Avant 1914, la surmortalité des nourrissons était l’un des plus graves problèmes de santé publique de la France républicaine. La première cause de mortalité des bébés était en réalité les diarrhées aigües, souvent liées à la mauvaise qualité du lait et surtout à l’usage des biberons dits à tube, qui furent surnommés plus tard « biberons tueurs ».

La mauvaise qualité du lait était due aux mauvaises conditions de conservation, mais  aussi  à la falsification du lait avec l’adjonction  de produits divers. Ces pratiques frauduleuses étaient de notoriété publique, à tel point que le journal satirique « l’assiette au beurre », en 1901,  fit sur ce sujet un numéro spécial qui vaut le détour

L’autre cause est évidemment l’usage très répandue du biberon à tube. Le biberon à tube, mis au point par l’industriel dijonnais  Édouard Robert, est commercialisé à partir de 1869. Produit de manière industrielle, il est vendu à des millions d’exemplaires en France (et à l’étranger). Comme son nom l’indique, la tétine est reliée par un long tuyau en caoutchouc au biberon, ce qui permet au nourrisson de téter de façon autonome. C’est cet aspect qui assure – en dehors de la publicité-  le succès considérable  du biberon à tube auprès des mères de famille et des nourrices.

Cependant, le tube se révèle un redoutable foyer de microbes et d’infections, cause  de mortalité infantile. Le fléau du « biberon tueur » est dénoncé par des médecins dès la fin des années 1890. Le plus célèbre est le docteur Dufour qui mène à partir de 1894 une véritable croisade contre le « biberon de la mort » et qui est  considéré à Fécamp, où il exerce, comme un véritable bienfaiteur.

Il faut cependant attendre la loi du 6 avril 1910 pour que le biberon  à tube soit interdit à la vente. On notera que la loi n’interdit pas formellement son usage qui se poursuivit pendant des années.

On peut raisonnablement en déduire que  le biberon à tube fut probablement l’une des causes de l’effroyable mortalité qui frappa les nourrissons pendant la canicule de l’été 1911.


LOI relative à l’interdiction de la vente et de l’importation du biberon à tube.

Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté, Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :

Art. 1er. — La vente, la mise en vente, l’exposition et l’importation des biberons à tube sont interdits.

Art. 2. — Les inspecteurs des pharmacies et les autorités prévues à l’article 2 du décret du 31 juillet 1900 seront chargés d’assurer l’application de la présente loi qui ne sera exécutoire que trois mois après sa promulgation.

Art. 3. — Toute infraction aux dispositions de la présente loi est punie d’un amende de vingt-cinq à cent francs (93 100 fr.) et, en cas de récidive, d’un emprisonnement de huit jours à un mois. L’article 463 du code pénal est applicable. Dans tous les cas, les tribunaux pourront prononce la confiscation des biberons à tube saisis en contravention.

La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l’État.

Fait à Paris, le 6 avril 1910.

A. FALLIÈRES. Par le Président de la République :

Le président du conseil, ministre de l’intérieur et des cultes ARISTIDE BRIAND

Journal Officiel de la République française, samedi 9 avril 1910

Biberon à tube, mis au point en 1869 et commercialisé par la maison Robert.