Les bâtards
Les notes qui suivent concernent le statut des bâtards sous l’Ancien Régime.
Le bâtard est un enfant né de la conjonction illicite de 2 personnes, qui pouvaient contracter mariage ensemble au temps qu’il a été conçu.
On distingue:
– les « simples bâtards », enfants nés de 2 personnes absolument libres, et qui pouvaient se marier ensembles;
– les « bâtards adultérins », enfants qui sont procréés de personnes unies à d’autres par le sacré lien du mariage (ceux-ci sont adultérins tant de la part de leur père que de la part de leur mère, ou seulement de la part de l’un ou de l’autre);
– les « bâtards incestueux », enfants qui sont nés de personnes qui ne peuvent contracter mariage ensemble, à cause du lien de parenté ou d’alliance qui les unit – on met au même rang les enfants des personnes consacrées à Dieu par le vœu de chasteté, que l’on nomme aussi « liberi nati ex damnato coitu ».
Comme le mariage est la seule voie légitime de la propagation du genre humain, on distingue la condition des bâtards de celles des enfants légitimes; et même on ne donne le nom d’enfant aux bâtards qu’en y ajoutant quelque épithète, comme d’enfants naturels, ou autres.
Les bâtards sont capables du droit des gens et du droit civil comme ceux qui sont nés en légitime mariage, par la raison que c’est la naissance seule dans un pays qui donne le droit de bourgeoisie et la capacité des effets civils. Ils peuvent donc acquérir et posséder toutes sortes de biens et de charges dans le royaume, ce qui est d’autant plus juste qu’on doit honorer la vertu, quelque part qu’elle se trouve.
Si la condition de la naissance était en notre pouvoir, chacun naîtrait non seulement d’une couche légitime, mais d’une tige illustre et glorieuse. Mais indépendamment de notre volonté, nous naissons, les uns sous le chaume d’une vile cabane, les autres sous le lambris d’un superbe palais; les uns sous la loi d’un mariage légitime, les autres sous la licence d’une conjonction réprouvée. On ne doit donc pas considérer les hommes par leur naissance, ni par la qualité de leur extraction, qui sont des évènements qui ne dépendent en aucune manière de leur volonté; mais par leurs vertus, par leur mérite, et par le bon usage qu’ils font des talents qui se trouvent en eux.
Si les bâtards ne peuvent être promus aux ordres, ni posséder des bénéfices dans l’église qu’avec dispense, ce n’est pas qu’on puisse leur rien imputer à l’occasion de la naissance; mais c’est uniquement parce que la majesté de la maison de Dieu exige que ces ministres et ses officiers soient exempts de la moindre macule, même de celle qui ne peut être imputée qu’à ceux qui leur ont donné l’être. La raison et la religion ont donc travaillé de concert à punir le vice, en n’admettant point à l’état ecclésiastique celui qui est né hors le mariage, parce qu’il est le fruit de l’incontinence de ceux qui lui ont donné l’être.
Les bâtards, pour ce qui regarde les dispositions qu’ils peuvent faire de leurs biens par actes entre-vifs, ou par dernière volonté, ne diffèrent en rien des personnes nées d’un légitime mariage.
Comme les bâtards ne sont réputés d’aucune famille, ils ne peuvent exercer le retrait lignager, ni porter les armes de leur père, ni se qualifier d’écuyers, quoiqu’ils soient nés de père noble, et même, quoique légitimés par lettres du Prince, ils ne participent point à la noblesse de leur père pour l’exemption de la taille, à moins qu’ils ne soient anoblis par les lettres de légitimation.
Il faut néanmoins remarquer que nous tenons communément que les bâtards des Rois naissent Princes, les bâtards des Princes naissent Gentilshommes et les bâtards des Gentilshommes naissent roturiers. Ainsi, ce n’est qu’à ces derniers qu’on peut appliquer ce que nous venons de dire, que les bâtards des nobles ne participent point à la noblesse de leur père.
Les bâtards sont incapables de toutes successions « ab intestat », a la réserve de celles de leurs enfants légitimes, et de la succession qui peut leur appartenir par l’Édit « unde vir et uxor ». Les bâtards ne succèdent donc pas à leur père, pas même à leur mère, encore moins aux parents de leur père et de leur mère, d’autant qu’on ne compte dans les familles au nombre des proches capables de succéder que ceux à qui une naissance d’un mariage légitime a donné ce droit.
Pour les bâtards, leurs pères et leurs mères ne peuvent être admis à leurs successions. C’est pourquoi quand un bâtard décède sans laisser aucun enfant légitime et sans avoir disposé de ses biens, ceux qu’il laisse appartiennent au Roi par « droit de bâtardise », ou aux seigneurs Hauts-Justiciers.
Les bâtards n’étant point dans la famille de leurs pères et mères, ils peuvent se marier sans leur consentement. Quoiqu’ils ne soient réputés d’aucune famille, ce défaut de naissance n’influe sur les droits du sang qu’on présume devoir produire à l’égard des bâtards les mêmes effets qu’on coutume de produire en la personne des enfants légitimes (c’est un droit naturel). Ainsi le père ou la mère et l’enfant naturel sont admis à venger la mort l’un de l’autre et d’en recevoir les intérêts civils lorsque les héritiers légitimes du défunt sont négligents d’en poursuivre la vengeance; auquel cas ils y sont admis, non pas à titre d’héritiers, mais par le droit de nature, « pietatis intuitu », et la réparation leur appartiendrait en ce cas, à l’exclusion des héritiers légitimes qui en seraient rendus indignes par leur silence.
Les donations que les pères et mères peuvent faire à leurs bâtards sont restreintes aux donations particulières et modiques. On doit en cela avoir égard aux circonstances, comme à la quantité des biens des pères et mères, et à la qualité des héritiers qu’ils laissent, si ce sont des enfants légitimes ou collatéraux.
Les enfants légitimes que les bâtards ont, sont nés d’un légitime mariage, ils sont capables de toutes sortes de donations ou dispositions testamentaires qui leur sont faites par leur aïeul. La raison est que les enfants des bâtards ne pourraient succéder à leur aïeul que par le droit qu’ils auraient dans sa succession comme étant au lieu et place de leur père: or son inhabilité passe en leur personne, attendu que leur origine n’étant point légitime, ils ne sont point compris parmi ceux à qui la loi déferre les successions « ab intestat ».
Mais pour ce qui est des donation entre-vifs ou des dispositions de dernière volonté, ils s’y trouvent appelés de par leur chef par le choix et par une prédilection particulière du donateur ou du testateur: c’est pourquoi le vice de bâtardise qui est inhérent en la personne de leur père ne passe point jusqu’à eux à cet égard.
Des aliments sont dus aux enfants naturels par leur père s’ils n’ont un établissement certain. Ainsi les bâtards, jusqu’à ce qu’ils aient appris un métier et qu’ils aient été reçu maîtres, peuvent demander des aliments à leur père pendant sa vie et à ses héritiers après sa mort, s’il n’y a pas pourvu lui-même. La raison est que l’obligation de fournir des aliments à ses enfants est de droit naturel.
L’obligation naturelle de fournir des aliments ne regarde pas seulement les pères mais aussi les mères, quoiqu’elles ne puissent pas être poursuivies en justice pour donner des aliments à leurs enfants bâtards; car enfin si elles sont en quelques façon excusables de ne pas les reconnaître pour sauver leur honneur, elles sont fort blâmables de ne pas leur donner des aliments, lorsqu’elles sont en état de leur faire du bien. Il en va de même pour les bâtards adultérins et incestueux, mais l’on restreint les libéralités qui leur sont faites par leurs pères et mères, plus ou moins, suivant que les circonstances sont plus favorables ou plus odieuses.
Source: « Dictionnaire de Droit et de Pratique » par M. Claude-Joseph de Ferrière, doyen des docteurs-régens de la Faculté des droits de Paris, et ancien avocat au Parlement, 2 tomes, Paris, 1762.