SUGER, dans son ouvrage sur la « Vie de Louis VI le Gros » décrit la débauche dans laquelle se complaisait Philippe Ier (né en 1052 – sacré en 1059) dans les dernières années de sa vie, sa mort au château de Melun-sur-Seine (en 1108), et son enterrement au monastère de Saint-Benoît-sur-Loire :
Cependant, tandis que, de jour en jour, le fils (1) faisait des progrès, son père, le roi Philippe, perdait de jour en jour de ses forces. En effet, depuis qu’il avait pour concubine la comtesse d’Anjou (2), il ne faisait plus rien de digne de la majesté royale; mais, emporté par la violence de son désir pour la femme qu’il avait enlevée, il ne s’occupait qu’à satisfaire sa voluptueuse passion (3). Ni il ne pourvoyait aux intérêts de l’État ni, dans son excessif relâchement, il ne ménageait la santé de son corps, bien fait pourtant et plein d’élégance. Il ne restait plus pour maintenir le royaume dans sa force que la crainte et l’amour qu’on avait pour son successeur et fils. Âgé de près de soixante ans (4), il dépouilla en lui le roi et rendit le dernier soupir au château de Melun-sur-Seine, en présence de monseigneur Louis.
A ses obsèques solennelles assistèrent vénérables personnes Galon, évêque de Paris (5), l’évêque de Senlis, celui d’Orléans (6), Adam de bonne mémoire, abbé de Saint-Denis, et maintes autres religieuses personnes. Ils portèrent jusqu’à l’église Notre-Dame le noble cadavre de la majesté royale et passèrent toute la nuit à célébrer les funérailles. Le lendemain matin, le fils fit décemment orner la litière funèbre de riches étoffes et de toute sorte de parures et la fit poser sur les épaules de ses principaux serviteurs; quant à lui, il montrait les sentiments d’un vrai fils, ainsi qu’il convenait à un tel prince. Tantôt à pied, tantôt à cheval, avec les barons qui étaient là, il accompagnait la litière en pleurant. Admirable grandeur d’âme; car, durant toute la vie de son père, ni pour la répudiation de sa mère ni même pour les faveurs données hors mariage à l’Angevine, il ne l’offensa jamais en rien ni ne chercha, comme c’est la coutume des autres jeunes gens, à mettre le désordre dans le royaume en portant atteinte sur quelque point à son autorité.
Le corps fut transporté en grand cortège au noble monastère de Saint-Benoît-sur-Loire (7). C’était là que le roi Philippe avait exprimé le souhait d’être enterré (8). Certains déclaraient, pour le lui avoir entendu dire, que, s’il avait résolu de se tenir éloigné de la sépulture des rois ses pères, sépulture qui se trouve comme de droit naturel en l’église de Saint-Denis, c’est parce qu’il s’était conduit avec moins de bienveillance qu’eux envers cette église (9) et que, parmi tant de nobles rois, on n’y aurait pas fait grand cas de son tombeau. Son corps fut mis dans ledit monastère, devant l’autel, le plus convenablement possible, et, aux accents des hymnes et des prières des assistants qui recommandaient son âme à Dieu, il fut recouvert de pierres magnifiques (10).
Notes:
1) Il s’agit du futur Louis VI le Gros.
2) Bertrade, fille de Simon Ier de Montfort et d’Agnés d’Evreux, était devenue en 1088 comtesse d’Anjou par son mariage avec Foulques le Réchin. Philippe Ier l’enleva dans la nuit du 15 mai 1092. Voir L. Halphen, Le comté d’Anjou au XI siècle (1906), page 170.
3) Assertion confirmée par le témoignage de Guillaume de Malmesbury (A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, page 306, note).
4) Formule approximative; Philippe Ier avait presque certainement cinquante-six ans. Il mourut le 29 juillet 1108.
5) De 1104 à 1116. Galon, élu évêque de Paris vers le mois de juillet 1104, appartenait au parti réformiste et était bien connu de Pascal II, qui l’avait envoyé en 1102 comme légat en Pologne. Il contestait à l’abbé de Saint-Denis le droit de faire consacrer les moines par n’importe quel évêque.
6) Hubert, évêque de Senlis de 1099 à 1115; Jean II, évéque d’Orléans de 1096 à 1135.
7) Fleury-sur-Loire, Loiret, canton d’Ouzouer.
8) Il y avait assisté, le 20 mars précédent, à une cérémonie imposante, la translation des reliques du saint, et avait offert aux moines, pour conserver la chasse, un riche coffret d’or rehaussé de pierres précieuses (B. Monod, Essai sur les rapports de Pascal II avec Philippe Ier, page 60).
9) Les Grandes Chroniques traduisent : « celle église ».
10) Le tombeau dit de Philippe Ier, existant aujourd’hui dans le bras sud du transept de l’église de Saint-Benoît-sur-Loire, ne date que de 1840 environ. Quelques rares débris subsistent (près du portail muré du bras nord) du monument qui fut détruit pèndant la Révolution. Voir A. Fliche, Le règne de Philippe Ier, appendice II.
Sources : Suger, Vie de Louis VI le Gros , éditée et traduite par Henri Waquet, archiviste du département du Finistère, « Les Classiques de l’Histoire du Moyen Âge » publiés sous la direction de Louis Halphen, Tome 11, Paris, Librairie Ancienne Honoré Champion, éditeur, 1929, pages 81 à 85.