vocat, Jacques Gustave Piou, [ député de la Haute-Garonne de 1885 à 1893 puis de 1898 à 1902, puis député de la Lozère de 1906 à 1919. Si son rôle fut déterminant dans le ralliement des catholiques à la République ( il est combattu par l’Action française pour cela), il s’affirme dans le même temps comme un fervent partisan de toutes les libertés au premier rang desquelles se situe pour lui, la liberté religieuse.
Dans ce contexte, 6 ans après la loi de Séparation, en 1910, la question scolaire est relancée et les catholiques passent à l’offensive. Les débats sont l’occasion d’une passe d’arme intense avec Ferdinand Buisson. Au terme de son intervention, Jacques Piou, se livre à un vibrant plaidoyer en faveur de la séparation de l’enseignement en deux entités distinctes subventionnées par l’État, au nom de la liberté de croire.

Je ne veux rien imposer à personne, mais je ne veux pas que vous imposiez rien à nos enfants. (Applaudissements à droite) Vous avez vos doctrines d’incrédulité et de négation. Soit, tenez-y si vous y trouvez la sécurité de votre vie et la règle de vos consciences ; c’est affaire à vous; mais nous nous inspirons d’une doctrine qui place plus haut la source du devoir et nous n’acceptons le devoir que parce qu’il vient de la puissance divine devant laquelle nous nous inclinons. (Interruptions à gauche)
Nous nous inclinons devant elle, non seulement parce que nous sommes catholiques, mais parce que notre raison, par ses seules forces, arrive à connaître Dieu, et nous le démontre avec une évidence qui suffit à nos consciences. (Très bien! très bien ! à droite) […]

Nous sommes en présence d’un conflit irréductible. Tant qu’il a été possible d’espérer une conciliation à la faveur d’une neutralité spiritualiste, l’école neutre a pu vivre. Aujourd’hui, tout est changé. Vous êtes des positivistes, des libres penseurs, des matérialistes, et, il n’y a pas de Dieu, il n’y a que la raison, pour vous, que la science. Soit, mais nous ne voulons pas que nos enfants subissent le joug de cette raison, courte par tant d’endroits, le joug de cette fragile science qui décrit tout et n’explique rien. Là est le conflit, aucune transaction.

Qu’au moins la liberté de l’enseignement soit établie sur de telles bases qu’à côté de ses écoles nous ayons au moins les nôtres subventionnées par l’État comme les siennes. […]

Nous avons des doctrines irréductibles que nous ne voulons renier ni les uns ni les autres ; entendons-nous et même réconcilions-nous, dans la liberté. Pourquoi lutter plus longtemps? Vous savez bien que vous ne nous ferez jamais reculer, que vous entasserez en vain lois sur lois, rigueur sur rigueur, que nous resterons debout avec notre drapeau et nos croyances. (Applaudissements à droite)

Vous voulez faire de la laïcité scolaire une arme de guerre religieuse, de l’obligation scolaire le synonyme de la libre pensée obligatoire ; nous ne l’accepterons jamais. La paix dans la liberté, si vous le voulez ; sinon la guerre jusqu’au bout. (Applaudissements à droite et sur plusieurs bancs au centre. – L’orateur, en retournant à son banc, reçoit les félicitations de ses amis)

Jacques Piou,Discours à la Chambre des députés, suite de la discussion du budget de l’exercice de 1910 – suite de l’instruction publique – suite des interpellations – Journal officiel de la République française, 21 janvier 1910.


Pour aller plus loin :

  • Jean-François Condette, Jean-Noël Luc, et Yves Verneuil Histoire de l’enseignement en France XIXème-XXème siècle, Paris, Armand Colin, 2020, 412 pages
  • Jean-Paul Martin, La Ligue de l’enseignement : Une histoire politique (1866-2016), Presses universitaires de Rennes, , 605 p.
  • Mona OzoufL’École, l’Église et la République (1871-1914), Paris, Seuil, 
  • Antoine Prost Public, privé : les enseignements d’une longue histoire, revue  Après-demain 2012/1 (N ° 21, NF), pages 47 à 49, disponible ICI

Note : Les articles consacrés à la laïcité présentés dans Cliotexte ont pour but de présenter et d’expliquer pourquoi et comment s’est construit le modèle de la laïcité à la française à travers ses faits, ses débats et ses traductions littéraires juridiques et sociales.