La règlementation de l’eau sous l’Ancien régime
Les notes qui suivent traitent de la réglementation de l’eau au niveau du droit seigneurial, public et privé (voir aussi le droit féodal).
DES RIVIERES:
Si les rivières navigables appartiennent au Roi, les rivières non navigables appartiennent aux Seigneurs Hauts Justiciers dans le territoire desquels elles coulent; en sorte que si une rivière partage et divise deux différentes jurisdictions, chaque seigneur de son côté en a la propriété.
Les fleuves et rivières navigables ne sont rivières royales qu’à l’endroit où elles commencent à porter bateau jusqu’à la mer. Le surplus de ces rivières, en remontant jusqu’à leur source, sont rivières bannales et seigneuriales.
Si la propriété des rivières non-navigables appartient aux Seigneurs Hauts Justiciers, il faut aussi que le Droit de Pêche leur appartienne, l’un est une suite naturelle de l’autre. Les seigneurs peuvent, par la possession immémoriale, acquérir le Droit de Pêche dans les rivières qui coulent dans leur justice et dans leur fief. Le droit de permettre ou de prohiber la pêche dans les rivières qui ne sont pas navigables, est constamment un droit de la Haute Justice.
Si les Seigneurs Justiciers peuvent prohiber la pêche dans les rivières non-navigables, parce qu’ils ont la propriété de ces rivières, ils peuvent, pour la même raison, empêcher qu’on n’y bâtisse des moulins. Un seigneur peut même empêcher que celui qui est seigneur du bord opposé n’appuye sur sa terre les moulins ou les chaussées qu’il fait construire, et cela quand le propriétaire du fond dans lequel est pris cet appui, y auroit consenti; parce que cet appui emporte une marque d’autorité contre laquelle le Seigneur a droit de s’élever.
Le Seigneur Justicier à sur les isles qui se forment dans les rivières non-navigables, le même droit qu’à le Roi sur les isles qui se forment sur les rivières navigables. S’il y a quelque différence entre les isles des rivières non-navigables, appartenant aux seigneurs, et celles des rivières navigables appartenant au Roi, c’est qu’à l’égard de celles-ci, comme elles font parties du domaine de la Couronne, la propriété ne peut être acquise par des particuliers qu’en la manière prescrite par la Déclaration de 1683; au lieu qu’à l’égard des autres, les possesseurs sont à couvert par la prescription de 30 ans.
Lorsqu’une rivière passe au milieu de deux différentes jurisdictions, l’isle appartient au seigneur du côté duquel elle est formée. Un fonds que la rivière, en se divisant, laisse entre ses deux bras, n’est point proprement une isle, qu’il n’en a que l’apparence, parce qu’il est de l’essence d’une isle de naître pour ainsi dire dans la rivière, et par conséquent que ce fonds, pour être entre deux eaux, ne changent point de maître.
Les isles ne sont pas le seul fonds que les rivières acquièrent au Seigneur Justicier, elles lui en acquièrent encore toutes les fois qu’elles changent de lit. Qu’une rivière par exemple, quitte son lit ordinaire pour en occuper un autre, le lit abandonné n’appartiendra point parmi nous comme il appartenoit par le Droit Romain aux propriétaires des fonds contigus, on le regardera comme un vacant, et comme tel on l’adjugera au Seigneur Justicier à l’exclusion des riverains et de ceux a qui le nouveau lit fait perdre partie de leur fonds; on le regardera, disons-nous, comme un vacant, et par cette raison il sera adjugé au Seigneur, sans distinguer si la rivière est navigable ou ne l’est pas.
Que la rivière, après avoir quitté son lit ordinaire, vienne ensuite à le reprendre, ce nouveau lit abandonné par la rivière appartiendra encore, à la rigueur, au Seigneur Justicier, à l’exclusion des riverains et de ceux qui en étoient ci-devant les propriétaires. Toutefois, ce nouveau lit, une fois abandonné par la dite rivière, peut être adjugé à ceux qui en étoit originairement les propriétaires.
Une rivière qui quitte son cours ordinaire, forme un atterrissement qui est l’ancien lit qu’elle laisse; or cet atterrissement appartient au Seigneur Haut Justicier, c’est un fruit de son fief dont on ne peut le priver. De ce fait, il n’est pas permis aux propriétaires des héritages de l’un et de l’autre côté de la rivière, qui aura fait lit nouveau, de la remettre dans son ancien lit.
On ne peut faire aucune construction dans une rivière, sans la permission du Seigneur Haut Justicier, qui peut le permettre sous telles conditions qu’il jugera à propos, gratuitement ou sous une redevance par un bail à cens.
Le Seigneur Haut Justicier a seul droit (dans le droit général et les coutumes muettes) de permettre de construire un moulin sur sa rivière; il est raisonnable que le Seigneur règle la construction d’un édifice qui intéresse non seulement ses sujets, mais encore le public. Quelques coutumes permettent au Bas Justiciers d’édifier moulins dans sa justice, en les rachetant du Seigneur Féodal et les employant dans son aveu. Autres cas: les Coutumes du Berry et de Sole permettent cette construction sans le congé du Seigneur, pourvu que ce ne soit pas dans une terre et justice où le Seigneur a moulin bannal, et que l’établissement puisse se faire sans préjudicier au public. La Coutume de Bretagne restreint cette liberté à l’homme Noble. Les Coutumes de la Ferté-Imbault et de Mézières exigent la permission du Seigneur.
L’usage des rivières étant de droit public, il n’est permis à personne de rien faire qui puisse nuire à cet usage. Ceux qui voudront faire des bâtis pour empêcher la rivière d’endommager leurs possessions devront obtenir la permission du Juge du Seigneur qui l’accordera en connaissance de cause.
Une rivière bannale appartient en propriété domaniale à un Seigneur qui a droit de défendre d’y pêcher, d’y faire des constructions, de la saigner, etc. Pour toutes les autres bannalités, il faut titre; mais pour la bannalité de la rivière, il suffit d’être Seigneur Haut Justicier du territoire où elle passe.
Le droit de marche-pied ne peut être contesté, le long de la rivière, au Seigneur qui a la puissance publique sur les eaux qui coulent dans sa terre. Ainsi, pour le libre exercice de ses droits sur la rivière, il faut lui laisser l’aisance d’aller le long des rivages; et cette aisance ne peut être moindre qu’un sentier de 2 pieds, c’est ce qu’on appelle le marche-pied.
Seul le Seigneur Haut Jusiticier, a qui seul appartient la rivière, a le droit de prendre librement de l’eau dans celle-ci pour arroser ses près, ou pour quelqu’autre usage.
Il n’est pas permis de prendre du sable et des pierres dans une rivière seigneuriale sans la permission du Seigneur.
Le Seigneur peut, selon la Coutume de Normandie, détourner l’eau courante en sa terre, pourvu que les deux rivières soient en son fief, et qu’au sortir d’icellui, il les remette en leur cours ordinaire, et que le tout se fasse sans dommage d’autrui. Mais si la rivière est commune entre deux Seigneurs, elle ne peut être détournée par l’un d’eux, sans la participation de l’autre. Chaque Seigneur étant maître de son rivage, leur justice n’étant divisée que par le courant de l’eau, l’un des Seigneur ne pourra pas disposer du rivage qui ne lui appartient pas, sans le consentement du propriétaire.
Le curage d’une rivière commune à deux Seigneurs doit être fait à frais communs et si l’un des Seigneurs étoit refusant de le faire, l’autre pourroit l’y contraindre après une sommation.
Chaque Seigneur Haut Justicier d’une moitié de la rivière, peut de son côté, édifier un moulin, ou permettre d’en édifier, mais il ne peut rien entreprendre sur l’autre côté.
Toutes les eaux mortes, bories et autres eaux provenant des rivières, n’appartiennent pas nécessairement au Seigneur Haut Justicier. Seules lui appartiennent les eaux qui font partie de la rivière même qui y passe en forme de bras, tellement que l’on peut y entrer en bateau de l’une à l’autre. Par contre, ne lui appartiennent pas les eaux qui sont entretenues dans des trous ou creux par les eaux pluviales, les eaux entretenus un certain temps par les débordements des rivières, et les eaux qui coulent de petits ruisseaux provenant de la rivière qui les entretient. Ces eaux-là appartiennent aux particuliers sur les héritages desquels elles se trouvent.
Si la faculté de prendre de l’eau dans une écluse cesse du fait de la rupture de la dite écluse et que celle-ci est reconstruite après trente ou quarante ans par la suite, cette faculté ne fera pas l’objet de prescription car le droit n’aura cessé que par le fait du propriétaire de l’écluse.
DES FONTAINES
Les fontaines sont ou publiques ou particulières; les unes et les autres sont de la plus grande utilité pour les hommes et pour les bestiaux dans les villes, dans les bourgs et villages, dans les héritages où elles se trouvent.
Les fontaines publiques sont de droit public, parce qu’elles appartiennent à la Commune; il n’est donc permis à personne de se les approprier à son préjudice, de les appliquer à sa commodité particulière.
Les fontaines particulières qui prennent leur source dans un héritage, appartiennent sans contredit au propriétaire de l’héritage, il peut en divertir l’eau, la faire couler ailleurs que par sa pente naturelle, l’employer toute entière à ses besoins, sans que les voisins puissent s’en plaindre. Le propriétaire d’un héritage est maître de tout ce que produit son champ, par conséquent il peut user, ainsi que bon lui semble, de la fontaine qui s’y trouve; et le propriétaire du champ inférieur n’y peut rien prétendre.
Le propriétaire du champ inférieur qui, pendant plusieurs années, se seroit servi de l’eau de la fontaine qui découle du champ supérieur, ne pourroit pas se maintenir dans cette possession par la prescription. Mais si la fontaine qui prend source dans le champ supérieur, après avoir passé par l’inférieur, est appliqué à l’usage public, alors le propriétaire n’en peut plus détourner le cours. Ici, l’intérêt public l’emporte sur celui du particulier; c’est par le même principe que, si quelqu’un avoit, dans son héritage, une fontaine murée, dont le public se seroit servi pendant un temps immémorial, il ne pourroit plus lui en refuser l’usage.
Il peut arriver que le propriétaire d’un héritage d’où coulent les eaux d’une fontaine, se soit acquis le droit, ou par titre ou par convention, de les faire passer sur l’héritage d’autrui; dans cette hypothèse, si le propriétaire de la fontaine vouloit changer l’endroit où les eaux ont coutume de passer, il ne le pourroit pas sans le consentement du propriétaire de l’héritage inférieur; la raison de décider est que ce changement, ainsi fait d’autorité privée, pourroit rendre la servitude de l’héritage inférieur plus considérable, ce qu’on ne peut faire contre la partie intéressé; à moins que le lieu de la servitude ne soit spécifié par le titre, toute la faveur doit être pour le propriétaire de l’héritage asservi.
Un particulier qui a une source d’eau dans son héritage, peut la vendre à l’un de ses voisins au préjudice de l’autre, car le particulier est absolument le maître des eaux qui prennent source dans son héritage. Si le dit particulier fait cette vente, le Seigneur Haut Justicier n’a pas le droit de retenue. Car le Seigneur Haut Justicier et même le Seigneur Directe ne peuvent exerçer le droit de retenue que sur les héritages qu’ils ont démembrés de leurs fiefs et les fontaines et les sources d’eau ne sont point de ce nombre.
DES PUITS ET DES EGOUTS
Il n’est permis à personne de combler les puits publics, d’y jetter des immondices et d’en corrompre les eaux. Il est, au contraire, partout ordonner de les conserver, de les curer et de les entretenir en bon état. Il en est de même des citernes où on ramasse les eaux pluviales dans les lieux où on ne peut creuser de puits.
Ceux qui batissent des latrines dans le voisinage des puits publics, et même particuliers, pour éviter la corruption des eaux, doivent laisser une certaine distance qui varient selon les Coutumes des Provinces et des lieux.
Ceux qui veulent faire creuser un puits dans leur héritage, doivent, en le faisant, observer de ne point nuire aux eaux d’autrui.
Les égouts publics (cloaca) sont d’une grande utilité pour la propreté des grandes villes, dont ils entretiennent les bories, les immondices et les eaux; on a beaucoup d’attention à les entretenir, et il est sévèrement deffendu d’y jetter aucune chose qui puisse les engager et en arrêter le cours.
Les égouts particuliers forment ordinairement une servitude qu’on appelle « droit d’égouts » ou « de goutières ». Pour avoir ce droit, il faut absolument un titre qui y asservisse le voisin; il n’est pas même permis de faire tomber ses eaux dans une allée communale, s’il n’y a titre prévu. C’est l’esprit et la disposition de toutes les Coutumes.
DES EAUX PLUVIALES
Les eaux pluviales qui coulent dans les grands chemins appartiennent au Seigneur Haut Justicier. Pour les utiliser, il faut la permission de celui-ci moyennant un certain prix ou cens.
A PROPOS DES SERVITUDES:
Il y a trois sortes de servitudes rustiques :
1) AQUAE DUCTUS (droit d’acqueduc) : faire passer de l’eau par l’héritage d’autrui, par tuyaux de plomb, de bois, de pierre ou autrement (vient du droit Romain).
2) AQUAE HAUSTUS : droit de puiser de l’eau dans la fontaine ou dans le puits de son voisin.
3) PECORIS AD AQUAM APPULSUS : droit d’abreuver ses bestiaux à la fontaine, à la citerne, au puits, ou à la mare de son voisin.
La servitude réelle s’éteint avec le non usage (10 ans entre présens et 20 ans entre absens); par un usage qui n’est pas conforme par l’acte qui a établi la servitude (comme si celui qui a droit de puiser de l’eau dans le fonds d’autrui pendant la nuit, ou à certaines heures seulement, en puise pendant le jour ou à d’autres heures); par la renonciation à la servitude, faite par le propriétaire de l’héritage a qui elle est dûe; par la résolution du droit de celui qui a constitué la servitude; par la perte de l’héritage qui doit la servitude (un champ qui est redevable d’un droit de chemin ou passage au propriétaire d’un héritage voisin, se trouve entièrement couvert et occupé par un fleuve. Il en serait de même si la source d’eau étoit tarie, par rapport à la servitude AQUAE HAURIUNDAE. Mais si les choses sont rétablies dans la suite, la servitude éteinte ressuscite et a le même effet qu’auparavant) et par une clause particulière apposée dans la constitution de la servitude, qui en contient la destruction A noter que la mort naturelle ou civile n’est pas un moyen d’éteindre les servitudes réelles, parce qu’elle sont dûes aux héritages et non pas à ceux qui en sont les propriétaires. Les ventes publiques des héritages qui sont chargés de servitudes, ou ausquels les servitudes sont dûes, n’en causent pas l’extinction, du moins celles qui sont visibles et apparentes.
La servitude d’héritage est un droit établi sur un héritage contre sa liberté naturelle, en conséquence duquel droit un héritage est assujetti à certaines charges, au profit d’un autre héritage. La servitude est un droit c’est-à-dire une chose incorporelle qui, par conséquent, ne peut subsister d’elle-même et qu’il faut attacher et appliquer à un certain corps, c’est-à-dire à l’héritage qui doit la servitude à celui a qui elle est due, dont elle augmente la valeur. Si une servitude est établie sur un héritage voisin en faveur d’un autre héritage, cette servitude étant indivisible, est toute en tout l’héritage dominant et l’héritage servant, est toute en chaque partie, comme l’âme est tout en tout le corps et toute en chacun de ses membres.
La servitude réelle est celle qui assujettit un héritage à certaines choses en faveur d’un autre héritage. La servitude réelle est attachée à l’un et l’autre fonds, c’est-à-dire à celui par qui elle est dûe, en sorte qu’elle passe aux successeurs et suit toujours ces héritages en quelques mains qu’ils puissent tomber. Il faut que les deux héritages, c’est-à-dire le dominant et le servant soient voisins. En sorte que la distance qui se trouveroit entre deux héritages et qui empêcheroit l’usage d’une servitude, empêcheroit aussi qu’on ne la pût valablement imposer. Pour qu’une servitude réelle soit valablement constituée, il faut que l’héritage dominant et l’héritage servant appartiennent à différents propriétaires.
Si un héritage est commun à plusieurs par indivis, pas un ne peut donc imposer un droit de servitude, que tous les autres n’y ayent consenti, parce que cette servitude étant répandue sur tout l’héritage, elle en gageroit les portions qui n’appartiennent pas à celui qui l’auroit imposée. Un des copropriétaires d’un héritage possédé entre plusieurs par indivis ne peut pas aussi stipuler un droit de servitude pour cet héritage; parce qu’il l’acquerroit généralement à tout l’héritage, et par conséquent aux portions qui ne lui appartiennent pas.
Sources: Ces notes sont extraites des deux ouvrages suivants:
– « Traité des Droits Seigneuriaux et des matières Féodales » par M. Noble François DE BOUTARIC, Toulouse, 1775
– « Dictionnaire de Droit et de Pratique » par M. Claude-Joseph de Ferrière, doyen des docteurs-régens de la Faculté des droits de Paris, et ancien avocat au Parlement, 2 tomes, Paris, 1762.