Toulouse, 6 septembre 1944,

« Dans l’ensemble, la libération s’est effectuée sans les troubles graves que certains redoutaient… Rares ont été les effusions de sang. On estime à environ 200 les exécutions sommaires qui auraient eu lieu à Limoges…. Mais cet exemple semble unique. Presque partout, les traîtres et délateurs ont été déférés à des cours martiales. Les Francs-Tireurs et Partisans, dans la Haute-Vienne, dans la Corrèze, dans le Gard, se sont fait remettre par des banques, sous la menace des armes, des sommes d’argent considérables, mais ces cas, pour désastreux qu’ils soient, sont isolés et, s’étant produits dans le tumulte des premières heures, ne se sont pas renouvelés.

Les comités de Libération… ne représentent que très imparfaitement la variété des opinions de leur département ou de leur commune. Pratiquement, y figurent toujours les délégués du Parti communiste, du Parti socialiste, du Front national, du Mouvement de Libération nationale et de la Confédération générale du Travail, que ces organisations aient, ou non, une existence réelle sur place. C’est ainsi que, dans l’Aveyron, département d’opinion en majorité modérée, les modérés, quoique très résistants, brillent par leur absence.

La population, après la fièvre des premières heures, passe par une phase de détente. Elle est toute à la joie de la liberté retrouvée et, en même temps, elle n’en croit pas ses yeux. Elle est abasourdie par la soudaineté de l’opération. D’instinct, les masses populaires font confiance au général de Gaulle. Les éléments qui pourraient lui être hostiles, à savoir la minorité possédante qui a suivi ou soutenu Vichy, sont en proie à la plus grande confusion. Eux non plus ne sont pas encore ressaisis. Ils ignorent ce qu’ils doivent attendre de ces hommes nouveaux dont ils ne savent rien. Ils sont, en général, très inquiets et la présence dans toutes les villes de forces armées du maquis n’est certes pas pour les rassurer…

Pour l’immédiat, tous les travailleurs tendent et, déjà, réclament une hausse des salaires. J’ai invité les commissaires de la République à leur donner sans tarder de premières satisfactions sur le plan local, en attendant les mesures d’ordre général que va prendre le Gouvernement… Il conviendra également de donner sans délai aux commissaires de la République des instructions précises pour ce qui concerne les prix…

Les commissaires de la République de Clermont-Ferrand, de Toulouse, de Montpellier ont déjà pris des contacts avec les industriels de leurs régions respectives. Ils en ont retiré l’impression que la plupart de ceux-ci s’attendent à de profondes réformes dans la gestion de leurs entreprises et se résignent à cette fatalité. »

in Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, 1959.