La question de la Palestine du XIXè siècle à 2010
Éléments de chronologie
Nationalismes, mandat britannique et origines de l’État d’Israël
* XVIIIe-XIXe – Haskala (éducation), mouvement des lumières juives exprimant la volonté d’intégration aux nations européennes dont les juifs font partie en raison d’une présence datant de l’Antiquité.
* 1881-1884 – Pogroms dans l’Empire russe.
* Années 1880-1890 – Montée du nationalisme arabe dans l’Empire ottoman, contre le nationalisme turc.
* Années 1880-1890 – Première alya vers la province ottomane de Palestine.
* 1896 – Publication de L’État des Juifs de Theodor Herzl.
* 1897 – A Bâle, impulsion nouvelle donnée par Herzl au mouvement sioniste.
* 1903-1914 – Seconde alya. Résistances arabes notables.
* 1915
** Répression ottomane contre des nationalistes arabes.
** Promesses britanniques aux Arabes à travers la correspondance entre le chérif hachémite de la Mecque, Hussein, souverain du Hedjaz et McMahon, haut commissaire britannique au Caire.
** Accord secrets franco-britanniques de Mark Sykes et Georges Picot sur un partage ultérieur des provinces ottomanes du Moyen-Orient.
* 1916 – Révolte arabe dans la péninsule contre la tutelle ottomane. Contacts entre nationalistes arabes et hachémites puis soutien britannique (cf. T. E. Lawrence dit Lawrence d’Arabie).
* 1917 – Déclaration Balfour sur la création d’un foyer national juif en Palestine.
*1922 – Le mandat sur la Palestine est confié au Royaume-Uni par la SDN. Premier livre blanc reconnaissant la légitimité de la présence juive en Palestine. Indépendance formelle de l’Égypte.
* 1923 – Indépendance formelle de la Transjordanie.
*1923-1930 – En Irak, théorisation du nationalisme arabe par Sati’ al-Husri, proche du roi Fayçal.
* 1930 et 1939 – Livres blancs restreignant l’immigration et la colonisation juives en Palestine.
* 1936 – Graves troubles entre Juifs et Arabes.
* 1939-1945 – Près de 6 millions de Juifs sont exterminés par les nazis.
* 1946 – Indépendances de la Syrie et du Liban. Indépendance de la Transjordanie.
* Mai 1942 – Conférence de l’hôtel Biltmore à New York ; l’objectif fixé est la création d’un État juif.
* Février 1947 – Ernest Bevin déclare s’en remettre à l’ONU pour le sort de la Palestine.
* 29 novembre 1947 – l’Assemblée générale de l’ONU vote un plan de partage de la Palestine en deux entités, l’une arabe, l’autre juive. Affrontement entre Juifs et Arabes de Palestine mandataireDans la presse occidentale, l’expression «Indépendance de la Palestine» pouvait alors s’appliquer non aux revendications nationales arabes amis au projet sioniste..
* 14 mai 1948 – A la veille de la fin officielle du mandat britannique, proclamation de l’indépendance d’Israël par David Ben Gourion.
Le conflit entre Israël et les États arabes
* 15 mai 1948-juin 1949 – première guerre israélo-arabe qui s’achève par la disparition de la partie palestinienne. Une bande incluant Gaza est occupée sans annexion par l’Égypte. La CisjordanieEn anglais West Bank, c’est à dire rive occidentale du Jourdain dans beaucoup de textes internationaux. et Jérusalem-Est sont prises par la Transjordanie. Des réfugiés juifs de Jérusalem-Est s’installent en Israël, des réfugiés arabes dans la bande de GazaLa Palestine ayant fait partie de l’empire britannique, la ville de Gaza se distingue en anglais de la bande du même nom par l’expression «Gaza City». Cela ne signifie pas qu’elle devrait en français être appelée «Gaza City», ce qui serait aussi ridicule que Mexico-City, Guatemala-City ou Koweit-City quand le français peut dire «à Mexico», «à Guatemala» ou «à Koweït»., en Cisjordanie et dans les États arabes riverains. C’est la Naqbah (catastrophe) des Palestiniens.
* 1949 – Annexion unilatérale de la Cisjordanie par la Transjordanie d’Abdallah. Elle devient la Jordanie.
* 1954 – Nasser renverse Néguib et prend le pouvoir en Égypte.
* 26 juillet 1956 – Nasser nationalise le canal de Suez.
* 29 octobre-6 novembre 1956 – Guerre israélo-égyptienne.
* 15 novembre 1956 – Intervention des forces de l’ONU.
Le temps de l’OLP
* Mai 1964 – Création de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Jérusalem-est sous contrôle jordanien.
* 1966 – Pacte de défense mutuelle entre la Syrie et l’Égypte.
* 19 mai 1967 – L’Égypte exige le départ des Casques bleus de son territoire.
* 5-10 juin 1967 – Guerre des Six Jours : Israël occupe le Golan, le Sinaï, la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-est.
* 29 août-1er septembre 1967 – Sommet arabe de Khartoum qui réclame la restitution des territoires occupés et refuse la reconnaissance d’Israël.
* 22 novembre 1967 – Résolution 242 de l’ONU exigeant l’évacuation des territoires occupés.
* Juillet 1968 – Le général baasiste Bakr prend le pouvoir en Irak ; charte nationale palestinienne révisée.
* 1969 – Yasser Arafat président de l’OLP
* 28 septembre 1970 – Mort de Nasser. Anouar el Sadate lui succède.
* Septembre 1970 – « Septembre noir » – Hussein de Jordanie envoie l’armée rétablir l’ordre dans les camps palestiniens.
* Juillet 1972 – Sadate renvoie les experts soviétiques.
* Septembre 1972 – Attentat palestinien contre la délégation israélienne aux JO de Munich.
* 6-24 octobre 1973 – Guerre du Kippour – L’Égypte et la Syrie attaquent Israël, qui contre-attaque victorieusement.
* 20 novembre 1977 – Discours de Sadate à la Knesset.
* Septembre 1978 – Accords de Camp David sous l’égide de James CarterJames Carter dit Jimmy, président des États-Unis de janvier 1977 à janvier 1981., entre Israël et l’Égypte.
* 26 mars 1979 – Traité de paix égypto-israélien.
* 1981 – Annexion unilatérale du Golan par Israël.
* Juin 1982 – Invasion du Liban-Sud par Israël dans le but de démanteler les bases de l’OLP.
* Juin 1985 – Retrait israélien du Liban, sauf la zone de sécurité au sud.
* Décembre 1987 – Début de la première Intifada dans les territoires occupés.
* 30 octobre 1991 – Ouverture de la conférence de paix à Madrid.
* 13 septembre 1993 – Rencontre Arafat-Rabin à Washington et officialisation des Accords d’Oslo : Israël et l’OLP se reconnaissent mutuellement ; le principe d’une autorité autonome palestinienne est adopté.
* 2005 – Décision unilatérale israélienne d’évacuer les colonies de la Bande de Gaza.
* 12-14 juin 2007 – Putsch du Hamas à Gaza, contre l’Autorité palestinienne.
*2008-2009 – Guerre de Gaza entre Israël et le Hamas.
Sources multiples
La déclaration Balfour
Le 2 novembre 1917, le secrétaire au Foreign Office, Lord Balfour, proposait la création d’un foyer national juif en Palestine.
« Cher Lord Rothschild,
J’ai le grand plaisir de vous adresser de la part de Sa Majesté la déclaration suivante, sympathisant avec les aspirations juives sionistes, déclaration qui, soumise au cabinet, a été approuvée par lui.Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte soit aux droits civils et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, soit aux droits et au statut politiques dont les Juifs disposent dans tout autre pays.
Je vous serais obligé de porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste.»
Version parue dans l’Asie française, 1925, p. 145, dans Henry Laurens, L’orient arabe. Arabisme et islamisme de 1798 à 1945, Armand Colin, 1993, 2e éd. 2015, p. 151.
Le miracle militaire de 1948-1949
«Ce n’est pas un hasard si la Palestine a été l’objet de plus d’enquêtes par un plus grand nombre de commissions que n’importe quelle autre colonie de l’Empire britannique, sans qu’on aboutisse jamais à une politique constructive. Car la Palestine était…quelque chose d’inorthodoxe, un phénomène aberrant et, au moins pour cette raison, la bête noire des Bureaux. Elle était en même temps un test infaillible pour établir la part d’imagination et de routine des Gouvernements qui avaient à s’en occuper… car il n’y a pas d’autres pays où l’équilibre des forces ait été aussi brutalement renversé en aussi peu de temps qu’en Palestine, lorsque la Haganah passa de l’état de docile milice d’une minorité menacée à celui du facteur militaire le plus important du Moyen-Orient.»
Arthur Koestler, Analyse d’un miracle (Promise and Fulfilment: Palestine 1917–1949), Paris, 1949, Circé-Poche, 1998, p.141-142.
Le miracle militaire de 1948-1949 ?
«La conflagration de 1948-1949 a engendré de nombreux mythes : les dirigeants sionistes auraient voulu appliquer le plan de partage; la victoire israélienne contre cinq armées arabes relèverait du prodige – Analyse d’un miracle, tel est le titre d’un ouvrage d’Arthur Koestler consacré à l’événement ; les réfugiés seraient partis d’eux-mêmes ou à l’appel des dirigeants arabes […]
D’autre part, le 14 mai 1948, l’ensemble des forces arabes sur le théâtre des opérations – aussi bien celles des États qui avaient envahi la Palestine que celles des Palestiniens – n’excédait pas 25 000 soldats,, alors que la toute jeune armée de défense d’Israël, Tsahal, en alignait 35 000 puis 100 000 en décembre […]»
Alain Gresh, Israël, Palestine, vérités sur un conflit, Fayard, 2001, p. 100-105.
Le plan de partage de l’ONU de 1947
« Plan de partage avec union économique
Première partie
Constitution et gouvernement futurs de la Palestine
A. Fin du mandat, partage et indépendance.
1) Le Mandat pour la Palestine prendra fin aussitôt que possible, et en tout cas le 1er août 1948 au plus tard.
2) Les forces armées de la Puissance mandataire évacueront progressivement la Palestine ; cette évacuation devra être achevée aussitôt que possible, et en tout cas le 1er août 1948 au plus tard.
La Puissance mandataire informera la Commission aussi longtemps à l’avance que possible, de son intention de mettre fin au Mandat et d’évacuer chaque zone.
La Puissance mandataire fera tout ce qui est en son pouvoir pour assurer, à une date aussi rapprochée que possible, et en tout cas le 1er février 1948 au plus tard, l’évacuation d’une zone située sur le territoire de l’État juif et possédant un port maritime et un arrière-pays suffisants pour donner les facilités nécessaires en vue d’une immigration importante.
3) Les États indépendants arabe et juif ainsi que le régime international particulier prévu pour la ville de Jérusalem dans la troisième partie de ce plan, commenceront d’exister en Palestine deux mois après que l’évacuation des forces armées de la Puissance mandataire aura été achevée et, en tout cas, le 1er octobre 1948 au plus tard […]
4) La période qui s’écoulera entre l’adoption par l’Assemblée générale de ses recommandations sur la question palestinienne et l’établissement de l’indépendance des États juif et arabe sera une période de transition […]»
Document A/364, joint à la résolution 181, adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU, en novembre 1947.
Déclaration d’indépendance de l’État d’Israël (14 mai 1948)
«Le pays d’Israël a été le berceau du peuple juif. C’est là que s’est formée son identité spirituelle, religieuse et nationale. C’est là qu’il a réalisé son indépendance et créé une culture d’une valeur à la fois nationale et universelle. C’est là qu’il a écrit la Bible et qu’il l’a donnée au monde […]
Exilé du sol de Palestine, le peuple juif y est resté fidèle en tous les pays où il a été dispersé et n’a jamais cessé de faire des vœux et de prier pour son retour en Palestine et pour la restauration de sa liberté nationale.
Dominés par cette tradition, les Juifs se sont efforcés, à travers les siècles, de retourner au pays de leurs pères et d’y reconstituer un État. Dans les dernières décades, ils y sont retournés en masse. Ils ont redonné vie au désert, ressuscité leur langue, construit des villes et des villages et établi une communauté vigoureuse en pleine croissance dans sa vie économique comme dans sa vie culturelle. Ils n’aspiraient qu’à la paix, encore qu’ils aient toujours été prêts à se défendre. ils ont apporté les bienfaits du progrès à tous les habitants du pays.
En l’année 1897, le 1er Congrès sioniste, inspiré par la vision d’un État juif conçue par Théodore Herzl, proclama le droit du peuple juif à ressusciter en tant que nation dans son propre pays.
Ce droit fut reconnu par la déclaration Balfour du 2 novembre 1917 et réaffirmé par le mandat de la Société des Nations qui constitua une reconnaissance explicite et internationale des liens historiques du peuple juif avec la Palestine et de ses droits à reconstituer son foyer national.
L’holocauste nazi, qui anéantit des millions de Juifs d’Europe, démontre à nouveau l’urgence de reconstituer l’État juif et d’apporter ainsi une solution à la situation des Juifs déracinés en ouvrant la porte à tous les Juifs et en introduisant le peuple juif à rang d’égalité dans la famille des nations.
Les survivants de la catastrophe européenne tout comme les Juifs des autres pays ont proclamé leur droit à mener une vie de dignité, de liberté et de travail et sans se laisser rebuter par les obstacles ni les difficultés, ont tenté de façon ininterrompue d’immigrer en Palestine.
Au cours de la seconde guerre mondiale, le peuple juif de Palestine a apporté sa pleine contribution à la lutte des nations éprises de liberté contre le nazisme. Les sacrifices de ses soldats et les efforts de ses travailleurs lui ont acquis rang d’égalité avec les peuples qui ont fondé les Nations-Unies.
Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations-Unies a adopté une résolution en faveur de la création d’un État juif indépendant en Palestine et a invité les habitants du pays à prendre toutes mesures nécessaires en vue de rendre cette décision effective.
La reconnaissance par les Nations-Unies du droit du peuple juif à se constituer un État indépendant ne saurait être révoquée. C’est au surplus le droit évident du peuple juif d’être une nation comme toutes les autres dans son propre État souverain.
En conséquence, nous, membres du Conseil national, représentant le peuple juif de Palestine et le mouvement sioniste mondial, réunis en assemblée solennelle en vertu des droits naturels et historiques du peuple juif et de la résolution de l’Assemblée générale des Nations-Unies,
Proclamons l’établissement de l’État juif de Palestine qui se nommera Israël :
Déclarons qu’à compter de la fin du mandat à l’heure de minuit, dans la nuit du 14 au 15 mai 1948, et jusqu’à ce que des organismes constitutionnels régulièrement élus entrent en fonction conformément à une Constitution qui devra être établie par une Assemblée constituante d’ici le 1er octobre 1948, le présent Conseil national agira en tant qu’Assemblée provisoire de l’État et que son organe exécutif, l’Administration nationale, constituera le Gouvernement provisoire de l’État d’Israël.
L’État d’Israël promouvra le développement du pays pour le bénéfice de tous ses habitants, il sera basé sur les préceptes de liberté, de justice et de paix enseignés par les prophètes hébreux, il accordera pleine et totale égalité sociale et politique à tous ses citoyens sans distinction de race, de croyance et de sexe; il garantira pleine liberté de conscience, de culte, d’éducation et de culture; il assurera la sauvegarde et l’inviolabilité des lieux saints et des sanctuaires de toutes les religions et respectera les principes de la Charte des Nations-Unies.
L’État d’Israël est prêt à coopérer avec les organismes et représentants des Nations Unies pour l’application de la résolution adoptée par l’Assemblée le 29 novembre 1947 et prendra toutes mesures pour réaliser l’union économique de toutes les parties de la Palestine.
Nous faisons appel aux Nations-Unies afin qu’elles aident le peuple juif à édifier son État et qu’elles admettent Israël dans la famille des Nations.
Au moment où se développe une agression injustifiée, nous faisons appel aux habitants arabes du pays de Palestine en leur demandant de retourner sur les chemins de la paix et de jouer leur rôle dans le développement de l’État, et les assurons qu’ils jouiront du droit de citoyenneté pleine et entière à égalité avec les Juifs et seront représentés ainsi qu’il leur est dû dans tous les corps et institutions constitués, provisoires et permanents.
Nous offrons la paix et l’amitié à tous les États voisins et à leurs peuples et les invitons à coopérer avec la nation juive indépendante pour le bien commun de tous. L’État d’Israël est prêt à contribuer, pour sa part, au développement pacifique et à la reconstruction du Moyen Orient.
Nous invitons tous les Juifs de par le monde à se rallier à nous dans la tâche d’immigration et de mise en valeur et à nous assister dans le grand combat qui est engagé en vue de réaliser le rêve poursuivi de génération en génération : la rédemption d’Israël […]»
Jacques Dalloz, Textes sur la décolonisation, PUF, Paris, 1989.
La Charte nationale palestinienne
Extrait de la Charte nationale palestinienne (version approuvée en juillet 1968 qui reprend et amende la charte de fondation de l’O.L.P. de mai 1964)
«Cette charte s’appellera : la Charte nationale palestinienne.
Article premier : la Palestine est la patrie du peuple arabe palestinien ; elle constitue une partie inséparable de la patrie arabe, et le peuple palestinien fait partie intégrante de la nation arabe.
Article 2 : La Palestine, dans les frontières du mandat britannique, constitue une unité territoriale indivisible.
Article 3 : Le peuple arabe palestinien détient le droit légal sur sa patrie et déterminera son destin après avoir réussi à libérer son pays en accord avec ses vœux, de son gré et selon sa seule volonté.
Article 4 : L’identité palestinienne constitue une caractéristique authentique, essentielle et intrinsèque ; elle est transmise des parents aux enfants. L’occupation sioniste et la dispersion du peuple arabe palestinien, par suite des malheurs qui l’ont frappé, ne lui font pas perdre son identité palestinienne, ni son appartenance à la communauté palestinienne, ni ne peuvent les effacer.
Article 5 : Les Palestiniens sont les citoyens arabes qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’en 1947, qu’ils en aient été expulsés par la suite ou qu’ils y soient restés. Quiconque est né de père palestinien après cette date, en Palestine ou hors de Palestine, est également palestinien.
Article 6 : Les Juifs qui résidaient habituellement en Palestine jusqu’au début de l’invasion sioniste seront considérés comme Palestiniens.
Article 7 : Le fait qu’il existe une communauté palestinienne et qu’elle ait des liens d’appartenance d’ordre matériel, spirituel et historique avec la Palestine constitue une donnée indiscutable. C’est un devoir national que d’éduquer l’individu dans le sens de la révolution arabe. Tous les moyens doivent être employés afin de fournir un lien entre le Palestinien et son pays dans le sens le plus profond, tant spirituel que matériel. Il doit être préparé à la lutte armée et au sacrifice de ses biens et de sa vie dans le but de recouvrer sa patrie et de mener à bien la libération de son sol […]
Article 14 : la destinée de la nation arabe et l’existence arabe elle-même dépendent du destin de la cause palestinienne. De ce lien entre ces deux destins découle l’effort de la nation arabe en vue de la libération de la Palestine. Le peuple palestinien tiendra son rôle d’avant-garde dans la réalisation de ce but national arabe sacré.
Article 15 : La libération de la Palestine est un devoir national afin de refouler l’invasion sioniste et impérialiste du sol de la patrie arabe et dans le but de purifier la Palestine de l’existence sioniste. La responsabilité intégrale en incombe à la nation arabe, aux peuples comme aux gouvernements, et à leur tête le peuple palestinien arabe. La nation arabe se doit de mobiliser tout son potentiel militaire, humain, matériel et spirituel dans le but d’assister activement le peuple arabe palestinien dans la libération de la Palestine et, dans le stade actuel de la révolution palestinienne armée, d’offrir sans ménagement au peuple arabe palestinien toute aide et tout soutien matériel et humain, de mettre à sa disposition tous les moyens et toutes les possibilités lui permettant de poursuivre la réalisation de son rôle d’avant-garde, de continuer sa révolution armée jusqu’à la libération de sa patrie […]»
NB – Dans son article 1, la Charte de l’O.L.P. de 1964 indiquait : « 1. La Palestine est une terre arabe, unie par des liens nationaux étroits aux autres pays arabes. Ensemble, ils forment la grande nation arabe.»
La Résolution 242 (1967)
«Le Conseil de sécurité,
Exprimant l’inquiétude que continue de lui causer la grave situation au Moyen-Orient,
Soulignant l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre et la nécessité d’œuvrer pour une paix juste et durable permettant à chaque État de la région de vivre en sécurité […],
Affirme que l’accomplissement des principes de la Charte exige l’instauration d’une paix juste et durable au Moyen-Orient qui devrait comprendre l’application des deux principes suivants :
1. Retrait des forces armées israéliennes des territoires occupés lors du récent conflit ;
2. Cessation de toutes les assertions de belligérance ou de tous états de belligérance et respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région et de leur droit de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues, à l’abri de menaces ou d’actes de force […]
Affirme en outre la nécessité,
– de garantir la liberté de navigation sur les voies d’eau internationales de la région ;
– de réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ;
– de garantir l’inviolabilité territoriale et l’indépendance politique de chaque État de la région, par des mesures comprenant la création de zones démilitarisées […]»
Organisation des Nations-Unies http://www.un.org/fr/sc/documents/resolutions/1967.shtml
Amnon Kapeliouk
« Cinq années après la guerre des six jours : l’implantation de colonies israéliennes dans les territoires occupés crée des faits accomplis « irréversibles » »(extrait)
Journaliste franco-israélien et auteur d’une biographie du leader palestinien Yasser Arafat, Amnon Kapeliouk publie en 1972 un long article dans les colonnes du mensuel français Le Monde diplomatique dans lequel il examine la politique israélienne dans les territoires occupés depuis 1967.
« Comment, du côté israélien, envisage-t-on la solution du conflit avec les pays arabes voisins ? […] Le gouvernement a décidé de ne pas revenir aux frontières d’avant-guerre […]. Sa position concernant le sort de certains territoires occupés a été précisée par des déclarations de plusieurs ministres et du chef du gouvernement lui-même. Pour les autres territoires, il est permis de juger avec précision les intentions du gouvernement […] en observant l’implantation des colonies israéliennes depuis la guerre [des six jours] dans les territoires occupés. Car les dirigeants israéliens ne laissent planer aucun doute sur leurs visées : ces nouvelles colonies sont établies dans des emplacements qu’Israël considère déjà comme faisant partie de son territoire.
Même un homme politique aussi prudent que le ministre des affaires étrangères, M. Abba Eban, ne peut nier ce fait. Son style diplomatique n’y change rien : « Israël espère, lors des négociations sur le tracé des frontières, parvenir à conserver ces établissements à l’intérieur de ses frontières telles qu’elles seront reconnues le jour où viendra la paix. » Le premier ministre, Mme Meïr, s’exprime de façon encore plus claire. Prenant la parole à l’occasion d’une rencontre avec des immigrants d’Union soviétique qui a eu lieu dans le Golan, elle disait : « La frontière se trouve là où habitent des juifs, et non pas sur un tracé de carte ». Quant au ministre de la défense, le général Moshe Dayan, il a depuis la guerre répété à plusieurs reprises, avec sa franchise habituelle, que les nouvelles colonies dans les territoires occupés ressemblent aux arbres enracinés dans la terre et non pas à des pots de fleurs que l’on pourrait transférer d’un endroit à l’autre. Il affirme qu’«en tout endroit où nous établissons un point d’habitation, nous n’abandonnerons ni ce point ni l’endroit lui-même ».
Il est hors de doute que de toutes les initiatives et prises de position du gouvernement dans le conflit israélo-arabe, l’établissement d’agglomérations israéliennes dans les territoires occupés représente l’acte le plus significatif. On peut en effet toujours revenir sur une décision politique, en cas de besoin, soit que l’on se soit laissé persuader ou que l’on ait subi des pressions […], mais il en va différemment des faits accomplis sur le terrain. On ne peut imaginer qu’un gouvernement israélien quel qu’il soit puisse aujourd’hui ordonner le retrait des quelque quarante colonies israéliennes, comprenant plusieurs milliers de personnes, qui ont été établies dans les territoires occupés pendant les cinq dernières années […] »
Amnon Kapeliouk, Le Monde Diplomatique, juin 1972.
Discours d’Anouar El-Sadate à la Knesset (20 novembre 1977)
« Toute vie perdue dans la guerre est celle d’un être humain, qu’il soit arabe ou israélien. Toute femme qui perd son mari est un être humain qui a le droit de vivre dans une famille heureuse, qu’elle soit arabe ou israélienne. Les enfants qui sont privés des soins de leur père sont les enfants de chacun d’entre nous, en terre arabe ou en Israël, et nous avons le grand devoir de leur donner un présent heureux et un bel avenir […]
Vous voulez vivre avec nous dans cette partie du monde et je vous le dis en toute sincérité : nous vous accueillerons avec plaisir, parmi nous, avec plaisir et en sécurité. Ce point en lui-même constitue un tournant historique et décisif, car nous avions coutume de vous rejeter, et nous avions nos raisons […]
Mais il reste une autre barrière. Cette autre barrière entre nous est une barrière psychologique complexe. C’est une barrière de doute, de dégoût, de crainte de la tromperie. C’est une barrière de doute au sujet de toute action, ou de toute initiative, ou de toute décision. C’est une barrière d’interprétations erronées de tout événement et de toute déclaration […]
Je vous dis, en vérité, que la paix ne sera réelle que si elle est fondée sur la justice et non sur l’occupation des terres d’autrui. Il n’est pas admissible que vous demandiez pour vous-mêmes ce que vous refusez aux autres. Franchement, dans l’esprit qui m’a poussé à venir aujourd’hui chez vous, je vous dis : vous devez abandonner une fois pour toutes vos rêves de conquêtes […] Il y a de la terre arabe qu’Israël a occupée et qu’il continue à occuper par la force des armes. Nous insistons sur un retrait complet de ce territoire arabe, y compris Jérusalem arabe, Jérusalem où je suis venu comme dans une cité de paix, la cité qui a été et qui sera toujours l’incarnation vivante de la coexistence entre les fidèles des trois religions […]
Si vous avez trouvé la justification légale et morale de l’établissement d’une patrie nationale sur un territoire qui n’était pas le vôtre, alors il vaut mieux que vous compreniez la détermination du peuple palestinien à établir son propre État, une fois de plus, dans sa patrie […]
La paix n’est pas une manifestation de slogans qui la réclament afin de défendre des convoitises ou de dissimuler des ambitions. La paix, dans son essence, est opposée à toutes les convoitises et toutes les ambitions.»
L’Histoire, n°212, juillet-août 1997.
Un article de Réda Benkirane, journaliste indépendant
«Le sionisme et l’arabisme furent des nationalismes exhortés par la Grande-Bretagne et qui s’amorcèrent sur le démembrement de l’empire ottoman. Tandis qu’ils préparaient la « révolution arabe », les Anglais promettaient dans le même temps, avec la Déclaration Balfour de 1917, la création d’un « foyer national juif ». Tous les États de la région naîtront des artifices du Foreign Office, y compris la puritaine Arabie saoudite suivie, quelques décennies plus tard, de la génération spontanée d’Emirats et autres principautés pétrolifères. Taillé dès le début dans une configuration impossible, le Croissant fertile, berceau de l’humanité et du monothéisme, traversa le siècle dans une violence en continu.
Le sionisme eut son édificateur en la personne de David Ben Gourion. Le nationalisme arabe eut pour visionnaire Nasser. Après la guerre des Six-jours de juin 1967, Nasser survit trois années à la défaite. Avec lui s’évapore le rêve authentique de l’unité arabe. Ben Gourion, qui pris sa retraite, n’est pas partisan de l’occupation de la Cisjordanie. Il s’éteint en laissant ouverte cette question.
C’est à partir de l’annexion de la partie arabe de Jérusalem et de l’occupation de la Cisjordanie que l’arabisme s’effondre et que le sionisme entame son déclin. Ce bout de territoire fait problème, créant à tous une crise identitaire : est-ce là une bande de terre stratégique, une prothèse biblique, un champ étroit et triste de Palestine ? Les territoires occupés sont mal répertoriés dans les discours nationalistes devenus réducteurs : l’Intifada exprimera alors, à travers la « geste des pierres », l’affranchissement de la jeunesse palestinienne. Assassiné pour cause d’apostasie, en 1981, Sadate était un héros en Occident. Mais l’artisan de l’ouverture avait mis en détention 5000 personnalités, du pape copte aux groupes islamistes et progressistes, y compris de grands intellectuels égyptiens. Sadate a tenu en fait le rôle du Judas auprès des peuples arabes. Ce rôle a une fonction religieuse qui marque l’état d’indigence spirituelle et matérielle de la communauté à un moment donné : l’arabisme est cliniquement mort.
Militaire de caractère et de formation, Rabin réalise que la sécurité d’Israël implique des négociations directes et une concession territoriale. C’est avec une froide lucidité qu’il s’apprête, en septembre 1993, à transgresser un tabou de taille : imposer aux Israéliens la figure honnie de Yasser Arafat. La restitution programmée d’une portion des territoires occupés lui sera fatale. En tuant Rabin, son meurtrier, illuminé, n’a pas réalisé qu’il vient de programmer de la sorte la mort du sionisme. Il n’y a désormais plus de tabous.»
Réda Benkirane, la Tribune de Genève, 24 novembre 1999.
Négociations de Camp David (juillet 2000)
Les interventions suivantes sont à resituer dans le cadre des négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens menées à l’initiative du président américain William ClintonWilliam Clinton : président des États-Unis improprement appelé « Bill » y compris dans le Monde après les premiers mois de présidence (janvier 1993-janvier 2001). à Camp David (Maryland) du 11 au 25 juillet 2000.
Parallèlement aux négociations relatives au sort des réfugiés palestiniens, le 24 juillet, William Clinton propose de scinder la Vieille ville de Jérusalem en deux quartiers sous souveraineté palestinienne et deux quartiers sous souveraineté israélienne. Du point de vue de la critique, la confrontation des points de vue est intéressante.
Réponse de Yasser ArafatAlors président de l’Autorité palestinienne et chef de l’OLP. :
« Je ne peux pas trahir mon peuple. Voulez-vous assister à mes funérailles ? Je préfère la mort plutôt que d’accepter la souveraineté israélienne sur le Harâm al-CharifHarâm Al-Charif : à Jérusalem, le Dôme du Rocher et la Mosquée Al Aqsa forment le Harâm Al-Charif , le «Noble Sanctuaire» ou encore «l’Esplanade des Mosquées», troisième lieu saint de l’islam et «Mont du temple» pour les juifs. Selon les juifs, ce site est situé à l’endroit précis où se serait trouvé jadis l’ancien temple de Jérusalem, détruit par les Romains en l’an 70. La où la terminologie chrétienne évoque un «Mur des Lamentations», l’expression juive est «Mur occidental» ou Kotel, qui serait l’unique vestige de ce temple : c’est le lieu le plus saint du judaïsme. Il se trouve directement en contrebas de l’Esplanade des mosquées. : […] Je n’entrerai pas dans l’histoire des Arabes en tant que traître. Comme je vous l’ai dit, Jérusalem sera libérée, si ce n’est pas maintenant, ce sera plus tard, dans cinq, dix ou cent ans… »
Intervention de William Clinton :
« BarakChef du gouvernement israélien. a fait tellement de concessions. Et vous n’en avez fait aucune ! Vous auriez pu recevoir la souveraineté sur les quartiers chrétiens et musulmans de la Vieille ville, la juridiction pleine et entière sur le Harâm al-Charif. Il s’agit d’une question politique et non religieuse. Vous avez manqué une occasion en 1948, vous en avez raté une autre en 1978, lors [du premier sommet] de Camp David. Et voilà que vous recommencez ! Vous n’aurez pas d’État, les relations qui lient l’Amérique et les Palestiniens prendront fin. Le Congrès va voter l’arrêt de l’aide qui vous est accordée, et vous serez traités comme une organisation terroriste […] Personne au Proche-Orient ne vous regardera en face. Les musulmans sauront que vous pouviez devenir le gardien du Harâm al-Charif et fonder un État, et que vous avez refusé. Barak a fait un long chemin [vers la conclusion d’un accord]. Vous n’avez pas bougé ; vous vous êtes contenté de fourrer dans votre poche ce que Barak donnait… »
Avec l’accord de Y. Arafat, Saëb ErekatErekat Saëb : négociateur palestinien. répond :
« Monsieur le président. Cela ne vous coûte rien de nous accuser et de nous menacer. Nous n’avons pas de lobby susceptible d’influer sur la situation à Washington. Nous comprenons vos alliances stratégiques, votre alliance avec Israël, qu’Israël est partie prenante de la vie politique aux États-Unis […] Nous ne sommes pas hostiles à Israël. Nous avons reconnu Israël. Mais ce que je veux vous faire comprendre, c’est que nous sommes contre l’occupation israélienne […] Monsieur le président, vous êtes le leader du monde, ne menacez pas mon président, traitez-nous avec justice. Le peuple palestinien, sous la direction de Yasser Arafat, a accepté et reconnu l’État d’Israël [qui occupe] 78 % de la Palestine historique. Jamais dans l’histoire des Palestiniens un leader n’a reconnu ainsi l’État d’Israël et accepté de fonder l’État sur 22% de la terre…! Or, à présent vous dites qu’Arafat n’a pas fait suffisamment de concessions ! […] Il a accepté les 22 % car la précédente administration américaine, celle d’avant aussi, et l’Europe avec elles nous ont dit qu’elles soutiendraient ceux qui œuvreraient pour la paix. Eh bien c’est précisément ce que j’attends de vous, monsieur le président.
Les Israéliens veulent nous arracher des concessions, tantôt pour satisfaire leur opinion publique, tantôt pour
des raisons historiques, tantôt en réaction à des sondages d’opinion, parfois pour leur sécurité ou pour [ménager] la psychologie du peuple israélien… Je ne peux pas. … Je ne peux pas négocier un jour pour les colons, le lendemain pour l’Histoire, un autre pour les généraux, pour la psychologie des Juifs, ensuite, pour le caractère exceptionnel du peuple juif. Je ne peux pas… Je tente de négocier la paix… Le peuple palestinien résiste à l’armée israélienne, il ne se laissera pas intimider par l’occupation. Si nous n’obtenons pas la paix, monsieur le président, s’il n’y a pas de paix entre Israéliens et Palestiniens… il n’y aura de paix pour personne… Je vous parle le cœur brisé… Je rentrerai et je demanderai pardon aux Palestiniens pour ce que j’ai fait au cours des vingt et une dernières années de ma vie… prêcher pour la paix. Ce sommet a permis d’accomplir beaucoup […] Je n’avais jamais osé penser qu’un jour je discuterais de Jérusalem, des frontières, de la sécurité, du problème des réfugiés avec un gouvernement israélien. S’il vous plaît, monsieur le président, ne laissez pas ce sommet échouer. Si vous le présentez comme un échec, la lumière s’éteindra dans la région et je ne sais pas quand elle reviendra. »
William Clinton à Yasser Arafat :
« Vous êtes croyant. Vous êtes un homme honnête, honorable. Vous avez fait preuve de fermeté pour défendre vos positions. Pour cela, je vous respecte, comme je respecte vos revendications. Nous aurons encore une discussion sur Jérusalem. Barak va envoyer Ben AmiShlomo Ben Ami : ministre de la sécurité intérieure du gouvernement israélien d’Ehoud Barak., donnez-moi un négociateur. »
Yasser Arafat à William Clinton : « Saëb Erekat ira. »
Une heure plus tard, la dernière négociation de Camp David
S. Erekat :
« Madeleine [Albright]secrétaire d’État (ministre des affaires étrangères) de William Clinton.* m’a accusé personnellement [de faire obstacle au bon déroulement des négociations] parce que je lui ai dit, le 11 juillet dans son bureau que ce sommet ne devait pas être un événement unique, qu’il ne fallait pas inciter les gens à en attendre de la fumée blanche. Monsieur le président, 80 % des tabous entre Israéliens et Palestiniens ont été brisés au cours de ce sommet. Ce sommet est une grande réussite, il faut lui donner une suite. Nous devons bâtir sur ce qui a été accompli ici. S’il vous plaît ! S’il vous plaît ! Obtenez un engagement [de poursuivre les négociations] de Barak et d’Arafat, n’accusez personne, ne montrez personne du doigt, car cela conduirait à une effusion de sang ! »
William Clinton :
« Je vous ai demandé de venir ici pour entendre vos suggestions sur la manière dont nous pouvons sortir de cette crise. »
Saeb Erekat :
« Je propose la publication d’un communiqué trilatéral mettant en valeur les progrès réalisés à Camp David et soulignant que de nombreux tabous ont été brisés mais que certains problèmes nécessitent de nouvelles négociations, que les deux parties ont décidé de poursuivre les pourparlers sous la supervision des États-Unis afin d’appliquer les résolutions 242 et 338 du Conseil de Sécurité et de parvenir à un accord avant le 13 septembre. »
William Clinton à Shlomo Ben Ami :
« Quel est votre point de vue ? »
Shlomo Ben Ami à Saeb Erekat :
« Vous n’êtes que quatre millions de musulmans palestiniens et vous prétendez représenter un milliard de musulmans sur le Mont du Temple. Les propositions du président [Clinton] sont une occasion historique que vous manquez à nouveau. Arafat fait passer la question musulmane en tête de ses priorités, avant même les intérêts nationaux palestiniens. Votre intérêt national devient l’otage de l’islam et vous paierez cela très cher. Si Camp David se termine sans accord, cela signifiera l’effondrement du processus de paix, l’effondrement du camp de la paix en Israël, la chute du gouvernement Barak, et peut-être la formation d’un cabinet d’union nationale avec Sharon. »
Charles Enderlin, Le rêve brisé. Histoire du processus de paix au Proche-Orient (1995-2002), Paris, Fayard, 2002, p. 253-257.
Septembre 2000, la seconde Intifada commence.
Dheisheh est un camp de réfugiés palestiniens, situé près de Bethléem.
Mouna Hamzeh-Muhaisen y habite. Elle est journaliste et a lancé le premier site Internet jamais créé dans un camp. Elle a ainsi mis en place un réseau de relations avec les Palestiniens dispersés dans le monde.
Durant cette nouvelle Intifada, elle a tenu un journal…
«Mercredi 4 octobre [2000]
[…] Chaque femme à qui je parle dit la même chose. Le climat est tellement différent cette fois-ci. Les gens en ont marre. Marre de l’agression israélienne, marre de la corruption de l’autorité [palestinienne], marre des accords de paix qui ont transformé ce lieu en un État d’apartheid, en un bantoustan, en une Cisjordanie divisée en 200 îlots isolés […] Marre du silence du monde qui ne nous accorde aucune attention, seulement parce que nous sommes des Arabes.
[…] Pendant ce temps, en Israël la vie continue normalement. Les Israéliens se lèvent chaque matin et vont au travail, pendant que leurs enfants se rendent à l’école. Ils sortent au théâtre et au restaurant. Ils ne sont pas touchés par tout ce qui se passe ici. C’est comme si leurs maris, leurs pères, leurs enfants qui nous tuent, nous blessent, nous estropient étaient des sortes de mercenaires venant de très loin […]
Jeudi 5 octobre
[…] Pleurez, ô mes yeux, pleurez ! Les larmes peuvent laver ma douleur. Combien serons-nous à affronter Oum Hamzeh aujourd’hui ? Ô Oum Hamzeh ! ton fils a rejoint la longue procession des martyrs. Et nous sommes tous supposés te dire : c’est bien, c’est un martyr, il est allé directement au paradis. Sois forte pour ton mari aveugle, sois forte pour tes autres fils, réjouis-toi que ton fils soit le premier martyr de Dheisheh pour l’« Intifada d’al-Aqsa » [du nom de la grande mosquée sur l’esplanade des mosquées de Jérusalem où Sharon était allé défier les Palestiniens, déclenchant le début de la deuxième Intifada] .
Oh, la douleur dans le coeur d’une mère. Oh, la douleur atroce. Les balles israéliennes ont carbonisé sa poitrine et ses bras. Encore et encore et encore. Nous pouvons voir ses os. Quatre balles de snipers ont criblé son corps, alors qu’il se tenait sur le bord de la rue avec son meilleur ami, Akram.
J’ai si peur pour toi, Akram, si tu mourais aussi. Je t’en prie ne meurs pas. Qui avertirait ta mère ? Qui consolerait son cœur et la débarrasserait de sa douleur ? Un fils tué et hospitalisé à Jérusalem, où elle ne pourrait même pas se rendre. Une fille à Gaza, autant dire sur la lune. C’est cela le « processus de paix » qu’ils veulent nous faire rentrer dans la gorge. C’est cela Oslo l’« accord de paix », le « processus de négociations ». La paix, mon œil, et je voudrais utiliser un mot plus explicite. Ceci est un « processus de guerre », un « accord à balles réelles », un « Oslo pour éradiquer les Palestiniens », un accord pour les Apaches […]
Mardi 10 octobre 2000
Trente-six personnes ont été blessées aujourd’hui dans les territoires palestiniens. Pourtant tout ce qu’il faudrait pour arrêter les affrontements, c’est qu’Israël retire complètement ses troupes de ces territoires et réalise que, sans création d’un État palestinien authentique sur tous les territoires occupés en 1967, la lutte ne s’arrêtera jamais.
Montrez-moi où, dans l’histoire, un peuple a arrêté de rêver et de se battre pour son indépendance et sa liberté ?
La paix des braves, Monsieur le premier ministre [Ehoud Barak], est la paix qui met un terme au bain de sang, pas celle qui exige encore plus de sang. La paix des braves suppose la reconnaissance des droits légitimes d’un peuple plutôt que de les supprimer.
Si l’État d’Israël et l’État palestinien vivaient côte à côte, Monsieur le premier ministre, alors tout changerait pour le mieux dans la région. Si vous reconnaissiez que l’apartheid ne peut pas durer, alors tout changerait pour le mieux.»
Le Monde diplomatique, novembre 2000.
Charles Enderlin, journaliste français et israélien
«Charles Enderlin, Israélien d’origine française, est depuis vingt-deux ans le correspondant très apprécié de France 2 à Jérusalem. Auteur de deux ouvrages incontestés, Les Négociations secrètes entre Israël et le monde arabe et Le Rêve brisé, il se plaint d’avoir de plus en plus de mal à faire son travail dans le contexte actuel d’intolérance.
J’avais souvent rencontré Charles Enderlin sur les différents théâtres de conflits du Moyen-Orient, mais c’était la première fois que j’allais le voir dans son bureau de la rue de Jaffa. Je tombais mal, on venait d’apprendre qu’en cette belle matinée du 19 septembre 2002 un kamikaze s’était fait exploser dans un bus en plein centre de Tel-Aviv, faisant avec lui cinq morts et une cinquantaine de blessés dont une demi-douzaine dans un état grave.
Entre coups de téléphone et interviews aux radios et télévisions étrangères, Charles a quand même pris le temps de m’inviter à déjeuner sur un coin de son bureau et de me parler du problème de la liberté de la presse en Israël.
— Figurez-vous qu’on vient de m’attribuer le prix GoebbelsMinistre de la Propagande et de l’Information du gouvernement nazi. ! fulmine-t-il. J’en ai marre de ces extrémistes juifs qui essaient de m’intimider ! Depuis mon reportage sur la mort du petit Muhammad Al DurraTué le 29 septembre 2000., tué dans les bras de son père devant une position israélienne, un reportage qui a fait le tour du monde, ils me poursuivent de leur haine et essaient de me faire peur pour que je ne fasse plus mon métier de journalisteDans son rapport 2002, le CPJ, Comité pour la protection des journalistes, basé à New York, a désigné les territoires occupés par Israël comme l’une des régions du monde où les violations de la liberté de la presse et les violences contre les journalistes ont été les plus nombreuses. Ce rapport est confirmé par celui de Reporters sans frontières.. J’ai reçu des menaces de mort, et sur les conseils de la police j’ai dû louer les services d’une société de gardiens pour effectuer des rondes la nuit autour de mon immeuble. Finalement nous avons déménagé car nous étions en rez de jardin et nous avons pris un appartement au septième étage avec interphone.
« Ma femme et mes enfants de huit et dix ans ont été agressés dans la rue par un Juif d’origine française. Mon mail est submergé par des messages de menaces et d’insultes, tous assez semblables, ce qui indique une opération orchestrée par un mouvement extrémiste. Et maintenant ils m’attribuent le prix Goebbels ! Remarquez je suis en bonne compagnie avec Le Monde et Le Nouvel Observateur qu’on ne peut vraiment pas soupçonner d’antisémitisme !
— Comment a été accueilli en Israël votre livre Le Rêve brisé sur la véritable histoire des négociations de Camp DavidLe sommet pour la Paix au Proche-Orient de Camp David (parfois surnommé Camp David II) s’est tenu en juillet 2000 dans la résidence de Camp David en présence de Bill Clinton, président des États-Unis, d’Ehoud Barak, Premier ministre d’Israël et de Yasser Arafat, président de l’Autorité palestinienne. Ce fut l’une des tentatives diplomatiques pour mettre un terme au conflit israélo-palestinien, problème clé du plus large conflit israélo-arabe. ?
— Aucun éditeur israélien n’a voulu acheter les droits pour le publier en hébreu. Par contre, le film que j’ai fait sur ces mêmes négociations va sans doute être diffusé en automne. Il prouve la part de responsabilité du côté israélien, surtout celle d’Ehoud Barak, dans l’échec qui a mené à la situation actuelle. Ce film, montré en France, est sorti aussi aux États-Unis, mais là-bas ils l’ont monté de telle façon que presque toute la faute retombe sur Arafat.
« L’atmosphère ici est devenue irrespirable, c’est de plus en plus la pensée unique. On vous dit: « On ne peut pas agir autrement, on se défend. » Ce qui me préoccupe, c’est que cet aveuglement est dangereux pour Israël.
« Un correspondant spécialisé dans les affaires militaires a rapporté qu’en trois semaines, au début de l’Intifada, alors que les Palestiniens à ce moment-là n’utilisaient que des pierres, l’armée a tiré trois cent mille balles à Gaza et sept cent mille en Cisjordanie. Il a écrit deux longs articles très sévères sur l’action de l’armée. Ils n’ont été repris nulle part, il n’y a eu aucune réaction. Ce correspondant notait que toutes les analyses des services de renseignements qui contredisent la position officielle sont écartées. C’est très grave car, depuis 1973 et l’échec phénoménal de nos services de renseignements militaires à cette époque, toute analyse doit être suivie d’une contre-analyse. Il faut une réflexion, une pensée stratégique et tactique qui n’existe plus aujourd’hui. On tape sur les Palestiniens, mais le gouvernement n’a aucune politique sérieuse à longue échéance, il ne sait pas où il va.
« Croit-on vraiment pouvoir écraser tous les Palestiniens ? La répression fait naître des milliers de kamikazes contre lesquels personne ne pourra grand-chose. Il ne faut pas oublier qu’à Gaza, l’endroit le plus pauvre et où les extrémistes sont le plus écoutés, 50 % de la population a moins de quinze ans. Où SharonHomme politique et Premier ministre israélien entre 2001 et 2006 qui a toujours défendu une position très dure à l’égard des Palestiniens. pense-t-il aller avec sa politique d’étouffement, de répression et de refus de toute négociation ?
« À mon avis, nous nous précipitons vers le désastre.»
Kenizé Mourad, Le parfum de notre terre. Voix de Palestine et d’Israël, Paris, Robert Laffont, 2003, 134-136.
Un colon israélien
«On m’avait prévenue : « Tu ne trouveras jamais de taxi pour PisgotPisgot est une colonie israélienne située sur une colline surplombant Ramallah (siège de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie) et bâtie en 1981 sur des terres appartenant à Al Bireh, ville jumelle de Ramallah.. Il faudra changer plusieurs fois, car les taxis israéliens ont peur d’entrer dans les territoires et les taxis palestiniens n’ont pas le droit de t’emmener dans une colonie. »
Je m’apprêtais donc à un périple de trois ou quatre heures, avec changements de voitures, pour faire les vingt kilomètres qui séparent Jérusalem-Ouest [côté juif] de la colonie de Pisgot. Mais, en Israël/Palestine, il n’y a pas de règle, il faut toujours tenter sa chance, les petits miracles sont quotidiens.
Je suis tombée sur un chauffeur séfarade qui, à ma grande surprise, a accepté de me conduire jusqu’à la colonie. Je devais découvrir par la suite, alors que j’étais bloquée à l’entrée, qu’il possédait une carte des services spéciaux qui lui ouvrait toutes les portes.
Nous empruntons la route réservée aux Israéliens, superbe et quasi déserte, allant de Jérusalem à Naplouse [en Cisjordanie]. C’est une route de contournement et nous mettons presque une heure, à vive allure, pour atteindre Pisgot.
— Avant on y allait par la route principale, m’explique le chauffeur qui m’a prise en sympathie, mais maintenant les gens ont peur.
Arrivée devant l’entrée de la colonie gardée par des policiers armés de mitraillettes, je tends mon passeport, me maudissant une fois de plus pour les visas pakistanais qui s’étalent insolemment sur les deux premières pages. C’est tellement énorme qu’ils pourraient croire à une provocation, mais je ne suis vraiment pas d’humeur à ça. J’ai eu un mal fou à obtenir cette interview, j’ai téléphoné vingt fois au bureau central de la colonie, parlé à différents interlocuteurs qui me promettaient une réponse rapide, laissé des messages à un répondeur qui m’informait en hébreu… En vain.
Je commençais à désespérer lorsque j’ai reçu un coup de téléphone d’un responsable des colons qui me donnait les coordonnées d’un certain docteur Tubiana […]
Le docteur Tubiana a quarante-sept ans. Petit, replet, le teint clair et l’œil vif derrière des lunettes cerclées d’acier, il arbore une fine barbiche et bien sûr la kippa de tout juif pratiquant. Sa spécialité est l’acupuncture, « l’auriculothérapie » (acupuncture auriculaire) précise-t-il.
— Je suis d’une famille de pieds-noirs de Tunisie, ma femme est d’Algérie. Nous sommes arrivés en France enfants, lors des événements de 1962. C’est en 1985 que ma femme et moi avons décidé de venir en Israël avec nos trois enfants, à Jérusalem d’abord, puis à Pisgot en 1991.
— Pourquoi êtes-vous venus en Israël, vous n’étiez pas heureux en France ?
— Parce que ma pratique religieuse, qui n’est pourtant pas intégriste, me posait dans la vie quotidienne des problèmes d’organisation. Le respect des fêtes juives, ne pas travailler le samedi, ne pas envoyer les enfants à l’école, à cause du shabbat… Pour moi, médecin libéral, c’était relativement aisé, mais ma femme, étant à l’Éducation nationale, avait du mal à obtenir un poste où les vendredis après-midi et les samedis soient libres. Ma famille était venue en France à cause de la langue, même si une partie s’était déjà installée en Israël, mais quand on est juif pratiquant il est logique de faire son « aliah » : revenir en terre d’Israël pour affirmer son sionisme.
— Êtes-vous nombreux à Pisgot ?
— Nous sommes deux cent cinquante familles, environ deux mille personnes. Il y en a toujours qui partent, mais d’autres arrivent. Pisgot attire du monde car le niveau de vie y est bien plus élevé qu’à Jérusalem ou dans d’autres « yishouvA l’origine, communauté juive en Palestine ; employé maintenant par les colons pour désigner les implantations. ». De plus, nous avons une très bonne école, et, depuis 1995, une route de contournement qui nous permet de ne plus passer par Ramallah. Tous ces éléments, outre la proximité de Jérusalem, attirent les familles.
— Malgré les problèmes d’insécurité ?
— Il est faux de prétendre que ces problèmes font fuir les gens ! Bien sûr depuis l’Intifada nous avons été obligés de prendre les armes. Les habitants ont appris à tirer, on a établi un volontariat, des tours de garde, nous avons aussi nos réservistes, très efficaces. Et puis, des soldats sont venus nous aider, on a construit une grande muraille de cinq mètres de haut pour protéger les maisons situées du côté de Ramallah. Mais en réalité nous sommes un yishouv communautaire et religieux, pas militaire, même si au début en 1981, Pisgot fut créé comme base militaire pour protéger l’antenne de communication qui couvre tout le nord du pays jusqu’à Jérusalem. Peu à peu des gens sont venus y vivre. Il n’y avait pas de problèmes, ils entretenaient de très bonnes relations avec les « mukhtars », les maires des villages environnants.
« Mais les « commanditaires de Tunis », les gens d’Arafat (la direction de l’Organisation de libération de la Palestine, OLP), se sont mis à faire pression sur eux, et en 1987 a commencé la première Intifada.
— Il est pourtant notoire que cette première Intifada était due à l’exaspération d’une population occupée qui voyait ses conditions de vie se dégrader et les colonies se multiplier sur ses terres. Les Palestiniens de l’extérieur ont, ensuite seulement, tenté de la reprendre en main.
— C’est faux ! Les gens ici n’avaient aucun problème avec nous ! De toute façon je ne vois pas le mal que je fais à monsieur Mohammed en vivant sur cette terre. C’était une terre domaniale (appartenant au domaine public) qui n’appartenait à personne. Et puis n’oubliez pas qu’il y a eu la guerre en 1967 contre les Jordaniens et que nous l’avons gagnée, cela nous donne des droits sur les territoires conquis. A partir de ces bases-là, on peut discuter !
— Vous savez qu’il existe une quarantaine de résolutions des Nations-Unies disant qu’Israël doit restituer ces territoires occupés ?
— Une quarantaine ? – II rit. – Bien plus ! Les trois quarts des résolutions des Nations-Unies sont contre Israël, mais cela ne changera pas d’un iota notre position : la Judée-Samarie (la Cisjordanie) est une partie intégrante d’Israël, aucun autre peuple n’a existé sur cette terre, aucune autre capitale, ce sont des vérités historiques incontournables !
— Mais le peuple palestinien a, lui aussi, vécu ici, et très longtemps !
— Le peuple palestinien n’a jamais existé, vous l’avez inventé, il n’a jamais existé !
— Et les gens qui vivaient ici, qui étaient-ils ?
— Lisez Chateaubriand, lisez Napoléon. Il s’agissait de quelques milliers de nomades qui passaient entre l’Égypte et la Syrie, s’arrêtaient un peu ici ou là. Parler de peuple palestinien est une aberration, une vue de l’esprit.»
Kenizé Mourad, Le parfum de notre terre. Voix de Palestine et d’Israël, Paris, Robert Laffont, 2003, 59-64.
Itinéraire d’un journaliste palestinien
« Cela fait quatre mois, depuis l’invasion israélienne de la fin mars 2002, que Jawdat Mannar est bloqué à RamallahVille de Cisjordanie, à 15 km au nord de Jérusalem, siège de l’Autorité palestinienne., où il travaille, loin de sa famille qui vit à Bethléem. En temps normal, il fait le trajet chaque jour, cela lui prend une demi-heure ; mais, depuis le couvre-feu et les barrages renforcés, il n’a pas vu sa femme ni ses quatre enfants. Dès que ce sera possible, il essaiera de les faire venir, s’il trouve un logement, et s’il a assez d’argent pour payer cette nouvelle installation, qu’il espère provisoire.
— Si ce n’est pas confortable, tant pis, nous avons l’habitude, dit-il en riant, nous sommes des enfants des camps !
La famille de Jawdat est originaire du village de Zakariya, près de l’aéroport de Lod. En 1948, ils ont été chassés et ont émigré vers un village des environs d’Hébron, qu’ils ont dû quitter pour finalement s’installer à Bethléem, dans le camp de réfugiés de Deheishé. C’est là que Jawdat est né.
C’est un homme brun, un peu massif, la petite cinquantaine.
— Avant 1948, mon père s’était battu avec le mouvement palestinien contre le mouvement sioniste et l’immigration juive, raconte-t-il. Par la suite, sous la domination jordanienne, il a continué son combat pour une Palestine indépendante. Les Jordaniens l’ont mis en prison pendant trois ans car, s’ils nous laissaient vivre comme nous l’entendions, toute activité politique était interdite […]
— Je pense à tous ces enfants dont les pères aujourd’hui sont en prison, cinq mille hommes depuis la dernière invasion israélienne. C’est terrible, une maison sans père…
«Au début dans le camp, nous vivions sous des tentes. L’école aussi était sous une tente, et il n’y avait aucun centre de santé. Mais surtout nous avions toujours faim. Une fois, le professeur a apporté du pain, et il a quitté la classe cinq minutes, laissant le pain sur son bureau. Nous étions quarante, nous avons pris le pain et nous nous le sommes partagé. Aujourd’hui, quand j’y repense, je suis sûr qu’il l’a fait exprès, mais il ne voulait pas blesser notre fierté en nous distribuant du pain lui-même. Il a fait semblant de ne s’apercevoir de rien […]
« Après avoir terminé l’école du camp, j’ai fait mes études secondaires à Bethléem. Je n’ai pas fait l’université. À l’époque en Cisjordanie il n’y en avait pas, et je n’avais pas d’argent pour aller à l’étranger.
— De quand date votre prise de conscience politique ?
— Tout enfant. À la maison j’écoutais la radio du Caire, sous mes couvertures, car c’était défendu. NasserChef d’État égyptien, se posant en leader du monde arabe dans les années 1950-1960., qui parlait de libérer la Palestine, était mon héros. L’emprisonnement de mon père et la situation des gens dans le camp nous ont formés politiquement. On se demandait mutuellement : D’où viens-tu ? De quel village ? Comment avez-vous été chassés ? Combien de morts ?
« Quand Nasser est décédé, en 1971, j’ai organisé avec un groupe d’amis une manifestation pacifique à Bethléem. Nous étions vingt-cinq mille. La sécurité israélienne m’a convoqué et m’a menacé. Ils m’ont gardé en prison quinze jours. J’avais seize ans. C’est à partir de là que j’ai commencé à être vraiment actif. Comme il m’était impossible de contacter l’OLP, qui se trouvait hors du pays, je militais sur place. Je travaillais dans les comités de défense contre les colons qui tiraient sur les gens du camp, plus tard j’ai été leur porte-parole, je rencontrais les diverses délégations. Mais je n’ai jamais eu d’activités militaires. Ce n’est pas dans mon caractère, et je pense que je peux être plus utile sur le plan politique, en parlant et en écrivant. C’est pour cette raison que je suis devenu journaliste, et cela m’a valu pas mal de séjours en prison !
— Pour délit d’opinion ? En Israël ? Il s’étonne de mon étonnement.
— La presse israélienne est libre mais pas la presse palestinienne. La vérité est dangereuse pour Israël qui doit donner au monde une image de pays démocratique pour pouvoir continuer tranquillement à nous écraser. De nos jours la bataille pour l’opinion est essentielle : elle précède et justifie les guerres.
« Pendant la première Intifada j’ai passé plusieurs mois en prison. Ils ont entouré l’immeuble où je travaillais et saccagé mon bureau. Ils voulaient me faire passer en cour martiale car ils avaient trouvé chez moi des « tracts dangereux ». Quand ils me les ont montrés, je leur ai fait remarquer que c’était la copie d’un article d’un grand quotidien israélien, Haaretz.
« — Ils ont le droit de publier cela et pas moi ? leur ai-je demandé.
« — C’est contre l’État israélien.
« — Et la liberté de parole ? Je croyais qu’Israël était une démocratie !
« J’ai passé quelques jours en prison, puis ils m’ont relâché avec une grosse amende. Le soldat israélien qui me raccompagnait m’a dit : « Je suis désolé de tout cela, je suis journaliste moi aussi. »
« J’étais libre, mais je ne pouvais plus travailler. Ils ont fermé mon bureau pendant six mois, confisqué ma carte de presse, mon permis de conduire, et coupé ma ligne téléphonique avec l’étranger pendant deux ans.
« Une autre fois j’avais écrit un article sur la situation à Bethléem et je refusais de donner mes sources. Ils m’ont arrêté et mis dans une minuscule cellule, dans le noir complet, pendant quarante jours.
« La troisième fois, en 1990, ils ont fermé mon bureau pendant deux ans. J’avais découvert et publié, preuves à l’appui, une histoire qui mettait en cause les services de sécurité. À Bethléem un cimetière chrétien avait été profané. D’après les Israéliens, c’était évidemment le fait de musulmans – ils essaient constamment de nous diviser. Or j’avais découvert, par l’entremise d’un soldat saisi de remords, que c’étaient les services de sécurité israéliens qui avaient amené des prisonniers palestiniens pendant le couvre-feu – c’était l’époque de la guerre du Golfe – et les avaient obligés à profaner les tombes. Pour préserver mes arrières j’ai pris un témoin israélien qui a recueilli l’histoire de la bouche même du soldat. Mais, bien sûr, j’ai quand même été mis en prison, et là ils m’ont torturé.
Il détourne la tête, il est clair qu’il ne veut pas en dire plus. »
Kenizé Mourad, Le parfum de notre terre. Voix de Palestine et d’Israël, Paris, Robert Laffont, 2003, 129-133.
La douleur d’Orit
«Le 9 mars 2002, à dix heures du soir, au Moment, un café de Jérusalem très fréquenté par les jeunes, un Palestinien est entré et s’est fait exploser, causant la mort de onze personnes et en blessant des douzaines d’autres.
L’une des victimes s’appelait Limor Ben Shoham. En hébreu, Limor signifie le délicat arôme d’une fleur. Elle avait vingt-sept ans.
Trois mois plus tard, par l’intermédiaire d’une amie israélienne, j’ai pu rencontrer sa sœur, Orit. Sa mère avait refusé de me voir, comme elle refusait de voir tout journaliste, à ses yeux des vautours se nourrissant de son malheur. Orit, elle, avait accepté, elle voulait parler, expliquer…
Je l’ai retrouvée dans le hall de l’hôtel King David, l’un des rares endroits où mes interlocuteurs israéliens disent se sentir en sécurité – pourquoi ? le service de sécurité ne me semble ni plus ni moins efficace qu’ailleurs, mais le King David est un des hauts lieux de Jérusalem, une oasis de luxe, qui abrite des hôtes éminents, sans doute est-ce pour cela qu’on le croit particulièrement protégé.
J’ai vu s’avancer vers moi une silhouette menue, vêtue d’une simple robe de toile écrue, et j’ai été immédiatement frappée par de grands yeux de chat mangeant un petit visage livide encadré de cheveux roux coupés à la garçonne, comme pour nier la fragile féminité. Il émanait d’elle une sensibilité exacerbée, une révolte à fleur de peau, une indicible douleur.
Elle s’est assise toute droite sur le bord du fauteuil, a fait un effort pour poser sa voix, pour paraître naturelle, objective – mais qui oserait te demander, petite Orit, d’être objective devant l’enchaînement d’assassinats qui déchire ta région et a déchiré ta famille ? Courageusement elle essaie de s’exprimer avec calme, sur le conflit et une nécessaire solution « démocratique », une solution négociée, qui ne puiserait pas sa source dans la haine… mais c’est trop d’effort, elle craque :
— ArafatYasser Arafat (1929-2004) a longtemps été le principal leader de la plupart des Palestiniens. Il fut le président du Fatah, puis de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Longtemps considéré comme un terroriste, il devint néanmoins le représentant des Palestiniens lors des négociations avec les Israéliens dans les années 1990, puis le Président de la nouvelle Autorité palestinienne (embryon d’État palestinien issu des accords de paix) jusqu’à son décès. n’est pas différent d’Hitler, avec lui on ne peut pas négocier ! Comment le monde ne comprend-il pas cela ? Comment le monde ne voit-il pas que nous n’avons que ce pays ? Où pouvons-nous aller ? C’est le seul endroit pour nous, les Juifs ! Les Palestiniens veulent nous faire partir ; récemment encore ils ont mis une bombe sous un camion de gaz à Afpula, en plein centre-ville ; si on ne l’avait désamorcée, il y aurait eu des centaines de morts!
Je la laisse parler, sa douleur a besoin de se déverser. Quand, au bout d’un moment, je hasarde que SharonHomme politique et Premier ministre israélien entre 2001 et 2006 qui a toujours défendu une position très dure à l’égard des Palestiniens. n’est pas non plus un enfant de chœur et que depuis le début des opérations beaucoup d’enfants palestiniens ont été tués, elle sursaute.
— Comment pouvez-vous comparer Sharon et Arafat ? Et puis ces enterrements d’enfants sont la plupart du temps des simulacres. Des photos ont été prises par des avions espions qui montrent le cortège accompagnant le mort, et lorsqu’ils sont hors champ de la caméra, le mort se lève et s’en va.
Je la regarde, stupéfaite. Elle insiste :
— Vous croyez que je mens ? Je l’ai vu à la télévision !
Non, bien sûr je ne crois pas que tu mentes, je sais seulement que les centaines de journalistes qui couvrent le conflit ont vu des enfants palestiniens tués, ont assisté à des enterrements, qu’il y en a, hélas, suffisamment sans besoin de macabres trucages, et je sais aussi qu’aujourd’hui, avec la technologie numérique, on peut « montrer » ce que l’on veut.
Elle paraît si fragile avec ses épaules nues dans sa robe de toile claire, au milieu des faux marbres et des ors du King David, une image de la pureté, de la justice bafouée, de l’innocence blessée.
— Nous vivons dans l’angoisse quotidienne, je n’ose plus sortir, à peine aller au travail, je n’ose plus prendre les transports en commun, aller dans un magasin, j’ai peur d’aller à la banque, de me promener dans le parc, je suis constamment terrorisée… Comment est-ce que vous vivriez, vous, si vous ne pouviez sortir dans la rue sans craindre d’être assassinée ?
Orit a même peur de me raconter son histoire :
— Peut-être ne faut-il pas que vous disiez mon nom, les terroristes pourraient chercher à se venger, venir me tuer moi aussi.
J’ai du mal à la convaincre que s’ils peuvent mettre une bombe dans un café ils ne s’intéressent pas à elle personnellement, d’autant qu’elle n’est pas une responsable politique. Peu à peu, elle se rassure et finit par admettre que me parler ne la mettra pas en danger.
Orit a trente-huit ans mais a l’air d’une petite fille tragique ; elle a beaucoup maigri depuis la mort de sa sœur.
— Je n’arrive plus à manger, me confie-t-elle, je pense tout le temps à elle. Si vous l’aviez connue ! C’était la joie de vivre, elle adorait danser, elle avait plein d’amis, la plupart des artistes comme elle, son violon d’Ingres était le maquillage d’acteurs, elle y excellait et projetait d’en faire son métier… Oh, comme je hais ce monstre !
Son joli sourire se fissure, elle est au bord des larmes. Je me sens presque coupable d’oser lui dire que peut-être Sharon ne fait pas ce qu’il faut pour mettre fin à ces tueries. Elle le défend, elle voit en Arafat l’incarnation du Mal et les Palestiniens comme des gens sans cœur capables d’envoyer leurs enfants à la mort pour faire avancer leur cause. C’est ce que la plupart des grands médias israéliens assènent à leur audience toute la journée. Comment pourrait-elle voir les choses autrement ?
— Vous croyez peut-être que je déteste les Arabes ? se rebiffe-t-elle. Pas du tout. Dans mon entreprise, il y a deux femmes arabes avec lesquelles je travaille, je n’ai aucun problème avec elles, même depuis la mort de ma sœur. Je n’ai rien contre les Palestiniens ou les Arabes israéliens, je ne les détesterai jamais. C’est Arafat que je déteste. Il exploite son peuple, ne lui donne aucun moyen de s’éduquer, il n’est bon qu’à leur apprendre à tuer.
Je n’essaie pas de lui expliquer que les Palestiniens mettent tant l’accent sur l’éducation que c’est le peuple le plus diplômé de tout le monde arabe. Elle répète, les lèvres crispées :
— Arafat est comme Hitler. Sharon n’a rien à voir avec lui, il n’envoie pas les enfants se faire tuer, il n’envoie pas de terroristes.»
«Des colonies israéliennes indéracinables, vraiment ?»
Tony Judt qui est décédé depuis la parution de ce texte, était un historien britannique qui enseignait à la New York University (NYU). Son article est paru initialement dans The International Herald TribuneInternational New York Times depuis 2013., quotidien international d’expression anglaise qui, en partie, reprend des articles du New York Times, l’un des meilleurs quotidiens américains.
« Je suis assez âgé pour me souvenir du temps où les kibboutzFermes ou villages collectivistes créés dès le début du XXe siècle par les premières vagues d’immigration juive en Palestine, soit avant la création de l’État d’Israël en 1948. ressemblaient à des colonies, dans le sens que donne le dictionnaire de «petit village» et d’«acte de peupler un nouveau pays».
Au début des années 1960, j’ai passé quelque temps dans le kibboutz Hakuk […] Construit à partir de 1945,
Hakuk n’avait que 18 ans d’existence quand je le vis pour la première fois, et tout était encore sauvage alentour. Les quelques dizaines de familles qui y habitaient avaient construit une salle à manger commune, des étables, des maisons […]
Mais là où s’arrêtaient les immeubles résidentiels, il n’y avait rien d’autre que des vallées recouvertes de cailloux et des champs à moitié praticables. Les membres de la communauté portaient encore des chemises bleues de travail, des shorts kaki et des chapeaux triangulaires, cultivant consciencieusement une image et une éthique déjà en porte-à-faux avec l’atmosphère urbaine et frénétique de Tel-Aviv. Nous autres, semblaient-ils dire aux volontaires et aux visiteurs […], sommes le véritable Israël; venez nous aider à dégager des cailloux et à planter des bananes, et dites à vos amis en Europe et en Amérique de faire de même.
Hakuk existe toujours. Mais aujourd’hui il vit de son usine de plastiques et des touristes qui s’agglutinent non loin sur les bords du lac de Tibériade. La ferme d’origine, construite autour d’un fort, est devenue une attraction touristique. Dire de ce kibboutz qu’il est une «colonie» semblerait bizarre.
Néanmoins, Israël a besoin de ces «colonies». Elles sont partie intégrante de l’image que ce pays a depuis longtemps cherché à véhiculer vis-à-vis de ses admirateurs étrangers et de ses bailleurs de fondsCelles et ceux qui aident financièrement l’État d’Israël. : celle d’un petit pays industrieux assurant sa place légitime dans un environnement hostile par un rude travail sur la terre, l’irrigation, l’autosuffisance agraire, la productivité, l’autodéfense légitime et la construction de communautés juives. Mais ce récit […] sonne faux dans un Israël moderne et ultra-technologique. Et ainsi le mythe a été transposé ailleurs, précisément dans les terres palestiniennes conquises pendant la guerre de 1967 et occupées illégalement depuis.
Ce n’est ainsi pas par hasard que la presse internationale est encouragée à parler des «colons» et des «colonies» de Cisjordanie. Mais cette image est profondément trompeuse.
La plus grande, géographiquement parlant, de ces communautés controversées est Maale Adumim. Sa population dépasse 350 000 habitants, ce qui équivaut démographiquement à Winchester en Angleterre. Mais ce qui frappe le plus, à propos de Maale Adumim, est son étendue territoriale. Cette «colonie» fait plus de 48 km2, soit une fois et demie la taille de Manhattan […]
Il y a environ 120 colonies israéliennes officielles dans les territoires occupés en Cisjordanie. De plus il y a les colonies « non officielles », dont le nombre est estimé entre 80 et 100. Selon le droit international, il n’y a pas de différence entre ces deux catégories: elles contreviennent à l’article 47 de la quatrième Convention de Genève, qui interdit explicitement l’annexion d’un pays suite à l’usage de la force, un principe répété par l’article 2.4 de la Charte de l’ONU.
Aussi la distinction qu’on entend si souvent dans les discours israéliens entre colonies «autorisées» et «non autorisées» est-elle spécieuse: elles sont toutes illégales, qu’elles aient été ou non approuvées officiellement [(par le gouvernement israélien)], que leur expansion soit gelée ou bien qu’elle continue à grands pas (Avigdor Liebermann, le nouveau ministre des Affaires étrangères, habite la colonie de Nokdim, en Cisjordanie, fondée en 1982 et en constante expansion depuis).
Le cynisme flagrant du gouvernement israélien actuel ne devrait pas nous aveugler sur la responsabilité de ses prédécesseurs apparemment plus respectables. La population des colonies a régulièrement grandi de 5% par an durant les deux dernières décennies, soit trois fois le taux de la population israélienne dans son ensemble.
En comptant la population juive de Jérusalem-Est (tout aussi illégalement annexée à Israël) les colons représentent aujourd’hui plus de 500?’000 personnes: un peu plus de 10% de la population juive du «Grand Israël»Projet de la droite nationaliste et/ou religieuse incorporant tous les territoires palestiniens.. C’est une raison pour laquelle les colons ont un tel poids dans les élections israéliennes […]
Or les colons ne sont plus un groupe d’intérêt marginal. Pour bien se rendre compte de ce que signifie cette population dispersée en un archipel de constructions urbaines protégées de l’intrusion arabe par 600 check points [(= points de contrôle)] et barrières, il faut considérer ceci: pris ensemble, Jérusalem-Est, la Cisjordanie et le plateau du Golan constituent un bloc démographique homogène atteignant presque la taille du district de ColumbiaDans lequel se trouve la ville de Washington.. Elle dépasse même la population de Tel-Aviv de presque un tiers.
Si Israël est ivre de colonies, les États-Unis ont longtemps été son incitateur. Si Israël n’était pas le principal bénéficiaire de l’aide étrangère américaine – en moyenne 2,8 milliards chaque année de 2003 à 2007, et qui devrait atteindre 3,1 milliards en 2013 –, les maisons dans les colonies de Cisjordanie ne seraient pas si bon marché: souvent moins de la moitié du prix de maisons identiques en Israël même.
Beaucoup d’entre ceux qui déménagent dans ces maisons ne s’imaginent même pas être des colons. Nouveaux venus en provenance de Russie ou d’ailleurs, ils ne font que sauter sur l’occasion d’avoir un logement subventionné. Ils déménagent dans les zones occupées et deviennent les clients reconnaissants de leurs patrons politiquesIls votent pour les partis nationalistes et/ou religieux qui ont facilité leur arrivée..
Malgré tous les pourparlers diplomatiques visant le démantèlement des colonies comme condition à la paix dans la région, personne ne croit sérieusement que ces communautés – avec leur demi-million de résidents, leurs installations urbaines et leur accès privilégié aux terres fertiles et à l’eau – seront jamais démantelées. Les autorités israéliennes, qu’elles soient de gauche, de droite ou du centre, n’ont pas l’intention de le faire, et ni les Palestiniens ni les Américains informés ne se bercent d’illusions sur ce point.
Il est sûr qu’il convient à presque tout le monde de prétendre le contraire, de s’en référer à la Feuille de route de 2003Le plan de règlement du conflit élaboré au niveau international (ONU, EU, Russie, Union européenne) en 2003. et d’évoquer un accord final basé sur les frontières de 1967. Mais, dans l’hypocrisie politique ambiante, cette feinte peut toujours être interprétée comme un «petit changement», le lubrifiant qui facilite la communication et le compromis.
Il est pourtant des situations où l’hypocrisie politique inclut son propre châtiment, et c’est maintenant. Parce que les colonies ne disparaîtront jamais, et que pourtant presque tout le monde aime à prétendre le contraire, nous avons résolument ignoré les implications de ce que les Israéliens ont longtemps été fiers d’appeler «les faits sur le terrain»Le grignotage progressif par la colonisation des terres palestiniennes occupées depuis 1967.. Benyamin Netanhayou, le premier ministre israélien, […] a [récemment] réitéré la seule position israélienne qui compte: nous n’allons plus construire de colonies illégales, mais nous nous réservons le droit d’étendre celles qui sont légales suivant leur taux de croissance naturelleDu fait de la natalité. […]
[Pour Washington], l’inconfortable réalité est que le premier ministre a répété la vérité crue: son gouvernement n’a pas l’intention de reconnaître le droit international ou l’opinion quant à l’emprise d’Israël sur la «Judée-Samarie»La Cisjordanie..
Ainsi Obama fait face à un choix: il peut aller dans le sens des Israéliens, prétendant croire en leurs promesses de bonnes intentions […], ce qui lui ferait gagner du temps et la faveur du Congrès. Mais les Israéliens le prendraient pour un imbécile, et c’est ainsi qu’il serait considéré au Proche-Orient et au-delà.
En revanche, le président pourrait rompre avec deux décades de soumission américaine […], désavouer le cynique Netanyahou et rappeler aux Israéliens que toutes leurs colonies sont les otages de la bonne volonté américaine. Il pourrait aussi leur rappeler que les communautés illégales n’ont rien à voir avec la défense d’Israël et sont bien loin de ses idéaux fondateurs de l’autosuffisance agraire et de l’autonomie juive. [Les colonies] ne sont rien d’autre qu’une prise de pouvoir coloniale que les États-Unis n’ont aucun intérêt à vouloir subventionner […] »