Discours de l’empereur d’ Allemagne (Berlin, 4 août [1914])
L’empereur a ouvert mardi la session extraordinaire du Reichstag devant une salle comble. Il a prononcé un discours du trône où il est dit entre autres :
« Le monde est témoin de l’ardeur avec laquelle, au cours de ces dernières années, nous avons cherché à épargner aux peuples d’Europe une guerre entre grandes puissances. Le danger provoqué par les guerres des Balkans semblait écarté lorsque par l’assassinat de mon ami, l’archiduc François-Ferdinand, l’abîme se rouvrit.
Mon auguste allié, l’empereur François-Joseph, s’est vu dans la nécessité d’en appeler aux armes pour défendre la sécurité de son empire contre les menées dangereuses d’un État voisin(1), mais la Russie se mit au travers de l’accomplissement du devoir de la monarchie alliée qui était de défendre ses intérêts légitimes. Ce n’est pas seulement notre devoir qui nous a appelés aux côtés de l’Autriche-Hongrie, nous avons la grande tâche de protéger contre l’attaque de forces étrangères l’ancienne communauté de culture des deux empires, ainsi que notre propre position.
C’est le cœur serré que j’ai dû mobiliser mon armée contre un voisin(2) avec les armées duquel les nôtres ont si souvent combattu en commun et c’est avec une douleur sincère que j’ai vu se briser une amitié à laquelle l’Allemagne s’efforçait de rester fidèle.
Le gouvernement impérial de Russie, cédant à la poussée d’un infatigable nationalisme, est intervenu en faveur d’un État qui, en favorisant des menées criminelles, a provoqué la présente guerre. Trop souvent nos efforts pour rendre plus amicales nos relations avec la France se sont heurtés à de vieilles espérances et à de vieilles rancunes.
Nous ne sommes donc pas surpris de voir la République française aux côtés de nos ennemis. La situation actuelle ne ressort pas de conflit d’intérêts momentanés ou de constellations diplomatiques, elle est le résultat de la malveillance qui se fait jour depuis de nombreuses années à l’égard de la puissance et de la prospérité de l’empire allemand. Nous ne sommes pas avides de conquêtes mais nous avons la volonté inébranlable de conserver la place que Dieu nous a donnée pour nous et toutes les générations à venir. Mon gouvernement et avant tout mon chancelier se sont efforcés jusqu’au dernier moment d’éviter cette douloureuse extrémité. Nous saisissons l’épée pour nous défendre avec la conscience tranquille et les mains pures. Mon appel s’adresse à tous les peuples allemands pour que nous unissions nos forces à celles de notre alliée, afin de défendre ce que nous avons élaboré en commun. Fidèles à l’exemple de nos pères, graves et nobles, humbles devant Dieu et vaillants devant l’ennemi, nous nous confions au Tout Puissant pour qu’il nous assiste dans notre devoir de défense et soit favorable à nos armes.
Vous avez lu, Messieurs, ce que j’ai dit à mon peuple du balcon du palais. Je le répète, je ne connais plus de parti, je ne connais que des Allemands. (Appl[audissements] frénétiques) et comme signe de votre résolution d’être unis sans distraction de parti, de situation ou de confession pour me suivre partout, dans la détresse et dans la mort, j’invite les chefs de parti à s’approcher et à me le promettre en touchant ma main. »
L’allocution du chancelier [allemand]
Le chancelier de l’empire prononce les paroles suivantes :
« Un malheur épouvantable menace l’Europe. Depuis 44 ans(2), nous jouissions de la paix pour laquelle nous voulions continuer à travailler. De l’empereur au plus jeune soldat chacun a fait le vœu de ne tirer l’épée que pour une cause juste. (Vifs appl.) La Russie a allumé la torche incendiaire. (Appl..frénétiques.)
Nous avons fait savoir à l’Angleterre qu’aussi longtemps que cette puissance conserverait sa neutralité, notre flotte n’attaquerait pas la côte nord de la France et nous ne porterions pas atteinte à la neutralité et à l’intégrité de la Belgique. Nous avons ajouté que si l’Angleterre restait neutre, nous nous déclarerions prêts, sous réserve de réciprocité, à ne pas entreprendre d’action agressive contre la marine marchande française (Vifs applaudissements). Je répète les mots de l’empereur : C’est avec la conscience tranquille que l’Allemagne va au combat. (Mouvements, approbations, applaudissements). Nous combattons pour le résultat de notre travail pacifique, pour l’héritage de notre grand passé et pour notre avenir. L’heure tragique et définitive a sonné, mais nous la voyons venir avec confiance. (Approbations unanimes). Notre armée est au camp, notre flotte est prête et derrière elle est tout le peuple allemand. (Applaudissements frénétiques et prolongés).
Le peuple allemand tout entier est uni et connaît son devoir.
Le projet de loi qui vous est soumis n’a pas besoin d’être motivé. Nous vous prions de le voter rapidement. » (Applaudissements sans fin.)
Le chancelier mentionne ensuite les faits isolés contenus dans le Livre blanc et qui justifient l’attitude de l’Allemagne. Il continue en ces termes :
« Devions-nous attendre patiemment le moment choisi par les puissances qui nous enserrent pour mettre le feu aux poudres ? (Vifs applaudissements. Non ! Non !). Il eût été criminel d’exposer l’Allemagne à un tel danger. (Applaudissements unanimes enthousiastes).
Nos troupes ont gardé tout d’abord une attitude défensive. C’est la vérité. Nous sommes en état de légitime défense. Nécessité ne connaît pas de loi. Nos troupes ont occupé le Luxembourg et peut-être déjà la Belgique. (Mouvements, applaudissements).
Cela est contraire au droit des gens, mais nous savons que la France était prête à l’attaque et une attaque de notre aile gauche sur le Rhin inférieur eût pu nous être fatale. C’est ainsi que nous avons dû passer outre aux protestations justifiées du Luxembourg et de la Belgique. Nous réparerons ce tort dès que nous aurons atteint notre but. (Vifs applaudissements.) Lorsqu’on est menacé comme nous le sommes et lorsqu’on combat, comme nous, pour le bien suprême, on s’en tire comme on peut. (Mouvements prolongés, applaudissements frénétiques et répétés.)
Le président de l’assemblée dit ensuite : « L’enthousiasme qui secoue le pays prouva que le peuple allemand est aujourd’hui décidé à tout sacrifier pour son honneur. Aujourd’hui, tous ceux qui étaient contre la guerre se trouvent à nos côtés et vont sous les drapeaux. (Appl.)Le peuple entier prend les armes, conscient de sa force et avec la volonté de vaincre. »
Après quelques paroles du député Haase, socialiste, le Reichstag adopte à l’unanimité et sans discussion les projets de loi qui lui sont soumis. Il ratifie, au milieu des applaudissements frénétiques, des crédits de guerre jusqu’à concurrence de cinq milliards.
Pendant le hourra à l’empereur des partis bourgeois, les socialistes se sont également levés. […]
Gazette de Lausanne, 5 août 1914, numérisée sur http://www.letempsarchives.ch
(1) est ici visée la Serbie, alliée de la Russie
(2) à l’époque, Russie et Allemagne ont des frontières communes
clio-texte/1914- la déclaration de guerre