« Le rythme de la Libération est d’une extrême rapidité… Fin septembre, sauf l’Alsace et ses avancées, ainsi que les cols des Alpes et les réduits de la côte Atlantique, le territoire tout entier est purgé d’envahisseurs… La marée, en se retirant, découvre donc soudain, d’un bout à l’autre, le corps bouleversé de la France…
Les chemins de fer sont quasi bloqués. De nos 12’000 locomotives, il nous en reste 2’800. Aucun train, partant de Paris, ne peut atteindre Lyon, Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille, Nancy. Aucun ne traverse la Loire entre Nevers et l’Atlantique, ni la Seine entre Mantes et la Manche, ni le Rhône entre Lyon et la Méditerranée. Quant aux routes, 3’000 ponts ont sauté ; 300’000 véhicules, à peine, sont en état de rouler sur 3 millions que nous avions eus ; enfin, le manque d’essence fait qu’un voyage en auto est une véritable aventure.
… En même temps, l’arrêt des transports désorganise le ravitaillement. D’autant plus que les stocks avoués de vivres, de matières premières, de combustibles, d’objets fabriqués, ont entièrement disparu. Sans doute un « plan de six mois », prévoyant une première série d’importations américaines, avait-il été dressé par accord entre Alger et Washington. Mais comment le faire jouer alors que nos ports sont inutilisables ? Tandis que Dunkerque, Brest, Lorient, Saint-Nazaire, La Rochelle, ainsi que l’accès de Bordeaux, restent aux mains de l’ennemi, Calais, Boulogne, Dieppe, Rouen, Le Havre, Cherbourg, Nantes, Marseille, Toulon, écrasés par les bombardements britanniques et américains et, ensuite, détruits de fond en comble par les garnisons allemandes avant qu’elles ne mettent bas les armes, n’offrent plus que quais en ruines, bassins crevés, écluses bloquées, chenaux encombrés d’épaves…
Ainsi qu’on pouvait le prévoir, la Libération ne va, tout d’abord, apporter au pays disloqué et vidé de tout,aucune aisance matérielle. »
in Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959.