L’exposition coloniale de 1931 à Paris…
LES CANNIBALES A PARIS : UNE HEURE CHEZ LES MANGEURS D’HOMMES.
« Vous aviez vu comme moi l’affriolante publicité dont les journaux étaient pleins : les Canaques au jardin X . (…) Rentrons. Parmi des cases en bois recouvertes de paille, j’aperçois des hommes noirs, la peau à l’air exposée, le ventre ceinturé d’une étoffe colorée qu’on appelle, chez eux, le manou, et qui, de la chute des reins leur descend jusqu’aux pieds. Ils circulent à pas lents, l’air féroce à souhait, échangeant entre eux des propos d’une voix gutturale qui donne la chair de poule. Ils portent à bout de bras d’homicides casse-têtes, et nous glissent des regards qui, à coup sûr, détaillent sous nos vêtements européens le faux filet et la côte première.(…) Je n’ouvre pas sans frémir la brochure qui nous est vendue à l’entrée et qui – ô dérision – est éditée sous l’aspect élégant des programmes de nos théâtres parisiens.(…) Sous le titre « Le Cannibalisme », voici ce qui correspond à l’analyse de la pièce :
« Dans la maison du chef, la plus grande hutte du village, une douzaine d’hommes assis forme un cercle. Un foyer et des torches jettent sur eux des lueurs d’incendie, exagérant les ombres. Au milieu, sur de larges feuilles de bananier, s’élève un monceau de chair humaine fumante. Une joie farouche se peint sur la face bestiale des féroces convives. »
– Brrr. Ne restons pas là, me dit l’impressionnable compagne qui lit en même temps que moi.
A ce moment, un des hommes tragiques passe auprès de nous et instinctivement, nous nous reculons, car il a un aspect encore plus sanguinaire encore que les autres. Nos regards se croisent, et tout à coup :
– Hé, lui dis-je, tu ne t’appelles pas Prosper ?
Il s’arrête, me considère longuement.
– Oui, fait-il.
– Tu ne me reconnais pas?
Il secoue la tête. Je me nomme. Alors, il pousse un cri à fendre l’air.
– C’est toi Alla, s’écrie-t-il. (…)
Prosper était, au cours des années 1919 et 1920, employé à l’imprimerie de Nouméa, où il remplissait, par rapport à ses confrères de couleur, des fonctions nobles puisqu’on lui confiait la responsabilité d’une Minerve. C’est que Prosper, dans son enfance, avait étudié pour être savant et gagner sa vie au chef-lieu. Chaque jour il se rendait à l’école de la mission. Comme les enfants de France, il savait, dès cette époque que son pays s’appelait la Gaule et ses ancêtres les gaulois.
Et je le retrouve cannibale douze ans plus tard, à Paris. Les Canaques qui se sont approchés depuis un moment assistent, curieux, à notre entretien. Prosper fait les présentations. Ecoutez, je n’invente rien. On peut encore s’en assurer au pavillon de la Nouvelle Calédonie à l’exposition. Ces fauves bestiaux s’appellent Elisée, Jean, Maurice, Germain et même Marius. L’un était à Nouméa cocher aux magasins Ballende, l’autre employé à la douane, celui-ci maître d’hôtel, celui-là timonier à bord d’un cargo côtier. Il y en a un qui était dans la police, un autre bedeau. Le plus beau de l’affaire est que le Barnum de cette extravagante tournée s’appelle l’Administration française. Car si les Canaques ont conscience qu’ils participent à une mascarade, il ne faut pas oublier qu’elle a été organisée officiellement sous le haut contrôle du ministère des colonies, dans un temps où nos Maîtres n’ont à la bouche que les mots de progrès, d’émancipation sociale et de dignité humaine. »
Extrait de Alain Laubreaux, Candide, 14 mai 1931.
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L’Exposition coloniale totalise en six mois 33 millions d’entrées. Elle s’est ouverte le 6 mai 1931 au bois de Vincennes, inaugurée par le président Doumergue, accompagné du maréchal Lyautey.
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Voici un tract de surréalistes (« Ne visitez pas l’exposition coloniale ») dénonçant l’exposition coloniale de 1931. Ce texte est souvent cité mais rarement reproduit. Bien que parfois confus ce texte peut être intégré à un module sur le colonialisme mais aussi sur « les gauches » françaises. Ce texte a été recopié par Guillaume Hoibian au Musée des Arts Africains et Océaniens de la Porte dorée à Paris (qui l’a mis en vitrine dans le Hall). Il est donc complet. On y a rajouté une courte présentation de ce document faite dans une édition « scolaire » du roman de D.Daeninckx, « Cannibales », ainsi que des extraits de texte ou de discours de Paul Reynaud (alors ministre des colonies) vantant les mérites d’une telle exposition.
« Les artistes surréalistes étaient sur le front de la lutte anticolonialiste. Cet appel, publié sous forme de tract juste avant l’ouverture de l’Exposition coloniale, fait partie des rares textes ouvertement opposés à l’Exposition et en faveur d’une prise de conscience radicale. »
In Daeninckx Didier, Cannibale, Magnard, coll. « Classiques et contemporains », groupement de textes, pages 130 et 131.
Ne visitez pas l’exposition coloniale
« A la veille du 1er mai 1931 et à l’avant veille de l’inauguration de l’ Exposition coloniale, l’étudiant indo-chinois Tao est enlevé par la police française. Chiappe, pour l’atteindre, utilise le faux et la lettre anonyme. On apprend, au bout du temps nécessaire à parer à toute agitation, que cette arrestation, donnée pour préventive, n’est que le prélude d’un refoulement sur l’Indo-Chine *. Le crime de Tao ? Etre membre du parti communiste, lequel n’est aucunement un parti illégal en France, et s’être permis jadis de manifester devant l’Elysée contre l’exécution de quarante Annamites. L’opinion mondiale s’est ému en vain du sort des deux condamnés à mort Sacco et Vanzetti. Tao, livré à l’arbitraire de la justice militaire et de la justice des mandarins, nous n’avons plus aucune garantie pour sa vie. Ce joli lever de rideau était bien celui qu’il fallait en 1931, à l’exposition de Vincennes.
L’idée du brigandage colonial (le mot était brillant et à peine assez fort), cette idée, qui date du XIXème siècle, est de celles qui n’ont pas fait leur chemin. On s’est servi de l’argent qu’on avait en trop pour envoyer en Afrique, en Asie, des navires, des pelles, des pioches, grâce auxquels il y a enfin, là-bas, de quoi travailler pour un salaire et, cet argent, on le représente volontiers comme un don fait aux indigènes. Il est donc naturel, prétend-on, que le travail de ces millions de nouveaux esclaves nous ait donné les monceaux d’or qui sont en réserve dans les caves de la Banque de France. Mais que le travail forcé – ou libre – préside à cet échange monstrueux, que des hommes dont les moeurs, ce que nous essayons d’en apprendre à travers des témoignages rarement désintéressés, des hommes qu’il est permis de tenir pour moins pervertis que nous et c’est peu dire, peut-être pour éclairés comme nous ne le sommes plus sur les fins véritables de l’espèce humaine, du savoir, de l’amour et du bonheur humains, que ces hommes dont nous distingue ne serait-ce que notre qualité de Blancs, nous qui disons « hommes de couleurs », nous hommes sans couleur, aient été tenus, par la seule puissance de la métallurgie européenne, en 1914, de se faire crever la peau pour un très bas monument funéraire collectif – c’était d’ailleurs, si nous ne nous trompons pas, une idée française, cela répondait à un calcul français – voilà qui nous permet d’inaugurer, nous aussi, à notre manière, l’Exposition coloniale et de tenir tous les zélateurs de cette entreprise pour des rapaces. Les Lyautey, les Dumesnil, les Doumer, qui tiennent le haut du pavé aujourd’hui dans cette même France du Moulin-Rouge n’en sont plus à un carnaval de squelettes près. On a pu lire il y a quelques jours, dans Paris, une affiche non lacérée dans laquelle Jacques Doriot était présenté comme le responsable des massacres d’ Indo-Chine. Non lacérée.
Le dogme de l’intégrité du territoire national invoqué pour donner à ces massacres une justification morale, est basé sur un jeu de mots insuffisant pour faire oublier qu’il n’est pas de semaine où l’on ne tue aux colonies. La présence sur l’estrade inaugurale de l’Exposition Coloniale du Président de la République, de l’Empereur d’Annam, du Cardinal Archevêque de Paris et de plusieurs gouverneurs et soudards, en face du pavillon des missionnaires, de ceux de Citroën et Renault, exprime clairement la complicité de la bourgeoisie tout entière dans la naissance du concept nouveau et particulièrement intolérable : la « Grande France ». C’est pour implanter ce concept-escroquerie que l’on a bâti les pavillons de l’Exposition de Vincennes. Il s’agit de donner aux citoyens de la métropole la conscience de propriétaires qu’il leur faudra pour entendre sans broncher l’écho des fusillades lointaines. Il s’agit d’annexer au fin paysage de France, déjà très relevé avant-guerre par une chanson sur la cabane-bambou, une perspective de minarets et de pagodes. A propos, on a pas oublié la belle affiche de recrutement de l’armée coloniale : une vie facile, des négresses à gros nénés, le sous-officier très élégant dans son complet de toile se promène en pousse-pousse, traîné par l’homme du pays – l’aventure, l’avancement.
Rien n’est d’ailleurs épargné pour la publicité : un souverain indigène en personne viendra battre la grosse caisse à la porte de ces palais en carton pâte. La foire est internationale, et voilà comment le fait colonial, fait européen comme disait le discours d’ouverture, devient fait acquis. N’en déplaise au scandaleux Parti Socialiste et à la jésuitique Ligue des Droits de l’Homme, il serait un peu fort que nous distinguions entre la bonne et la mauvaise façon de coloniser. Les pionniers de la défense nationale en régime capitaliste, l’immonde Boncour en tête, peuvent être fiers du Luna-Park de Vincennes. Tous ceux qui se refusent à être jamais les défenseurs des patries bourgeoises sauront opposer à leur goût des fêtes et de l’exploitation l’attitude de Lénine qui, le premier au début de ce siècle, a reconnu dans les peuples coloniaux, les alliés du prolétariat mondial.
Aux discours et aux exécutions capitales, répondez en exigeant l’évacuation immédiate des colonies et la mise en accusation des généraux et fonctionnaires responsables des massacres d’Annam, du Liban, du Maroc et de l’Afrique centrale. »
Signataires :
Breton, André (1896-1966)
Eluard, Paul (1895-1952)
Péret, Benjamin (1899-1959)
Sadoul, Georges (1904-1967)
Aragon Louis
Char René
Tanguy Yves
Unik Pierre
Thirion André
Crevel René
Alexandre Maxime
Malkine George
* Nous avons cru devoir refuser, pour ce manifeste, les signatures de nos camarades étrangers
Paul REYNAUD – ministre des Colonies – Discours inaugural de l’Exposition coloniale – 6 mai 1931
« La colonisation est le plus grand fait de l’Histoire. Est-il vrai que nous célébrions aujourd’hui une apothéose qui soit proche d’une décadence ? Jamais, chez nous, l’élan de la pensée et son jaillissement n’ont été plus puissants qu’aujourd’hui. A cette minute, grâce au poste de Pontoise, inauguré hier, le son de la voix que vous entendez est écouté à Nouméa, à Hanoï, à Dakar, à Fort-de-France. Notre emprise sur le monde se resserre chaque jour. Notre idéal est tellement vivant que ce sont les idées d’Europe qui donnent aujourd’hui la fièvre en Asie. Beaucoup pensaient qu’étendre la puissance française dans le monde, c’était la diluer, l’affaiblir, la rendre moins apte à conjurer un péril toujours menaçant. Mais, aux jours tragiques, les colonies vinrent se placer aux côtés de la Mère patrie et l’union de notre Empire se fit à l’épreuve de la douleur du sang. A côté de nos vieilles colonies, ces bijoux de famille égrenés dans l’Atlantique et dans l’océan Indien, c’est la France africaine, grande comme l’Europe (…). »
Autre extrait du même discours
PAUL REYNAUD – NOTRE POLITIQUE INDIGÈNE
« Mais cette œuvre ne peut être accomplie que si les indigènes participent au labeur et, au profit. Les indigènes… nos associés. « Ne les traitez jamais en sujets, mais en alliés », disait déjà Richelieu qui, comme Colbert, comme les plus grands ministres, a été un grand colonial. Qu’ont retiré les indigènes de cette association ? Nous avons trouvé en Afrique les razzias, l’esclavage, la famine, l’épidémie. Aujourd’hui, les corsaires du désert en sont les gardiens. Et, par un effort admirable, nos médecins jugulent les épidémies qui étaient en voie d’effacer des populations entières de la surface d’un continent. A des milliers et des milliers d’êtres humains, ils donnent la vie une seconde fois. Et vous verrez les photographies de ces classes claires où sont braqués vers le maître les petits visages éveillés des écoliers noirs. Nous avons apporté la lumière dans les ténèbres (…) Voilà ce que c’est que la colonisation française. Et je ne parle ni de la route, ni du rail, ni des zones irriguées. Vous regarderez les tableaux et vous connaîtrez alors la poésie des graphiques. En Asie, où nous avons apporté aussi comme premier présent l’ordre et la paix, que nous maintiendrons, nous avons trouvé à son déclin une civilisation millénaire pour laquelle nous avons de l’admiration et du respect. »
Paul Reynaud, ministre des Colonies, « L’empire français », Discours d’inauguration de l’Exposition coloniale de Vincennes, 1931, reproduit dans Numéro spécial : « Exposition coloniale internationale – L’effort colonial dans le monde », in Le Sud-Ouest économique, n°213, août 1931, p. 689
Question sur ce passage :
1. Nature et auteur du document. 2. Comment la colonisation est-elle justifiée ? 3. L’Afrique et l’Asie sont elles regardées de la même façon ? 4. Quels aspects de la colonisation ne sont pas évoquées ?
Paul REYNAUD, ministre des Colonies, dans Le Livre d’or de l’Exposition coloniale internationale de Paris, 1931
« Le Français a la vocation coloniale. Cette vérité était obscurcie. Les échecs passagers du XVlllème siècle avaient fait oublier deux siècles d’entreprise et de réussite. En vain, depuis cent ans, nous avions retrouvé la tradition, remporté des succès magnifiques et ininterrompus : Algérie, Indochine, Tunisie, Madagascar, Afrique occidentale, Congo, Maroc. Malgré tout, le préjugé subsistait : le Français, répétait-on, n’est pas colonial. Il a fallu l’exposition actuelle et son triomphe inouï pour dissiper les nuées. Aujourd’hui la conscience coloniale est en pleine ascension. Des millions et des millions de Français ont visité les splendeurs de Vincennes. Nos colonies ne sont plus pour eux des noms mal connus, dont on a surchargé leur mémoire d’écoliers. Ils en savent la grandeur, la beauté, les ressources : ils les ont vues vivre sous leurs yeux. Chacun d’eux se sent citoyen de la grande France, celle des cinq parties du monde.
Cette révélation vient à son heure. Alors que la lutte économique est plus sévère que jamais, les colonies enseignent aux Français le courage et la confiance. Elles n’accueillent point les faibles, il faut avoir l’âme bien trempée pour y prospérer et seulement pour y vivre. L’élite qu’elles exigent et qu’elles forment aura le corps robuste et le cour sans défaillance: ceux à qui manqueraient ces qualités s’élimineront d’eux-mêmes : la rudesse de la tâche à accomplir fera les soldats ouvriers. (…). »
La colonisation : extraits de chansons coloniales
La petite Tonkinoise (Vincent Scotto 1906)
« L’soir on cause des tas d’choses Avant de se mettre au pieu J’apprends la géographie D’la Chine et d’la Manchourie Les frontières les rivières Le fleuv Jaun’ et le fleuv’ Bleu Y’a mêm’ l’Amour, c’est curieux Qu’arros’ l’Empir’ du Milieu
Je suis gobé d’un’ petite C’est une Anna, c’est une Anna, une Annamite Elle est vive elle est charmante C’est comm’ un oiseau qui chante Je l’appelle ma p’tite bourgeoise Ma Tonkiki, ma Tonkiki, ma Tonkinoise Y’en a d’autr’s qui m’font les doux yeux Mais c’est ell’ que j’aim’ le mieux. »
La fille du bédouin (Georges Milton, 1927)
« Y avait à Sidihowa bien avant la guerre Un Bédouin qu’était l’papa d’une jolie moukère Mais une caravane campa qui venait du Caire Sans manière, par derrière, la p’tite décampa La fille du Bédouin suivait nuit et jour cette caravane Elle mourait d’amour pour un jeune bédouin de la caravane Et le petit ânier, dans les bananiers, chipait des bananes Que la fille du Bédouin rangeait avec soin dans son petit couffin »
Mon amant de la coloniale (Edith Piaf, 1936)
« C’était un gars de la Coloniale. Il avait là, partant du front Et descendant jusqu’au menton, Une cicatrice en diagonale, Des cheveux noirs, des yeux si pâles, La peau brûlée par le soleil. J’en ai plus jamais vu de pareils A mon amant de la Coloniale »
Qu’est-ce que t’attends pour aller aux Colonies ? (Tramel, 1931)
« L’exposition coloniale, quand tout sera démoli,
Laissera dans la Capitale un bobard vraiment joli !
Si vous trouvez dans la rue un raseur un créancier
Pour abréger l’entrevue, y’aura qu’à lui chanter :
Qu’est-ce que t’attends pour aller aux Colonies ?
En Afrique, en Asie, chez l’Rajah ou l’Sultan !
Le lion ça n’peut pas t’faire peur
C’est plus doux que l’percepteur
L’éléphant c’est un peu gros,
Mais ça serre moins que l’métro
La girafe c’est mal fichu,
Mais on sèche son linge dessus
Le serpent c’est bien méchant
Moins qu’ta femme qui geule tout le temps
Qu’est-ce que t’attends pour aller aux Colonies ?
Là-bas c’est la belle vie, mais restes-y longtemps ! »
Ali Ben Baba (Maurice Chevalier, 1942)
« Quand on le regardait travailler,
Rue d’Isly au beau milieu d’Alger,
On s’montrait du doigt Ali Ben Baba
Il possédait le secret du joli travail bien fait
Il était aussi charmant qu’excellent commerçant
Toujours soigné, toujours bien lavé,
Une fleur dans ses cheveux frisés,
On souriait à Ali Ben Baba »
(imitation de l’arabe)
Pierre Mendès France et l’empire colonial français en 1934
« Pour nous, l’unité de l’empire français ne saurait être remise en cause. Il serait triste qu’après avoir recommandé la collaboration économique internationale, nous ne soyons pas capables de réaliser une adaptation d’ordre intérieur et c’est pourquoi, là encore, il faudrait répartir les tâches en poussant, par exemple, les colonies vers des cultures de complément que la métropole ne produit pas (telles que les blés de force et de gluten, primeurs d’hiver, vin de liqueur, arachides …), vers des cultures vivrières à consommer sur place par les indigènes (maïs, mil, sorgho, aliviers, dattiers, fruits, riz, etc.) et vers la recherche de matières premières qu’elles peuvent utilement fournirm comme l’huile végétale, le pétrole, le charbon, etc.
(…) Jusqu’ici, la métropole s’est arrogé le droit de venir vendre cher et d’acheter bon marché à ses colonies qu’elle traite en vassale. (…) Politique à courte vue, car l’attitude inverse aurait pour résultat de faire des indigènes de meilleurs clients ; on peut, en effet, valoriser la clientèle coloniale : 30 à 35 millions d’Africains, 10 millions d’Annamites, nous achèterons peut-être un jour par dizaines de milliards de francs nos marchandises ; mais il faut, pour cela, que nous leur prenions à sa valeur véritable une production équivalente.
Est-ce possible ? L’indigène africain, par exemple, peut-il vraiment s’élever ? L’expérience américaine nous permet de répondre affirmativement. Trois millions d’esclaves noirs, importés d’Afrique, de 1620 à 1845, sont devenus aux Etats-Unis aujourd’hui 12 millions d’individus exploitant 43 millions d’acres et possédant une richesse voisine de 25 milliards de francs. La nourriture abondante, le travail méthodique, une hygiène suffisante ont fait ce miracle. Nous pouvons le renouveler en Afrique si nous savons voir de haut et consentir au début les quelques sacrifices que cette grande besogne comporte. M. Caillaux a souvent développé ce programme. Selon lui, c’est dans la mise en valeur de l’Afrique que se trouve l’une des principale solutions de la crise. »
Pierre Mendès France. « L’empire français », dans La Dépêche de Louviers du 14 décembre 1934.