« â faut esperer q’eu s’jeu la finira ben tôt. Un païsant portant un Prélat, et un Noble », Paris, 1789
« â faut esperer q’eu s’jeu la finira ben tôt. Un païsant portant un Prélat, et un Noble », Paris, 1789

L’agrégation des bourgeois à la noblesse

«On n’ignore pas que le critère de la noblesse fut le droit de porter au moins le titre d’écuyer, reconnu […] par […] l’administration royale […]
Dès qu’un bourgeois avait acquis – à prix d’or – un office anoblissant […], il se paraît du titre d’ « escuyer » […] quel que fût le mépris que pussent manifester les gentilshommes d’ « ancienne extrace »La noblesse qui se pense ancienne voire immémoriale est dite « d’épée ». La noblesse acquise après trois ou quatre générations par l’achat d’un office est dite « de robe ». Les robins issus de plusieurs générations d’échevinage (ou de capitoulat à Toulouse) passent pour former une noblesse de clocher. Dans tous les cas, la noblesse d’épée raille volontiers ce système de « savonnette à vilain » permettant de se « décrasser de sa roture ». Certains robins veulent ou feignent de croire qu’un illustre ancêtre avait perdu malencontreusement des titres de noblesse qu’ils n’ont fait que recouvrer. […] La fameuse particule n’abusait personne, au XVIIe siècle, que les ignorants et, peut être ceux qui s’en paraient ; elle […] indiquait […] qu’Arnolphe avait acheté la ferme de la SoucheAllusion à un personnage de Molière qui a acquis un bien au lieu-dit de la Souche et se fait volontiers appeler M. de la Souche cf. Molière, L’école des femmes, 1662. […] Bien des gentilshommes de vieille souche, les Gouffier, les le Vaillant, les le Bastier, ne portaient pas la particule […]
Au XVIIe siècle, noblesse, terre noble et seigneurie n’étaient pas rigoureusement liés. De nombreux paysans possédaient de petits fiefs […] Ce qui n’empêchait pas certains enrichis en mal d’anoblissement d’affectionner les fiefs, de les acheter volontiers et de se parer de leur nom : les MM de la Souche furent nombreux dans la haute bourgeoisie de Beauvais. Mais ceux là jouaient sur une confusion […]l’idée que la possession d’un fief […] pût être une présomption de noblesse […]

Lorsque comparut en 1789, la noblesse du bailliage de Beauvais, 58 gentilshommes se présentèrent en personne. Si les Gouffier, les Lespinay et les Combault du « Grand siècleLe siècle de Louis XIV.», avaient pu assister à cette cérémonie, ils eussent été étonnés […] : sur les 58 présents, 10 portaient les noms de gentilshommes du temps du roi Henry, une vingtaine étaient des étrangers, robins et nobles de fraîche date, venus de la capitale et des provinces voisines ; 27 enfin descendaient d’homme qui, dans les boutiques et les magasins de Beauvais, remuaient des sergesÉtoffe de laine. ou des toiles au siècle de Louis XIV : parmi eux, pas moins de cinq Danse, de cinq Regnonval et six Michel, tous anoblis avant 1740. La noblesse du bailliage, tout injectée de marchands anoblis, s’était presque entièrement renouvelée.»

Pierre Goubert, Cent mille provinciaux au XVIIe, Beauvais et le Beauvaisis (1600-1730), Flammarion, 1968, p. 234-264.


Misère matérielle et intellectuelle d’une certaine noblesse

«L’on sait que Louis XIV, espérant renforcer ses armées, convoqua à plusieurs reprises l’arrière-ban de ses « vassaux » […] Les besoins de la monarchie amenèrent à dispenser du service d’arrière-ban les nobles qui versaient une somme égalé au cinquième de leurs revenus annuels […] Beaucoup de personnages visés par cette fiscalité alléguèrent une extrême pauvreté pour être exemptés, sinon du service […] du moins de la contribution du cinquième […]
La lamentable lettre de l’épouse d’Antoine de Sulfour, sieur de Pauville […], devait amener une forte réduction de la taxe :  “Sy vous voulé prandre la paine d’envoier ché nous, vous verray sy je ne vous dy pas la verité et sy tous la messon nes pas a moitié fondu et les couvertures toute a jour .. Nous sommes au désespoir, bientôt faudra aller a l’aumone …”[…]»

Pierre Goubert, Cent mille provinciaux au XVIIe, Beauvais et le Beauvaisis (1600-1730), Flammarion, 1968, p. 240 sq.


Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-État ?, 1789
Sieyès, Qu'est-ce que le Tiers-État ?, 1789

La race noble vue par Emmanuel Siéyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ?, 1789 – Version courte

Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire.
1° Qu’est-ce que le Tiers état? — TOUT.
2° Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique? — RIEN.
3° Que demande-t-il ? — A ÊTRE QUELQUE CHOSE […]

Les places lucrativesQui rapporte de l’argent, du lucre (gain). et honorifiques seuls sont occupées par des membres de l’ordre privilégié […] Si l’on ôtoit l’ordre privilégié, la Nation ne seroit pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus […]
Une classe entière de citoyensLes nobles. mettroit sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général, et sauroit consumer la meilleure part du produit sans avoir concouru à le faire naître Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantiseSouligné par Sieyès. Un noble doit « vivre du sien », c’est à dire de ses propriétés, sans jamais travailler, sous peine de déroger et de perdre ainsi sa noblesse.[/footnote].[…]
Si les aristocrates entreprennent […] de retenir le Peuple dans l’oppression, il osera demander à quel titre. Si l’on répond à titre de conquête […] le Tiers ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés […] Pourquoi ne renverroit-il pas dans les forêts de la Franconie toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérans et d’avoir succédé à des droits de conquête ?Si les nobles pensent qu’ils sont descendants des Francs et que cela leur donne tous les droits, ils peuvent repartir en Franconie.[…]

Emmanuel Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ? , 3e édition, Paris, 1789, p. 3-17.


  1. Nature des documents
  2. Les nobles sont-ils forcément de riches seigneurs ? Sont-ils forcément instruits ?
  3. Comment une famille noble peut-elle survivre au déclin de sa richesse ?
  4. La particule est-elle un signe de noblesse ?
  5. Que pensaient les nobles sur leur origine ? Que justifiait-elle à leurs yeux ?
  6. Quelle situation eût étonné les nobles du Beauvaisis du XVIIe s’ils avaient pu renaître et rencontrer les 58 représentants de la noblesse locale aux États-Généraux de 1789 ? Que répondre à la noblesse de 1789 qui s’estimait d’un sang supérieur aux membres du Tiers-État ?
  7. Sieyès voulait-il vraiment envoyer les nobles en Franconie ? Pourquoi évoquait-il cette idée dans sa célèbre brochure ?

La race noble vue par Siéyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ? – Sélection plus longue

« Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire.
1° Qu’est-ce que le Tiers état? — TOUT.
2° Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique? — RIEN.
3° Que demande-t-il ? — A ÊTRE QUELQUE CHOSE […]

[…] Les places lucratives et honorifiques seuls sont occupées par des membres de l’ordre privilégié […] On a osé frapper l’ordre du Tiers d’interdiction. On lui a dit : « Quels que soient tes services, quels que soient tes talensOrthographe d’époque., tu iras jusque-là ; tu ne passeras pas outre.

[…] Qui donc oseroit dire que le Tiers-État n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation complète ? […] Si l’on ôtoit l’ordre privilégié, la Nation ne seroit pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus.
[…]Une classe entière de citoyens mettroit sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général, et sauroit consumer la meilleure part du produit sans avoir concouru à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise.
[…] Il ne doit pas y avoir de distinction d’ordres dans une nation.

Il est bien impossible que la Nation en corps, ou même qu’aucun Ordre en particulier devienne libre, si le Tiers-État ne l’est pas. On n’est pas libre par des privilèges, mais par les droits de citoyen, droits qui appartiennent à tous. Que si les aristocrates entreprennent, au prix même de cette liberté dont ils se montreroient indignes, de retenir le Peuple dans l’oppression, il osera demander à quel titre. Si l’on répond à titre de conquête[…] le Tiers ne doit pas craindre de remonter dans les temps passés […] et puisqu’il est aujourd’hui assez fort pour ne pas se laisser conquérir […] Pourquoi ne renverrait-il pas dans les forêts de la FranconieRégion d’origine des Francs et située au nord de l’actuelle Bavière. Les villes franconiennes les plus notables sont Nuremberg, Wurtzbourg Erlangen, Bayreuth ou Bamberg. toutes ces familles qui conservent la folle prétention d’être issues de la race des conquérants et d’avoir succédé à des droits de conquête ? La nation, alors épurée, pourra se consoler, je pense, d’être réduite à ne se plus croire composée que des descendants des Gaulois et des Romains. En vérité, si l’on tient à vouloir distinguer naissanceNaissance noble et naissance ignoble. et naissance, ne pourrait-on pas révéler à nos pauvres concitoyens que celle qu’on tire des Gaulois et des Romains vaut au moins autant[Le Tiers-État, même s’il descend des Gallo-Romains, est l’égal des descendants de guerriers germaniques que seraient les nobles.[/footnote] que celle qui viendrait des SicambresPeuple barbare cité par César au 1er siècle AEC. Grégoire de Tours affirme au Ve siècle EC que saint Remi aurait qualifié Clovis de Sicambre lors de son baptême, à Reims (496, 498 ou à une autre date)., des WelchesAutre peuple « barbare » dont le signalement manque de précision. et autres sauvages sortis des bois et des marais de l’ancienne Germanie? Oui, dira-t-on; mais la conquête a dérangé tous les rapports, et la noblesse de naissance a passé du côté des conquérants. Eh bien! il faut la faire repasser de l’autre côtéSi les nobles prétendent être supérieurs du fait de leur droit de conquête en tant que descendant de guerriers germaniques.; le Tiers redeviendra noble en devenant conquérant à son tour.Mais, si tout est mêlé dans les races, si le sang des Francs, qui n’en vaudrait pas mieux séparé, coule confondu avec celui des Gaulois, si les ancêtres du Tiers-État sont les pères de la nation entièreSi l’ascendance germanique des nobles n’est finalement qu’une fable et que les pères de la nation, ceux qui ont fondé la France sont aussi les ancêtres de l’ensemble des Français., ne peut-on espérer de voir cesser un jour ce long parricide Les pères de la Nation ne peuvent commettre des crimes contre leur peuple. qu’une classe s’honore de commettre journellement contre toutes les autres ? »

Emmanuel Joseph Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers-État ? , 3e édition, Paris, 1789, p. 3-17.