Parmi tous les épisodes météorologiques exceptionnels qui ont jalonné le « petit âge glaciaire », le Grand Hyver de 1709 est probablement celui qui a laissé le plus de traces dans la mémoire collective. En 1709, le royaume de France est en guerre contre une grande partie de l’Europe depuis près de dix ans et vit le long crépuscule du règne de Louis XIV.
La vague de froid qui touche le royaume à partir du 6 janvier 1709 est exceptionnelle par les températures polaires qui descendirent certains jours au dessous de -15 degrés mais ce fut surtout la succession et la durée des périodes de froid jusqu’en mars qui eurent les conséquences les plus désastreuses.
Dans la civilisation agraire de l’époque, les contemporains étaient très attentifs aux événements métérologiques saisonniers dont dépendaient leur survie et, par conséquent, les sources écrites évoquant « le temps qu’il fait » ne manquent pas.
C’est particulièrement le cas pour le « Grand Hyver » de 1709. Nous avons sélectionné deux textes :
- l’ extrait classique et célèbre des Mémoires du duc de Saint -Simon qui, pour une fois, délaissent la vie et les potins de la Cour pour décrire le caractère exceptionnel du froid qui paralyse Versailles et le reste du royaume.
- un extrait de registre paroissial choisi de manière subjective parmi de nombreux autres. Placé aux premières loges de la vie rurale, il n’était pas rare que les curés ajoutent aux relevés des baptêmes, mariages et sépultures des commentaires personnels sur la vie de leur paroisse et de leurs paroissiens. C’est le cas ici avec le curé Gauteron qui nous offre une description assez complète des conséquences agricoles et humaines de la vague de froid de 1709 dans sa paroisse de Colombier-en- Brionnais, dans l’actuelle Saône-et-Loire.
Extrait n° 1 : Mémoires du duc de Saint-Simon
L’hiver, comme je l’ai déjà remarqué, avait été terrible, et tel, que de mémoire d’homme on ne se souvenait d’aucun qui en eût approché. Une gelée, qui dura près de deux mois de la même force, avait dès ses premiers jours rendu les rivières solides jusqu’à leur embouchure, et les bords de la mer capables de porter des charrettes qui y voituraient les plus grands fardeaux. Un faux dégel fondit les neiges qui avaient couvert la terre pendant ce temps-là; il fut suivi d’un subit renouvellement de gelée aussi forte que la précédente, trois autres semaines durant. La violence de toutes les deux fut telle que l’eau de la reine de Hongrie, les élixirs les plus forts, et les liqueurs les plus spiritueuses cassèrent leurs bouteilles dans les armoires de chambres à feu, et environnées de tuyaux de cheminée, dans plusieurs appartements du château de Versailles, où j’en vis plusieurs, et soupant chez le duc de Villeroy, dans sa petite chambre à coucher, les bouteilles sur le manteau de la cheminée, sortant de sa très petite cuisine où il y avait grand feu et qui était de plain-pied à sa chambre, une très petite antichambre entre-deux, les glaçons tombaient dans nos verres. C’est le même appartement qu’a aujourd’hui son fils.
Cette seconde gelée perdit tout. Les arbres fruitiers périrent, il ne resta plus ni noyers, ni oliviers, ni pommiers, ni vignes, à si peu près que ce n’est pas la peine d’en parler. Les autres arbres moururent en très grand nombre, les jardins périrent et tous les grains dans la terre. On ne peut comprendre la désolation de cette ruine générale. Chacun resserra son vieux grain. Le pain enchérit à proportion du désespoir de la récolte. Les plus avisés ressemèrent des orges dans les terres où il y avait eu du blé, et furent imités de la plupart. […]
Mémoires du duc de Saint Simon, tome 7, chapitre 8
Extrait n°2 : registre paroissial de 1709 de Colombier-en-Brionnais
Dans l’année 1709, le fort de l’hyvert se prit la veille des Roys, le 5 janvier, par une rigoureuse, et épouvantable bize, et par une cruelle gelée qui dura le reste du mois et davantage : le froid fut si rude et si terrible, que les noyers et les châtaigniers, les cerisiers et quantité d’autres arbres moururent ; mais le plus grand mal fut que les froments et les seigles gelèrent en terre et se perdirent entièrement, ce qui causa cette chère année et cette chèreté de grains qui n’a guère de semblables, Car la famine fut si grande que l’on fut contraint de manger pendant longtemps du pain de fougère et de gland, et que la cinquième partie du peuple et même davantage mourut de faim, surtout les petits enfants. Enfin on ne peut se ressouvenir d’un si triste temps que l’on ne tremble et que les cheveux ne se hérissent, surtout quand l’on se remet devant les yeux comme la faim avoit défiguré le visage des pauvres et même quantité de personnes commodes et aisées qui par malheur ne se trouvèrent point de grain, ceux qui souffraient la faim étoient noirs, hideux et épouvantables et jettoient des cris qui faisoient compassion, même souvent ils retomboient morts, marchants par les chemins ; le froment vallu jusqu’à 10 livres le boisseau, le seigle 7 livres 10 sols et le vin se trouva si rare que le meilleur marché étoit de 100 livres la botte ; les meilleures maisons n’avoient que du cidre pour leur boisson et qu’il y eut des prêtres qui furent contraints de s’abstenir de dire la messe faute de vin. Dans la commune de Colombier, ou il n’y a guère que 200 communiants ou environ, on y fit depuis Pâques jusqu’à la Saint Martin 72 enterrements, les deux tiers d’enfants.
Registre paroissial de Colombier-en-Brionnais pour l’année 1709, Saône-et-Loire, rédigé par le curé Gauteron.