«En venant en Europe, j’ai compris que la civilisation est une immense bouffonnerie qui s’achève dans la boue et le sang.»

(Lettre de K. Tovalou, ancien volontaire dahoméen, années 1920)

«Lorsqu’on a besoin de nous pour se faire tuer ou pour nous faire travailler, nous sommes des Français, mais quand il s’agit de nous donner des droits, nous ne sommes plus des Français, nous sommes des Nègres.»

La voix des Nègres, mars 1927

Progression des revendication nationalistes

«Le continent africain n’échappe pas à la même évolution; les idées d’autonomie pénètrent dans la société nègre. Dans un congrès national qui se réunit à Accra, au début de 1920, on put entendre les revendications des indigènes de l’Afrique occidentale: ils ont trouvé des porte-parole parmi une classe très curieuse de nègres appelés The Educated Natives. Ces indigènes de Gold Coast, de Lagos, de Sierra-Leone, de Bathurst, assimilés presque complètement par la civilisation anglaise, ont la même langue, la même religion, les mêmes lois, les mêmes mœurs que les Anglais; habitant les villes, ils s’emploient comme fonctionnaires et comme agents commerciaux; on les voit aussi s’avancer vers l’intérieur, le long des voies ferrées, avec la civilisation et les intérêts britanniques qu’ils véhiculent et qu’ils servent comme interprètes et comme secrétaires. Mais, ils n’ont pas perdu le sentiment de race et ils soutiennent la cause de leurs frères; ils réclament depuis longtemps des libertés politiques; ils en propagent la notion dans toute l’Afrique occidentale. En 1920, ils réussissaient à réunir des délégués de tous les pays en un congrès qui demanda l’établissement du self-government dans l’Afrique occidentale et protesta contre l’inégalité des races […]».

Albert Demangeon, L’Empire britannique, Paris, A. Colin, 1931.

Socialistes et anticolonialisme

«Nous n’admettons pas qu’il existe un droit de conquête, un droit de premier occupant au profit des nations européennes sur les peuples qui n’ont pas la chance d’être de race blanche ou de religion chrétienne. Nous n’admettons pas la colonisation par la force […] Nous aurons accompli ce que vous appelez notre mission civilisatrice le jour où nous aurons pu rendre les peuples dont nous occupons les territoires à la liberté et à la souveraineté. En revanche, en présence de situations de fait dont nous ne sommes pas comptables, auxquelles nous nous sommes toujours opposés, que nous avons obstinément combattues, que nous combattrons encore en toute occasion, nous ne nous contenterons pas de cette solution à la fois trop simple et trop périlleuse qui consiste soit à prêcher l’insurrection et à faire appel à la guerre de races, soit à exiger l’évacuation immédiate avec tous les périls qu’elle comporterait et pour les colons et pour les indigènes eux-mêmes.»

Léon Blum,« Déclaration à la Chambre», JORF, Débats, 10 juin 1927

Opinion de Roosevelt

Propos de Roosevelt à son fils (22 janvier 1943)

«[…]
– Il [de Gaulle] a parlé aussi des colonies françaises, n’est-ce pas ? dis-je…

– C’est exact, il m’a laissé entendre tout à fait clairement qu’il compte voir les Alliés remettre sous le contrôle de la France toutes les colonies aussitôt après leur libération. Or, vois-tu, outre le fait que les Alliés devront maintenir le contrôle militaire dans les colonies françaises du Nord de l’Afrique pendant des mois, sinon pendant des années, je ne suis pas sûr du tout, en mon for intérieur, que nous devrions bien, en général, jamais rendre ces colonies à la France sans avoir obtenu au préalable une sorte de garantie d’engagement pour chaque colonie en particulier, précisant ce qu’elle compterait faire au sujet de l’administration de chacune d’elles.

– Vraiment, papa, il y a là quelque chose que je ne comprends pas très bien. Je sais que la question des colonies est importante, mais après tout elles appartiennent à la France. Comment pouvons-nous, nous autres, parler de ne pas lui rendre ?

Il me regarda et dit:

– Qu’est-ce à dire qu’elles appartiennent à la France ? En vertu de quoi le Maroc, peuplé de Marocains, appartient-il à la France? Ou bien encore considérons l’Indochine. Cette colonie est maintenant au pouvoir du Japon. Pourquoi le Japon était-il si sûr de conquérir ce pays ? Les indigènes y étaient si opprimés qu’ils se disaient : « Tout vaut mieux que de vivre sous le régime colonial français. » Un pays peut-il appartenir à la France ? En vertu de quelle logique, de quelle coutume et de quelle loi historique ?

– Oui, mais…

– Je parle d’une autre guerre, Elliott, s’écria mon père, la voix soudain coupante. Je parle de ce qui va arriver à notre monde si, après cette guerre, nous permettons que des millions de gens retombent dans ce même demi-esclavage.

– Et puis, insinuai-je, nous devrions avoir notre mot à dire. C’est nous qui libérons la France.

– Ne crois pas un seul instant, Elliott, que des Américains seraient en train de mourir ce soir dans le Pacifique, s’il n’y avait pas la cupidité à courte vue des Français, des Anglais et des Hollandais. Devons-nous leur permettre de tout recommencer ? D’ici quinze ou vingt ans, ton fils aura l’âge qu’il faut…

– Les Nations Unies, une fois organisées, ne pourraient-elles pas s’occuper de ces colonies ? Celles-ci seraient placées sous mandat ou en tutelle pendant un certain nombre d’années.

– Encore un mot, Elliott, et ensuite je te mettrai à la porte. Je suis fatigué. Voici: quand nous aurons gagné la guerre, je travaillerai de toutes mes forces pour que les États-Unis ne soient amenés à accepter aucun plan susceptible de favoriser les ambitions impérialistes de la France, ou d’aider, d’encourager les ambitions de l’Empire anglais.»

Elliot Roosevelt, Mon père m’a dit, trad. fr., Paris, Flammarion, 1947, p. 144-145.

Complot international contre la France

«Pour les nationalistes de l’Istiqlal, en effet, comme pour ceux du Destour en Tunisie et ceux qui plus tard deviendront les séparatistes algériens, il était à prévoir que les événements d’Extrême et Moyen-Orient, qui allaient suivre de près la défaite de l’Allemagne en Europe et celle du Japon en Asie, ne seraient pas sans répercussion sur le monde africain […]

Mais c’est surtout au développement d’une vaste conjuration étrangère dirigée contre notre Afrique du Nord qu’ils apportent tous leurs soins, car elle ne vise rien de moins qu’à traduire la France à la barre de l’ONU et à y obtenir un verdict favorable pouvant s’accompagner de véritables mises en demeure.

Il n’y avait pas trop à s’en émouvoir quand on ne voyait dans les rangs de cette conjuration que les Etats arabes engagés par la solidarité musulmane et le bloc formé par l’URSS et ses satellites; mais le nombre s’en est rapidement augmenté avec l’adhésion de la quasi-totalité des nations asiatiques et la tendance observée chez les Américains du Nord et du Sud, seuls bénéficiaires avec la Russie de la plus grande entreprise colonialiste du monde blanc, à vouloir intervenir dans les affaires des autres au nom de l’anticolonialisme. Tendance grave, de nature à dresser contre nous, en bien des occasions, des majorités de coalition, et qui heurte l’idée que nous nous faisions de la solidarité internationale à laquelle nous avons déjà donné tant de gages. Tendance indirectement provocatrice aussi, en ce sens qu’elle incite nos nationalistes à entretenir par tous les moyens en Afrique du Nord un climat d’insécurité qui donne, à réfléchir aux nations soucieuses de voir l’ordre et la paix régner dans cette partie du monde, et les amène à vouloir greffer un fait tunisien, marocain, et même algérien, d’ordre international, sur des cas qui ne relèvent que de nous en vertu des traités.

Ce serait une duperie que de nous laisser prendre à ce jeu, d’autant qu’il ne saurait aboutir qu’à faire celui du communisme.»

Alphonse Juin (maréchal de France), Mémoires , t. 2, Paris, 1960, p. 153-158.