René Thuillier [1913-1989] est un journaliste et un homme politique français originaire de la Souterraine (Creuse).

Avant de devenir le dirigeant clandestin des Jeunesses Communistes pendant l’Occupation puis député communiste de l’Aisne de 1945 à 1951, il entre à la rédaction du journal L’Humanité en novembre 1935 et devient journaliste. Rapidement, René Thuillier devient le responsable de la rubrique sportive du quotidien communiste de 1936 à 1939, le sport et notamment le vélo étant l’une de ses passions personnelles.

C’est dans ce contexte qu’en avril 1936, il signe un article où il s’en prend à Marcel Oger et au journal l’Auto, partisan de la participation de la France aux Jeux Olympiques de Berlin dans l’Allemagne hitlérienne.


 

Pas à Berlin!

Dans l’Auto d’hier matin, M. Marcel Oger a écrit un long article pour justifier l’attitude de ce journal qui prend ouvertement parti pour l’envoi d’une délégation française aux prochains Jeux olympiques de Berlin. S’attaquant au comité qui lutte contre la tenue des JO à Berlin, il ordonne en deux parties distinctes son argumentation. En premier lieu, M. Oger déclare s’associer pleinement aux griefs formulés par ledit comité du point de vue purement sportif :
Mépris pour les fédérations sportives internationales, manquements répétés aux règles de l’amateurisme couverts par un serment olympique qui n’est qu’un parjure, fautes techniques comme l’organisation en août d’un tournoi de hockey sur gazon et d’un tournoi de football.
Il s’y associe sans doute pour mieux pouvoir les torpiller, ce qu’il fait de la façon suivante :
Mais toutes ces fautes, toutes ces erreurs ne sont pas spéciales aux Jeux Olympiques de 1936. Les Allemands n’y sont pour rien.
Puis il passe à la seconde phase de son attaque :
Les autres arguments sont d’ordre politique : il s’agit cette fois de protester contre la forme du gouvernement que se sont donné les Allemands régime de dictature, qui a provoqué des actes que nous n’avons, pas à connaître.

Remarquons en passant comment le journaliste de l’Auto trouve des excuses à la sanglante dictature hitlérienne, semblant rendre responsable l’ensemble du peuple allemand de l’avènement de Hitler au pouvoir, alors que les héros antifascistes y abondent. Puis il se tire élégamment d’affaire en disant qu’il n’a pas à connaître les actes abominables commis par les bandes fascistes déchaînées.
Plus loin, il concède que la question juive est délicate. C’est bien le moins qu’on puisse dire. Songez, M. Oger, qu’il y a en Allemagne plusieurs millions de Juifs, privés absolument de tout droit, y compris celui de faire du sport. Enfin, il termine son « réquisitoire de neutralité » par une ficelle qu’il croit adroite. Laissons-lui la parole :
On ne peut pas, à l’occasion des Jeux olympiques, discuter la constitution politique d’un pays ce serait diviser les sportifs d’une nation en deux clans. L’exemple de l’Espagne est typique si les Jeux de 1936 avaient été accordés à Barcelone ville candidate les sportifs de droite pourraient, aujourd’hui refuser d’aller en Espagne, où une dictature de gauche a pris le pouvoir.

Nous ne nous attarderons pas à discuter avec M. Oger sur la question d’Espagne et sa « dictature de gauche ». Nos lecteurs qui suivent certainement l’enquête que l’Humanité poursuit en ce moment à ce sujet, savent bien que l’immense majorité du peuple espagnol n’a rien à perdre à cette « dictature de gauche ».

[…]

Et c’est pour cela que nous nous sommes prononcés, il y a plus d’un an, contre la tenue à Berlin des Jeux Olympiques. Un mouvement populaire est né, qui s’est assigné cette, tâche d’honneur. Composé de sportifs, parmi lesquels de très renommés, et de diverses personnalités éprises de paix et de liberté, il mène un combat infatigable contre les hitlériens français et allemands qui, de chaque côté des frontières, œuvrent pour la gloire du fascisme, honte de l’humanité.

Nous, communistes, approuvons ce mouvement qui, loin de tout chauvinisme, ne vise au contraire qu’à soutenir de toutes ses forces la lutte que le peuple allemand mène contre ses bourreaux. Avec tous les amis de la paix avec tous les ennemis du fascisme, nous crions Pas un sou, pas un homme pour les Jeux Olympiques à Berlin.

R. THUILLIER

 René Thuillier Pas à Berlin !, L’Humanité, 9 avril 1936, extraits page 6

Note bibliographique : la « fiche Maitron » de René Thuillier est disponible  ICI