Le temps nous est compté…

[…] »Il a littéralement fallu des décennies pour parvenir à cet accord, produit glorieux du travail d’une diplomatie fondée sur les principes et, en fin de compte, prise de conscience profonde et partagée que nous sommes tous logés à la même enseigne.

Et après avoir quitté Paris, personne ne s’est reposé sur ses lauriers. En fait, le monde, unifié, a rapidement pris des mesures pour commencer le — pour mettre l’accord en vigueur de manière permanente, en atteignant le seuil de ratification de 55 pays représentant 55 pour cent des émissions mondiales et en y parvenant plus vite que le plus optimiste d’entre nous l’aurait prédit. Dans une déclaration retentissante de l’engagement du monde entier à cet accord, 109 pays représentant 75 pour cent des émissions se sont, en moins d’un an, officiellement engagés à prendre des mesures décisives et courageuses, et nous sommes déterminés à affirmer cette action et à nous y tenir après Marrakech.

Nous avons désormais établi — (applaudissements) — nous avons établi une base, reposant sur les objectifs décidés par les pays concernant le climat, 109 pays, chacun d’entre eux ayant proposé son propre plan, chacun de nous fixant des objectifs fondés sur nos capacités et notre propre situation. L’essentiel de cet accord est en fait les responsabilités communes mais différenciées. Il apporte un appui aux pays qui ont besoin d’aide pour atteindre leurs objectifs. Il ne laisse aucun pays affronter seul la tempête du changement climatique. Il rassemble un ensemble d’outils destinés à aider les pays en développement à investir dans l’infrastructure, la technologie et la science pour pouvoir réaliser la tâche. Il soutient les pays les plus vulnérables pour leur permettre de mieux s’adapter aux effets du climat auxquels un grand nombre de ces pays sont déjà confrontés. Enfin, il nous permet de renforcer nos ambitions progressivement, en parallèle au développement des technologies et à la baisse des prix des énergies propres. Ce point est fondamental : l’accord prévoit que les parties ajustent leurs engagements nationaux tous les cinq ans, afin de refléter le déploiement des nouvelles technologies et d’accélérer la transition mondiale vers une économie fondée sur les énergies propres.

Clef de voûte de notre accord, ce processus forme un cadre de référence conçu pour durer et établit un degré de responsabilité mondiale jamais vu auparavant. Mais je souhaite aussi vous dire que les progrès que nous avons réalisés cette année vont bien au-delà de ce qui était prévu par l’accord de Paris. Début octobre, l’Organisation de l’aviation civile internationale a adopté pour l’ensemble du secteur un accord prévoyant une croissance neutre en carbone. Pourquoi cela est-il important ? Parce que le transport aérien international n’était pas couvert par nos décisions de Paris, alors que le secteur, s’il était un pays, se placerait parmi les douze plus importants émetteurs de gaz à effet de serre au monde. Quelques semaines plus tard, j’ai eu le plaisir de me trouver à Kigali, au Rwanda, lorsque les représentants de près de 200 pays, là aussi, se sont réunis pour décider la diminution de l’utilisation mondiale d’hydrofluorocarbures ; son augmentation était prévue très rapide, avec un risque de dommages nettement plus importants que ce n’est le cas du dioxyde de carbone. À lui seul, l’accord de Kigali peut nous aider à éviter un demi-degré centigrade de réchauffement d’ici la fin du siècle, tout en ouvrant de nouvelles opportunités de croissance dans de nombreuses industries. Toutes ces mesures nous rapprochent des objectifs que nous devons absolument atteindre. Et, notamment parce que les dirigeants mondiaux ont pris conscience de l’énormité du défi, le monde commence à évoluer de manière concertée dans le sens d’un avenir fondé sur l’énergie propre.

Le marché mondial de l’énergie renouvelable a plus que sextuplé au cours des dix dernières années. Les investissements consacrés aux énergies renouvelables ont atteint un niveau record l’an dernier, à près de 350 milliards de dollars. Mais cela n’est qu’un aspect de la situation. Avec ces 350 milliards de dollars, c’est la première fois que les montants concernés sont supérieurs à ceux consacrés aux combustibles fossiles. Un demi-million de nouveaux panneaux solaires ont été installés en moyenne chaque jour l’année dernière. Et pour la première fois depuis l’ère pré-industrielle, le monde a investi davantage dans les technologies d’énergie renouvelable que dans les nouvelles centrales à combustibles fossiles, cela bien que les prix du pétrole, du gaz et du charbon soient plus faibles que jamais. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai vu cette transformation se confirmer dans mon propre pays. C’est la raison pour laquelle, du fait du marché, j’ai confiance en l’avenir quelle que soit la politique qui sera choisie. J’ai rencontré des dirigeants et des innovateurs du secteur de l’énergie à travers les Etats-Unis, et je suis enthousiasmé par la direction qu’ils ont prise. La production américaine d’énergie éolienne a triplé depuis 2008 et cela va continuer ; et la production d’énergie solaire a été multipliée par trente. Et la raison pour laquelle ces deux sources d’énergie vont poursuivre leur progression est que les décisions seront dictées par le marché, et non par le gouvernement. Je peux vous dire sans crainte de me tromper que les États-Unis, aujourd’hui même, sont bien partis pour atteindre tous les objectifs que nous avions fixés dans le cadre international, et que, du fait des décisions que le marché est en train de prendre, je ne pense pas que cette tendance puisse être inversée, ni qu’elle va l’être [applaudissements].

Cela dit, ces avancées sont dues en grande partie au leadership du président Obama, et également au fait que les partis ont collaboré dans un esprit bipartisan au sein du Congrès, en prenant décisions dans des domaines tels que les crédits d’impôt pour les énergies renouvelables. Ce leadership a aidé le secteur privé à réaliser des investissements ciblés. Aujourd’hui, nos émissions subissent une pression à la baisse parce que les forces de marché s’imposent progressivement dans le monde entier. Et c’est ce que nous nous étions engagé à faire à Paris. Lors de la conférence de Paris, aucun d’entre nous ne pensait que l’accord à lui seul permettrait d’atteindre un objectif de deux degrés. Mais nous avions conscience d’envoyer ce message fondamental au marché, et les entreprises ont répondu, comme je viens de le décrire. La plupart des responsables d’entreprise l’ont compris : investir dans l’énergie propre faite sens d’un point de vue financier. On peut gagner de l’argent. On peut faire ce qui est bien tout en prospérant. Il est également important de noter que le boom des énergies renouvelables ne se limite pas aux pays industrialisés. De fait, l’an dernier, les économies émergentes telles que la Chine, l’Inde et le Brésil ont investi davantage dans les technologies renouvelables que le monde développé ne l’a fait lui-même. A elle seule, la Chine a investi plus de 100 milliards de dollars. Au bout du compte, le marché de l’énergie propre devrait représenter plusieurs milliers de milliards de dollars, devenant ainsi le plus important marché jamais connu au monde. Et aucun pays ne pourra prospérer s’il ne participe pas au mouvement, en interdisant à ses nouvelles entreprises de bénéficier du boom des technologies propres.

Mes amis, nous sommes entrés dans une ère de développement accéléré des énergies renouvelables au niveau mondial et, de ce fait, les coûts de l’énergie propre sont déjà à parité avec ceux des combustibles fossiles dans de nombreux pays. À travers le monde, plusieurs millions de personnes travaillent aujourd’hui dans le secteur des énergies renouvelables. Et plusieurs millions d’emplois supplémentaires seront créés si nous faisons les bons choix. Les choses bougent donc favorablement. La courbe de l’énergie évolue dans le sens de la durabilité. Le marché prend manifestement la direction des énergies propres, et cette tendance ne peut que s’accentuer. Pour ceux d’entre nous qui se travaillent à ce défi depuis plusieurs dizaines d’années, nous avons véritablement atteint un point d’inflexion. Ceci est une cause d’optimisme, indépendamment des vicissitudes politiques et des évolutions constatées dans différents pays. Sans doute possible, la question aujourd’hui n’est pas de savoir si nous allons passer d’une économie basée sur l’énergie à une économie basée sur l’énergie propre : cette transition est déjà en cours. Aujourd’hui, la question est de savoir si nous aurons ou non la volonté d’aboutir. C’est bien là la question : allons-nous faire cette transition suffisamment rapidement pour prévenir des dommages catastrophiques.

Mesdames et Messieurs, mon rôle n’est pas d’annoncer des catastrophes comme le faisait Cassandre. Ce que je viens de vous dire le démontre. Mais je suis réaliste. Le temps nous est compté. Le monde évolue déjà à un rythme de plus en plus alarmant, avec des conséquences de plus en plus alarmantes. La COP s’est réunie au Maroc pour la dernière fois en 2001 ; les quinze années écoulées depuis comptent parmi les seize années les plus chaudes de l’histoire depuis que nous enregistrons des statistiques. 2016 sera la plus chaude de toutes. Depuis le début de l’année, chaque mois est un mois record. Et cette année ajoutera sa température record à la décennie la plus chaude de l’histoire connue, elle-même précédée de la deuxième décennie la plus chaude, précédée à son tour par la troisième décennie la plus chaude. À un moment où à un autre, même les plus sceptiques doivent reconnaître que quelque chose d’inquiétant est en train de se produire. Nous avons assisté partout à des sécheresses qui ont battu tous les records — de l’Inde au Brésil en passant par la côte ouest des États-Unis. Des tempêtes telles qu’il ne s’en produisait que tous les 500 ans sont en train de devenir presque banales. Ces dernières années, en moyenne 22,5 millions de personnes par an ont été déplacées à cause de phénomènes météorologiques extrêmes. Nous n’avions jamais vu cela au XXe siècle. Des communautés vivant dans des États insulaires, comme les Îles Fidji, ont déjà été obligées de prendre des mesures pour déménager définitivement, car les endroits où elles vivaient depuis des générations étaient devenus inhabitables. Et il y en existe beaucoup d’autres qui savent que ce n’est qu’une question de temps avant que les eaux océaniques ne commencent à inonder leurs villes. Je sais que ça fait beaucoup à digérer pour n’importe qui — c’est dur à accepter. C’est pour cette raison, ai-je constaté, que la meilleure façon d’essayer de comprendre, de savoir si les gens repoussent ou non les limites de la réflexion sur ce sujet, c’est de voir par soi-même ce qu’il en est. C’est ainsi que cet été je me suis rendu au Groenland pour visiter l’impressionnant glacier de Jakobshavn. Les scientifiques m’ont montré les lignes, désormais situées plusieurs mètres au-dessus du niveau de la mer, qui marquent le recul du glacier — recul qui a été plus important lors de ces 15 dernières années que pendant tout le XXe siècle. Et tant que j’y étais, j’ai embarqué sur un navire danois et j’ai navigué dans le fjord. J’ai vu les énormes blocs de glace qui venaient de tomber du glacier et qui allaient inexorablement fondre dans l’eau de mer. Comme ces blocs se détachent de l’inlandsis du Groenland, qui repose sur le socle rocheux, chaque morceau de glace contribue à la hausse du niveau marin. Depuis les années 1990, le rythme dramatique de cette fonte des glaces a presque triplé. Chaque jour, ce sont 86 millions de tonnes de glace qui ruissellent de ce fjord vers l’eau de mer. En fait, la quantité d’eau qui descend de ce glacier en une seule année suffirait à couvrir les besoins en eau de la ville de New York pendant vingt ans.

Mais les experts, au Groenland et ailleurs, m’ont toujours prévenu, et ils n’ont pas manqué de me prévenir à nouveau lors du voyage de cet été : si vous voulez vraiment comprendre ce qu’il se passe, en quoi consiste la menace, allez en Antarctique. En aucun autre point du globe les enjeux ne sont aussi cruciaux que dans cette terre située aux antipodes. Depuis un demi-siècle, les chercheurs travaillant sur le climat pensent que l’inlandsis ouest-antarctique est une épée de Damoclès qui menace notre mode de vie tout entier. En effet, si jamais il s’effondrait et fondait dans l’eau de mer, cela suffirait à élever le niveau marin global de quatre ou cinq mètres. Par ailleurs, les scientifiques que j’y ai rencontrés m’ont décrit comment la pression exercée par la glace, par la masse glaciaire, poussait vers le bas tout le continent de glace de façon à ce qu’il soit soudé au socle rocheux de la croûte terrestre. La fonte des glaces entraîne alors des infiltrations d’eau de mer plus chaude à la base du glacier, ce qui accélère le processus de fonte, déstabilisant le glacier. Or l’Antarctique contient des couches de glace qui à certains endroits, notamment dans l’inlandsis est-antarctique, sont épaisses de près de cinq kilomètres. Eh bien, si la totalité de cette glace venait à fondre au cours des siècles à venir, parce que nous nous sommes montrés irresponsables devant le changement climatique, alors le niveau de la mer s’élèverait de 30 à 60 mètres. Voilà pourquoi j’ai pris l’avion la semaine dernière pour me rendre à la base antarctique de McMurdo et mieux comprendre les phénomènes en cours. J’ai volé en hélicoptère au-dessus de l’inlandsis ouest-antarctique. J’ai marché sur la plate-forme glaciaire de la mer de Ross. J’ai également parlé avec les scientifiques qui sont sur le terrain, qui ne sont pas des gens engagés dans une activité politique au jour le jour, mais des gens qui élaborent une position scientifique grâce à leurs recherches approfondies. Et ils ont été très clairs : plus ils en savent, plus ils sont alarmés de la vitesse à laquelle les changements se produisent. Un chercheur néo-zélandais, Gavin Dunbar, estime que leurs observations de terrain sont comme « le canari des mines de charbon », suivant son expression. Il m’a averti que certains seuils, une fois franchis, constituaient des points de non-retour. Autrement dit, nous ne pouvons pas attendre trop longtemps avant de traduire les connaissances scientifiques dont nous disposons à ce jour en mesures politiques, indispensables pour relever ce défi. Ces scientifiques m’ont exhorté de rappeler à mon propre gouvernement, aux gouvernements du monde entier et à toutes les personnes qui m’écoutent que nos actions en ce jour — aujourd’hui même — étaient cruciales, parce que si nous ne sommes pas assez efficaces ou pas assez réactifs, les dégâts que nous causons pourraient bien mettre des siècles à être réparés — à supposer qu’ils soient encore réparables. Je le souligne aujourd’hui : nous n’aurons pas de seconde chance. En cas d’échec, dans la plupart des cas, les conséquences seraient irréversibles. Si nous laissons passer ce moment pour agir, il n’y aura pas de speech dans quelques décennies, qui pourra reconstituer les énormes calottes glaciaires fondues. Aucune capitale du monde n’a de baguette magique qui pourrait remplir tous les lacs et rivières qui vont s’assécher ou restaurer la fertilité des terres agricoles — des terres devenues arides. Et en aucun cas nous n’aurons le pouvoir d’arrêter les marées montantes qui vont engloutir nos rivages. C’est pourquoi nous devons faire les choses comme il faut, et nous devons les faire maintenant. […] « 

John Kerry, Remarks at the 22nd Conference of the Parties (COP22) to the United Nations Framework Convention on Climate Change, extrait du discours prononcé à Marrakech le 16 novembre 2016, traduction officielle.

L’intégralité du discours en français est disponible sur le site de l’ambassade des États-Unis ICI