Art roman, art gothique
[…] Le premier terme à apparaître est celui de « gothique » : il fut d’abord employé par Lorenzo Valla, vers 1435-1444, à propos de l’écriture des XIIIe-XVe siècles, puis fut transposé dans le domaine des arts par les humanistes italiens de la fin du XVe siècle. Diffusée par l’œuvre de Giorgio Vasari (1511-1574), l’expression « art gothique » apparut en France au début du XVIIe siècle seulement (1615) pour désigner, comme en Italie et dans toute l’Europe, l’ensemble de la production artistique entre l’Antiquité et la Renaissance, considérée de manière générale comme le produit d’une époque barbare. Au début du XIXe siècle, l’apparition d’un autre terme, celui de « roman », entraîne le rétrécissement de sens de l’art gothique à l’«art des cathédrales» bâties entre le XIIe et le XVe siècle. Au même moment, l’expression perd ses connotations […] péjoratives. De nombreux éléments contribuent à cette évolution favorable. Le premier est l’épanouissement, d’abord en Angleterre et en Allemagne, de la sensibilité romantique, encline à redécouvrir et à réhabiliter le Moyen Âge […] Le second est l’admiration de générations d’architectes pour les prouesses techniques du gothique[…] Dans la seconde moitié du XIXe siècle, il ne s’agit plus seulement d’exercices d’admiration, mais d’une source d’inspiration, comme le montrent la vogue des édifices néo-gothiques et l’influence du gothique sur l’architecture industrielle, la peinture préraphaélite ou l’art nouveau. Un troisième facteur de la réhabilitation du gothique, propre à la France, réside dans l’essor du nationalisme, qui célèbre dans «l’art des cathédrales» l’œuvre du génie français, […] Notre-Dame de Paris, glorifiée par Victor Hugo, la cathédrale de Chartres, exaltée par Charles Péguy […] ou Marcel Proust […].
L’expression « art roman » apparaît […] en 1818, sous la plume de Charles de Gerville (1769-1853, avant d’être reprise et largement diffusée par Arcisse de Caumont (1802-1873), deux savants enracinés dans une région, la Normandie, dotée d’un patrimoine médiéval riche et original, et promoteurs de la nouvelle discipline qu’est alors l’archéologie monumentale. L’expression vise â souligner la continuité de l’architecture médiévale avec la tradition romaine, avant les bouleversements apportés par les cathédrales gothiques. Elle reste, elle aussi, longtemps péjorative, désignant en quelque sorte une forme abâtardie de l’art romain antique […] Cependant, à la différence de l’art gothique, qui est une notion partagée par l’ensemble des pays européens, celle d’art roman n’a pas été vraiment reprise en dehors des pays latins. En Allemagne notamment, la caractérisation des arts antérieurs au gothique préféré se caler sur les grandes dynasties d’empereurs: on parle ainsi d’art carolingien, ottonien ou salien […]
II n’y a pas plus de raisons de croire à l’idée d’une rupture artistique autour de l’an mil. Jusqu’au milieu du XIe siècle, existent de manière simultanée divers modèles architecturaux. Le plus fréquent reste, comme à l’époque carolingienne, le modèle basilical, caractérisé par un triple vaisseau, une couverture charpentée, des ouvertures en claire-voie et; un espace intérieur assez lumineux, terminé par un abside en cul-de-four. Mais il existe déjà des églises voûtées, dotées de piles et de tribunes latérales qui empêchent l’accès de la lumière. Il ne s’agit pas pour autant d’une rupture dans l’évolution architecturale. Le voûtement, connu dès l’Antiquité tardive, était déjà utilisé au IXe siècle dans l’Empire carolingien […] La principale évolution réside en fait dans la multiplication des tours, qui sont aussi des clochers […]
Encore assez rare au milieu du Xe siècle, (le voûtement) est systématisé dès les années 1060-1070 en Catalogne, de manière plus progressive ailleurs. Dans la première moitié du XIe siècle, il s’est étendu partout, jusqu’aux petites églises rurales[…] cela limite les risques d’incendie[…] (et) […] favorise une meilleure réverbération acoustique […]
Ces différents éléments traduisent-ils la naissance d’un art nouveau, que l’on pourrait appeler roman ? […] L’élément le plus caractéristique est l’élaboration du chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes, prenant de l’extérieur l’allure familière du chevet étagé. La formule […] s’accompagne d’une multiplication des reliques dans les autels des chapelles rayonnantes […]
Florian Mazel, « L’atelier de l’historien, art roman, art gothique », Florian Mazel, Jean-Louis Biget (dir), Histoire de France : vol. II. Féodalités (880-1180), Belin, 2010, p. 683 sq.
- 1. Quand invente-t-on l’art gothique et l’art roman ? Expliquez la notion d’invention.
- 2. Quelle invention est antérieure à l’autre ?
- 3. Quel art est antérieur à l’autre ?
- 4. Expliquez les termes de vocabulaire. Pourquoi voûter ?