Ferdinand Buisson, [ est un philosophe, pédagogue et homme politique français. Issu d’une famille protestante et opposé à l’Empire, il finit deuxième de l’agrégation de philosophie en 1868. Lors de la proclamation de la Troisième république, il quitte la Suisse, où il s’était réfugié, et rentre en France. Les questions liées à l’enseignement deviennent sa préoccupation première. De 1879 à 1896, il est appelé par Jules Ferry, à la direction de l’Enseignement primaire. Tous deux s’attèlent activement à la réorganisation de l’enseignement en France.

Ses engagements sont nombreux : franc-maçon, défenseur acharné de la laïcité et de la séparation de l’Église et de l’État, Ferdinand Buisson est également partisan du droit de vote des femmes, tandis qu’en 1898, il s’engage en faveur du capitaine Dreyfus. Ferdinand Buisson est aussi cofondateur de la Ligue des droits de l’homme en 1898, qu’il préside de 1914 à 1926 ;  il aussi et surtout président de la Ligue de l’enseignement de 1902 à 1906. En 1927, le prix Nobel de la paix lui est attribué conjointement à l’Allemand Ludwig Quidde.

En 1903, Ferdinand Buisson participe au Congrès du parti radical, organisé à Marseille du 8 au 11 octobre 1903. La cinquième séance du congrès est consacrée à l’enseignement. Sixième intervenant de la journée, Ferdinand Buisson réaffirme son attachement à la laïcité, prononce un discours au cours duquel il se livre à un plaidoyer pour la séparation de l’Église et de l’État et donne sa définition d’un enseignement républicain.


Extrait n°1

L’idéal antique et l’idéal moderne

[…] La liberté de la personne humaine, voilà tout simplement ce qu’ajoute à la cité antique notre cité moderne. La République, telle que la France l’a conçue, telle que la Révolution l’a réalisée, diffère des Républiques anciennes, en ce que, tout en proclamant l’unité de la Patrie et la souveraineté nationale, elle reconnaît à chaque citoyen un droit primordial et naturel que pas une des Constitutions de l’antiquité n’avait même entrevu, le droit de penser, le droit d’avoir une opinion personnelle.

Que toute personne humaine, simplement parce qu’elle est une personne humaine, possède ce droit de se faire une croyance, une doctrine, une philosophie ou une religion sans se demander si c’est celle de l’Etat ; voilà la grande nouveauté que la Déclaration des Droits de l’homme est venue révéler en édictant pour les deux inondes modernes, en France et en Amérique, les tables de la loi de l’humanité nouvelle. (Applaudissements).

Et le premier principe qui y fut inscrit, c’est simplement « que tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». (Nouveaux applaudissements).

Ferdinand Buisson, Discours au Congrès radical de 1903, extrait page 177

Extrait n°2

Ce que doit être l’éducation républicaine

[…] C’est que le premier devoir d’une République est de faire des républicains, et que l’on ne fait pas un républicain comme on fait un catholique. Pour faire un catholique, il suffit de lui imposer la vérité toute faite : la voilà, il n’a plus qu’à l’avaler. Le maître a parlé, le fidèle répète. Je dis catholique, mais j’aurais dit tout aussi bien protestant ou un croyant quelconque. (Bravos et vifs applaudissements). La différence, c’est qu’aux protestants on dit qu’il faut croire la Bible et aux catholiques on dit qu’il faut croire le pape.

Mais, Bible ou pape, c’est toujours l’autorité prétendue surnaturelle, et toute l’éducation cléricale aboutit à ce commandement : croire et obéir, foi aveugle et obéissance passive.

Pour faire un républicain, il faut prendre l’être humain le plus inculte, le travailleur le plus accablé par l’excès de travail, et lui donner l’idée qu’il faut penser par lui-même, qu’il ne doit ni foi, ni obéissance à personne, que c’est à lui de rechercher la vérité et non pas à la recevoir toute faite d’un maître, d’un directeur, d’un chef, quel qu’il soit, temporel ou spirituel.

Citoyens, je vous en prie, réfléchissez-y : Est-ce qu’on apprend à penser comme on apprend à croire ? croire, c’est ce qu’il y a de plus facile, et penser, ce qu’il y a de plus difficile au monde. Pour arriver à juger soi-même d’après la raison, il faut un long et minutieux apprentissage ; cela demande des années, cela suppose un exercice méthodique et prolongé.
C’est qu’il ne s’agit de rien moins que de faire un esprit libre. Et si vous voulez faire un esprit libre, qui est-ce qui doit s’en charger, sinon un autre esprit libre? Et comment celui-ci formera-t-il celui-là ? Il lui apprendra la liberté en la lui faisant pratiquer. C’est en agissant qu’on apprend à agir, c’est en choisissant qu’on apprend à choisir. […]

Il n’y a pas d’éducation libérale là où l’on ne met pas l’intelligence en face d’affirmations diverses, d’opinions contraires, en présence du pour et du contre, en lui disant : Compare et choisis toi-même ! (Bravos et applaudissements).
Sans doute, il y a des vérités incontestables, mais celles-là, l’Etat n’a pas besoin de les imposer : personne ne les conteste. Telles sont les vérités mathématiques, les lois fondées sur l’expérience dans tous les ordres de science. Celles-là, l’Etat les enseigne, non à titre de dogmes, mais à titre de vérités démontrées et que chacun peut toujours vérifier.
Quant aux autres, aux croyances, aux opinions, aux hypothèses, aux convictions religieuses, par exemple, l’Etat ne les enseigne pas. Mais il ne veut accorder à aucune d’elles un rang privilégié, le droit de parler seule et d’étouffer la contradiction. Non, l’Etat républicain, qui a charge d’âmes, qui doit rendre les comptes de la génération présente aux générations de demain ; non, il n’a pas le droit de permettre que l’on élève les enfants de la France dans l’ignorance systématique de ce qu’il leur importe de savoir. Il a le droit d’exiger qu’on leur apprenne qu’il y a plusieurs religions sur la terre et comment elles se sont faites. Il a le droit de leur apprendre lui-même l’histoire des religions, sans avoir celui de leur en donner une toute faite. Il ne dit pas : « Voilà mon dogme, voilà ce qu’il faut croire » ; mais il ne laissera pas enfermer les enfants, sous prétexte de ménager leur foi, dans une éducation exclusive qui leur cachera la multiplicité des religions humaines, et la longue suite des transformations du dogme correspondant à celles de la civilisation.

Il importe à la démocratie de ne pas ignorer le passé de l’esprit humain et je dis que l’histoire des religions est à mettre au nombre de ces enseignements scientifiques indispensables pour former des républicains. (Applaudissements).

[..]

 Ferdinand Buisson, Discours au Congrès radical de 1903, extraits pages 178-179 

Source des extraits  : Parti républicain radical et radical-socialiste,Troisième Congrès annuel : Marseille (octobre 1903),  Alençon, imprimerie veuve Félix Guy et Cie, 28 pages