Si la France est reconnue comme le pays d’une laïcité parfois mal comprise par les autres pays, il ne faut pas pour autant oublier que d’autres ont également légiféré dans un sens et avec des motivations similaires à la France. C’est le cas de la deuxième province du Canada : le Québec.

Le 16 juin 2019, durant le premier mandat de la Coalition avenir Québec (CAQ), la province a adopté la loi dite « loi 21 ». Mais, pour la mettre à l’abri des contestations judiciaires qui n’ont pas manqué, le gouvernement a eu recours à la disposition de dérogation de la Constitution canadienne, aussi connue sous le nom de « clause nonobstant » ou « clause de souveraineté parlementaire ». Ce mécanisme, qui doit être renouvelé tous les cinq ans, a été reconduit en 2024. Par deux fois, la loi a été confirmée : par la Cour supérieure du Québec en 2021 et la Cour d’appel du Québec en 2024. Cette dernière a établi le caractère constitutionnel de l’interdiction du port des signes religieux, y compris par les enseignants des commissions scolaires anglophones. 

Mais cette loi fait toujours l’objet d’une virulente contestation de la part de divers groupes religieux. Elle sera finalement étudiée par la Cour suprême du Canada cette année, comme l’explique en détail cet article du Devoir.com disponible ICI.

Nous vous proposons ici un extrait de cette loi à titre comparatif avec les lois françaises. Comme ces dernières, elle énonce quatre principes : la séparation de l’État et des religions, la neutralité religieuse de l’État, l’égalité de tous les citoyens et la liberté de conscience et de religion. 


Chapitre L-0.3 Loi sur la laïcité de l’État
CONSIDÉRANT que la nation québécoise a des caractéristiques propres, dont sa tradition civiliste, des valeurs sociales distinctes et un parcours historique spécifique l’ayant amenée à développer un attachement particulier à la laïcité de l’État ;
CONSIDÉRANT que l’État du Québec est fondé sur des assises constitutionnelles enrichies au cours des ans par l’adoption de plusieurs lois fondamentales ;
CONSIDÉRANT qu’en vertu du principe de la souveraineté parlementaire, il revient au Parlement du Québec de déterminer selon quels principes et de quelle manière les rapports entre l’État et les religions doivent être organisés au Québec ;
CONSIDÉRANT qu’il est important de consacrer le caractère prépondérant de la laïcité de l’État dans l’ordre juridique québécois ;
CONSIDÉRANT l’importance que la nation québécoise accorde à l’égalité entre les femmes et les hommes ;
CONSIDÉRANT qu’il y a lieu d’établir un devoir de réserve plus strict en matière religieuse à l’égard des personnes exerçant certaines fonctions, se traduisant par l’interdiction pour ces personnes de porter un signe religieux dans l’exercice de leurs fonctions ;
CONSIDÉRANT que la laïcité de l’État favorise le respect du devoir d’impartialité de la magistrature ;
CONSIDÉRANT qu’il y a lieu d’affirmer la laïcité de l’État en assurant un équilibre entre les droits collectifs de la nation québécoise et les droits et libertés de la personne ;
LE PARLEMENT DU QUÉBEC DÉCRÈTE CE QUI SUIT :
CHAPITRE I- AFFIRMATION DE LA LAÏCITÉ DE L’ÉTAT

1. L’État du Québec est laïque.

2. La laïcité de l’État repose sur les principes suivants :

1°  la séparation de l’État et des religions;
2°  la neutralité religieuse de l’État;
3°  l’égalité de tous les citoyens et citoyennes;
4°  la liberté de conscience et la liberté de religion.

3. La laïcité de l’État exige que, dans le cadre de leur mission, les institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires respectent l’ensemble des principes énoncés à l’article 2, en fait et en apparence.

Pour l’application du présent chapitre, on entend par :

1°  «institutions parlementaires» : l’Assemblée nationale, de même que les personnes nommées ou désignées par celle-ci pour exercer une fonction qui en relève;
2°  «institutions gouvernementales» : les organismes énumérés aux paragraphes 1° à 10° de l’annexe I;
3°  «institutions judiciaires» : la Cour d’appel, la Cour supérieure, la Cour du Québec, le Tribunal des droits de la personne, le Tribunal des professions et les cours municipales.
4. En plus de l’exigence prévue à l’article 3, la laïcité de l’État exige le respect de l’interdiction de porter un signe religieux prévue au chapitre II de la présente loi et du devoir de neutralité religieuse prévu au chapitre II de la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes (chapitre R-26.2.01), et ce, par les personnes assujetties à cette interdiction ou à ce devoir.
La laïcité de l’État exige également que toute personne ait droit à des institutions parlementaires, gouvernementales et judiciaires laïques ainsi qu’à des services publics laïques, et ce, dans la mesure prévue par la présente loi et par la Loi favorisant le respect de la neutralité religieuse de l’État et visant notamment à encadrer les demandes d’accommodements pour un motif religieux dans certains organismes.

5. Il appartient au Conseil de la magistrature, à l’égard des juges de la Cour du Québec, du Tribunal des droits de la personne, du Tribunal des professions et des cours municipales ainsi qu’à l’égard des juges de paix magistrats, d’établir des règles traduisant les exigences de la laïcité de l’État et d’assurer leur mise en oeuvre.

Malgré le paragraphe 3° du deuxième alinéa de l’article 3, l’exigence de respecter les principes énoncés à l’article 2 ne s’applique aux juges que dans la mesure prévue au présent article.
CHAPITRE II – INTERDICTION DE PORTER UN SIGNE RELIGIEUX

6. Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées à l’annexe II.

Au sens du présent article, est un signe religieux tout objet, notamment un vêtement, un symbole, un bijou, une parure, un accessoire ou un couvre-chef, qui est :

1°  soit porté en lien avec une conviction ou une croyance religieuse;
2°  soit raisonnablement considéré comme référant à une appartenance religieuse.
CHAPITRE III – SERVICES À VISAGE DÉCOUVERT

7. Pour l’application du présent chapitre, on entend par «membre du personnel d’un organisme» un membre du personnel d’un organisme énuméré à l’annexe I ainsi qu’une personne mentionnée à l’annexe III qui est assimilée à un tel membre.

8. Un membre du personnel d’un organisme doit exercer ses fonctions à visage découvert.

De même, une personne qui se présente pour recevoir un service par un membre du personnel d’un organisme doit avoir le visage découvert lorsque cela est nécessaire pour permettre la vérification de son identité ou pour des motifs de sécurité. La personne qui ne respecte pas cette obligation ne peut recevoir le service qu’elle demande, le cas échéant.
Pour l’application du deuxième alinéa, une personne est réputée se présenter pour recevoir un service lorsqu’elle interagit ou communique avec un membre du personnel d’un organisme dans l’exercice de ses fonctions.

9. L’article 8 ne s’applique pas à une personne dont le visage est couvert en raison d’un motif de santé, d’un handicap ou des exigences propres à ses fonctions ou à l’exécution de certaines tâches.

10.Un organisme énuméré à l’annexe I peut exiger, de toute personne ou société avec laquelle il conclut un contrat ou à laquelle il octroie une aide financière, que des membres de son personnel exercent leurs fonctions à visage découvert, lorsque ce contrat ou l’octroi de cette aide financière a pour objet la prestation de services inhérents à la mission de l’organisme ou lorsque les services sont exécutés sur les lieux de travail du personnel de cet organisme. Il en est de même pour une institution parlementaire visée au paragraphe 1° du deuxième alinéa de l’article 3.
[…]
Source : https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/
Le texte de loi complet, dans sa version du 1er novembre 2024, est disponible ICI

Pour aller plus loin :

Laïcité au Québec neuve et controversée : article disponible ICI