LE BRÉSIL À LA FIN DU XVIe SIÈCLE

« (…) Cette province du Brésil (…) est distante de Lisbonne de 1’500 lieues environ. On l’a divisée en 8 capitaineries (…). Ce sont tous des ports de mer ou des villes appartenant à des seigneurs, les « donatorios », sauf deux, Bahia et Rio de Janeiro, qui sont villes de Sa Majesté. Bahia [« la Baie »] est la capitale où résident le gouverneur, l’auditeur général, (…) le trésorier, et d’autres officiers du roi. Cette province du Brésil n’a qu’un seul évêque qui réside aussi à Bahia ; dépendent de lui directement quatre capitaineries (…). Quant aux quatre autres capitaineries, dans le Sud, elles sont visitées par un administrateur ecclésiastique qui joue le rôle d’évêque, il réside d’ordinaire à Rio de Janeiro. (…)

Bahia, qui est à treize degrés et demi sous l’Equinoctial, (…) est plutôt mal située sur une montagne ; elle a une vue paisible vers l’ouest et l’est. (…) On trouve à Bahia 46 moulins à sucre. La ville n’est pas très grande, car la majeure partie de la population vit à l’extérieur dans les moulins et les « haciendas ». Dans toute la région il y a peut-être deux mille foyers portugais – soit 10 à 12 000 personnes -, et pour le service des moulins et haciendas, il y a trois mille esclaves de Guinée, et au moins huit mille Indiens christianisés, esclaves ou libres. (…)

RIO DE JANEIRO – (…) c’est la baie la plus agréable et aérée qu’il y a dans tout le Brésil, le port est si profond que les navires les plus grands ont encore, à la proue, 14 brasses d’eau. Cette ville possède une forteresse remplie de bonne artillerie sans compter trois ou quatre forts qui la rendent très défendable. On y compte cent cinquante foyers de Portugais (…). C’est un pays de grandes montagnes, de grandes pentes, et à l’entrée du goulot on voit un rocher très grand en forme de pain de sucre – on l’appelle d’ailleurs ainsi : il y a plus de cent brasses de haut, c’est chose admirable. (…) C’est un pays riche, bien fourni de bétail, de farine et d’autres approvisionnements. On y trouve trois moulins à sucre, mais aussi de la muscade (…). Le cèdre, le bois du santal y abondent. On y apporte du raisin, du blé et d’autres choses du Portugal. Le poisson y est très abondant. (…) »

Description d’un Père jésuite de 1585, rapportée par Frédéric MAURO, Le Brésil au XVIIe siècle. Documents inédits relatifs à l’Atlantique portugais. Coimbra, 1961.

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LES RÉDUCTIONS AU PARAGUAY AU DÉBUT DU XVIIe SIÈCLE

« (…) Le P. Martial de Lorenzana (…) fut le premier à créer, sur mission confiée par le P. provincial, une réduction au sud. Nous appelons ainsi les villages d’Indiens, qui antérieurement erraient dans les montagnes et les forêts, construisant des cabanes dans les lieux les plus reculés. Les pères les regroupent dans des villages où ils bénéficient des commodités de la vie en société et se vêtent de coton, tandis que, selon leur coutume, ils allaient nus sans même couvrir les parties naturelles. Cette première réduction s’appelait San Ignacio, située à 5 lieues de la ville d’Asunción. (…)

Un an et demi [après la création de la réduction de San Ignacio], le P. Diego de Torres m’appela de Córdoba, située à 200 lieues de là, et me désigna, avec le P. Antonio de Moranta, pour la mission apostolique de Guaira (…). Nous fûmes en chemin quarante jours à travers une région déserte, manquant de pain et de farine, n’ayant plus pour nous nourrir qu’une poignée de maïs (…).

Nous arrivâmes à Maracayù, où les Indiens nous accueillirent avec joie et amour. Nous y demeurâmes quelques jours, administrant les sacrements et nous familiarisant avec la langue de ce peuple. Ce village est entouré d’immenses montagnes couvertes d’arbres nommés yerba (…). Les Indiens exploitaient ces arbres pour le compte des Espagnols, dans une espèce de servitude abominable nommée servicio personal, en violation des ordres de Sa Majesté, que Dieu protège (…).

Ce n’est pas mon intention de décrire les torts que souffrent les Indiens, (…) mais je dois dire, comme je l’ai constaté, que ces mauvais traitements éloignent les païens de l’Évangile et les portent à détester les chrétiens, car, si leurs oreilles entendent la bonté de la loi divine, leurs yeux voient le contraire de ce qui leur est dit (…).

À la réduction de Loreto, nous créâmes une école pour apprendre à lire et à écrire aux jeunes Indiens, une heure chaque matin et une heure chaque soir, en leur enseignant la doctrine de notre sainte foi, pendant six jours de la semaine ; le septième jour, selon le principe divin, nous gardions le silence, soucieux de ne pas faner ces plantes fragiles. Nous agîmes ainsi pendant deux ans, sans autre difficulté que de devoir refuser les femmes que les chefs nous offraient, jugeant contre nature que des hommes puissent se passer d’elle pour la cuisine, la lessive et autres occupations ménagères. Nous dûmes construire autour de notre maison une palissade pour empêcher les femmes d’y entrer, action que les Indiens considérèrent, non comme honorable, mais comme incompréhensible (…).

Il y a aujourd’hui dans la province du Paraguay vingt-cinq villages d’Indiens à la charge de notre Compagnie (…). La plupart des Indiens sont devenus nos amis et ont accueilli le saint Évangile, mais certains, comme les Payaguas, sont demeurés indomptables et continuent à causer la mort de beaucoup d’Espagnols. Nous avons des pères en tout petit nombre (…). Dieu veuille nous envoyer bientôt d’autres ouvriers pour cultiver Sa vigne. (…) »

Antonio RUIZ DE MONTOYA, Conquista espiritual por los religiosos de la Compania de Jesùs en las Provincias del Paraguay, Paraná, Uruguay y Tape… Madrid, 1639.

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LE TRAVAIL FORCÉ À LA MINE AU DÉBUT DU XVIIe SIÈCLE

« Dans une supplique anonyme qui a été donnée à Sa Majesté, et qui m’avait été remise à moi le Président, l’auteur – d’après ce qu’on sait c’est un prêtre qui a été curé de Guancavelica où se trouvent les mines de mercure du Pérou… – dit que, pour la mise en valeur desdites mines, on amène des provinces voisines deux mille Indiens forcés et contraints, les risques pour leur vie étant bien connus, à tel point que, après 3 ou 4 [séjours] de deux mois, beaucoup d’entre eux meurent et ceux qui en réchappent fuient de leurs réductions et vont à Loyunga qui est une montagne couverte de forêts et voisine des Indiens insoumis, où ils vivent comme des sauvages privés de l’administration des sacrements (…) ; c’est d’après ces considérations que (…) j’ai ordonné la fermeture de ladite mine (…) ; [l’auteur] dit [aussi] que dans celle-ci les Indiens travaillaient autour d’une grande mare d’eau apparue à la suite de la ruine de ladite mine, et que pour l’exploiter d’autres Indiens l’assèchent et que de la vapeur et de la chaleur qu’il y a (…) il leur vient une maladie dont ils meurent irrémédiablement. (…) On a beaucoup discuté de ce sujet au Conseil et aussi du fait qu’on a pris toutes les précautions possibles pour essayer de soulager les Indiens des travaux et services personnels, mais l’exécution [de ces décisions] en est rendue difficile parce qu’avec 1’000 quintaux de mercure on affine les minerais dont on tire un million de barres, et on ne peut faire ce travail sans les Indiens (…) ».

Réunion du Conseil des Indes à propos du travail intolérable dont souffrent les Indiens dans les mines de mercure du Pérou, Madrid, 15 février 1616, publiée par Richard KONETZKE, Colección de documentos para la historia de la formación social de hispano-América. Madrid, Consejo superior de investigaciones científicas, 1953.

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LES RUES DE MEXICO VERS 1630

« (…) Il ne manque rien à Mexico de ce qui peut rendre une ville heureuse et si ces écrivains qui ont employé leurs plumes à louer les provinces de Grenade en Espagne et de Lombardie et de Toscane en Italie, dont ils font des paradis terrestres, avaient vu ce Nouveau Monde et la ville de Mexico, ils se dédiraient bientôt de tout ce qu’ils ont dit en faveur de ces lieux-là (…). Les rues des villes de la Chrétienté n’approchent point la netteté de celles-ci, et encore moins de la richesse des boutiques qui leur servent d’ornement, mais surtout celles des orfèvres qui sont dignes d’admiration, à cause des grandes richesses et des beaux ouvrages qu’on y voit (…). C’est un commun proverbe dans ce pays-là qu’il y a quatre belles choses à Mexico, les femmes, les habits, les chevaux et les rues. Mais j’y puis encore ajouter la beauté des carrosses de la noblesse qui sont beaucoup plus riches que ceux de la cour de Madrid et de tous les autres royaumes d’Europe ; et pour les enrichir, on n’y épargne point l’or, l’argent, le drap d’or ni les plus belles soies de la Chine (…). Dans la belle rue qu’on appelle La Plateria, en moins d’une heure on peut voir la valeur de plusieurs millions en or, en perles et en pierres précieuses. La rue Saint-Augustin est aussi fort riche et fort agréable, où demeurent la plupart des marchands de soie. Mais une des plus longues et des plus larges est celle qu’on appelle Tabuca, où presque toutes les boutiques sont celles des marchands qui vendent des ouvrages de fer, d’acier et de cuivre. (…) »

Thomas GAGE, Nouvelles relation des Indes Occidentales, 1648.

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LA VILLE DE MEXICO EN 1697 VUE PAR UN VOYAGEUR ITALIEN

« (…) On peut dire qu’elle le dispute aux meilleures d’Italie pour la beauté des édifices et les ornements des églises (…). Mexico peut avoir cent mille habitants, mais la plus grande partie noirs et mulâtres, à cause de tant d’esclaves qu’on y a amenés. (…) »

Le Mexique à la fin du XVIIe siècle vu par un voyageur italien, Gemelli Careri, éd. de J.-P. BERTHE. Paris, Calmann-Lévy, 1968.

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L’EXACERBATION DE L’ANTAGONISME HISPANO-CRÉOLE À LA FIN DU XVIIe SIÈCLE

« (…) Cette infernale question de l’origine de chacun est si envenimée et si brûlante dans ces royaumes, l’esprit qui attise tout cela est si diaboliquement en éveil que si une chose à ce point contagieuse, aussi éloignée du comportement rationnel et aussi contraire à la charité était éradiquée des Indes, celles-ci seraient un véritable paradis.

Avec quel mépris et même quelle colère les nobles Européens considèrent-ils les gentilshommes ou les simples sujets venus des Indes, et ceux-ci, avec quel dégoût, avec quels froncements de sourcils et parfois avec quelle horreur, regardent-ils les premiers, simplement pour le seul fait qu’ils sont nés ou ne sont pas nés ici. (…) Eh bien, demandez aux uns de qui ils sont les fils et aux autres qui sont leurs parents ! Ils verront ainsi que ne les différencient que l’endroit et même pas le sang, puisqu’ils sont fils de parents, de frères et ont parfois le même père lorsque celui-ci s’est marié deux fois. Ils sont donc parents ou frères, car la plupart de ceux qui viennent ici épousent des dames créoles et celles-ci, et nous tous, avons notre origine en Espagne. (…) Si la nature améliore plutôt les fruits et les perfectionne quand on les transplante, pourquoi toutes ces simagrées à propos de qualités qui sont si appréciées chez les femmes à qui l’on fait la cour et chez les enfants qui leur font honneur ? Pourquoi marquer du dégoût à l’égard de gendres qui ont été recherchés, d’employés dont on sait qu’ils sauront garder et faire prospérer la fortune, de pères qui prolongeront la lignée ? (…)

Bon, si nous autres qui naissons ici n’étions pas aussi blancs, aussi capables et aussi généreux que les gens d’Espagne, ceux-ci pourraient regretter la plante qui a été abâtardie et les fruits qui se sont perdus, mais en vérité, par la langue (…) le teint, la physionomie, la science, les arts, la culture, la vie en société, les vêtements et bien d’autres qualités naturelles ou acquises nous sommes si apparentés et si unis qu’on me juge européen si on ne me demande pas d’où je suis, et que celui qui n’aura pas vu tel autre naître en Espagne l’estimera originaire d’Amérique, quelle vilenie, quelle infamie que cette chose qui nous désunit ! (…) »

Francisco Rodriguez FERNANDEZ, El pecado original, 1696.

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LA DIFFICILE VIE DES ENGAGÉS DANS LES ANTILLES AU XVIIe SIÈCLE

L’esclavage temporaire existait pour de pauvres émigrants qui payaient ainsi leur voyage.

« (…) Le lendemain matin, à la pointe du jour, nous fîmes voile pour l’île de la Tortue, dont nous n’étions qu’à sept lieues. Nous y mouillâmes l’ancre sur le midi, septième jour de juillet 1666. (…) Tous ceux qui, comme moi, étaient engagés dans la Compagnie furent conduits au magasin du commis général (…). On nous donna deux jours pour nous rafraîchir et nous promener dans l’île, en attendant qu’on eût déterminé à quoi on nous emploierait. (…)

Le temps qu’on nous avait donné étant expiré, on nous exposa en vente aux habitants. Nous fûmes vendus chacun trente écus, que l’on payait à la Compagnie : elle nous obligeait à servir trois ans pour cette somme, et pendant ce temps-là nos maîtres pouvaient disposer de nous à leur gré, et nous employer à ce qu’ils voulaient. (…)

Voilà de quelle manière ces engagés sont traités. Dès que le jour commence à paraître, le commandant (…) les mène au travail, qui consiste à abattre du bois ou à cultiver le tabac. Il est là avec un bâton, qu’on nomme une liane ; si quelqu’un d’eux s’arrête un moment sans agir, il frappe dessus comme un maître de galère sur des forçats ; malades ou non, il faut qu’ils travaillent. (…)

J’ai connu un habitant qui avait un engagé malade à mourir, il le fit lever afin de tourner une meule pour aiguiser sa hache ; et, ce pauvre malade ne tournant point à son gré, il lui donna un coup de hache entre les deux épaules, qui entraîna la mort deux heures après. Voici le traitement que ces habitants infligent à leurs engagés ; cependant, ils ne se lassent pas de passer pour indulgents, en comparaison de ceux des Antilles.

Un habitant de Saint-Christophe, nommé Belle-Tête, qui était de Dieppe, se faisait gloire d’assommer un engagé qui ne travaillait pas à son gré. (…) Un saint religieux lui ayant fait quelque remontrance à ce sujet, il répondit brusquement qu’il avait été engagé et qu’il n’avait pas été épargné ; qu’il était venu aux îles pour gagner du bien et que, pourvu qu’il en gagnât et que ses enfants allassent en carrosse, il ne se mettait pas en peine d’aller au diable. (…) »

Alexandre-Olivier OEXMELIN, Histoire des aventuriers qui se sont signalés dans les Indes [1ère éd. 1678], 1699, publiée par Michel LE BRIS, Les Flibustiers du Nouveau Monde. Histoire des Flibustiers et Boucaniers qui se sont illustrés dans les Indes. Paris, Phébus, coll. « d’ailleurs », 1996, 364 p., pp. 33-4, 81-2.

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