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Georges Boulanger ( 1837-1891), général français, cristallisa autour de lui les oppositions au régime parlementaire, mais recula devant la prise du pouvoir (1889). Son suicide mit fin au « boulangisme ».
Le général Boulanger par Nadar

Boulanger propose la révision de la Constitution

«L’expérience a démontré que la responsabilité des ministres devant la Chambre équivaut à l’absorption du pouvoir exécutif par le pouvoir législatif, et à l’avilissement du premier. La Chambre doit légiférer, elle ne doit pas gouverner. […]

Dans une démocratie, les institutions doivent se rapprocher autant que possible du gouvernement direct. Il est juste et bon qu’on interroge le peuple par voie directe chaque fois que s’élèveront de graves conflits d’opinions qu’il peut seul résoudre. C’est pourquoi je pense qu’il est indispensable d’introduire dans notre Constitution le référendum. […]

Je crois qu’un gouvernement fondé sur des institutions ainsi renouvelées ouvrirait dans la République une ère de paix et d’ordre, de travail et de crédit, d’harmonie et de réconciliation que le régime parlementaire ne peut même pas essayer de réaliser.»

Général Boulanger, discours à la Chambre des députés, 4 juin 1888.

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Une défense des débats parlementaires

Georges Clemenceau, député radicalIl ne sera pas membre du parti créé en 1901, ministre, puis président du Conseil en 1906-1909 et en 1917-1919, défend le débat parlementaire contre le général Boulanger, qui vient de proposer à la Chambre des députés une révision de la Constitution.

«Vous avez raillé le Parlement ! Il est étrange, pour vous, que cinq cent quatre-vingts hommes se permettent de discuter des plus hautes idées qui ont cours dans l’humanité et ne résolvent pas d’un seul coup tous les problèmes économiques et sociaux qui sont posés devant les hommes. Comment ! Les plus grands esprits, tous ceux qui chez tous les peuples honorent l’humanité, ont médité sur ces choses ; ils sont divisés parce que la recherche est longue, parce que la vérité se dérobe, et voici que, par un phénomène qui vous surprend, ces cinq cents hommes qui sont ici ne s’accordent pas sans discussion. Eh bien, puisqu’il faut vous le dire, ces discussions sont notre honneur à tous. Elles prouvent surtout notre ardeur à défendre les idées que nous croyons justes et fécondes. Ces discussions ont leurs inconvénients, le silence en a davantage encore.

Oui ! gloire aux pays où l’on parle, honte aux pays où l’on se tait. Si c’est le régime de discussion que vous croyez flétrir sous le nom de parlementarisme, sachez-le, c’est le régime représentatif lui-même, c’est la République sur qui vous osez porter la main.»

JORF, Chambre des députés, 4 juin 1888.

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Chanson boulangiste diffusée par des « artistes » ambulants

« Tous vont décamper »

D’puis longtemps la Chambre

Ne fait que dormir

D’janvier en décembre

Il faut en finir,

Vos belles paroles,

Discours, propr’ à rien

Ne sont que des rôles.

Tas de comédiens

La classe ouvrière

Est lasse à présent,

N’import’qu’ell’ manière

Il faut du chang’ment

Pour notre famille

Il nous faut du pain

La charru’ l’aiguille

Chôment, ne font rien.

Boulanger le maître

D’un’ majorité

Bientôt fera naître

La prospérité,

Alors notre France

Vivant dans la paix

Reprendra confiance

Heureus’ désormais.

Que la République

Au monde étonné

Donne exemple unique

Leçon méritée,

Moscou, Rome et Vienne

Madrid, Londr’ Boston,

Faut que l’Europe vienne

A l’Exposition.

Refrain

Les cinq cents

Rois fainéants de la Chambre

Vont tous décamper

Grâce à Boulanger

Mais ce n’est pas le coup du Deux-Décembre

La Dissolution

Fera passer la Révision.

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Le boulangisme dénoncé par un des fondateurs de la Troisième République

«Si par malheur il pouvait être établi que le régime parlementaire est impossible en France, que les hommes y sont incapables de ce degré de bon sens, d’intelligence, de désintéressement, sans lesquels il ne peut fonctionner, encore une fois les conséquences seraient graves. Cela voudrait dire, Messieurs, que tout ce que la France a souffert d’agitations et de déchirements depuis cent ans a été en pure perte ! Cela voudrait dire qu’après avoir voulu ardemment la liberté […], elle se voit elle-même vouée sans remède au despotisme ! Cela voudrait dire qu’après avoir rompu tragiquement, il y a un siècle, avec une maison dont la grandeur était sans égale dans l’histoire elle se voit condamnée à tomber épuisée, n’en pouvant plus, non pas entre les bras, mais sous les pieds, du plus audacieux et du dernier des aventuriers.»

(Applaudissements prolongés et répétés)

Intervention au Sénat de Challemel-Lacourt (ancien ministre des Affaires étrangères) en décembre 1888.

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Le boulangisme vu par le directeur du journal lu par les monarchistes : le Gaulois

«Le boulangisme : substantif masculin singulier, aspiration vague et mystique d’une nation vers un idéal démocratique, autoritaire, émancipateur ; état d’âme d’un pays qui, à la suite de déceptions diverses que lui ont fait éprouver les partis classiques dans lesquels il avait foi jusque là, cherche, en dehors des voies normales, autre chose, sans savoir quoi ni comment, et rallie à la recherche de l’inconnu tous les mécontents et tous les vaincus […]

Le général Boulanger est né de cet état d’esprit. Il n’a pas créé le boulangisme, c’est le boulangisme qui l’a créé. Il a eu la chance d’arriver au moment psychologique et l’esprit d’en profiter […]

Le général Boulanger était désigné à la foule par l’engouement de toutes les impopularités contre sa popularité naissante. Et lorsqu’il a pu joindre à ces divers titres l’auréole du martyr, que lui ont décernée gratuitement les républicains en le persécutant, il est apparu comme le premier des mécontents et comme le premier des déshérités.»

Arthur Meyer, Le Gaulois, 11 octobre 1889.