[…] A la fin des années 70, Serge Bernstein, Robert Frank, Nicole Racine, par exemple, interrogent à la demande de l’I.N.A., pour des “archives volontaires” et pour des émissions spécifiques, respectivement Edgar Faure, Gaston Palewski et Jean Cassou. Plus tard, d’autres entrent dans ce champ ouvert.
Dans la mouvance des Annales, d’autres part, plusieurs découvrent sans déplaisir les charmes du petit écran. Bernard Pivot contribue, avec sa célèbre émission littéraire Apostrophes, à diffuser ce qu’on appelle volontiers à l’époque la “nouvelle histoire” et il donne à connaître l’éventail élargi des curiosités de celle-ci. Jacques Le Goff, Emmanuel Le Roy Ladurie, Georges Duby trouvent l’occasion bienvenue de conquérir pour leurs ouvrages un public agrandi. Fernand Braudel, le pape vieillissant et impérieux de l’école, ne dédaigne pas lui-même de se faire interviewer longuement devant une caméra: dès cet instant, l’écran qu’il habite cesse, à ces yeux et à ceux de ses épigones, d’être méprisable…
L’étape suivante est celle où l’historien “scientifique” se jette lui-même dans la création documentaire, en débordant du simple rôle de conseiller où on l’a d’abord confiné. A l’initiative et avec la complicité de Roger Stéphane, Georges Duby se fait l’auteur d’une série de six émissions prestigieuses consacrées au Temps des cathédrales; il y intervient personnellement, maître inspiré et limpide.
Marc Ferro, pionnier d’une histoire du cinéma réintégrée dans l’histoire “générale”, avait collaboré en 1963 au film que Jean Sainteny, ministre des Anciens Combattants, avait commandé à Pierre Renouvin et Henri Michel pour le cinquantième anniversaire de la Première Guerre mondiale sous le titre Trente Ans d’histoire. A présent, il vole de ses propres ailes. Et ses documentaires le désignent pour animer, à partir de 1989, sur la nouvelle chaîne câblée Arte, l’émission Histoires parallèles dont le principe consiste à diffuser des “actualités cinématographiques” des différents pays belligérants, cinquante ans plus tard, en les faisant commenter par un spécialiste de l’époque. Le succès en est significatif et encourageant. Car il ne s’agit plus d’un récit illustré sur le temps passé, mais d’une réflexion sur les sources autant que sur les événements, bref de cette “histoire-problème” que trop d’esprits chagrins avaient crue par nature interdite de séjour à la télévision.
Pour que la relève soit assurée, il importe de former une nouvelle génération à la critique des images, à partir d”une réflexion sur la télévision comme source, comme actrice, et aussi comme diseuse d’histoire à son tour.”
J.N. Jeanneney: “Comment l’histoire a conquis la télévision” in L’histoire n° 220, avril 1998, p.121-122