Un juriste définit la colonisation en 1912
« Coloniser, c’est se mettre en rapport avec des pays neufs, pour profiter des ressources de toute nature de ces pays, les mettre en valeur dans l’intérêt national, et en même temps apporter aux peuplades primitives qui en sont privés les avantages de la culture intellectuelle, sociale, scientifique, morale, artistique, littéraire, commerciale et industrielle, apanage des races supérieures. La colonisation est donc un établissement fondé en pays neuf par une race avancée, pour réaliser le double but que nous venons d’indiquer. »
Merignhac, Précis de législation et d’économie coloniales, Paris, 1912.
Vers 1825, seule la Grande-Bretagne conservait un grand empire colonial. Celui de l’Espagne s’était émancipé ; la perte des colonies françaises avait été sanctionnée par le Congrès de Vienne (1815). Le libéralisme économique refusait toute nouvelle conquête .
« Les vraies colonies d’un peuple commerçant, ce sont les peuples indépendants de toutes les parties du monde. Tout peuple commerçant doit désirer qu’ils soient tous indépendants, pour qu’ils deviennent tous plus industrieux et plus riches; car plus ils sont nombreux et productifs, et plus ils présentent d’occasions et de facilités pour les échanges. Ces peuples alors deviennent pour vous des amis utiles, et qui ne vous obligent pas de leur accorder des monopoles onéreux, ni d’entretenir à grands frais des administrations, une marine et des établissements militaires aux bornes du monde. Un temps viendra où l’on sera honteux de tant de sottises, et où les colonies n’auront plus d’autres défenseurs que ceux à qui elles offrent des places lucratives à donner et à recevoir, le tout au dépens des peuples. »
J.-B. Say, Traité d’économie politique, 1825.
A partir des années 1870, une nouvelle vague colonisatrice se développe en direction de l’Afrique et de l’Asie. Les partisans d’une politique impérialiste (c’est-à-dire conquête de terres nouvelles et extension le plus loin possible de influence de son pays) la justifient en assignant quatre objectifs, social, économique, politique et idéologique.
Justification sociale :
« J’étais hier dans l’East-End (quartier ouvrier de Londres), et j’ai assisté à une réunion de sans-travail. J’y ai entendu des discours forcené. Ce n’était qu’un cri. Du pain ! Du pain ! Revivant toute la scène en rentrant chez moi, je me sentis encore plus convaincu qu’avant de l’importance de l’impérialisme… L’idée qui me tient le plus à coeur, c’est la solution au problème social : pour sauver les quarante millions d’habitants du Royaume-Uni d’une guerre civile meurtrière, nous les colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y installer l’excédent de notre population, d’y trouver de nouveaux débouchés pour les produits de nos fabriques et de nos mines. L’Empire, ai-je toujours dit, est une question de ventre. Si vous voulez éviter la guerre civile, il faut devenir impérialiste. »
Cécil Rhodes, Premier ministre du Cap, extrait du journal Neue Zeit, 1898 (cité par Lénine, L’impérialisme, stade suprême du capitalisme (1916)).
Justification économique
« La nature a distribué inégalement, à travers la planète, l’abondance et les dépôts de ces matières premières; et tandis qu’elle a localisé dans cette extrémité continentale qui est l’Europe le génie inventif des races blanches, la science d’utilisation des richesses naturelles, elle a concentré les plus vastes réservoirs de ces matières dans les Afriques, les Asies tropicales, les Océanies équatoriales, vers lesquelles le besoin de vivre et de créer jettera l’élan des pays civilisés. L’humanité totale doit pouvoir jouir de la richesse totale répandue sur la planète. Cette richesse est le trésor commun de l’humanité. »
A. Sarraut, Grandeur et servitudes coloniales, 1931.
« Messieurs, au temps où nous sommes et dans la crise que traversent toutes les industries européennes, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché. On a remarqué, en effet, et les exemples abondent dans l’histoire économique des peuples modernes, qu’il suffit que le lien colonial subsiste entre la mère-patrie qui produit et les colonies qu’elle a fondées, pour que la prédominance économique accompagne et subisse, en quelque sorte, la prédominance politique. »
Jules Ferry, Discours, 1885.
Des extraits plus larges de ce discours de Ferry sur [-> 4658]
« Il ne faut pas se lasser de le répéter : la colonisation n’est ni une intervention philosophique, ni un geste sentimental. Que se soit pour nous ou pour n’importe quel pays, elle est une affaire. Qui plus est, une affaire comportant invariablement à sa base des sacrifices de temps, d’argent, d’existence, lesquels trouvent leur justification dans la rémunération. »
Maurice Rondet-Saint, La Dépêche coloniale, 29 novembre 1929. L’auteur est directeur de la Ligue maritime et coloniale.
Justification politique :
La conquête d’un Empire renforce le prestige et la puissance de la métropole.
« La colonisation est la force expansive d’un peuple, c’est sa puissance de reproduction, c’est sa dilatation et sa multiplication à travers les espaces; c’est la soumission de l’univers ou d’une vaste partie à sa langue, à ses moeurs, à ses idées et à ses lois. Un peuple qui colonise, c’est un peuple qui jette les assises de sa grandeur dans l’avenir et de sa suprématie future… A quelque point de vue que l’on se place, que l’on se renferme dans la considération de la prospérité et de la puissance matérielle, de l’autorité et de l’influence politique, ou que l’on s’élève à la contemplation de la grandeur intellectuelle, voici un mot d’une incontestable vérité : le peuple qui colonise est le premier peuple; s’il ne l’est pas aujourd’hui, il le sera demain. »
. Leroy-Beaulieu, De la colonisation chez les peuples modernes, Guillaumin, 1870, p. 605-606.
L’auteur est économiste et l’un des grands théoriciens de la colonisation française.
« En premier lieu je crois en l’Empire britannique, et en second lieu je crois en la race britannique. Je crois que la race britannique est la plus grande des races impériales que le monde ait connues. Je dis cela non comme une vaine vantardise, mais comme une chose prouvée à l’évidence par les succès que nous avons remporté en administrant les vastes possessions reliées à ces petites îles, et je crois donc qu’il n’existe pas de limite à son avenir. »
Discours du 11 novembre 1895, Imperial Institute, Londres, par Joseph Chamberlain qui est alors ministre des Colonies.
« (…) J’admets que nous avons commis des fautes. Sans aucun doute nous avons été coupables de péchés de domination comme de péchés d’omission. Mais cela étant dit, il reste que, seuls parmi toutes les nations du globe, nous avons été capables de fonder et de conserver des colonies dans les conditions les plus diverses et dans toutes les régions du monde ; nous nous sommes assurés non seulement le loyal attachement de tous les citoyens britanniques, mais encore la sympathie de toutes les races – indigènes aussi bien qu’européennes – vivant à l’ombre du drapeau britannique. »
Discours du 21 janvier 1896, Joseph Chamberlain, Foreign and Colonial Speeches, Londres, Routledge and Kegan Paul Ltd, 1897, pp. 89, 93-95.
Justification idéologique
Croyance en une hiérarchie des races.
« C’est en vain que quelques philanthropes ont essayé de prouver que l’espèce nègre est aussi intelligente que l’espèce blanche. Quelques rares exemples ne suffisent point pour prouver l’existence chez eux de grandes facultés intellectuelles. Un fait incontestable qui domine tous les autres, c’est qu’ils ont le cerveau plus rétréci, plus léger et moins volumineux que celui de l’espèce blanche, et comme, dans toute la série animale, l’intelligence est en raison directe des dimensions du cerveau, du nombre et de la profondeur des circonvolutions, ce fait suffit pour prouver la supériorité de l’espèce blanche sur l’espèce noire. »
Article « colonie » dans le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle, Larousse, 1863-1865.
« Il y a plus de différence d’homme à homme que d’animal à homme. (…) Allez voir ces fils monstrueux de l’Afrique équatoriale ; vous aurez sûrement l’impression que l’abîme est moindre entre ces chiens qui jappent près de là et un Ashanti. »
Jules Lemaître, écrivain français ultranationaliste, 1887.
« Le Nègre est donc à peu près un homme comme les autres. Mais il faudra de longues années d’effort pour qu’il arrive à valoir les peuples blancs qui se sont emparés de sa patrie. »
Manuel scolaire, la Géographie vivante pour le cours préparatoire, 1926.
L’homme blanc doit remplir une mission, propager la civilisation, c’est-à-dire celle de l’Europe, parmi les races inférieures, chez les sauvages.
« La nature a fait une race d’ouvriers. C’est la race chinoise d’une dextérité de main merveilleuse, sans presque aucun sentiment d’honneur; gouvernez-la avec justice en prélevant d’elle pour le bienfait d’un tel gouvernement un ample douaire au profit de la race conquérante, elle sera satisfaite; une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre : soyez pour lui bon et humain, et tout sera dans l’ordre; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. Que chacun fasse ce pour quoi il est fait et tout ira bien. »
Ernest Renan, La Réforme intellectuelle et morale, 1871.
« Ouvrir à la civilisation la seule partie du globe où elle n’a pas encore pénétré, percer les ténèbres qui enveloppent les populations entières, c’est si j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès. Il s’agit de planter l’étendard de la civilisation sur le sol de l’Afrique centrale et de lutter contre la traite des esclaves. »
Léopold II, Discours d’ouverture de la Conférence de géographie de Bruxelles, 1876.
« Le pays qui a proclamé les Droits de l’Homme a, de par son passé, la mission de répandre où il le peut les idées qui ont fait sa propre grandeur. »
Albert Bayet, Discours au Congrès de la Ligue des Droits de l’Homme, 1931.
» Une nation est comme un individu : elle a ses devoirs à remplir et nous ne pouvons plus déserter nos devoirs envers tant de peuples remis à notre tutelle. C’est notre domination qui, seule, peut assurer la paix. la sécurité et la richesse à tant de malheureux qui jamais auparavant ne connurent ces bienfaits. C’est en achevant cette œuvre civilisatrice que nous remplirons notre mission nationale, pour l’éternel profit des peuples à l’ombre de notre sceptre impérial (…)
Cette unité (de l’Empire) nous est commandée par l’intérêt : le premier devoir de nos hommes d’Etat est d’établir à jamais cette union sur la base des intérêts matériels (…)
Oui, je crois en cette race, la plus grande des races gouvernantes que le monde ait jamais connues, en cette race anglo-saxonne, fière, tenace, confiante en soi, résolue que nul climat, nul changement ne peuvent abâtardir et qui infailliblement sera la force prédominante de la future histoire et de la civilisation universelle (…) et je crois en l’avenir de cet Empire, large comme le monde, dont un Anglais ne peut parler sans un frisson d’enthousiasme (…) »
Discours de Joseph Chamberlain, Colonial Office, 1895.
Toutes les justifications peuvent se regrouper.
« La première forme de colonisation, c’est celle qui offre un asile et du travail au surcroît de population des pays pauvres ou de ceux qui renferment une population exubérante.
Mais il y a une autre forme de colonisation, c’est celle qui s’adapte aux peuples qui ont, ou bien un excédent de capitaux, ou bien un excédent de produits.
Et c’est là la forme moderne (…)
Les colonies sont pour les pays riches un placement de capitaux des plus avantageux (…)
Mais, Messieurs, il y a un autre côté plus important de cette question, et qui domine de beaucoup celui auquel je viens de toucher. La question coloniale, c’est pour les pays voués par la nature même de leur industrie à une grande exportation, la question même des débouchés.
Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale – celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous conduit en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar – je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention, à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement (…).
Les nations, au temps où nous sommes, ne sont grandes que par l’activité qu’elles développent; ce n’est pas par le rayonnement pacifique des institutions.
(…) Il faut que notre pays se mette à même de faire ce que font tous les autres et, puisque la politique d’expansion coloniale est le mobile général qui emporte à l’heure qu’il est toutes les puissances européennes, il faut en prendre son parti. »
Allocution de Jules Ferry, Journal officiel, séance du 28 juillet 1885
Extraits plus larges de ce discours sur [->4658]
« La France est une des premières nations colonisatrices : son empire colonial, immense, occupe le deuxième rang dans le Monde, après celui de l’Angleterre.
Caractères généraux de nos colonies. – Ces colonies sont très diverses, situées dans les cinq parties du Monde et à des latitudes très différentes. Leurs productions sont par suite très variées, ce qui est favorable au commerce ; et notre flotte de guerre trouve dans toutes les parties du monde des points d’appui. Elles sont aussi très étendues, 8 941 377 kilomètres carrés (avec 41 millions et demi d’habitants), environ 16 fois la superficie de la France. Notre domaine colonial vaut à la France bien des jalousies.
Pourquoi les Français ont colonisé. – La situation de la France, ouverte sur deux mers, invitait les Français aux longs voyages. Leur hardiesse, leur esprit d’aventure les y poussaient également. Aussi les Normands, les Bretons, les Gascons se lancèrent, dès le XVe siècle, vers les mondes inconnus.
Plus tard, au XVIIe siècle, le désir de faire une France plus grande et celui de faire bénéficier nos frères lointains des bienfaits de la civilisation les poussèrent à coloniser. Peu de peuples ont montré un pareil désintéressement !
Ces conquêtes ont eu une très grande utilité pour notre patrie : au point de vue économique, les colonies achètent à la métropole ses produits manufacturés et lui fournissent les matières premières (sucre de canne, riz, coton, laine, caoutchouc, ivoire), elles favorisent la marine marchande ; au point de vue militaire, elles offrent à notre flotte de guerre des lieux de refuge et des points d’appui.
Questionnaire. – 1. Faites la liste des colonies françaises. – 2. Quels sont les caractères généraux de nos colonies ? – 3. Pourquoi les Français ont-ils colonisé ? (Le maître pourra faire la comparaison avec les méthodes de colonisation des Espagnols et des Anglais). – 4. Quelle est l’utilité des colonies ? »
extrait du Manuel de géographie, programme de 1902. Cours moyen, 2ème année.
Des groupes de pression militent pour l’obtention d’une politique coloniale plus active. Des sociétés de géographie se développent, encourageant les explorateurs, publiant leurs récits. Missionnaires catholiques et protestants rivalisent dans l’évangélisation des terres « païennes », tâche pour laquelle se créent des associations et ordres spécialisés : Société des Missions étrangères, Pères Blanc. Si l’installation des membres du Clergé est souvent antérieure aux annexions, rapidement puissances coloniales et Eglises s’offrent un appui mutuel.
« Messieurs, La providence nous a dicté l’obligation de connaître la terre et d’en faire la conquête. Ce suprême commandement est l’un des devoirs impérieux inscrits dans notre intelligence et dans notre activité. La géographie, cette science qui inspire un si beau dévouement et au nom de laquelle tant de victimes ont été sacrifiées, est devenue la philosophie de la terre. »
Déclaration de l’Amiral La Roncière le Noury, au Congrès international de Géographie de Paris, 1875.
« L’Algérie, La France africaine, par ma voix d’évêque, vous ouvre ses portes et vous tend ses bras. Ici, vous trouverez pour vous, pour vos enfants… des terres plus abondantes et plus fertiles… Venez, en contribuant à établir sur ce sol encore infidèle une population laborieuse, morale, chrétienne. Vous en serez les vrais apôtres, devant Dieu et devant la patrie. »
Appel de Monseigneur Lavigerie aux chrétiens, 1871.
« Répandre l’Evangile chez les païens doit inclure beaucoup plus que ne l’implique l’image courante du missionnaire, c’est-à-dire un homme allant ici et là avec la Bible sous le bras. La promotion du commerce doit faire l’objet d’une attention spéciale, car le commerce, plus qu’autre chose, détruit cet esprit d’isolement que le paganisme engendre. »
Livingstone, Discours à l’Université de Cambridge, 1857.
Des associations coloniales, Imperial Federation League, Kolonialverein, Comité de l’Afrique française, se constituent. Leurs membres, peu nombreux et appartenant rarement à des milieux financièrement intéressés, sont fort influents. A la Chambre des députés un parti colonial naît en 1892, regroupant tous les élus qui sont favorables aux entreprises extérieures
« La propagande scolaire doit précisément se proposer de préparer de futurs citoyens à une saine compréhension des grands intérêts français, matériels et moraux, liés à l’avenir de nos colonies. Il doit inspirer, à tout enfant de 11 à 14 ans, le vif désir de connaître notre effort inlassablement poursuivi, en dépit de tous les obstacles, et provoquer en lui l’admiration du rôle civilisateur que la France a si brillamment rempli. »
Congrès national d’Action et de Propagande coloniales, 1931.
Un jugement d’historien contemporain sur l’idéologie de la colonisation française.
« La « supériorité » de la civilisation occidentale se confond, dans l’opinion catholique et conservatrice, avec celle de la seule religion révélée et des concepts moraux qui lui sont rattachés. Elle se nourrit, dans l’opinion républicaine, de la foi dans la Science, le Progrès, les idéaux de 1789. Pour les autres, l’Occident, incarné par l’administrateur, le médecin ou l’instituteur, apporte la justice, l’égalité, l’école, la lutte contre les forces d’oppression et de mort. Mais pour les uns comme pour les autres, l’Occident représente les « Lumières » face aux « Ténèbres ». »
Raoul Girardet, L’idée coloniale en France de 1871 à 1972, p. 139.
Dans ce poème très célèbre écrit en 1899, Le fardeau de l’homme blanc, Rudyard Kipling, prix Nobel de littérature en 1907, exalte la colonisation des Philippines par les Américains dont il pense qu’ils doivent reprendre le flambeau de l’Empire britannique.
Un extrait de l’original
« God of your fathers, know of old,
Lord of our far-flung battle live,
Beneath whose awful hand me hold
Dominion over palm and pine –
Lord God of Hosts, be we us yet,
Lest we forget – lest we forget !
Take up the White Man’s burden –
Send forth the best ye breed –
Go bind your sons to exile
To serve your captive’s need. (…) »
Traduction plus complète
« O Blanc, reprends ton lourd fardeau :
Envoie au loin ta plus forte race,
Jette tes fils dans l’exil
Pour servir les besoins de tes captifs;
Pour – lourdement équipé – veiller
Sur les races sauvages et agitées,
Sur vos peuples récemment conquis,
Mi-diables, mi-enfants.
O Blanc, reprends ton lourd fardeau :
Non pas quelque oeuvre royale,
Mais un travail de serf, de tâcheron,
Un labeur commun et banal.
les ports où nul ne t’invite,
La route où nul ne t’assiste,
Va, construis-les avec ta vie,
Marque-les de tes morts !
O Blanc, reprends ton lourd fardeau;
Tes récompenses sont dérisoires :
Le blâme de celui qui veut ton cadeau,
La haine de ceux-là que tu surveilles.
La foule des grondements funèbres
Que tu guides vers la lumière :
« Pourquoi dissiper nos ténèbres,
Nous offrir la liberté ? ». »
Trad. A-M Sohn et J. Bouillon (cité par Jacques Bouillon et coll., Le XIXe siècle et ses racines, histoire/seconde, Bordas, Paris, 1981, p. 345).
Détruire pour pacifier
« Il faut nous rappeler que dans les luttes coloniales que nous impose trop souvent, malheureusement, l’insoumission des populations, nous ne devons détruire qu’à la dernière extrémité et, dans ce cas encore, ne ruiner que pour mieux bâtir. Toujours nous devons ménager le pays et ses habitants, puisque celui-ci est destiné à recevoir nos entreprises de colonisation future et que ceux-ci seront nos principaux agents et collaborateurs, pour mener à bien ces entreprises (…). C’est l’action combinée de la politique et de la force qui doit avoir pour résultat la pacification du pays. »
Général Joseph Gallieni, Principes de pacification et d’organisation, 1895.
Le point de vue juridique (La loi des blancs)
Du fait que les peuples africains n’ont pas un degré d’organisation politique (un gouvernement) qui permette de garantir aux blancs leur sécurité et leur mode de vie « civilisé », ces peuples dits « non-civilisés » doivent accepter qu’une puissance européenne les prenne sous sa souveraineté. Voici quelques extraits de : Etudes sur les principes du droit international, Bruxelles et Paris 1895 pour la traduction française, parution originale en anglais en 1894, de John Westlake, un éminent spécialiste anglais du droit international de l’époque :
Le titre à la souveraineté territoriale (op. cit., p. 142-144)
« Ce qu’on peut appeler l’ancien monde civilisé comprend non seulement la société internationale d’origine européenne, mais les pays asiatiques et autres qui possèdent, comme nous l’avons vu, des civilisations différentes de la nôtre. Dans cet ancien monde civilisé, tous les Etats occupent leur territoire, en vertu du même genre de titres que leurs sujets y tiennent leurs terres en propriété, c’est-à-dire par une série d’actes de l’homme, comme la cession, la conquête, la transmission entre vifs, le testament, actes par lesquels le titre se déduit d’une irréductible situation de fait. […]
Quand un Etat civilisé transforme un pays nouveau en colonie, les propriétaires peuvent parfois faire résulter leur titre à la terre d’une situation de fait existant déjà avant l’établissement du gouvernement, situation que celui-ci a acceptée et sanctionnée. C’est le cas lorsque la colonie a été formée au milieu d’indigènes quelque peu avancés en civilisation ; c’est le cas aussi lorsque, avant la formation de la colonie, des pionniers de la civilisation s’étaient établis sur le territoire. En général cependant, dans une colonie le titre à la terre se ramène à une concession, et l’autorité que possède l’Etat pour faire cette concession résulte de sa souveraineté nationale. Il est permis également de dire qu’au moment d’acquérir la souveraineté, l’Etat s’est attribué la propriété de toute la partie du sol sur lequel il n’était pas moralement obligé de reconnaître le droit de la propriété des indigènes ou des pionniers, et que ses concessions ultérieures furent taillées dans cette prétendue propriété. Dans les deux cas, on ramène l’origine de la propriété, résultat de la concession, à la souveraineté, mais l’origine de celle-ci n’en est pas moins à étudier de plus près.
[…] la question est de savoir quels faits sont nécessaires et suffisants pour qu’une région non-civilisée puisse être internationalement reconnue comme appartenant en toute souveraineté à un État déterminé. […]
La manière dont la question est formulée implique que nous nous occupons uniquement de la reconnaissance de cette souveraineté par les membres de la communauté internationale, et que le droit international ne tient aucun compte des indigènes non-civilisés. Cela est vrai, mais cela ne signifie pas que l’on dénie tous droits à ces derniers ; l’appréciation de leurs droits est abandonnée à la conscience de L’État dans la souveraineté territoriale duquel ils sont compris. […] »
Les nations non-civilisées devant le droit international (op. cité pp 146 et 147)
« […] Quand la conférence de Berlin établissait les règles de l’acquisition de nouvelles possessions sur la côte d’Afrique, M. Kasson, plénipotentiaire des États-Unis, s’est exprimé en ces termes :
« En approuvant les deux premiers paragraphes de cette déclaration comme une première démarche, courte mais bien dirigée, c’est mon devoir de consigner deux observations au protocole :
1o Le droit international moderne suit fermement une voie qui mène à la reconnaissance du droit des races indigènes de disposer librement d’elles-mêmes et de leur sol héréditaire. Conformément à ce principe, mon gouvernement se rallierait volontiers à une règle plus étendue et basée sur un principe qui viserait le consentement volontaire des indigènes dont le pays est pris en possession, dans tous les cas où ils n’auraient pas provoqué l’acte agressif.
2o Je ne doute pas que la conférence ne soit d’accord quant à la signification du préambule. Il n’indique que le minimum des conditions essentielles à remplir pour que l’on puisse demander la reconnaissance d’une occupation.
Il est toujours possible qu’une occupation soit rendue effective par des actes de violence, qui sont en dehors des principes de la justice, du droit national et même international. Par conséquent, il doit être bien entendu qu’il est réservé aux puissances signataires respectives d’apprécier toutes les autres conditions, au point de vue du droit aussi bien que du fait, qui doivent être remplies avant qu’une occupation puisse être reconnue comme valable. »
M. Busch, sous-secrétaire d’Etat pour les affaires étrangères de l’Empire d’Allemagne présidait. Il fit remarquer que la première partie de la déclaration de M. Kasson touchait à des questions délicates sur lesquelles la conférence ne pouvait guère exprimer d’opinion. « Il suffira, ajoutait-il, de reproduire au protocole les considérations exposées par le plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique. La deuxième partie de la déclaration de M. Kasson rappelle des explications échangées dans la commission et desquelles il est résulté que, dans l’opinion commune des plénipotentiaires, la déclaration préparée par la conférence ne limitait pas la faculté appartenant aux puissances de faire précéder de tel examen qu’elles jugeraient opportun la reconnaissance des occupations qui leur seraient notifiées. » »
Le gouvernement, critérium international de civilisation (op. cit. pp 150-152)
« […] Quand un peuple de race européenne arrive en contact avec des tribus américaines ou africaines, la nécessité première est un gouvernement qui permette aux colons de vivre de la vie complexe à laquelle ils sont habitués dans leur patrie, qui empêche que cette vie ne soit troublée par les prétentions rivales des puissances européennes à la souveraineté territoriale, qui protège les indigènes dans la jouissance d’une sûreté et d’un bien-être au moins égaux à la sûreté et au bien-être dont ils jouissaient avant l’arrivée des étrangers.
Les indigènes peuvent-ils établir un pareil gouvernement ; seuls, les Européens peuvent-ils le donner ? Dans la réponse à la question se trouve, pour le droit international, la différence entre la civilisation et l’absence de civilisation. [Les empires asiatiques – Chine et Japon – possèdent de tels gouvernements…]
Partout où les indigènes ne peuvent fournir de gouvernement capable de remplir le rôle que remplissent ainsi les empires asiatiques, – c’est le cas pour la plupart des populations avec lesquelles les Européens sont entrés en contact en Amérique ou en Afrique, – un premier besoin naît : l’établissement d’un gouvernement. On ne peut empêcher la race blanche d’affluer là où il y a des terres à cultiver, des mines à exploiter, le commerce à développer, où appellent les plaisirs de la chasse et la satisfaction de la curiosité. […]
Le droit international est donc obligé de traiter de pareils indigènes comme des non-civilisés. Pour l’avantage mutuel des Etats civilisés, il règlemente les réclamations qu’ils peuvent élever concernant la souveraineté sur la région ; il abandonne la conduite à tenir envers les non-civilisés à la conscience de l’Etat à qui la souveraineté est attribuée, plutôt que de faire de la protection de leurs intérêts une excuse pour de nouvelles guerres entre les Etats civilisés, guerres qui entraîneraient la dévastation de la région et seraient une cause de souffrances pour les indigènes. »
John Westlake, Études sur les principes du droit international, trad. de l’anglais, Bruxelles, Alfred Castaigne et Paris, Thorin & fils, 1895 (L’original anglais date de 1894).
John Westlake (1828-1913), de 1888 à 1908, était professeur de droit international à l’Université de Cambridge. De 1900 à 1906, il était membre du Tribunal arbitral international de la Haye, représentant du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande.
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