FÊTE DE LA DÉDICACE DE L’ÉGLISE SAINT JACQUES DE METZ (1513)
Les fêtes, au Moyen-âge, ne servaient pas qu’à s’amuser, mais aussi à exposer sa richesse. Philippe de Vigneulles, marchand de draps à Metz (1471-1528) nous décrit, dans son Journal, une fête qu’il organisa en 1513 pour la dédicace de l’Église Saint-Jacques, en plein coeur de Metz. Le faste qu’il déploya lors de cette fête nous montre bien la richesse sur laquelle pouvait compter la bourgeoisie messine au Moyen-âge :
Le dimanche, dernier jour de jullet, l’an dessus dit V.C et XIII en celui jour estoit la dédicaice de l’église pairochialle de st Jaicque à Mets; auquel jour fut faicte une belle feste par les voisins de la pierre bourderesse de derrière st Salvour, dont les noms s’en ensuient. Et premier entre yceulx y avoit ung notauble homme viez et eaigié de IIII. xx ans, nommé Mairtin, clerc des sept de la guerre lequel dansait au dit jour plusieurs danses. Aprez pour le second y avoit maistre Thiébault Mineti, chainoigne de la grant église et doien et chainoigne de st Salvour et curé de ste Segolline; tiercement en estoit messir Nicolle, curé d’Allamon et choinoigne de st Salvour; maistre François Colligny, procureur de la cour, Jaicomin Daiton, homme aissez eaigié, Pierre le chapellier, aissez eaigié, François Michellet, Jacomin Chappair, hoste de la teste d’or, Pieron, l’hoste de la cour st Mairtin, Pierre le bairber, Hannez le bairbier, Hainsellin l’artillier, Pierre le moutairdier, Michiel Regnault le couturier, maistre Pierre majester de st Salvour, Jehan l’ecripvain, Simon le mairlier, François Chawe le mairchand, Therei le menuxier, maistre Martignon, maistre Petit jehan chairpentier de la ville et de la grant église et moy Philippe de Vigneulle le mairchand, lequel fus inventeur de ceste feste.
Et fut mise sus et ordonnée celle dite feste chiez moy et fut la plus belle feste, que jamais homme vivant avoit veu faire en Mets entre citains et bourgeois et là où il y olt plus de dansans pour une danse; car à la première danse et à plusieurs aultres du dit jour y fut compré plus de V.C et l personnes, qui dansoient, sans les regairdans, qui tant en y avoit, que l’on ne se powoit tourner. Et duroit la danse depuis la cour st Mairtin jusques au près la maixon du dit Mairtin des sept, prez de la maixon messire Thiébault le Gournaix ou à peu prez par telles fois fut, et de l’aultre partie depuis assez près de la teste d’or jusques près de la maixon le maistre d’ostel de Gouxe; en laquelle danse dansoient jonnes et vieulx, hommes et femmes, souverainement ceulx, qui estoient de la feste. Et pour vous avertir aulcunement de la magnificence d’icelle feste les dessus dits nommés firent faire ung biaulx rain, l’ung des biaulx, que jamaix fut fait en Mets, et fut fait de trois pièces de bois, l’une en son l’aultre, et le fist le dit maistre Petit Jehan, chairpentier de la cité, et fut planté tout au plus prez de la dite pierre bourderesse de derrière st Salvour et fut ycelluy maye et rains tant bien fait et corongné, que merveille, et au bout d’icellui ung biaulx grant pennon, bien lairge, fait de blanc-fer, là où estoit l’imaige de st Jaicque et de st Cristofle, et fut essus sus une grande verge de fer et tournoit à vent. Le dit rains estoit bien pairé de mayes, doubliés de voirs pleins de vin et le hors pour les menestriers autour d’iceluy, et tout en droit la dite pierre estoit fait et pairé de belle tapisseries et fut toute la dite plaice et la rue aussy faictes de biaulx grants mayes et chairgiés de gaillettes et oblies, et furent faictes quaitre belle pourtes d’iceulx mayes ès quaitre croixiées des quaitre rues.
Le samedy, vigile d’icelle feste, furent faictes par maistre François Colligney, recepvoir de l’airgent d’icelle feste, autant de cédules pareilles comme ils estoient de gens et en chacune avoit escript le nom d’ung des dits compaignons et furent les dites cédules toutes boutées en ung chaipiaulx et melées ensemble et les fist-on tirer par ung enfant. Et le premier nom, qui venoit, celui devoit estre le roy de la feste et devoit avoit la première danse et les aultres en suivant ainsy, que l’enfant les tiroit l’ung aprez l’aultre; et fut tiré mon nom Philippe de Vigneulles le premier et fus roy. Nous avions chacun et chacune une enseigne tout pareille, homme et femme, argentée là où il y avoit une couquille et ung bourdon en peinture en une tairge; mais l’enseigne du roy et royne estoient courongnée. Nous avions les menestriers et couple de la ville, lesquels juairent de leurs instrumens à l’offertoire de la grant messe de st Jaicque et fut le roy le premier à l’offrande avec son enseigne et tous les aultres aprez ainsy, que leurs dames, venoient selon le role et les femmes pareillement avec leurs enseignes, la royne la première et les aultres aprez.
La feste de boire et de mangier estoit en l’ostel seigneur Jehan Boullay, au dessoubz de la teste d’or, et après le diner sortirent dehors avec leurs enseignes et chaipelets dorés hommes et femmes, et ailloit le doien de la pierre bourderesse devant, pour faire faire plaice et avec luy deux jonnes galans pour danser et pour brisier les van devant et pour rompre la presse chacun avec ung billus en la main. Les IIII menestriers ailloient aprez yceulx, cornant devant le roy, lequel roy tenoit la royne par le bras et avoit chacun la siegne; et olt le roy, comme dit est, la première danse, en laquelle se mirent les ungs aprez les aultres comme le role de disoit et y avoit sy grant presse, comme j’ay dit devant, que merveille, et ainsy fut dansé jusques à la mairande et puis aprez ce, que l’on eust mairandé, on retournait aux danses et olt le roy de rechief la première danse et aprez le souper la première danse aussy. Et jay ce que le bon vin se vendoit pour celle année à xij deniers la quarte, ne laissèrent les compagnons à faire la bonne chière et durait la feste IIII jours tout entiers, ayant les danses tous les jours avec les quaitre menetriers et faire la bonne chière, hommes et femmes au diner, à la mairande et au souper.
Et en yceulx jours le roy avoit tousjour la première danse et furent en yceulx jours faits plusieurs esbaitemens tant en ce, que l’on fut quérir les mayes hors des pourtes avec le tambourin de Suisse, comme en morisques et aultres choses; car en yceulx jour furent renowellés les drois de la mairie de la pier bourderesse, par le jour de st Estienne premier martir iij jour d’awost, et reconformés de nowiaulx; lesquels drois et mairie fuent premier ordonnés et institués l’an mil II. C et trois ans comme la date d’iceux le mest et pourceque à celle dite feste la mairie estoit waicquante et n’y avoit point de maire, l’on fist faire une semonte par Wiriat, doien d’icelle mairie, tant à ceulx, qui estoient de la dite feste, comme à ceulx, qui point n’en estoient et qui estoient de la dite mairie. Et fut esleus par la voix de tous le dit Philippe de Vigneulle pour leur maire et prinrent le serment de lui Mairtin des sept, clerc juré de la dite mairie, et Pierre, le chaipellier, et Hannez, le bairbier, eschevins d’icelle mairie; et le dit maire print le serment de Wiriat, le doien, et fut ce fait le dit jour durant la feste. Aussy durant ycelle feste fuent touts menés en l’étewe homme et femmes, avec le tambourin de Suisse allant et venant, et moy Philippe, roy et maire d’icelle feste, paiais l’atuwée pour tous, hommes et femmes, menestriers et servans et en fus à ung escu d’or. Dieu en soit lowé. »
Source : Ce texte est extrait des mémoires de Philippe de Vigneulles, publiées au XIXème siècle par Henri MICHELANT, sous le titre « Gedenkbuch des Metzer Burgers Philippe von Vigneulles aus den Jahren 1471 bis 1522, Bibliothek des literarischen Vereins », Stuttgart, 1852, Slatkine reprints 1962 , pp. 247-250.
Auteur : Jean-Francois BLAIS alvb@sympatico.ca