La société d’Ancien Régime est une société d’ordres. Mais comment définit-on un noble ?

Pour répondre à la question, nous pouvons nous  reporter à l’oeuvre de Robert-Joseph Pothier. Né le 


Extrait n°1 : noblesse de race et noblesse de concession

[…] La noblesse, considérée comme le second ordre de l’État, comprend tous les nobles du royaume ; mais si on la considère comme une qualité distinctive de plusieurs personnes, elle peut se définir un titre d’honneur qui donne à ceux qui en sont revêtus plusieurs privilèges et exemptions.

On distingue deux sortes de noblesse ; celle de race et celle de concession.

ARTICLE PREMIER.

De la noblesse de race.

La noblesse de race est celle, dont on ne connaît pas l’origine, ou, comme le dit Loiseau, dont on ne peut coter le commencement. Les actes de possession suffisent pour la prouver. Suivant le règlement des tailles de 1500, la possession du père et de l’aïeul est regardée comme suffisante. La déclaration de 1664 exigeait que l’on rapportât des preuves de cette possession depuis 1550. Cependant aujourd’hui il suffit de rapporter des extraits baptistaires, des contrats de mariage, des partages et autres actes de familles, dont les dates remontent au-delà de cent ans, et qui justifient que, depuis ce temps, les ancêtres ont vécu noblement et ont été qualifiés comme tels. Si néanmoins il y avait preuve contre celui qui avance cette possession de cent ans, qu’il a eu, avant ce temps, des ancêtres roturiers, il ne serait pas noble. La noblesse est imprescriptible, et ce qui est imprescriptible ne peut s’acquérir que par les voies de droit. La raison de ce que la noblesse n’est pas sujette à la prescription, est que ses effets sont de donner à ceux qui en sont décorés l’exemption de plusieurs charges ; et, en cela, elle est contraire à l’intérêt primitif de l’Etat, qui demande que tous les membres en supportent également les charges. Si donc quelques personnes sont exemptes de ces charges, ce ne peut être que par privilège : or tout privilège demande une concession expresse, et ne peut jamais s’acquérir par prescription.

La preuve de la possession immémoriale de la noblesse doit renfermer, de la part de celui qui annonce cette possession, deux choses, savoir, sa filiation et la possession de ses ancêtres. […]

ARTICLE II.
De la noblesse de concession.

La noblesse de concession est celle qui est accordée par le roi.
Lui seul peut la donner. Les concessions , qu’il en fait, sont ou générales ou particulières.
Les concessions générales sont celles, qui ont lieu en faveur de tous les descend ans mâles de tous ceux qui ont été pourvus de certains offices auxquels elle est attachée. La noblesse est attachée à quelques-uns de ces offices au premier degré : il suffit que le père les ait possédés pour que le fils soit noble.

[…]

Outre les différens offices de justice et de finance, auxquels nos rois ont attaché la noblesse, il y a aussi plusieurs offices municipaux, qui, dans certaines villes, confèrent la noblesse à ceux qui les obtiennent. On peut voir dans le Dictionnaire des arrêts, sur le mot Noblesse, les différentes villes où les maires et échevins acquièrent la noblesse par une concession particulière de nos rois.

Nous observerons cependant que, dans plusieurs de ces villes, il n’y a que la mairie qui confère la noblesse. […] Par une concession générale du prince, la noblesse s’acquiert encore par le service militaire.

Ce n’est que depuis très peu d’années que le service militaire confère la noblesse. Louis XV, voulant récompenser ceux de nos militaires, qui avaient défendu l’État, avec tant de zèle et de courage pendant la guerre, ne s’est pas contenté, ainsi que les rois ses prédécesseurs, de leur donner des marques de sa reconnaissance par des honneurs et par des pensions, il a porté sa générosité plus loin. Considérant que ces honneurs et ces bienfaits leur étaient personnels et s’éteignaient avec eux, il a voulu les honorer par des distinctions plus durables, et qu’ils pussent transmettre à leur postérité. Il a donné un édit au mois de novembre 1750, portant création d’une noblesse, qui peut s’acquérir par les armes, sans qu’il soit besoin de lettres d’anoblissement. Cet édit ne confère pas la noblesse à tous ceux qui font la profession des armes ; il distingue les officiers d’avec les simples soldats.

Extraits pages 5-9

Extrait n° 2 : femme et noblesse

La noblesse, soit de race, soit de concession, est, par sa nature transmissible, mais elle ne se transmet que par mâles, et par légitime mariage.

1° Elle ne se transmet que par mâles. C’est en effet une règle certaine en droit, que les enfans suivent la famille du père. Les filles nobles jouissent, à la vérité, de la noblesse de leur père, mais elles sont incapables de la transmette à leurs enfans. Les filles nobles perdaient même autrefois leur noblesse en épousant un roturier. (Loiseau, chap. 5, n. 65) ; mais aujourd’hui leur noblesse n’est qu’en suspens pendant leur mariage ; elles rentrent, après la mort de leur mari, dans tous les droits que leur donnait leur naissance. Il faut cependant qu’elles déclarent qu’elles veulent vivre noblement.

De même qu’une fille noble, qui a épousé un roturier, perd sa noblesse ou du moins n’en peut tirer avantage durant son mariage, de même la femme roturière, qui a épousé un noble, jouit de tous les avantages de la noblesse, non seulement pendant son mariage, mais encore pendant son veuvage, et jusqu’à ce qu’elle passe à de secondes noces. Cette règle souffre néanmoins exception à l’égard de la femme serve, qui n’est pas anoblie par son mariage avec un noble. (Loisel, règle 81, tit. 1, 1. 1. )

il y avait quelques Coutumes, où la noblesse se transmettait tant par mâles que par femmes ; de sorte que, pour être noble , Il suffisait d’être né d’un père ou d’une mère noble. Telles sont les Coutumes de Troyes, Sens, Meaux, Chaumont et Vitry ; mais il a été jugé, par plusieurs arrêts, que cette noblesse n’étant établie que par la Coutume, elle ne pouvait avoir que des effets coutumiers, sans qu’on pût s’en servir pour l’exemption des tailles ou de tous autres droits semblables. (Arrêt de la cour des aides de 1566.) Il paraît même difficile à comprendre comment cette noblesse, ne produisant aucuns des effets ordinaires, peut encore être distinguée lorsqu’il s’agit du partage des successions, ou autres cas semblables où cette noblesse peut être de quelque utilité.

Charles VII, pour récompense des services de Jeanne d’Arc, connue sous le nom de Pucelle d’Orléans, l’avait anoblie, elle et ses deux frères et leurs descendans, tant par mâles que par femmes ; mais ce privilège a été restreint dans le dernier siècle, sur les conclusions du procureur-général, et la noblesse ne se transmet plus dans cette famille que par les mâles; suivant le droit commun. (Edit de 1614.)

Quoique la noblesse ne se transmette que par mâles, et qu’il ne puisse y avoir de noblesse du côté de la mère, il faut cependant avouer que la noblesse de celui, qui est né de père et de mère nobles, est plus pure ; aussi y a-t-il certains cas où l’on requiert la noblesse, tant du côté du père que du côté de la mère.

Extraits pages 13-14

Extrait n°3 : la question des bâtards

2° La noblesse ne se transmet qu’en légitime mariage. Il est vrai que, selon nos anciens usages, le bâtard avoué retenait le nom et les armes de son père ; mais Henri IV a aboli cet usage ; il a défendu, par l’art. 26 du réglement de 1600, aux bâtards, encore qu’ils fussent issus de pères nobles, de s’attribuer le titre et la qualité de gentilshommes, s’ils n’obtiennent des lettres d’anoblissement, fondées sur leur propre mérite ou sur les services de leurs pères ; et même le bâtard d’un gentilhomme, qui obtiendrait du prince des lettres de légitimation , n’acquerrait pas pour cela la noblesse, à moins qu’il n’y eût fait insérer la clause d’anoblissement ; cela est fondé sur ce que la légitimation par lettres du prince n’a d’autre effet que de purger le vice de la naissance, sans donner les droits de famille, dont la noblesse est un des plus considérables.

Cette règle souffre cependant deux exceptions : la première est que les bâtards des rois sont princes ; la deuxième, que les bâtards des princes sont gentilshommes ; mais, sous le nom de prince, il ne faut entendre que les princes du sang ou les princes légitimés : nous n’en connaissons pas d’autres dans le royaume : mais pour que les enfans des rois soient princes, et ceux des princes gentilshommes, il faut qu’ils aient été reconnus.

Les bâtards ne peuvent pas même s’aider de la noblesse de leur mère ; et on ne peut objecter que les enfans, qui ne sont pas nés en mariage légitime, suivent la condition de leur mère ; cela ne peut avoir lieu que quand il s’agit de fixer l’état des enfans, et décider s’ils sont libres ou esclaves, citoyens ou étrangers : mais la noblesse ne peut jamais venir que du père. Cette distinction, que nous faisons, est énergiquement exprimée dans cette règle du droit français : Le ventre affranchit et la verge anoblit.

Extrait page 14

Source : Oeuvres de Pothier contenant les traités du droit français. Traité des personnes et des choses, de la propriété, de la possession, de la prescription, de l’hypothèque, du contrat de nantissement, des cens, des champarts. Nouvelle édition mise en meilleur ordre et publiée par les soins de M. Dupin, avocat à la Cour Royale de Paris, Paris, Béchet aîné, 1824-1825, tome 8, 701 pages. Extraits de la première partie « Des personnes » – Titre premier  « Division des personnes en ecclésiastiques , en nobles, gens du tiers-état, et serfs. » – Section II « De la noblesse et de ses privilèges ; comment elle se perd ; de quelle manière elle se recouvre, et des usurpateurs de noblesse »