Sous la Seconde Restauration, la loi du 8 mai 1816 portée par le vicomte de Bonald et les ultras de la Chambre introuvable, abolit le divorce. Les débats qui se déroulent début mars 1816 donnent à voir la vision du monde de ceux qui se montrent « plus royalistes que le roi » Louis XVIII. L’intervention d’Auguste Josse-Beauvoir (1771-1853) député du Loir-et-Cher, nous livre son regard sur la famille, la femme, le genre, le catholicisme, la place de la religion dans la morale publique, l’Europe, l’Asie et l’islam.
L'ultra : « Éteignons, les Lumières »
L'ultra : « Éteignons, les Lumières »

C’est à la force de ses mœurs que l’Europe doit sa supériorité sur les autres parties du mondeLa France n’a à ce moment que quelques petits territoires de l’empire colonial construit à l’époque moderne. et la force de ses mœurs est due uniquement à la religion chrétienne qui, en honorant le mariage, est la source féconde et constante de la populationLa source du renouvellement des générations. A la vérité, les pratiques anticonceptionnelles sont déjà diffusés et sont l’apanage des élites aristocratiques et bourgeoises. […]
J’ai avancé que la religion chrétienne, par le respect dont elle environne le mariage, était la véritable cause de la population. Nous en trouverons la preuve dans la comparaison à faire entre, d’une part, les pays soumis à l’islamismeIslamisme et islamiste – Termes désignant habituellement l’islam et les musulmans au XIXe siècle, en concurrence avec le terme «mahométan»., qui a pour dogme la fatalitéLeitmotiv habituel des descriptions de l’islam jusqu’au milieu du XXe siècle dans les manuels scolaires., et qui permet la polygamie, et d’autre part ceux où règne la religion qui consacre l’indissolubilité du mariage et la confiance dans la Providence […]
En Asie, l’homme plongé dans la mollesse, n’ayant pour femmes que des esclaves consacrées à ses plaisirs, vit sans travail et sans économieThème de l’indolence et du sybaritisme asiatique.. Le sort de ses enfants ne peut l’occuper : que lui importe ? Qu’il fasse ou ne fasse pas, la fatalité a décidé de leur sort. Que peut une mère pour leur bonheur, lorsqu’aucun intérêt, dans une famille dont elle ignore la fortune et l’étendueVision en creux de la famille européenne où la femme pourvoit à la gestion du foyer., ne la regarde ? Introduite par un événement fortuit dans une maison dont elle n’a jamais ouï parler, étrangère à l’éducation de ses enfantsVision en creux du rôle de la femme européenne et chrétienne dans l’éducation des enfants., les entretiendra-t-elle des vertus de leurs aïeux, du mérite de leur père ? Leur parlera-t-elle de leur patrie, lorsque, séquestrée de la société, elle ignore les scènes du monde et quels en furent les acteurs ? En Europe, au contraire, l’énergie du père s’accroit par le nombre des enfants. Il leur donne l’exemple du travail et de l’activité, se regardant avec raison comme spécialement chargé par la Providence de pourvoir à leurs besoins, il embrasse pour eux, le présent et l’avenir. La femme, chargée de la conduite de la maison et de l’économie domestique, a pour ses enfants et pour son mari cette tendre sollicitude qui veille à leur bien-être.
Les défenseurs du divorce s’appuient sur ce que notre loi fondamentaleLa Charte de 1814. ne déclare aucune religion dominante. L’absence du mot n’empêche pas le fait d’exister. La religion catholique prédomine en France parce que les dix-neuf vingtièmes de ses habitants la professent. N’oublions pas que l’article 7 dit que la religion catholique est celle de l’État. Or, si la religion catholique est celle de l’État, le divorce comme loi de l’État est donc aussi absurde que le serait une loi qui permettrait la polygamie, parce que des musulmans établis en FranceIl y a alors quelques musulmans en France. Il y eut des corporations de marchands à Paris dès le Moyen-Age. Marseille est ouverte aux influences méditerranéennes et l’on se souvient que des mameluks de Napoléon ont été massacrés quelques mois auparavant, lors de la Terreur blanche qui suit les Cent-Jours. invoqueraient les articles de la Charte qui expriment que chacun y professe sa religion avec une égale liberté, et y obtient pour son culte une égale protection. Parlons franchement Messieurs, le divorce ne fait pas des heureux; aucune loi dans l’univers ne l’ordonne, aucun pays ne l’honore. Qu’on ne vienne donc pas mettre dans notre patrie ce qui serait commode pour quelques individus avec ce qui est souverainement immoral et dangereux pour tous […]


Auguste Josse-Beauvoir, «Intervention à la Chambre des députés», Seconde Restauration, 2 mars 1816, M. J. Mavidal, M. E. Laurent (dir.), Archives parlementaires de 1787 à 1860, série 2, tome 15., p. 370-371