(1907, 16 août)
À partir de 1900 le vignoble du Midi, détruit par le phylloxéra, se trouva reconstitué ; sa production fut telle qu’il y eut une terrible crise de mévente, encore accrue par la mise sur le marché d’énormes quantités de vin frelaté. En 1906, la situation devint catastrophique et, en 1907, la violence l’emporta dans les revendications des vignerons : grève de l’impôt, démission de municipalités, manifestations monstres, émeutes en juin à Narbonne, Béziers, Perpignan avec morts et blessés et mutinerie d’unités militaires chargées d’intervenir. Une loi pour protéger la viticulture et lutter contre la fraude fut votée en juin 1907, mais un profond malaise persista dans plusieurs départements ; c’est ce qu’expose le préfet de l’Aude à Clemenceau, président du Conseil et ministre de l’Intérieur.
… D’un mot, l’accalmie actuelle n’est ni la fin de la crise ni même l’apaisement, mais elle peut marquer le terme de la période d’action illégale et révolutionnaire.
Dans l’esprit des vignerons du Midi, la principale cause de la misère qui sévit ici — misère très réelle surtout chez le petit propriétaire — est la fraude exercée partout et jusque dans leurs propres rangs…
Déçus dans l’espoir d’un secours qu’ils attendaient des pouvoirs publics, exaspérés par l’indifférence réelle ou apparente de leurs représentants au Parlement, les viticulteurs méridionaux en sont malheureusement venus à se convaincre qu’ils n’obtiendraient satisfaction que par menace ou par contrainte. Ils ont alors organisé ces immenses manifestations dont la caractéristique a été l’absence de tout désordre 500.000 manifestants à Montpellier le 9 juin ; les désordres ne se produiront qu’après le 19 juin. . Par la force des choses et de la vitesse acquise, les plus violents n’ont pas tardé à prendre la tête du mouvement et à être seuls écoutés. On a érigé en principe le non paiement de l’impôt qui déjà était un fait et la démission générale des municipalités a été décidée.
On a soutenu dans tout le Midi que l’agitation révolutionnaire ainsi créée n’avait pas de caractère politique. Cela était vrai dans un sens, dans un autre c’était faux. Aucun parti n’a été l’inspirateur de cette tactique pas plus que du mouvement initial de la défense viticole. C’est la masse des vignerons qui s’est mise en branle toute seule, poussée par l’instinct de la conservation, aiguillonnée par la souffrance, influencée au hasard dans sa marche par les événements dont elle n’avait ni prévu l’enchaînement logique ni calculé les conséquences possibles. Elle n’avait pas de chef ; elle ne suivait pas Marcellin Albert Albert, dit le Rédempteur », était un petit propriétaire d’Argelliers (art. de Narbonne), fondateur d’un comité de défense de la viticulture. , elle le poussait devant elle. Lui, n’avait rien d’un conducteur d’hommes ; il n’était même pas un porte-parole, mais seulement l’expression vivante d’un état d’âme et d’un état d’esprit collectifs. La politique n’avait en tout cela joué aucun rôle, elle était oubliée…
Une pareille situation ne pouvait indéfiniment durer…
La trêve des partis a pris fin, ou du moins des militants des divers partis. Dans les comités de défense viticole, le clan des violents s’est imposé ; c’est lui, qui empêche ou ralentit la rentrée des municipalités ; lui qui a voulu la grève électorale presque partout au scrutin de renouvellement des conseils généraux et d’arrondissement Conseil créé dans chaque arrondissement, en pluviôse an 5/111, pour aider à son administration. Supprimés en 1940, ces conseils ne furent pas rétablis en 1945., violant d’ailleurs sans hésiter le principe de l’abstention toutes les fois que les circonstances locales lui ont paru propices à l’éclosion sous l’étiquette viticole d’une candidature hostile au gouvernement.
Ce caractère nouveau très politique qu’on a essayé de donner au mouvement se manifeste d’une façon singulièrement nette dans le fait de la substitution, à sa tête, de M. Ferroul Le docteur Ferroul était le maire socialiste de Narbonne et conseiller général du MasCabardès dans la Montagne Noire. à M. Marcellin Albert. Au vigneron, rien que vigneron , hanté de la seule idée de sauver le vin de son pays, succède — ou tente de succéder — un politicien, rien que politicien, maire d’une commune urbaine, conseiller général d’un canton où n’existe pas un pied de vigne, préoccupé surtout de canaliser à son profit et au profit de son parti, le grand courant qu’en 1905 il a fait dévier et se perdre…
L’organisation actuelle de défense viticole est à la veille de se transformer radicalement. Les statuts de la future confédération générale des vignerons sont prêts ; des syndicats régulièrement constitués, et dont l’action peut n’être qu’excellente, vont remplacer les comités communaux et cantonaux. Ces derniers n’ont plus de raison d’être et leur disparition imminente est certaine s’ils ne trouvent pas à exploiter quelque sujet sérieux de mécontentement ou d’inquiétude.
Les troupes de renfort étant retirées, les détenus de Montpellier Plusieurs dirigeants du Comité de défense viticole avaient été incarcérés Montpellier en juin 1907. mis en liberté provisoire et la répression de la fraude s’organisant partout, c’est dans la question de l’impôt seule que les agitateurs pourraient mettre quelque espoir.
Le moment de la résoudre ne saurait donc être différé.
La grève d’un nouveau genre à laquelle nous assistons a mis les agents du recouvrement dans une situation sans précédent et montré combien les contribuables peuvent aisément échapper à la nécessité d’acquitter les taxes qu’ils doivent.
16 août 1907