avant lui, Pierre Dac avait tenté de se présenter en 1965. 

Le lendemain, Coluche est l’invité du journal d’Antenne 2 midi assuré par Daniel Bilalian et la séquence intitulée le crible d’Antenne 2 présenté par Daniel Grandclément. L’humoriste, vient exposer les motivations qui l’ont poussé à se présenter à la présidentielle. En voici la retranscription.


 

– Alors, est-ce qu’aujourd’hui vous vous prenez au sérieux ?

– Ah ben, c’est surtout vous qui prenez ça au sérieux puisque vous m’invitez. D’ailleurs je vous en remercie. Mais effectivement ma candidature …

– Vous venez pour vous expliquer

– Oui, oui, je sais c’est l’endroit où vous parlez vite pour qu’on n’ait pas le temps de parler mais je vais m’habituer parce que je l’ai déjà vu l’émission. Euuuh … ma candidature est très sérieuse dans la mesure où j’ai plus de chances d’avoir des voix que les autres candidats qui se présentent, quoi ! tout simplement ! y’a plus de gens qui sont censés adhérer à mon …

– À votre quoi ?

– À mon programme, enfin à mon cahier des charges et de revendications que les autres …

– C’est quoi votre cahier de revendications ?

– Ben, par exemple y’a plus … y’a à peu près 14% d’absentionnistes en France, si on compte les gens qui ne s’inscrivent pas. Or, au dernier sondage, par exemple Michel Debré il aurait 8%. Donc, il est très, très loin derrière.

– C’est très facile ça, très facile, à la limite n’importe quel candidat peut réclamer les mêmes voix que vous.

-Oui, mais d’accord mais personne ne le fait, c’est ça le problème ! C’est justement, les types pour qui je me présente, ils n’existent pas en politique. C’est-à-dire que tout le monde les prend pour « rien », quoi ! Et simplement, ce que je leur propose c’est de renvoyer le compliment aux hommes politiques.

-Très bien …

-Montrer qu’ils sont nombreux et qu’ils existent de manière à renvoyer le compliment : « C’est vous qui ne valez rien ». Vous croyez que les gens qui gouvernent n’ont que la répression comme moyen d’expression ? Eh ben, vous avez raison et c’est bien ce contre quoi je lutte. Et justement je ne suis pas d’accord qu’ils nous emmerdent avec des lois antidémocratiques alors qu’ils clament partout qu’on est dans une démocratie. C’est-à-dire que les mecs à qui je réclame de voter pour moi, n’ont jamais voté. Comme moi d’ailleurs ! Moi j’ai voté une fois quand j’ai eu ma carte parce que je voulais voir si c’était utile. Et puis je me suis aperçu que j’avais voté pour rien. Il y a des mecs qui ont voté pendant 30 ans pour rien. Il y a effectivement tout un tas de mecs qui sont Français et qui sont pas concernés par la politique, que la politique prend vraiment pour zéro et  et … qui existent.  Donc tout le monde a des problèmes qui sont différents. Ces mecs-là ont des revendications et personne ne s’en occupe. Personne, personne, personne hein ! Il y en a qui font des promesses, d’autres qui donnent des espoirs et à la fin du compte on n’a rien ! On n’a rien, rien …

-Je vous remercie

-Hé bien, je vous en prie !

Coluche sur scène – Mars 1981
La candidature de Coluche est résumée en parallèle dans cette affiche éditée au même moment par Charlie hebdo et qui rappelle celle de l’appel du 18 juin

J’appelle les fainéants, les crasseux, les drogués, les alcooliques, les pédés, les femmes, les parasites, les jeunes, les vieux, les artistes, les taulards, les gouines, les apprentis, les Noirs, les piétons, les Arabes, les Français, les chevelus, les fous, les travestis, les anciens communistes, les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour moi, à s’inscrire dans leurs mairies et à colporter la nouvelle.
Tous ensemble pour leur foutre au cul avec Coluche.
Le seul candidat qui n’a aucune raison de vous mentir

 

 

Bibliographie indicative :

-M. Duret-Pujol (dir.), Comique et Politique chez les Modernes et les Anciens, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 2017, Les Cahiers d’Artes n°13