Pendant l’été 1911, la France entière a  connu un épisode  de canicule accompagné de sécheresse tout-à -fait exceptionnel, à la fois par sa durée, – du 6 juillet à la mi-septembre -, et par les températures maximales atteintes dépassant, certains jours, les 35 degrés à Paris.

Des études sérieuses sur la canicule de 1911 ont montré que celle-ci s’était accompagnée d’une catastrophe sanitaire qui s’est soldée par une surmortalité de 40.000 personnes, en particulier des enfants de moins d’un an nourris au biberon, victimes de diarrhée aiguë.

Cependant, si la chaleur excessive est évoquée par la presse du temps, elle est loin de constituer l’information principale. Il faut, par exemple,  attendre le 13 août 1911, soit plus d’un mois après le début de la vague de chaleur, pour que que Le Petit Journal, dans sa version dominicale illustrée, y consacre sa Une.  Le commentaire situé en page 2, que nous reproduisons, ici est destiné à expliquer le dessin, mais ce n’est pas  un article de fond.

Les extraits suivants montrent la manière dont l’épisode caniculaire est présenté par la presse à ses lecteurs. Si certains se contentent de mentionner le record de chaleur, certains, comme l’Humanité, se penchent sur les effets sociaux des fortes températures, encore inhabituelles.


LES MÉFAITS DE LA CHALEUR

Une victime de l’insolation

Trente sept degrés à l’ombre !… Pas d’eau !… Des rues surchauffées et poussiéreuses. À maintes reprises, la scène que représente notre gravure s’est reproduite sur tous les points de la capitale. De nombreuses victimes de l’insolation ont été transportées soit dans les hôpitaux, soit dans les pharmacies. Beaucoup ont succombé. Quelle torture pour tous ceux que leur métier force à courir les rues par de telles températures.

Ah! certes, Paris se souviendra de cet été excessif !

Le Petit Journal – Supplément illustré du dimanche 13 août 1911, page 2


DIEU QU’IL A FAIT CHAUD ! !

Dieu ! qu’il a fait chaud !

Aux terrasses des cafés, les garçons n’avaient pas assez de bras — ni de glace — pour servir leurs clients ; les chemisiers voyaient arriver, par dizaines, des malheureux qui venaient acheter un faux col pour changer le leur, dont la forme n’était plus présentable.

Le long des rues, gilets déboutonnés, les Parisiens allaient, très las et très rouges et trainaient leur fiacre, les chevaux, harassés, ruisselaient.

En plein midi, sur les boulevards, un thermomètre marquait 47 degrés ; mais ce thermomètre était exposé au soleil. A l’ombre à l’observatoire de Montsouris, le thermomètre ne marquait que 37°7 à 1 h.15. Trente-sept, sept ! C’est tout simplement un record.
Les observations prises à Montsouris, depuis 1757, nous montrent, en effet, que la température la plus haute pour le mois d’août fut atteinte en 1842 ; elle fut alors de 36°7.
Le record de la chaleur, en août, depuis 1757, a donc été battu hier. 11 a fait cependant moins chaud, hier, qu’en juillet
1900, où, certain jour, on constata 38°6.
M. Jaubert, directeur de l’Observatoire de la Tour Saint-Jacques, à qui nous avons demandé ce qu’il pensait de cette température, nous a fait la déclaration suivante :
— Hier, nous avons enregistré à la Tour Saint-Jacques 36°6 et à l’Observatoire de Montsouris — qui est une dépendance de la Tour Saint-Jacques — 37°7. Ce n’est qu’une différence de quelques dixièmes de degré, ce qui prouve que les calculs sont bien faits.
Car la température, sachez-le, varie, de très peu de choses, il est vrai, selon les points où on l’enregistre. Ainsi, à Passy, on a constaté 37°4 et à l’hôpital Saint-Louis 38°3. En banlieue, il y a eu de 37 à 38° de chaleur.
Aujourd’hui, je crois que la journée sera encore plus chaude, quoique des tendances orageuses soient probables. Les extrêmes à signaler le 10 août ont été 37°9, en 1898 et 33°7 en 1876. Vous verrez qu’aujourd’hui ce sera pire. Nous en recauserons ce soir.» […]

Le journal, 10 août 1911, « trente sept, sept à l’ombre … et on nous en promet davantage ! », extrait page 1


PARIS A TOUJOURS CHAUD

Les conséquences

Il y a eu hier une légère détente. À neuf heures, la différence de température constatée sur celle de la veille à la même heure a été de 6 degrés à la Tour Saint Jacques et de 3 degrés 6 à Montsouris. Les minima ont varié de 18 à 20 degrés tandis que la veille ils oscillaient de 23 à 25 degrés.

Cette amélioration légère n’a pas empêché les parisiens de souffrir beaucoup.

On signale un accident grave. Un garçon livreur, Émile Lévèque, à deux heures et demie, rue de Dunkerque, a été frappé d’insolation. Il a été transporté à Lariboisière dans un état grave.

Les marchands de glace ne peuvent plus suffire aux besoins de la consommation. Nous pourrions citer un restaurateur qui n’a pu en recevoir que 30 kilos au lieu de 200, le sixième de sa commande normale. Il y a là un fait inquiétant, surtout au moment où le commerce de la boucherie a besoin de glace pour conserver la viande qui s’altère avec une effrayante rapidité.

L’Humanité, journal socialiste quotidien, 12 août 1911, page 3


LA CHALEUR CONTINUE

Ses victimes § ses méfaits

Les températures relevées hier après midi à l’observatoire municipal de Montsouris, en plein air et à l’ombre ont été de 33°8 à midi, de 33°7 à 3 heures, 35°1 à 2 heures 30 (maximum).

Mais le thermomètre a beau baisser d’un degré ou deux, les Parisiens, excédés, n’en pâtissent pas moins.

On fuit les logis étroits. Ce n’est plus seulement dans les quartiers ouvriers, mais aussi dans le centre, que les gens passent la moitié de la nuit sur le seuil des maisons, sur les trottoirs ; on en voit venir d’assez loin, le soir, dans les jardins publics, et les premiers arrivés s’asseoient, là où il y a quelque bassin, à même la pierre du pourtour se livrant à la fraîcheur à peine perceptible de l’eau proche.

Enfin, les insolations, coups de chaleur, etc, recommencent à faire sérieusement des victimes. Hier, à 11h50 rue des Boulets, le camionneur Briot est tombé de son siège à la suite d’un étourdissement ; il s’est très grièvement blessé. un peu auparavant, Mme Barretti, demeurant rue Rodier, a été frappée d’insolation rue Pierre Dupont. Elle a été transportée à l’hôpital. Léon Julien, âgé de 21 ans, qui se baignait dans la Seine à Saint Ouen, frappé d’insolation, a coulé à pic ; son corps n’a pu être retrouvé.

Il n’est que les brasseries – car le profit capitaliste ne perd jamais ses droits – pour trouver agréable la température, la consommation de la bière ayant tout bonnement décuplé. Quant à la glace -suprême et périlleux espoir de ceux qui peuvent s’en procurer – les glaciers, ainsi que nous le laissions prévoir, devenant incapables de fournir.

En province, on n’est pas mieux partagé. La chaleur est torride et désolante. Limoges partage avec Paris la gloire de la plus haute température. les autres régions ne sont pas plus favorisées. Dans le Dauphiné, les récoltes, les plantations de tabac surtout on considérablement souffert de l’absence de pluie et de la grande chaleur des quarante cinq derniers jours.

Dans les usines de soierie de la vallée de la Fure, les ouvrières ne travaillent que le matin, de quatre heures à midi. l’après-midi, elles vont se reposer sous les bois environnants, pour ne reprendre le travail que le soir.

Par suite de la sécheresse qui a tari les rivières voisines, le niveau du canal du Centre, entre la Saône et la Loire a considérablement baissé au point d’interrompre la circulation des péniches dans la région de Digoin. Ce n’est pas la peine de quitter « la doulce France » pour aller chercher le frais ailleurs. C’est ainsi que l’Allemagne devient inhabitable. […]

L’Humanité, journal socialiste quotidien, 13 août 1911, page 2


Y Claude Haton et la sécheresse de 1556

Note : les rédacteurs de Cliotexte précisent que la sélection de textes concernant le climat n’a pas pour but d’entretenir ou d’encourager le climatoscepticisme ni de remettre en question les conclusions alarmantes du GIEC. Les textes et documents choisis sont ici pour présenter la manière dont les contemporains perçoivent les événements météo et leurs conséquences.