« Aussi, l’idée du front fixe et continu dominait-elle la stratégie prévue pour une action future. L’organisation, la doctrine, l’instruction, l’armement en procédaient directement. Il était entendu qu’en cas de guerre la France mobiliserait la masse de ses réserves et constituerait un nombre aussi grand que possible de divisions, faites non pas pour manÏuvrer, mais pour tenir des secteurs. Elles seraient mises en position le long de la frontière française et de la frontière belge – la Belgique nous étant alors explicitement alliée – et y attendraient l’offensive de l’ennemi.

Quant aux moyens : tanks, avions, canons mobiles et pivotants, dont les dernières batailles de la Grande Guerre avaient montré qu’ils permettaient, déjà, la surprise et la rupture, et dont la puissance n’avait cessé de grandir depuis lors, on n’entendait s’en servir que pour renforcer la ligne et, au besoin, la rétablir par des contre-attaques locales. Les types d’engins étaient fixés en conséquence : chars lents, armés de pièces légères et courtes, destinés à l’accompagnement de l’infanterie et non point aux actions rapides et autonomes ; avions de chasse conçus pour la défense du ciel, auprès desquels l’armée de l’Air comptait peu de bombardiers et aucun appareil d’assaut… Au surplus, le front était, à l’avance, tracé par les ouvrages de la ligne Maginot que prolongeaient les fortifications belges. Ainsi serait tenue par la nation en armes une barrière à l’abri de laquelle elle attendrait, pensait-on, que le blocus eu usé l’ennemi et que la pression du monde libre l’acculât à l’effondrement. »

Charles de Gaulle, Mémoires de guerre : l’Appel (1940-1942), Paris, Plon, 1954.