Le premier débat télévisé Jack (John) F. Kennedy – Richard Nixon, en septembre 1960
Dans le cadre de la campagne pour l’élection présidentielle américaine de 1960, les candidats J.F. Kennedy et Richard Nixon s’affrontent dans le premier débat télévisé de l’histoire politique américaine. Edward (Ted) Kennedy relate les coulisses de l’événement dans ses Mémoires.
« Les débats commencèrent le 26 septembre dans les studios de CBS à Chicago. C’est le légendaire procureur Don Hewitt qui dirigeait l’émission. Jack s’était prépraré comme pour chacune de ses interventions : assis sur son lit d’hôtel, des disques de Peggy Lee en fond sonore, bombardé de questions pièges par son équipe sur les sujets du jour. Le premier débat traiterait de la politique intérieure. Jack tenait une pile de fiches où se trouvaient notés faits et chiffres sur tous les thèmes imaginables. Quand il pensait maîtriser le thème de la fiche, il la jetait en l’air et la regardait tomber en virevoltant.
À l’hôtel, ce premier soir, lorsqu’il revêtit son costume sombre et noua sa cravate, il confia à Dave Powers qu’il se sentait comme un « boxeur professionnel qui monte sur le ring au Madison Square Garden ». Dave lui répondit : « Non, pense plutôt au premier lanceur des World Series de baseball : il faut que tu remportes quatre victoires d’affilée. »
Dans la voiture qui l’emmenait au studio, Jack semblait songeur. Autour de lui, on sentait la pression monter. Dans les studios de CBS, un technicien observa sa chemise blanche amidonnée et lui expliqua qu’elle brillerait trop sous les projecteurs. Jack renvoya Powers à l’hôtel avec pour mission de lui rapporter une chemise bleue. Il se changea ensuite dans les loges.
Nixon arriva à son tour, manifestement bien plus nerveux que Jack. Il portait un costume de couleur claire qui semblait accentuer sa barbe d’une journée. Don Hewitt conseilla aux candidats de se faire maquiller. Ils refusèrent tous les deux. Jack, qui s’était moqué de Hubert Humphrey parce qu’il l’avait vu se maquiller dans le Wisconsin, assura qu’il n’entrerait pas dans la salle de maquillage à moins de voir Nixon y aller le premier. Nixon refusa, sauf si on pouvait témoigner que Kennedy y passait aussi.
Nixon resta donc à l’extérieur de la salle et fit confiance à son maquillage compact « Lazy shave » pour masque son poil dru. Jack fit de même. Enfin, plus ou moins. Il se réfugia dans sa loge et s’assit. Son assistant Bill Wilson lui passa un peu de fond de teint bon marché sur les joues et le front pour absorber la transpiration.
Ted Sorensen et Bobby traînèrent encore un peu dans la loge qu’ils quittèrent quelques minutes avant l’antenne. Bobby donna un ultime conseil à Jack : « Frappe-le sous la ceinture. »
Jack s’en abstint ; mais il était déjà entré dans la tête de Nixon bien avant le moment où Howard K. Smith, le modérateur, salua les téléspectateurs de tout le pays. Jack feinta Nixon : il obligea le vice-président à se présenter le premier sur le plateau et à transpirer plusieurs minutes, tout seul, assis sous les projecteurs. À peine moins de soixante secondes avant l’antenne, on se demandait encore où se trouvait mon frère. Il était aux toilettes. Sans se presser, il rejoignit l’estrade quinze secondes avant l’antenne, s’assit très calmement sur son fauteuil et jeta un regard placide sur le plateau. Nixon le dévisagea, l’air mal à l’aise. Wilson confia plus tard qu’il avait pris conscience que JFK avait « fait craquer » Nixon avant même le début des échanges.
Les thèmes traités pendant le débat n’ont sans doute plus la même important de nos jours, mais des universitaires étudient encore la transition que ces entretiens représentent dans l’histoire de la télévision. Mon frère traita la caméra (et, par extension, chacun des soixante-dix millions de téléspectateurs) comme un ami intime ; il regardait l’objectif quand il parlait. Pendant les interventions de Nixon, il prenait des notes calmement. Quant au vice-président, ses yeux passaient fébrilement de la caméra à Smith et de Jack à ses propres fiches, ce qui accentuait l’impression de nervosité qui émanait de sa personne. Lorsque Jack répondait, Nixon fronçait les sourcils et jetait des regards en coin à la caméra.
Richard J. Daley n’eut besoin de personne pour savoir qui avait gagné ce premier débat. Tandis que s’éteignaient les lumières du studio, le maire de Chicago se rua hors de la pièce où il avait assisté à l’émission pour féliciter mon frère dans les loges. Il s’agissait du premier signe de notre victoire. »
Edward M. Kennedy, Mémoires. Paris, Albin Miuchel, 2010, pp.194-197
Les sondages confirment le témoignage de Ted Kennedy. Jack remporta aussi le deuxième et le quatrième débat, alors que Nixon ne devança le futur vainqueur de la présidentielle de 1960 que dans le troisième.