Voici deux textes originaux, le procès verbal d’une réunion et le cahier de doléances d’une petite communauté paysanne.
Le cahier montre bien les préoccupations matérielles de la population paysanne.
Ces textes mériteraient une réflexion assez longue pour être appréciés par nos élèves. Ils conviendraient pour un travail de groupe, une réflexion commune, avec un questionnaire adapté. Ils seraient intéressants de les faire découvrir (si on a le temps) en laissant l’orthographe et la syntaxe d’époque.

BAILLAGE DE METZ – CAHIERS DE DOLEANCES

Archives de Moselle – Références des documents : B 3547 à B 3549 – (Lorry dt le pont B 3549)
Répertoire critique des cahiers de Doléances – HYSLOP – 2 SP 216.1

LORRY DEVANT LE PONT – Procés verbal de la séance du 9 mars 1789.

« Lorry devant le Pont

Aujourd’huy neuviéme du mois de mars 1789 en lassemblée convoquée, auson de la cloche, en la maniére accoutumée, sont comparus les personnes de cilieu, pardevant nous Charle Lalement sindic de la semblée municipalle de la communoté de Lorry devant le Pont.

Premier

| F. Serrier | J. Moncel | Dominique Louin | Charle Videmont |
| Ch. Pallez | Mathieu Perette | Pierre de la Cour | Simon Cordier |
| C. Houin | L. Bade | de la Cour | Ch. Lalement |
| D. Gaugué | Claude Houin | Martin Nicolas | C. Richard |
| N. Maguin | François Maujean | Pierre Manoeuvre père | C. de la Cour père |
| M. Maguin | Paul Vidernoirt | Pierre Tousaint | Laurent Perin |
| C. Langustin fils | Jean Manoeuvre | Pierre Cordier | F. Laugustin |
| F. Augustin | Claude Belo | Jacque Maguin | Jean Hugnit |
| Jph Pogne | V. Soulier | Claude Barthélemy | P. Thiriot |
| F. Marchal | Francis Poirez | Dieudonné Maguin | Jean Maguin |
| Jacque Maguin | JF. Augustin | | J. Moncel |
| C. Manoeuvre | Dque Laugustin | | F. de la Cour |
| N. Royers | | | Dque Laugustin pére |
| | | | F. Langard |
| | | | P. Houin Lejeune |

Tous nés françois ou naturalissés, agés de vingt cinq ans compris dans les rôles des impossions habitans dudit Lorry devant le pont composé de cent feu.

Lesquels pour obéir aux ordres de Sa Majesté, portés par les lettres données à versailles le 24 janvier 1789 pour la convocation et tenue des états généraux de le Royaume et satisfaire aux dispositions du réglement y annexe ainsy qu’a l’ordonnance de Monsieur le lieutenant général dont ils nous ont déclaré avoir une parfaite connoissance, tant par la lecture qui vient de leur en etre faitte, que par la lecture et publication cidevant faites auprône de la messe de paroisse, mar Monsieur le Curé dudits Lorry le huit du présent mois et par la lecture et publication et affichés pareillement faites le méme jour à llissue deladitte messe de paroisse audevant de la porte principale de léglise, nous ont déclaré qu’ils allaient d’abord s’occuper de la rédaction de leur cahier de doléances, plaintes et remontrances et en effet y ayant vaqué ils nous ont présenté ledit cahier qui a été signé par ceux desdites habitans qui savent signé et par nous, aprés l’avoir coté par premiére et derniére page et paraphé?????????? au bas dicelle.

Et de suite lesdits habitans, aprés avoir mûrement délibérés sur le choix des Députés qu’ils sont tenus de nommer en conformité desdittes lettres du Roy, et réglement y annexé, et les voix ayant été par nous recueillies en la maniére accoutumée la pluralité des suffrages s’est unie en faveur des Sieurs Pierre de la Cour Lejeune et Pierre Thiriot tous deux habitans dudits Lorry devant le Pont

Qui ont accepté ladite commission et promis de san acquités fidellement.

Ladite nomination des Députés, ainsi faite, lesdits habitans ont, en notre présence remi auxdits Sieurs Pierre de la Cour Lejeune et Pierre Henriot, leurs Députés, le Cahier afin de le porter à l’assemblée qui se tiendrra le 12 mars prochain devant Monsieur le juge et leur ont donné tous pouvoirs requis et nécessaire à l’effet de les représenter en laditte Assemblée pour toutes les opérations présentées par l’ordonnance dudit Monsieur le Lieutenant Général comme aussi de donner pouvoirs généraux et suffisants de proposer remontrer aviser et consentir tout ce qui peut concerner les besoins de l’état, la réforme des abus, l’établissement d’un ordre fixé et durable dans toutes les parties de l’administration la prospérité générale du Royaume, et le bien de tous et de chaqun des sujets de Sa Majesté.

Et de leur part, lesdits Députés se sont présentement chargés du cahier des doléances de la communauté de Lorry devant le Pont et ont promis de le porter à la ditte assemblée et de se conformer atout cequi est prescrit et ordonné par lesdits lettres du Roy, réglement y annexé, et ordonnance sus datée, desquelles nomination des Députés remise de cahiers, pouvoirs et déclarations nous avons a tous les susdits comparant donné acte, et avons signé avec ceux desdits habitans qui savent signer et avec lesdits Députés, notre présent procés-verbal, ainsy que le duplicata que nous avons présentement remis auxdits Députés, pour constater leurs pouvoirs et le présent sera déposé au archives ou secrétariat de cette communauté, lesdits jours et ans. »

Signatures

BAILLAGE DE METZ – CAHIERS DE DOLEANCES
Archives de Moselle – Références des documents : B 3547 à B 3549 – (Lorry dt le pont B 3549)
Répertoire critique des cahiers de Doléances – HYSLOP – 2 SP 216.1

« CAHIER CONTENANT LES PLAINTES ET DOLEANCES DES HABITANS EN COMMUNAUTE DE LORRY DEVANT LE PONT.

Demande

1

Suppression de l’edit??? de 1769 qui mes en compte es à la charge des communautés les Eglises paroissiales auparavant à la charge des dicimateurs tant par la batisse es réparation dicelles que pour la fourniture des livres ornemants es vases sacrées selon l’ordonnance de 1695. De la revétire de ses premiers four???, la communauté de Lorry nayant au cuns bien comunal se trouve dans l’impossibilité derebatir son église desastreuse et croulante qui aujourd’hui est fermé par un décret episcopal sor qui lui est commun avec biens d’autres.

2

Lassiette exacte es une repartition uniforme de tous les impots es Deniers Royaux, tans sur les biens eclesiastiques que sur les biens fiefs seigneuriaux de telle sorte que les tiers etat es les habitans ne soient point foulés es accablés par les riches qui dans les impositions malgré toute ordonnance ont surchargés les pauvres.

3

Les corvées es entretiens des routtes autre fois en nature est devenu aujourd’hui pour eux un fardeau plus présant du double par l’imposition qui est tout au compte du tiers Etat. Tandis que sont les hauclergés es la noblesse qui les écrasent es les abbimes par leurs équipages voitures de transports ?????? ?????? il parois donc juste que la répartition duprix en sois faite sur ceux qui les abbimes es non sur ceux qui ne les usent point la 500° partie.

4

La suppression des gabelles et autres entraves d’une province a autre, la chéreté des sels qui en font parties, donc le prix dans ce lien emportés a 7.10°1/2 la livre tandis que nos voisins lont a 6.3° la livre pourquoi cette variété onereuse pour ceux qui en subise le poid dans la même province.

5

L’enlévement aux propriétaires des mares de raisin depuis silongtem par arrété du conseil nom contradictoirement obtenu en faveur de la ville de Metz, qui justice revoltante qui nad’exemple que dans le seul pays messin esque ??????? ??????? a celle qui enleverois aux laboureur le total de leur paille. laisser donc aux proprietaires les mares de raisins qui fait une partie du fruit de leur heritage.

6

Le haut prix des bleds et d’autres grains donc la plus certaine raison, est le monopole qui en a fait monter le prix jusqu’a 11# à 12# lequintal qui jusquici n’a été que plus caché sans etre diminué es le peu de vigilance sois l’importation ou exportation selon les plus ou moins des circonstances es d’ordonnance ce qui met le peuple dans la plus grande indigence es la derniere des miserres.

7

L’entretien et reparation des chemins de communication de vilage a autre si essentiel pour voiturer les denrées et se fournir de celle dont on a besoin.

8

La reformation des lois des clos que ces derniers sont trés préjudiciables aux vains paturages des troupeaux de communauté ce qui les privent de l’avantage d’elever des betails.

9

Les milieu trés onereuse aux péres de famille es trés inutils à l’Etat, en demanderois une reformation juste es plus avantageuse

10 es derniere

Tant d’autres charges à la Communauté, occasionnées par des dettes, cloches cassées quai areparer es tant d’autre chose journalliére, que nous meterions plus au long de dernier importance devant messieurs les Bailly du autre proposer en les supliants d’admetre nos Députés nommer au procés verbal a tous autres remontrance de doléances nom exprimées au présent cahet, le présent Cahes es areté en communauté le neuf mars mil sept cent quatre vingt neuf es ont signer avec nous »

Signatures

« C. Richard Greffier »

—-

Cahiers de doléances des artisans de Pont-l’Abbé (un des rares où le petit peuple s’oppose aux bourgeois)

« Nous, habitants de la paroisse de Pont-l’Abbé (…)
Art. 1. Nous déclarons avoir l’honneur d’exposer à Sa Majesté que les peuples bretons, tant des villes que des campagnes, sont traités, menés comme des esclaves par les nobles et MM. du haut clergé. Ils forcent le Tiers Etat d’aller moudre, cuire à leurs moulins et fours banaux, pour être volés par des meuniers infâmes qui nous perdent nos grains et nous volent impunément. Les fourniers nous perdent nos pâtes par de mauvaises cuissons. Qu’il nous soit désormais permis d’aller moudre, cuire aux moulins et fours des seigneurs dont les meuniers et fourniers nous feront le mieux, sans nul empêchement quelconque de la part de personne, et qu’il n’y ait plus d’esclaves en Bretagne à ce sujet et qu’un chacun soit libre (…).
Art. 10. Nous avons l’honneur d’exposer à Sa Majesté la plus grande, la plus affreuse des misères et des calamités du peuple breton afin qu’il plaise à Sa Majesté d’y remédier, s’il lui plaît. Les avares du siècle en sont les auteurs par les exportations continuelles de grains de toute espèce hors la Province, ce qui est cause que depuis 1760-1780 nous payons les grains d’un prix excessif et qui a causé une misère sans fin dans la Province (…). En 1760 et 1761, on ne payait la mesure de seigle du poids de 120 livres que 3 livres et 3 livres 10 sols. Lors notre canton ne fourmillait point de tant de malheureux, comme il a fait depuis ce temps-là (…). Pour prévenir de pareils malheurs, qu’il soit fait défense à tous marchands ou négociants d’exporter des grains hors de la province, dès le moment que la mesure de seigle (…) excédera dans nos marchés le prix de 4 livres (…).
Art. 13. Que désormais il sera pris pour former les douze délibérants de la communauté de Pont-l’Abbé, savoir : quatre d’entre les bourgeois, quatre d’entre les plus notables artisans et quatre d’entre les plus nobles laboureurs (…) puis que ces hommes forment le corps politique de Pont-l’Abbé, et que toutes les charges municipales, comme syndics, collecteurs de rôles et autres seront accordées à seconde année tant aux laboureurs, artisans qu’aux bourgeois. Car la chose est indigne et injuste de priver d’honnêtes citoyens des charges municipales de leur paroisse, comme l’ont fait les bourgeois de Pont-l’Abbé depuis peu d’années. (…)
Art. 16. (…) Nous déclarons et certifions que le refus nous a été fait par la classe de MM. les bourgeois de Pont-l’Abbé, d’entendre nos doléances et recevoir nos demandes, ainsi que le cahier de doléances de la communauté pour les enregistrer. Depuis huit jours, nous avons nommé des députés, tant de la classe des laboureurs que des ouvriers (…) malgré toutes les précautions possibles, que nous avons pu prendre et qu’exige la bienséance, ces messieurs n’ont jamais voulu écouter nos doléances ni nos demandes. Même ils nous ont déclaré (…) qu’ils étaient d’avis (…) de verbaliser contre nous soussignés et les dénommés citoyens qui ont déclaré ne savoir signer (…). »

—-

Voici un très intéressant texte de Christin, philosophe, élève de Voltaire. Ecrit à la veille du 4 août 1789, c’est un tableau polémique du Haut-Jura (région de Saint-Claude), un réquisitoire contre l’état de servitude représenté par la mainmorte (le fait de ne pas disposer de ses biens, de ne pas pouvoir hériter). Christin est avocat et c’est une vraie plaidoirie qu’il écrit ici.

« Protestation d’un serf du Mont-Jura,

contre l’assemblée des notables, le Mémoire des princes du sang, le clergé, la noblesse et le Tiers-Etat,

AU ROI

Par le marquis de Vil
1789

—-

Enfin les grandes affaires de l’Etat sont décidées. Les lettres de convocation vont partir. Les Elus, d’accord sur le fond, n’auront plus, qu’à remplir le formulaire des préséances, des signatures & des Compliments.

Les droits du Tiers-Etat sont reconnus. Il est admis en nombre égal aux deux premiers ordres. La Noblesse & le Clergé, sans rien restituer pour le passé, vont à l’avenir, payer comme le peuple. Dans cette heureuse révolution, nous allons voir le mérite personnel du plébéien, mis en balance avec les prérogatives du Gentilhomme.

Une seule question reste dans l’oubli : C’est la servitude. On cherche à faire croire dans la capitale, qu’elle n’existe plus dans les Provinces. J’ose élever la voix pour défabuler le public. Mais lorsque l’on assemble la grande famille de l’Etat ; le serf du Mont-Jura fait-il partie du troisième ordre ? Sera-t-il admis dans cette assemblée de la Nation ?

Il est vrai qu’avant d’en faire un citoyen, il faut en faire un homme libre. Je le compare à ce malade qui vient consulter Boerhave, & lui demander la santé. La santé, lui dit ce grand médecin, l’envisageant avec ses yeux de feu ! auparavant, demandez-moi la vie, car vous allez mourir.

Qu’il me soit donc permis d’être aujourd’hui le représentant des pauvres serfs, & de déplorer humblement au pied du trône leurs doléances et ma protestation ! Le coeur paternel du monarque bienfaisant sera touché du simple récit des mots que l’on fait souffrir à ses malheureux sujets.

Il a été reconnu et vérifié à l ‘intendance de Besançon, que les impositions royales, Tailles, Capitation, Vingtièmes, dans le Mont-Jura, vont année commune, & pour chaque particulier, au tiers du produit des terres.

Le Seigneur-Ecclésiastique perçoit, à chaque récolte, avant le Roi, en nature et sur le sol, la onzième partie du même produit des terres.

Le curé, dans chaque Paroisse, exerce un droit, qu’il appelle la moisson , & qu’il fait payer sur le pied du cinquantième du produit des terres.

Le sol ne rend pas plus de quatre pour un des semences qui lui sont confiées. Sur la récolte annuelle, il faut encore prélever un quart, pour couvrir le labour de l’année suivante.

Toutes ces Perceptions, un tiers, un onzième, un cinquantième, un quart, prises collectivement, font en somme plus du deux-tiers du produit des terres.

Et comme les meilleures Provinces de France offrent au premier venu des terrains cultivés à la moitié, il résulte de ce calcul que les habitants du Jura ont un intérêt manifeste à déserter le pays.

Je compte pour rien tous les fléaux de la Nature, qui se joignent si souvent chez eux aux cruautés des hommes ; les intempéries des saisons, les sécheresses, les ravages de la grêle & des tempêtes, qui ont leur foyer dans ces hautes montagnes.

Mais, nous compterons pour quelque chose deux ou trois mois de Corvée qu’ils sont obligés de faire chaque année, pour construire ou réparer une étendue de soixante lieues de routes sablées, que vous voyez, au loin, se dessiner en écharpe sur le dos des montagnes, & qui embrassent le Mont-Jura dans tous les sens.

Nous ajouterons que, chaque année, les garçons, depuis seize jusqu’à quarante ans, sont décimés par la milice, & qu’il est rare de trouver une famille qui n’ait un homme au service du Roi.

Nous ajouterons que, dans toute la contrée, il est impossible au Pauvre de trouver à louer ses bras ; à travailler, comme on dit, à la journée. Nulle rivière navigable, nul produit national, nulle manufacture, nul Riche, nul bienfait.

Aux beaux jours de juillet, maigres comme la mort, blanchis comme le temps et la faux à la main, ils descendent en troupe dans les plaines marécageuses de la Bresse, dans les gras pâturages de Châlons. Ils y passent quelques semaines à couper les foins : ils y gagnent douze sous par jour, & les fièvres, qu’ils rapportent dans leurs montagnes ; & s’il arrive qu’après neuf mois ils en guérissent, c’est tout juste pour y retourner.

Quelles sont donc les ressources de ces Colons que l’on pressure de la sorte ? Une terre si fertile, si froide, que le noyer, le chêne même ne saurait y germer. Les sapins en touffes épaisses, le foyard isolé, y couvrent seuls le revers de la montagne. Nulle espèce d’arbres fruitiers, nulle espèce de légumes. Le champ le mieux fécondé ne produit qu’un peu d’orge & d’avoine ; & le même grain y nourrit à la fois le Mainmortable & son cheval. Si les rochers dépouillés se couronnent, çà & là, d’un buis verdoyant, les habitants viennent l’arracher à la dérobée, pour en vendre jusqu’aux racines.

Les cabanes éparses sont quelquefois distantes d’une lieue. Nulle communication pendant la mortelle saison ; nuls secours contre les crises & les accidents de la nature.

L’hiver y dure souvent huit mois. Le thermomètre vient d’y descendre au-dessous de vingt six degrés. Ce qui en Laponie, paraissait un phénomène aux yeux de Maupertuis, n’en est point un dans le Haut-Jura. Les Neiges, quelques fois hautes de quatre & cinq pieds, y gèlent tellement, que la surface y forme une croûte épaisse, capable de porter les hommes & les voitures. Le Mainmortable à son lever, ne voit autour de ses étables que des colonnes de glaçons qui pendent des toits, & la trace toute fraîche des loups affamés qui viennent à l’huis des portes, flairer les animaux ; ou le passage des ours qui forment le Tiers-Etat du pays.

Il est permis aux habitants de se laisser dévorer ; mais il leur est défendu d’avoir une arme à feu. Ils prennent donc le parti de laisser aller ces voyageurs nocturnes & mal léchés, ou de vivre avec eux en bons voisins. Quelquefois cependant il les attaque corps à corps, les tuent à coup de hache, & les mangent. Une peau d’ours s’y vend trois livres, parce qu’on n’en sait pas le prix. On n’est point assez instruit pour en faire une fourrure, ni assez délicat pour dédaigner une chair si peu digestive. Tel homme, au Jura, n’a porté de la vie que des sayons de Chanvre, dont sa femme a été la tisseuse, & lui le tisserand : tel autre n’a bu de vin que le jour de ses noces.

C’est au sein de ces déserts, que l’on trouve cependant la gaîté, la paix et les moeurs. Dans un air si pur, l’homme atteindrait à l’âge des patriarches, si toutes les exactions qu’on y commet, au nom de sa Majesté, si toutes les horreurs du fisc épiscopal n’y perpétuaient, n’y avaient naturalisé le malheur & le désespoir ; ce qui faisait dire à un vieillard : Ah ! si le bon dieu était le maître, nous y vivrions longtemps !

C’est la même atmosphère qui a produit les idées vigoureuses de J.J Rousseau, comme les plantes du pays, & qui a organisé la tête de monsieur Necker.

C’est dans cette région salubre que l’homme de guerre va choisir les chevaux qui traînent l’artillerie de l’Armée, & l’homme des champs, les boeufs qui sillonnent la plaine. C’est dans ces vallées ombreuses que la chèvre nourrie de serpolet, de genièvre & de ramée, la génisse, de fleurs odorantes, y donnent un lait abondant & balsamique. De belles vierges, à la pudeur naïve, aux joues colorées, les bras nus, y pétrissent en riant ces meules énormes de Fromages, que l’on rencontre sur des files de petits chariots, & que les Montagnons laborieux vont débiter jusqu’aux extrémités du Royaume.

Ces images si douces, ces bienfaits de l’industrie rurale, la patience & le courage de vingt mile villageois ne mériteraient-ils pas enfin la pitié du Gouvernement ? ne mériteraient-ils pas d’être affranchis de cette horrible mainmorte qui, pendant la vie, arrache au malheureux serf une partie du prix de ses immeubles ; & qui vient, à la mort, confisquer son héritage.

Quoi de plus atroce, & en même temps de plus dérisoire ! Il n’existe qu’un seul moyen légal de se libérer de la servitude, de se racheter de cette tache aussi indélébile que le péché originel ; les bons esprits, sans doute refuseront de le croire : c’est de faire signifier juridiquement au noble chapitre, au seigneur-prélat, que l’on abandonne, que l’on remet en ses mains tout ce que l’on possède en meubles & en biens-fonds ; c’est de ne garder que les seuls vêtements, & de sortir du pays.

Suivant un usage de douze cents ans, suivant les jurisconsultes les plus instruits de cette triste science, le Roi lui-même n’est pas le maître d’affranchir un Serf sans la patente de son seigneur. Un serf est une propriété, un esclave, une bête de somme. Un serf, fût-il élevé à la pourpre, ne serait point affranchi par son éminente dignité.

Un homme libre, un Voyageur qui demeure un an & un jour dans cette odieuse coutume, contracte la macule de la servitude.

Un fils marié, qui sort de la maison de son père pour habiter avec sa jeune épouse, au bout d’un an et un jour perd son héritage paternel.

Celui qui voit mourir ses enfants & sa femme, après vingt ans de mariage, doit porter au seigneur la dot entière qu’il a reçue.

Cette terre maudite est le seul coin du Royaume où les droits de lods soient perçus sans remise, & portés au quart, au tiers, & quelque fois à la moitié du prix de la vente.

Mais, diriez-vous, à qui faut-il donc payer un tribut si exorbitant ? Est-ce à un vainqueur qui, par droit de conquête, rançonne, comme Frédéric, les peuples soumis à ses armes ? Est-ce à des patriotes valeureux, dont les braves ancêtres ont servi cette terre à la France au prix de leur sang ? Est-ce au souverain lui-même, dans ces jours de détresse publique ? Non ; c’est à des prêtres !

Et quels sont leurs titres ? Accueillis par Romain & Lupicin dans cette solitude, au troisième siècle ; abrités sous le rocher du Bugnon comme les pères du désert dans la Thébaïde ; ensuite tondus & soumis à la règle de Saint-Benoît ; ensuite enrichis et brevetés par des rois superstitieux ; ensuite sécularisés & parés d’une croix d’or, par Jean d’Autriche ; de besaciers qu’ils étaient, devenus seigneurs, ils ont su, de siècle en siècle, faire adroitement confirmer ces monstrueux privilèges par leurs souverains successifs, Bourguignons, Espagnols, ou français, à chaque avènement au trône.

Il y a soixante ans que le nom de Saint-Claude n’existait que dans le calendrier. Cette petite Ville s’appelait Saint-Oyen-de-Joux, ( Saint-Oyen-de-la-Montagne ) & plus anciennement Condat.

On objectera, peut-être, que Louis XI en a fait le pèlerinage ; qu’il a comblé de biens ce célèbre monastère ; & que tous les jours on y chante une messe pour le repos de son âme. A la bonne heure, si c’était l’âme de Louis XII ; mais pour le repos de l’âme du Néron de la France !

On objectera encore que c’est un chapitre noble, & qu’il lui faut de grands privilèges. Je sais bien que Bossuet lui-même, ce père de l’Eglise gallicane, malgré sa noblesse de robe, & sa divine éloquence, n’y aurait pas été admis à siéger dans le choeur, à côté d’un cadet de la famille Savoyard, Auvergnat, ou Gascon.

On dira surtout que la plus grande partie de la Franche Comté est encore soumise à la même servitude. Triste consolation que le spectacle des mots maux d’autrui ! Mais quelle différence dans le traitement des serfs du Mont-Jura, & dans le régime des serfs de la Plaine ! Ici, le Noble séculier, dont la terre mainmortable est un patrimoine héréditaire, ne manque point de ménager ses vassaux, de leur alléger le joug de la servitude, d’améliorer un héritage qui doit être celui de ses enfants. Là, le noble ecclésiastique, le seigneur-viager, ne voit dans son bénéfice, que le temporel & l’usufruit. Le premier asseoit son château dans son domaine, & vit en bon père de famille au milieu des siens : le second ne vise qu’à la perception pécuniaire. Il abandonne ses ouailles à la voracité des procureurs fiscaux, à l’immoralité de ses gens de chicane, prie Dieu pour elles, & ne les voit jamais.

Dans tous les pays du monde, depuis la primitive Eglise, suivant le droit civil et le droit canon, les dîmes sont affectées pour servir de salaire à ceux qui font le service divin. Au Mont-Jura, par une exception unique, par un privilège moins féodal que sacerdotal, le seigneur perçoit les dîmes comme seigneur et les garde comme évêque. Il faut que les croyants éloignés de leur paroisse titulaire, s’ils veulent être baptisés mariés, enterrés ; s’ils veulent sanctifier le dimanche, & remplir les devoirs du catholique ; il faut que, sous le bon plaisir de Sa Grandeur, ils louent, de leurs deniers, un Catéchiste, un desservant !

Le seigneur-évêque tient à la fois l’encensoir & la main de justice. Son tribunal, décoré du nom de grande judicature, a les prérogatives des grands baillages ; il en nomme les officiers, & commande la maréchaussée.

A l’âpreté du climat, aux vexations ministérielles, au despotisme des prêtres, se joint encore le brigandage impuni des commis de la ferme. Cette meute d’employés, nuit & jour lâchés dans les montagnes, qui vont assaillir, détrousser les passants, pour deux livres de poudre ou de tabac, livrent la misère & l’innocence au fer du bourreau, à l’ignominie des galères. Il ne manque plus à ce malheureux pays que les rats de cave & le papier timbré.

La Franche-Comté renferme cinq cents Terres, a cinq cents seigneurs : vingt deux seulement sont dévoués au Roi, & reconnaissent les droits du peuple. Ils viennent de donner encore un exemple éclatant de patriotisme. Les parlementaires, les vautours de Thémis, ont déchiré cet acte d’adhésion. Magistrats mercenaires, égoïstes ignorants, ils soufflent les typhons de la discorde ; ils lèveraient l’étendard de la révolte, plutôt que de rien perdre de ce qui peut arracher cette province à la servitude, à la féodalité.

Le Prince accorde à ses sujets un représentant par vingt mille hommes. Vingt mille mainmortables n’auront ils pas un député ? Cette pétition semble appartenir rigoureusement à la justice distributive. C’est un serf du Jura qui doit représenter les serfs, ses pairs. Qui pourrait mieux peindre la douleur que celui qui la souffre ! Si Louis XVI accueille avec bonté cette réclamation, il verra le montagnard éloquent, gigantesque & mal accoutré, venir plaider lui-même la cause abandonnée de son pays, dans l’assemblée des Etats-Généraux ; comme au temps de Marc Aurèle, le paysan du Danube vint haranguer le sénat romain. »

Texte écrit par Christin, philosophe, élève de Voltaire et avocat à Saint-Claude ( Jura) . Reproduit à partir du fac-similé effectué par EDHIS, 23 rue de Valois, 75001 Paris, mars 1976.

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L’année 1789

Ce résumé des événements de l’année a été écrit par le prêtre de la commune de Mars, petit village de la Loire limitrophe au Rhône, sur le registre des Baptêmes-Mariages-Sépultures du village à la fin de l’année.

La transcription ci-dessous tente de ressembler le plus possible à l’original qui se distingue par une écriture très liée.

« L’année mil sept cent quatre vingt neuf sera à jamais mémorable par les événements & les révolutions extraordinaires qui sont arrivés. 1°. L’hiver a été des plus rigoureux. 2°. Les grains ont été extrêmement rares & chers. Le bled Seigle a valu le cours de l’année en (?) la mesure. 3°. les commerces de toile & de filature de coton [sont] tellement interrompus que bien des gens du peuple ont été réduits à la misère pour ne pas trouver d’ouvrage & ne gagne presque rien. 4°. on a assemblé les états généraux du royaume. 5°. La France au mois de juillet a été dans le trouble & l’épouvante par les faux bruits répandus que des brigands attroupés mettoient tout à feu & à sang par où ils passoient. Toutes les paroisses se sont armées pour se défendre, on a sonné partout le tocsin. 6°. plusieurs châteaux ont été incendiés par des gens de campagnes attroupés. 7°. on a décrété dans l’assemblée des états généraux que les biens ecclésiastiques étoient à la disposition de la nation. 8°. on a imposé à la taille tous les privilégiés quelconques. 9°. on a demandé le quart du revenu de tous les biens d’une année pour aider à payer les dettes de l’état. »

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Qu’est-ce que le Tiers état ?

« Le plan de cet écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire :
1 qu’ est-ce que le tiers état ? Tout.
2 qu’ a-t-il été jusqu’ à présent dans l’ ordre politique ? Rien.
3 que demande-t-il ? à y devenir quelque chose.
On verra si les réponses sont justes. Nous examinerons ensuite les moyens que l’ on a essayés, et ceux que l’ on doit prendre, afin que le tiers état devienne, en effet, quelque chose. Ainsi nous dirons :
4 ce que les ministres ont tenté , et ce que les privilégiés eux-mêmes proposent en sa faveur.
5 ce qu’ on aurait dû faire.
6 enfin, ce qui reste à faire au tiers pour prendre la place qui lui est due.
(…)
Qui donc oserait dire que le tiers état n’a pas en lui tout ce qu’il faut pour former une nation complète ? Il est l’homme fort et robuste dont un bras est encore enchaîné. Si l’on ôtait l’ordre privilégié, la nation ne serait pas quelque chose de moins, mais quelque chose de plus. Ainsi, qu’est-ce que le tiers ? Tout, mais un tout entravé et opprimé. Que serait-il sans l’ordre privilégié ? Tout, mais un tout libre et florissant. Rien ne peut aller sans lui, tout irait infiniment mieux sans les autres. Il ne suffit pas d’avoir montré que les privilégiés, loin d’être utiles à la nation, ne peuvent que l’affaiblir et lui nuire, il faut prouver encore que l’ordre noble n’entre point dans l’organisation sociale ; qu’il peut bien être une charge pour la nation, mais qu’il n’en saurait faire une partie. D’abord, il n’est pas possible, dans le nombre de toutes les parties élémentaires d’une nation, de trouver où placer la caste des nobles. Je sais qu’il est des individus, en trop grand nombre, que les infirmités, l’incapacité, une paresse incurable, ou le torrent des mauvaises moeurs, rendent étrangers aux travaux de la société. L’exception et l’abus sont partout à côté de la règle, et surtout dans un vaste empire. Mais au moins conviendra-t-on que, moins il y a de ces abus, mieux l’état passe pour être ordonné. Le plus mal ordonné de tous serait celui où non seulement des particuliers isolés, mais une classe entière de citoyens mettrait sa gloire à rester immobile au milieu du mouvement général et saurait consumer la meilleure part du produit, sans avoir concouru en rien à le faire naître. Une telle classe est assurément étrangère à la nation par sa fainéantise. L’ordre noble n’est pas moins étranger au milieu de nous, par ses prérogatives civiles et publiques. »

Extraits de Gallica (http://gallica.bnf.fr/scripts/ConsultationTout.exe?O=89685&T=2) éd. critique avec une introd., par Edme Champion
Emmanuel Sieyès, Qu’est-ce que le Tiers état ?, p. 27, 30-31.

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La prise de la Bastille, un récit du 14 juillet 1789

« Vers trois heures de l’après-midi, une troupe de bourgeois armés, mêlés de quelques gardes françaises, nous vinrent attaquer.

Ils entrèrent sans difficultés dans la première cour, un invalide seul ayant été laissé pour garde de la porte, lequel le gouverneur ne voulut pas même qu’il fût armé ; ils montèrent sur le pont qui fermait la cour du gouvernement et qui était levé ; ils coupèrent les balanciers auxquels sont attachées les chaînes, et le pont tomba (…). Après avoir abattu le pont, ils percèrent facilement les portes à coups de hache et la foule vint dans la cour du gouvernement, et sur le pont de pierre qui conduit le long des cuisines au corps de la place, et ils se disposaient à vouloir agir de la même manière avec cette porte comme ils avaient fait la première. On leur demandait ce qu’ils voulaient, et ce fut un cri général qu’on baissât les ponts ; on leur répondit que cela ne se pouvait pas et qu’ils devaient se retirer, sinon qu’on les chargerait ; ils redoublèrent de crier : Bas les portes ! bas les portes !

Alors on ordonna à une trentaine d’invalides, qui étaient postés dans les créneaux, aux deux côtés de la porte, de faire feu, le gouverneur étant monté avec trente hommes sur les tours.

Les assiégeants tirèrent de leur côté contre les créneaux et sur ceux qui étaient sur les plate formes (…).

Moi, avec mon détachement et une dizaine d’invalides, nous étions postés dans la cour de la Bastille même en face de la porte où j’avais derrière trois pièces de canon (…) qui devaient être servis par douze de mes soldats, pour défendre l’entrée de la place en cas que les portes fussent forcées. (…)

Le gouverneur demanda à capituler ; on ne voulut point y souscrire ; les cris redoublèrent de : Bas les ponts ! telle fut la réponse (…). Je cherchais après cela le gouverneur afin de savoir quelles étaient ses intentions ; je le trouvai dans la salle du Conseil occupé à écrire un billet, par lequel il marquait aux assiégeants qu’il avait vingt milliers de poudre dans la place, et que si on ne voulait point accepter de capitulation, qu’il ferait sauter le fort, la garnison et les environs. Il me remit ce billet avec ordre de le faire passer (…).

Je fis passer le billet à travers les trous que j’avais fait percer précédemment dans le pont-levis. Un officier ou du moins un quelqu’un qui portait l’uniforme d’officier du régiment de la Reine s’était fait apporter une planche pour pouvoir approcher les portes, je lui remis le billet, mais il fut sans effet; les cris de : Point de capitulation ! et : Bas les ponts ! furent toute la réponse ; je retournai vers le gouverneur et lui rapportai ce qui en était, et revins de suite vers ma troupe que j’avais fait ranger à gauche, vers la porte, attendant le moment où le gouverneur exécuterait sa menace ; je fus très surpris quand (…) je vis quatre invalides approcher les portes, les ouvrir et baisser les ponts.

La foule entra tout à coup, on nous désarma dans l’instant, et une garde fut donnée à chacun de nous ; on entra dans tous les appartements, en saccageant tout. On s’empara des armes qui y étaient, on jeta les papiers d’archives par les fenêtres et tout fut au pillage.

Il n’y a pas de mauvais traitement que nous n’ayons essuyés dans ce moment, et nous étions menacés d’être massacrés de toutes les manières possibles.  »

Par Louis de Flüe, chef des mercenaires suisses.

Cité dans ZOSSO & SIEGFRIED, Vers des temps nouveaux, Département de l’ instruction publique et des affaires culturelles du canton de Neuchâtel, 1991.

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LA NUIT DU 4 AOÛT

« Versailles, 7 août 1789.

Monsieur, la séance du mardi au soir, 4 août, est la séance la plus mémorable qui se soit tenue jamais chez aucune nation. Elle caractérise le noble enthousiasme du Français. Elle montre à l’univers entier quelle est la générosité et les sacrifices dont il est capable, lorsque l’honneur, l’amour du bien, l’héroïsme du patriotisme, le commandent.

M. le Vicomte de Noailles fit une motion, et demanda que les droits de banalité, rentes nobles foncières, droits de minage, exclusifs de chasse, de fuie, colombier, cens, redevances, dîmes, rachats, tous droits qui pèsent sur le peuple, et sont la source des déprédations des justices subalternes, des vexations des officiers, puissent être rachetés à un taux fixé par l’Assemblée nationale. Le comte Mathieu de Montmorency appuya fortement cette motion. Plusieurs membres de la Haute Noblesse se joignirent à lui. Les ducs d’Aiguillon, du Châtelet, proposèrent que, dès le moment, la Noblesse et le Clergé prononçassent le sacrifice de leurs privilèges pécuniaires. Le président de Saint-Fargeau ajouta qu’ils consentissent à faire rétrograder le sacrifice, pour les six derniers mois de 1789.

Les circonstances malheureuses où se trouve la Noblesse, l’insurrection générale élevée de toutes parts contre elle, les provinces de Franche-Comté, du Dauphiné, de Bourgogne, d’Alsace, de Normandie, de Limousin, agitées des plus violentes convulsions, et en partie ravagées ; plus de cent cinquante châteaux incendiés ; les titres seigneuriaux recherchés avec une espèce de fureur, et brûlés ; l’impossibilité de s’opposer au torrent de la Révolution, les malheurs qu’entraînerait une résistance même inutile ; la ruine du plus beau royaume de l’Europe, en proie à l’anarchie, à la dévastation ; et, plus que tout cela, cet amour de la patrie inné dans le coeur du Français, amour qui est un devoir impérieux pour la Noblesse, obligée par état et par honneur, de dévouer ses biens, sa vie même pour le Roi et pour la Nation, tout nous prescrivait la conduite que nous devions tenir ; il n’y eut qu’un mouvement général. Le Clergé, la Noblesse se levèrent et adoptèrent toutes les motions proposées. Les témoignages les plus flatteurs de reconnaissance furent prodigués. Mais c’était le moment de l’ivresse patriotique.

Différentes motions se succèdent avec rapidité (…). Les députés de Paris renoncent pour la capitale à ses privilèges ; ceux des villes de Bordeaux, Lyon, Marseille suivent le même exemple ; les députés des provinces privilégiées, la Bretagne, la Bourgogne, le Dauphiné, l’Artois, la Franche-Comté, la Provence, le Languedoc, le Boulonnais, la principauté d’Orange, le Cambrésis, l’Alsace, le pays de Dombes, s’avancent tour à tour au bureau, et prononcent solennellement, au nom de leurs provinces, la renonciation formelle à tous droits, privilèges, exemptions, prérogatives, demandant d’être assimilés aux autres provinces de France. Vous jugez de l’enthousiasme dans lequel ce généreux abandon fut reçu. Je n’essaierai point de vous peindre les transports, la joie ; une foule immense de spectateurs la partageait ; des cris, des « Vive le roi ! », des battements de mains !

Cette réunion d’intérêts, cette unité de toute la France à un même but (l’avantage commun de tous) que douze siècles, la même religion, le même langage, l’habitude des mêmes moeurs, n’avaient pu opérer ; que le ministre le plus habile, le plus puissant, n’aurait pu effectuer, après dix années de soins et de travaux, se trouvait tout à coup formée, sanctionnée à jamais. (…)

Voici les principaux détails de cette mémorable séance. Que Messieurs les gentilshommes du Mirabelais et Richelais considèrent que cette facilité donnée aux censitaires, de rembourser les droits féodaux, n’est pas aussi contraire à leurs intérêts qu’ils pourraient le penser au premier aperçu. (…) Il eût été inutile, dangereux même pour vous, de s’opposer au voeu général de la nation. C’eût été vous désigner, vous et vos possessions, pour victimes de la fureur de la multitude ; c’eût été vous exposer à voir incendier vos maisons. Soyez persuadé que notre petite sénéchaussée est, jusqu’à présent, celle qui a éprouvé le moins de troubles et de malheurs ; j’ose dire que j’ai cherché, par tous les moyens de douceur et de prudence, à éviter de vous compromettre. Je conjure donc Messieurs de la Noblesse de ne point blâmer publiquement l’arrêté de l’Assemblée nationale, et de mettre dans leurs discours, une prudence, une circonspection d’où dépend leur tranquillité, et peut-être le salut général du royaume. »

Marquis de FERRIERES (député de la noblesse de Saumur aux Etats Généraux), Correspondance inédite, 1789, 1790, 1795, publiée et annotée par H. Carré, Paris, A. Colin, 1932, pp.113-119.

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LES DROITS DE L’HOMME – Liberté, Egalité et Propriété

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Le projet de Lafayette sur les droits de l’homme

Le 11 Juillet 1789, le marquis de Lafayette lit à l’Assemblée nationale son projet pour une déclaration des droits de l’homme.

« La nature a fait les hommes libres et égaux ; les distinctions nécessaires de l’ordre social ne sont fondées que sur l’utilité générale.

Tout homme naît avec des droits inaliénables et imprescriptibles ; telles sont la liberté de toutes ses opinions, le soin de son honneur et de sa vie ; le droit de propriété, la disposition entière de sa personne, de son industrie, de toute ses facultés ; la communication de ses pensées par tous les moyens possibles, la recherche du bien-être et la résistance à l’oppression.

L’exercice des droits naturels n’a de bornes que celles qui en assurent la jouissance aux autres membres de la société.

Nul homme ne peut être soumis qu’à des lois consenties par lui ou ses représentants, antérieurement promulguées et appliquées.

Le principe de toute souveraineté réside dans la nation.

Nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en éname expressément.

Tout gouvernement a pour unique but le bien commun.Cet intérêt exige que les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires, soient distincts et définis, et que leur organisation assure la représentation libre des citoyens, la responsabilité des agents et l’impartialité des juges.

Les lois doivent être claires, précises, uniformes pour tout les citoyens.

Les subsides doivent être librement consentis et prportionnellement répartis.

Et comme l’introduction des abus et le droit des générations qui se succèdent nécessitent la révision de tout établissement humain, il doit être possible à la nation d’avoir, dans certains cas, une convocation extraordinairede députés, dont le seul objet soit d’examiner et corriger, s’il est nécessaire, les vices de la constitution. »

L’An 1 des droits de l’homme, textes réunis par Antoine de Baecque, presses du CNRS, 1988, pp. 65-66.

Cette motion est enregistrée à la bibliothèque nationale sous le titre Motion de M. de Lafayette sur les droits de l’homme, et de l’homme vivant en société, 1789.

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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789)

« Les Représentants du Peuple Français, constitués en Assemblée Nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’Homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des Gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une Déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’Homme, afin que cette Déclaration, constamment présente à tous les Membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que leurs actes du pouvoir législatif, et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

En conséquence, l’Assemblée Nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les droits suivants de l’Homme et du Citoyen.

Art. 1er. –

Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Art. 2. –

Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression.

Art. 3. –

Le principe de toute Souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Art. 4. –

La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi.

Art. 5. –

La Loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la Société. Tout ce qui n’est pas défendu par la Loi ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas.

Art. 6. –

La Loi est l’expression de la volonté générale. Tous les Citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs Représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents.

Art. 7. –

Nul homme ne peut être accusé, arrêté ni détenu que dans les cas déterminés par la Loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis ; mais tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la Loi doit obéir à l’instant : il se rend coupable par la résistance.

Art. 8. –

La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée.

Art. 9. –

Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi.

Art. 10. –

Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

Art. 11. –

La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Art. 12. –

La garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

Art. 13. –

Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés.

Art. 14. –

Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée.

Art. 15. –

La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration.

Art. 16. –

Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.

Art. 17. –

La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. »

Repris de http://www.conseil-constitutionnel.fr/textes/d1789.htm.

Voir aussi L’An 1 des droits de l’homme, textes réunis par Antoine de Baecque, presses du CNRS, 1988, pp. 198-200.

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Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1793)

« (…)
1.- Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l’homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles (…) La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui, elle a pour principe la nature, pour règle la justice, pour sauvegarde la loi; sa limite morale est dans cette maxime: Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. (…)

7.- Le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière, le droit de s’assembler paisiblement, le libre exercice des cultes, ne peuvent être interdits.
(…)

14.- Nul ne doit être jugé et puni qu’après avoir été entendu ou légalement appelé, et qu’en vertu d’une loi promulguée antérieurement au délit. La loi qui punirait des délits commis avant qu’elle existât, serait une tyrannie, l’effet rétroactif donné à la loi serait un crime. (…)

16.- Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens et de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.

17.- Nul genre de travail, de culture, de commerce, ne peut être interdit à l’industrie des citoyens.

18.- Tout homme peut engager ses services, son temps; mais il ne peut se vendre ni être vendu; sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne connaît point de domesticité : il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie (…).

21.- Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler.

22.- L’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens.

23.- La garantie sociale consiste dans l’action de tous, pour assurer à chacun la jouissance et la conservation de ses droits; cette garantie repose sur la souveraineté nationale.

24.- Elle ne peut exister, si les limites des fonctions publiques ne sont clairement déterminées par la loi, et si la responsabilité de tous les fonctionnaires n’est pas assurée (…).

26.- Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple entier; mais chaque section du souverain assemblée doit jouir du droit d’exprimer sa volonté avec une entière liberté.

27.- Que tout individu qui usurperait la souveraineté, soit à l’instant mis à mort par les hommes libres (…).

30.- Les fonctions publiques sont essentiellement temporaires; elles ne peuvent être considérées comme des distinctions ni comme des récompenses, mais comme des devoirs.

31.- Les délits des mandataires du peuple et de ses agents ne doivent jamais être impunis. Nul n’a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens.

32.- Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l’autorité ne peut, en aucun cas, être interdit, suspendu ni limité.

33.- La résistance à l’oppression est la conséquence des autres droits de l’homme.

34.- Il y a oppression contre le corps social lorsqu’un seul de ses membres est opprimé; il y a oppression contre chaque membre lorsque le corps social est opprimé.

35.- Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré et le plus indispensable des devoirs. »

L’An 1 des droits de l’homme, textes réunis par Antoine de Baecque, presses du CNRS, 1988, pp. 326-328.

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Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen (1795)

« Déclaration des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen adoptée le 26 thermidor an III [13 août 1795]

Le peuple français proclame, en présence de l’Etre suprême, la Déclaration suivante des droits et des devoirs de l’homme et du citoyen.

DROITS
Art. Ier. Les droits de l’homme en société sont la liberté, égalité, la sûreté, la propriété.

II. La liberté consiste à pouvoir faire ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui.

III. L’égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. L’égalité n’admet aucune distinction de naissance, aucune hérédité de pouvoirs.
(…)

XV. Tout homme peut engager son temps et ses services, mais il ne peut se vendre ni être vendu ; sa personne n’est pas une propriété aliénable [qu’on pourrait lui ôter].
(…)

DEVOIRS
Art Ier. La Déclaration des droits contient les obligations des législateurs ; le maintien de la société demande que ceux qui la composent connaissent et remplissent également leurs devoirs.

II. Tous les devoirs de l’homme et du citoyen dérivent de ces deux principes gravés par la nature dans tous les coeurs.
Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît ;
Faites constamment aux autres le bien que vous voudriez en recevoir.
(…)

IV. Nul n’est bon citoyen s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux.
(…)

IX. Tout citoyen doit ses services à la patrie et au maintien de la liberté, de l’égalité et de la propriété, toutes les fois que la loi l’appelle à les défendre. »

L’An 1 des droits de l’homme, textes réunis par Antoine de Baecque, presses du CNRS, 1988, pp. 329-331.

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La loi Le Chapelier (décret du 14-17 juin 1791)

Texte complet

« Art. 1 : L’anéantissement de toutes espèces de corporations des citoyens du même état ou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit.

Art. 2. Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d’un art quelconque ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni président, ni secrétaires, ni syndics, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs.

Art. 3. Il est interdit à tous les corps administratifs ou municipaux de recevoir aucune adresse ou pétition pour la dénomination d’un état ou profession, d’y faire aucune réponse ; et il leur est enjoint de déclarer nulles les délibérations qui pourraient être prises de cette manière, et de veiller soigneusement à ce qu’il ne leur soit donné aucune suite ni exécution

Art. 4. Si, contre les principes de la liberté et de la constitution, des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, prenaient des délibérations, ou faisaient entre eux des conventions tendant à n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites délibérations et conventions, accompagnées ou non du serment, sont déclarées inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la déclaration des droits de l’homme, et de nul effet ; les corps administratifs et municipaux seront tenus de les déclarer telles. Les auteurs, chefs et instigateurs, qui les auront provoquées, rédigées ou présidées, seront cités devant le tribunal de police, à la requête du procureur de la commune, condamnés chacun en cinq cent livres d’amende, et suspendus pendant un an de l’exercice de tous droits de citoyen actif, et de l’entrée dans toutes les assemblées primaires.

Art. 5. Il est défendu à tous corps administratifs et municipaux, à peine par leurs membres d’en répondre en leur propre nom, d’employer, admettre ou souffrir qu’on admette aux ouvrages de leurs professions dans aucuns travaux publics, ceux des entrepreneurs, ouvriers et compagnons qui provoqueraient ou signeraient lesdites délibérations ou conventions, si ce n’est dans les le cas où, de leur propre mouvement, ils se seraient présentés au greffe du tribunal de police pour se rétracter ou désavouer.

Art. 6. Si lesdites délibérations ou convocations, affiches apposées, lettres circulaires, contenaient quelques menaces contre les entrepreneurs, artisans, ouvriers ou journaliers étrangers qui viendraient travailler dans le lieu, ou contre ceux qui se contenteraient d’un salaire inférieur, tous auteurs, instigateurs et signataires des actes ou écrits, seront punis d’une amende de mille livres chacun et de trois mois de prison.

Art. 7. Ceux qui useraient de menaces ou de violences contre les ouvriers usant de la liberté accordée par les lois constitutionnelles au travail et à l’industrie, seront poursuivis par la voie criminelle et punis suivant la rigueur des lois, comme perturbateurs du repos public.

Art. 8. Tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail appartenant à toutes sortes de personnes, et sous toute espèce de conditions convenues de gré à gré, ou contre l’action de la police et l’exécution des jugements rendus en cette matière, ainsi que contre les enchères et adjudications publiques de diverses entreprises, seront tenus pour attroupements séditieux, et, comme tels, ils seront dissipés par les dépositaires de la force publique, sur les réquisitions légales qui leur en seront faites, et punis selon toute la rigueur des lois sur les auteurs, instigateurs et chefs desdits attroupement, et sur tous ceux qui auront commis des voies de fait et des actes de violence. »

Texte partiel

« Art. 1. L’anéantissement de toute espèce de corporations des citoyens du même état ou profession étant une des bases fondamentales de la constitution française, il est défendu de les rétablir de fait, sous quelque prétexte et quelque forme que ce soit.
Art. 2. Les citoyens d’un même état ou profession, les entrepreneurs, ceux qui ont boutique ouverte, les ouvriers et compagnons d’un art quelconque ne pourront, lorsqu’ils se trouveront ensemble, se nommer ni président ni secrétaire ni syndic, tenir des registres, prendre des arrêtés ou délibérations, former des règlements sur leurs prétendus intérêts communs (…).
Art. 4. Si, contre les principes de la liberté et de la constitution, des citoyens attachés aux mêmes professions, arts et métiers, prenaient des délibérations ou faisaient entre eux des conventions tendant à n’accorder qu’à un prix déterminé le secours de leur industrie ou de leurs travaux, lesdites délibérations et conventions, accompagnées ou non du serment, sont déclarées inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la Déclaration des Droits de l’homme, et de nul effet (…).
Art. 6. Si lesdites délibérations ou convocations (…) contenaient quelques menaces contre les entrepreneurs, artisans, ouvriers ou journaliers étrangers qui viendraient travailler dans le lieu ou contre ceux qui se contenteraient d’un salaire inférieur, tous auteurs, instigateurs et signataires des actes ou écrits, seront punis d’une amende de mille livres chacun, et de trois mois de prison.
Art. 7. Ceux qui useraient de menaces ou de violences contre les ouvriers usant de la liberté accordée par les lois constitutionnelles au travail et à l’industrie seront poursuivis par la voie criminelle et punis suivant la rigueur des lois, comme perturbateurs du repos public.
Art. 8. Tous attroupements composés d’artisans, ouvriers, compagnons, journaliers, ou excités par eux contre le libre exercice de l’industrie et du travail (…) seront tenus pour attroupements séditieux, et comme tels seront dissipés par les dépositaires de la force publique (…). »

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La réaction thermidorienne
« L’égalité absolue est une chimère »
le gouvernement des meilleurs, alias des propriétaires

« Vous devez garantir enfin la propriété du riche… L’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger… L’égalité absolue est une chimère ; pour qu’elle pût exister, il faudrait qu’il existât une égalité entière dans l’esprit, la vertu, la force physique, l’éducation, la fortune de tous les hommes.

Nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à bien peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété, sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent, à la tranquillité qui la conserve, et qui doivent à cette propriété et à l’aisance qu’elle donne l’éducation qui les a rendus propres à discuter avec sagacité et justesse les avantages et les inconvénients des lois qui fixent le sort de leur patrie… Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social ; celui où les non-propriétaires gouvernent est dans l’état de nature.

Si vous donnez à des hommes sans propriété les droits politiques sans réserves, et s’ils se trouvent jamais sur les bancs des législateurs, ils exciteront ou laisseront exciter des agitations sans en craindre l’effet ; ils établiront ou laisseront établir des taxes funestes au commerce et à l’agriculture, parce qu’ils n’en auront senti ni redouté ni prévu les redoutables conséquences, et ils nous précipiterons enfin dans ces convulsions violentes dont nous sortons à peine.

L’homme sans propriété a besoin d’un effort constant de vertu pour s’intéresser à l’ordre qui ne lui conserve rien. »

Boissy d’Anglas, le 5 messidor an III (23 juin 1795)

In Histoire 2e, Les fondements du monde contemporain, Nathan (Coll. J. Marseille), 1996.

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Pour un droit de vote féminin censitaire aux Etats généraux

Cahier de Doléances et réclamation des Femmes, Mme B. B. , 1789

« L’aurore luit, les ténèbres se dissipent ; l’astre du jour approche le ciel brille (…) son éclat est un présage heureux.

Ô puissance suprême ! fais que ce symbole enflamme tous les coeurs, ranime notre espoir et couronne nos voeux.

Il est, dit-on, question d’accorder aux Nègres (sic) leur affranchissement ; le peuple, presque aussi esclave qu’eux va rentrer dans ses droits : c’est à la philosophie qui éclaire la nation, à qui l’on sera redevable de ces bienfaits; serait-il possible qu’elle fût muette à notre égard, ou bien que, sourds à sa voix, et insensibles à sa lumière, les hommes persistassent à vouloir nous rendre victimes de leur orgueil et de leur injustice ?(…) La devise des femmes est travailler, obéir et se taire.

Voilà certes un système digne de ces siècles d’ignorance, où les plus forts ont fait les lois, et soumis les plus faibles, mais dont aujourd’hui, la lumière et la raison ont démontré l’absurdité.

Ce n’est point aux honneurs du gouvernement, ni aux avantages d’être initiées dans les secrets du ministère que nous aspirons ; mais nous croyons qu’il est de toute équité de permettre aux femmes veuves ou filles possédant des terres ou autres propriétés, de porter leurs doléances au pied du trône ; qu’il est également juste de recueillir leurs suffrages, puisqu’elles sont obligées, comme les hommes, de payer les impositions royales et de remplir les engagements du commerce.

L’on alléguera peut-être que tout ce qu’il est possible de leur accorder, c’est de leur permettre de se faire représenter, par procuration, aux états généraux.

On pourrait répondre qu’étant démontré, avec raison, qu’un noble ne peut représenter un roturier, ni celui-ci un noble ; de même un homme ne pourrait, avec plus d’équité, représenter une femme, puisque les représentants doivent avoir absolument les mêmes intérêts que les représentés : les femmes ne pourraient donc être représentées que par des femmes.  »

In CD-Rom « Femmes,le long chemin – deux siècles de lutte pour la liberté« , Edition Mémoire 1999 – Mémoire Multimédia (http://www.hometown.aol.com/memoires/revolutions.html)

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Droits de la femme ?

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Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne

Olympe de Gouges, femme écrivain, rédige ce texte en septembre 1791.

« Préambule

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Etre suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Article premier
La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

II.
Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression. (…) »

Le texte complet

1791 – LA DÉCLARATION DES DROITS DE LA FEMME ET DE LA CITOYENNE

« Homme, est-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit. Dis-moi ? Qui t’a donné le souverain empire d’opprimer mon sexe ? Ta force ? Tes talents ? Observe le créateur dans sa sagesse; parcours la nature dans toute sa grandeur, dont tu sembles vouloir te rapprocher, et donne-moi, si tu l’oses, l’exemple de cet empire tyrannique. Remonte aux animaux, consulte les éléments, étudie les végétaux, jette enfin un coup d’oeil sur toutes les modifications de la matière organisée; et rends-toi à l’évidence quand je t’en offre les moyens ; cherche, fouille et distingue, si tu peux, les sexes dans l’administration de la nature. Partout tu les trouveras confondus, partout ils coopèrent avec un ensemble harmonieux à ce chef-d’œuvre immortel.

L’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception. Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré, dans ce siècle lumières et de sagacité, dans l’ignorance la plus crasse, il veut commander en despote sur un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ; il prétend jouir de la révolution, et réclamer ses droits à l’égalité, pour ne rien dire de plus.

Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne. A décréter par l’assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature.

Préambule

Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels inaliénables et sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs devoirs, afin que les actes du pouvoir des femmes, et ceux du pouvoir des hommes pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes moeurs, et au bonheur de tous.

En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être Suprême, les Droits suivants de la Femme et de la Citoyenne.

Article I- La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune.

Article II – Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.

Article III – Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément.

Article IV – La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose ; ces bornes doivent être réformées par les lois de la nature et de la raison.

Article V – Les lois de la nature et de la raison défendent toutes actions nuisibles à la société : tout ce qui n’est pas défendu pas ces lois, sages et divines, ne peut être empêché, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elles n’ordonnent pas.

Article VI – La Loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens doivent concourir personnellement ou par leurs représentants, à sa formation ; elle doit être la même pour tous : toutes les Citoyennes et tous les Citoyens, étant égaux à ses yeux, doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs capacités, et sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talents.

Article VII – Nulle femme n’est exceptée ; elle est accusée, arrêtée, et détenue dans les cas déterminés par la Loi. Les femmes obéissent comme les hommes à cette Loi rigoureuse.

Article VIII – La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une Loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée aux femmes.

Article IX – Toute femme étant déclarée coupable ; toute rigueur est exercée par la Loi.

Article X – Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales, la femme a le droit de monter sur l ’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.

Article XI – La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfants. Toute Citoyenne peut donc dire librement, je suis mère d’un enfant qui vous appartient, sans qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi.

Article XII – La garantie des droits de la femme et de la Citoyenne nécessite une utilité majeure ; cette garantie doit être instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de celles à qui elle est confiée.

Article XIII – Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, les contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie.

Article XIV – Les Citoyennes et Citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique. Les Citoyennes ne peuvent y adhérer que par l’admission d’un partage égal, non seulement dans la fortune, mais encore dans l’administration publique, et de déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée de l’impôts.

Article XV – La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de demander compte, à tout agent public, de son administration.

Article XVI – Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction.

Article XVII – Les propriétés sont à tous les sexes réunis ou séparés ; elles ont pour chacun un droit lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité.

POSTAMBULE

Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits. Le puissant empire de la nature n’est plus environné de préjugés, de fanatisme, de superstition et de mensonges. Le flambeau de la vérité a dissipé tous les nuages de la sottise et de l’usurpation. L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. O femmes ! Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? Quels sont les avantages que vous recueillis dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé. Dans les siècles de corruption vous n’avez régné que sur la faiblesse des hommes. Votre empire est détruit ; que vous reste t-il donc? La conviction des injustices de l’homme. La réclamation de votre patrimoine, fondée sur les sages décrets de la nature ; qu’auriez-vous à redouter pour une si belle entreprise? Le bon mot du Législateur des noces de Cana ? Craignez-vous que nos Législateurs français, correcteurs de cette morale, longtemps accrochée aux branches de la politique, mais qui n’est plus de saison, ne vous répètent: femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous? Tout, auriez vous à répondre. S’ils s’obstinent, dans leur faiblesse, à mettre cette inconséquence en contradiction avec leurs principes ; opposez courageusement la force de la raison aux vaines prétentions de supériorité ; réunissez-vous sous les étendards de la philosophie ; déployez toute l’énergie de votre caractère, et vous verrez bientôt ces orgueilleux, non serviles adorateurs rampants à vos pieds, mais fiers de partager avec vous les trésors de l’Etre Suprême. Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. Passons maintenant à l’effroyable tableau de ce que vous avez été dans la société ; et puisqu’il est question, en ce moment, d’une éducation nationale, voyons si nos sages Législateurs penseront sainement sur l’éducation des femmes. Les femmes ont fait plus de mal que de bien. La contrainte et la dissimulation ont été leur partage. Ce que la force leur avait ravi, la ruse leur a rendu ; elles ont eu recours à toutes les ressources de leurs charmes, et le plus irréprochable ne leur résistait pas. Le poison, le fer, tout leur était soumis ; elles commandaient au crime comme à la vertu. Le gouvernement français, surtout, a dépendu, pendant des siècles, de l’administration nocturne des femmes ; le cabinet n’avait point de secret pour leur indiscrétion ; ambassade, commandement, ministère, présidence, pontificat, cardinalat ; enfin tout ce qui caractérise la sottise des hommes, profane et sacré, tout a été soumis à la cupidité et à l’ambition de ce sexe autrefois méprisable et respecté, et depuis la révolution, respectable et méprisé. »

Le contexte et la postérité de la Déclaration

Olympe de Gouges, de son vrai nom Marie Gouze rédige cette déclaration « à décréter par l’Assemblée nationale dans ses dernières séances ou dans celle de la prochaine législature » en 1791. Girondine, opposée à la mort du roi, elle fut guillotinée en 1793.

Voir L’article de Wikipédia consacré à Olympe de Gouges.

On retrouvera la Dédicace à la Reine, le discours introductif (Homme, est-tu capable d’être juste ? C’est une femme qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce droit(…). ) le postambule ( Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnais tes droits(…). )sur le site de la Bibliothèque Jeanne Hersch.

Les autres liens internet autour de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sont très nombreux. On peut s’orienter vers le site du CNDP qui propose un dossier les Femmes dans l’histoire et une fiche à Olympe de Gouges.

Proposition d’utilisation pédagogique

Extrait du programme d’Education civique de Quatrième : Des droits de nature différente (3 à 4 heures) – Plusieurs types de droits coexistent dans notre société. Ils résultent des luttes politiques depuis la Révolution française et permettent les progrès de la démocratie. Les uns défendent et promeuvent avant tout les libertés, les autres défendent et favorisent l’égalité. Le rôle de l’État est, aujourd’hui comme hier, en débat (…).

TP en classe de 4e ( 1 heure)- 2005 par E. Py.

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Sur l’admission des femmes au droit de cité

Tiré de Condorcet (1743-1794), Journal de la Société de 1789, n 5, 3 juillet 1790
in Paroles d’hommes (1790-1793) présentées par Elisabeth Badinter

« L’habitude peut familiariser les hommes avec la violation de leurs droits naturels, au point que, parmi ceux qui les ont perdus, personne ne songe à les réclamer, ne croie avoir éprouvé une injustice.

Il est même quelques unes de ces violations qui ont échappé aux philosophes et aux législateurs, lorsqu’ils s’occupaient avec le plus de zèle d’établir les droits communs des individus de l’espèce humaine, et d’en faire le fondement unique des institutions politiques.

Par exemple, tous n’ont-ils pas violé le principe de l’égalité des droits, en privant tranquillement la moitié du genre humain de celui de concourir à la formation des lois, en excluant les femmes du droit de cité ? Est-il une plus forte preuve du pouvoir de l’habitude, même sur les hommes éclairés, que de voir invoquer le principe de l’égalité des droits en faveur de trois ou quatre cents hommes qu’un préjugé absurde en avait privés, et l’oublier à l’égard de douze million de femmes ?

Pour que cette exclusion ne fût pas un acte de tyrannie, il faudrait ou prouver que les droits naturels des femmes ne sont absolument les mêmes que ceux des hommes, ou montrer qu’elles ne sont pas capables de les exercer.

Or, les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles, susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes ayant ces mêmes qualités, ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes; et celui qui vote contre le droit d’un autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens.

Il serait difficile de prouver que les femmes sont incapables d’exercer les droits de cité. Pourquoi des êtres exposés à des grossesses, et à des indispositions passagères, ne pourraient-ils exercer des droits dont on a jamais imaginé de priver les gens qui ont la goutte tous les hivers, et qui s’enrhument aisément ? En admettant dans les hommes une supériorité d’esprit qui ne soit pas la suite nécessaire de la différence d’éducation (ce qui n’est rien moins que prouvé, et ce qui devrait l’être, pour pouvoir, sans injustice, priver les femmes d’un droit naturel), cette supériorité ne peut consister que deux points. On dit qu’aucune femme n’a fait de découverte importante dans les sciences, n’a donné de preuves de génie dans les arts, dans les lettres, etc.; mais, sans doute, on ne prétendra point n’accorder le droit de cité qu’aux seuls hommes de génie. On ajoute qu’aucune femme n’a la même étendue de connaissances, la même force de raison que certains hommes; mais qu’en résulte-t-il, qu’excepté une classe peu nombreuses d’hommes très éclairés, l’égalité est entière entre les femmes et le reste des hommes ; que cette classe mise à part, l’infériorité et la supériorité se partagent également entre les deux sexes. Or puisqu’il serait complètement absurde de borner à cette classe supérieure le droit de cité, et la capacité d’être chargé de fonctions publiques, pourquoi en exclurait-on les femmes, plutôt que ceux des hommes qui sont inférieurs à une grand nombre de femmes ?

Enfin, dira-t-on qu’il y ait dans l’esprit ou le coeur des femmes quelques qualités qui doivent les exclure de la jouissance de leurs droits naturels ? Interrogeons d’abord les faits. Elisabeth d’Angleterre, Marie-Thérèze, les deux Catherine de Russie, ont prouvé que ce n’était ni la force d’âme, ni le courage d’esprit qui manquait aux femmes.

Elisabeth avait toutes les petitesses des femmes; ont-elles fait plus de tort à son règne que les petitesses des hommes à celui de son père ou de son successeur? Les amants de quelques impératrices ont-ils exercé une influence plus dangereuse que celle des maîtresses de Louis XIV, de Louis XV, ou même de Henri IV ?
Croit-on que Mistress Macaulay n’eut pas mieux opiné dans la Chambre des communes que beaucoup de représentants de la nation britannique? N’aurait-elle pas, en traitant la question de la liberté de conscience, montré des principes plus élevés que ceux de Pitt, et une raison plus forte ?

Quoique aussi enthousiaste de la liberté que M. Burke peut l’être de la tyrannie, aurait-elle, en défendant la constitution française, approché de l’absurde et dégoûtant galimatias par lequel ce célèbre rhétoricien vient de la combattre? Les droits des citoyens n’auraient -ils pas été mieux défendus, en France, aux états de 1614, par la fille adoptive de Montaigne, que par le conseiller Courtin, qui croyait aux sortilèges et aux vertus occultes ? La princesse des Ursins ne valait-elle pas un peu mieux que Chamillard ? Croit-on que la marquise de Châtelet n’eût pas fait une dépêche aussi bien que M. Rouillé? Madame de Lambert aurait-elle fait des lois aussi absurdes et aussi barbares que celles du garde des sceaux d’Armenonville, contre les protestants, les voleurs domestiques, les contrebandiers et les nègres ? En jetant les yeux sur la liste de ceux qui les ont gouverné, les hommes n’ont pas le droit d’être si fiers.

Les femmes sont supérieures aux hommes dans les vertus douces et domestiques ; elles savent, comme les hommes, aimer la liberté, quoique qu’elles n’en partagent point tous les avantages ; et, dans les républiques, on les a vues souvent se sacrifier pour elle: elles ont montré les vertus de citoyen toutes les fois que le hasard ou les troubles civils les ont amenées sur une scène dont l’orgueil et la tyrannie des hommes les ont écartées chez tous les peuples. »

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Plaidoyer de Lequino pour le divorce et la liberté des femmes, Assemblée législative, 17 février 1792. Lequino, (1755-1814) avocat, député à la Législative et à la Convention. Montagnard.

« Chez toutes les nations les femmes ont vécu jusqu’ici dans une dépendance de leurs époux, ou plutôt dans un état vrai d’esclavage, toujours gradué sur le despotisme, dans le système politique du gouvernement. La dureté de cet esclavage décroît en même temps que les peuples deviennent plus policés et que l’instruction s’étend, mais la mesure de son affaiblissement n’égale pas les progrès de la liberté publique. Nous le prouvons bien, nous qui avons à peu près rompu nos chaînes politiques, et qui n’avons rien fait encore pour la liberté des femmes. Etablissons-la donc aujourd’hui: instituons le divorce (…) »

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Texte de Guyomar (1757-1826) député, tiré de la 3ème annexe à la séance de la Convention nationale, Archives parlementaires, 29.4.1793, tome 63.

« Républicains, affranchissons les femmes d’un esclavage flétrissant l’humanité comme nous brisons les chaînes de nos voisins.

Hommes, rougissons de voir les femmes abaissées sous le joug de nos coutumes féodales, de nos lois barbares.

Ennemis jurés des despotes, des tyrans, renonçons à cet empire odieux du plus fort sur le plus faible.

Apôtres de l’égalité, traitons les femmes égales, et marchons de front dans la carrière politique.

Défenseurs de la liberté, proclamons celle des femmes, rendues à la dignité humaine, et ouvrons-leur, à la face de l’Europe étonnée, les portes des assemblées primaires.

Fondateurs de la République, donnons aux peuples de l’univers le modèle de la plus pure démocratie sans ilotes *.

Justice, raison, humanité, voilà ma trinité politique: voilà aussi en trois mots mon système, dont le but est de doubler le nombre des enfants de la patrie, et d’augmenter la masse des lumières dans la cité. J’en jure par la maxime de J.-J. Rousseau, auteur célèbre du Contrat social: « Quelque faible influence que puisse avoir ma voix dans les affaires publiques, le droit d’y voter suffit pour m’imposer le devoir de m’en instruire » ».
* [ilotes<-]ilotes : Anciens habitants réduit à l’esclavage par les Doriens dans la République de Spartes. => personne asservie, réduite à la misère et à l’ignorance

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Condorcet sur l’éducation

Marie, Jean, Antoine CONDORCET – 1792 , Mathématicien, élu député de Paris en septembre 1791, Président de l’Assemblée du 5 au 18 février 1792.

Les principes de l’instruction publique

Discours à l’Assemblée nationale législative : 2 avril 1792

« Messieurs,

Offrir à tous les individus de l’espèce humaine les moyens de pourvoir à leurs besoins, d’assurer leur bien-être, de connaître et d’exercer leurs droits, d’entendre et de remplir leurs devoirs ; Assurer à chacun d’eux la facilité de perfectionner son industrie, de se rendre capable des fonctions sociales auxquelles il a droit d’être appelé, de développer toute l’étendue des talents qu’il a reçus de la nature, et par là, établir entre les citoyens une égalité de fait, et rendre réelle l’égalité politique reconnue par la loi : Tel doit être le premier but d’une instruction nationale ; et, sous ce point de vue, elle est pour la puissance publique un devoir de justice.

Diriger l’enseignement de manière que la perfection des arts augmente les jouissances de la généralité des citoyens et l’aisance de ceux qui les cultivent, qu’un plus grand nombre d’hommes deviennent capables de bien remplir les fonctions nécessaires à la société, et que les progrès toujours croissants des lumières ouvrent une source inépuisable de secours dans nos besoins, de remèdes dans nos maux, de moyens de bonheur individuel et de prospérité commune ;

Cultiver enfin, dans chaque génération, les facultés physiques, intellectuelles et morales, et, par là, contribuer à ce perfectionnement général et graduel de l’espèce humaine, dernier but vers lequel toute institution sociale doit être dirigée ;

Tel doit être l’objet de l’instruction ; et c’est pour la puissance publique un devoir imposé par l’intérêt commun de la société, par celui de l’humanité entière. (…) Nous avons pensé que, dans ce plan d’organisation générale, notre premier soin devait être de rendre, d’un côté, l’éducation aussi égale, aussi universelle ; de l’autre, aussi complète que les circonstances pouvaient le permettre ; qu’il fallait donner à tous également l’instruction qu’il est possible d’étendre sur tous, mais ne refuser à aucune portion de citoyens l’instruction plus élevée, qu’il est impossible de faire partager à la masse entière des individus ; établir l’une, parce qu’elle est utile à ceux qui la reçoivent ; et l’autre, parce qu’elle l’est à ceux même qui ne la reçoivent pas. La première condition de toute instruction étant de n’enseigner que des vérités, les établissements que la puissance publique y consacre doivent être aussi indépendants qu’il est possible de toute autorité politique. (…) Nous avons observé, enfin, que l’instruction ne devait pas abandonner les individus au moment où il sortent des écoles ; qu’elle devait embrasser tous les âges ; qu’il n’y en avait aucun où il ne fût utile et possible d’apprendre, et que cette seconde instruction est d’autant plus nécessaire, que celle de l’enfance a été resserrée dans des bornes plus étroites. »

Cité dans « 1789, recueil de textes et documents du XVIIIème s. à nos jours« , édité par le Ministère de l’Education Nationale et le Centre National de la Documentation Pédagogique, 1989, p. 139.

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« Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes »

« Au moment de l’abolition des droits féodaux, les princes allemands possessionnés, ayant des biens et des possessions en Alsace, protestèrent contre la perte de leurs droits et en appelèrent à l’empereur et à la Diète du Saint Empire. L’assemblée constituante adopta la thèse de Merlin de Douai selon laquelle l’Alsace était française, non pas en vertu des traités de Westphalie, mais par la volonté de ses habitants. (…) ».

Extrait de l’article « Princes possessionnés » du Histoire et dictionnaire de la Révolution française 1789-1799 de Jean TULARD, Jean-François FAYARD et Alfred FIERRO. Paris, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1988, p. 1046.

Pour l’auteur du copieux article de Wikipedia consacré aux « princes possessionnés », (http://fr.wikipedia.org/wiki/Princes_possessionnés), « pour la première fois le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » est alors formulé.

Voici donc l’essentiel de l’argumentation de Merlin de Douai sur ce thème, composée d’extraits du Rapport fait à l’Assemblée nationale au nom de son Comité de féodalité, le 28 octobre 1790, sur les droits seigneuriaux des princes d’Allemagne en Alsace ; par M. Merlin, député de Douay ; suivi du décret rendu en conséquence. Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale. Paris, imprimerie nationale, s.d., 44 p. Publié aux pages 1 à 8 de : http://irhis.recherche.univ-lille3.fr/dossierPDF/Leuwers/8-Guerre-Paix.pdf

« (…) Nous ne le savons que trop, il a été un temps & il n’est pas si éloigné, où les Rois, habiles à profiter du titre de pasteurs des Peuples que leur donnent dans un autre sens les livres sacrés, disposoient en vrais propriétaires de ce qu’ils appeloient leurs troupeaux. Vendre, échanger, donner, céder par force des villes, des cantons, des provinces entières, tels étoient les jeux de leur puissance ou les sacrifices de leur foiblesse, tel étoit l’objet principal de leur politique. (…)
Mais aujourd’hui que la raison déchirant le bandeau de l’ignorance, a appris à tous les hommes leurs véritables droits ; aujourd’hui que la souveraineté des peuples, si long-temps oubliée ou méprisée, est enfin consacrée avec éclat ; aujourd’hui que les Rois sont généralement reconnus pour n’être que les délégués, les mandataires des nations dont ils avoient jusqu’à présent passé pour les propriétaires & les maîtres ; qu’importent au peuple d’Alsace, qu’importent au peuple Français les conventions qui dans les temps du despotisme ont eu pour objet d’unir le premier au second ? Ce n’est pas à ces conventions qu’est dûe l’union qui s’est opérée entr’eux. Le peuple Alsacien s’est uni au peuple François parce qu’il l’a bien voulu. C’est donc sa volonté seule qui a ou consommé ou légitimé l’union. Et comme il n’a mis à cette volonté aucune condition relative aux fiefs régaliens d’Alsace, ne peut-on pas, ne doit-on pas même regarder les droits dépendans de ces fiefs, comme soumis à la règle générale suivant laquelle il ne peut être exigé d’indemnité pour l’anéantissement des impositions ci-devant perçues au profit de particuliers ?
C’est ainsi, Messieurs, que vous avez repoussé par un il n’y a lieu à délibérer, la réclamation que la république de Gênes faisoit devant vous le 21 Janvier dernier, d’un article du traité par lequel elle prétendoit avoir cédé à la France la souveraineté de la Corse. (…)
Vous trouverez, sans doute, Messieurs, une grande analogie entre ce cas & celui sur lequel vous allez délibérer. – Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien a manifesté clairement, l’année dernière, le voeu d’être uni à la France. Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien a par ce voeu légalement & librement émis, purifié ce qu’avoit eu jusqu’alors d’injuste & d’illégal l’exercice que nos Rois avoient eu sur lui d’une souveraineté qu’ils ne devoient qu’à des conquêtes & à des traités. Comme le peuple Corse, le peuple Alsacien est devenu François parce qu’il y a consenti. (…) »

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A propos du jugement de Louis XVI

« Ainsi donc, un défenseur de Louis est un intriguant, un imbécile, un fripon… Allez au sein de la campagne, interrogez un simple villageois qui ne sait pas ce que c’est que la liste civile de Roland, et n’est pas trompé par le bureau de la formation de l’esprit public ; demandez-lui ce qu’il pense du ci-devant roi ? Il vous répondra : je cultivais mon champ pour nourrir ma famille ; j’avais deux chevaux pour traîner ma charrue ; Louis nous a attiré une guerre désastreuse ; mes chevaux étaient nécessaires pour les convois militaires, ma patrie les réclamait, je les ai donnés, et ma terre est inculte ; mes deux fils, l’espoir de ma famille, le soutien de ma vieillesse, sont partis pour les frontières ; ils ont péri les armes à la main, à la bataille de Jemmape ; je pleure leur perte, mais comme j’aime ma patrie, je suis fier de leur mort, ma femme, plus faible que moi a succombé à la douleur ; maintenant, sans secours, sans appui, je péris de misère ; ma charrue est oisive, faute de bras pour la conduire, de chevaux pour la traîner. Qui aura soin de mes enfants en bas âge ? Est-ce mon voisin ? Il est plus malheureux que moi : c’est donc la patrie ? Je me jette dans ses bras : mais je ne veux son secours, qu’autant qu’elle punira mon assassin. Membre de la république, je vote pour la mort de Louis ; un père, en pleurs, lui redemande ses enfants, et vous refuseriez de me venger ? Si vous ne prenez ma défense, je renonce à mon pays, j’abandonne une terre où la vertu est gémissante et le vice triomphant. J’avais donné ma voix pour un député ; je voyais en lui un vengeur, je n’y vois plus qu’un assassin, oppresseur du malheureux, et plus affreux cent fois que le despote le plus sanguinaire.

Voilà, voilà le langage d’un homme pur ; la nature est outragée chez lui, et vous hésiteriez à punir son bourreau ? Si vous épargnez Louis, vous êtes plus coupables que lui, parce que son naturel était féroce, et qu’il disposait de la vie des hommes par habitude, au lieu que vous, de sang-froid, avec réflexion, avec discernement, vous détournez la hache de la loi, et vous assassinez tous les François individuellement, en laissant la vie à leur ennemi irréconciliable.

Patriotes, qui m’entendez, députés fidèles au peuple, s’il est vrai que j’aie ému vos entrailles, s’il est vrai que les citoyens et citoyennes, qui siègent dans vos tribunes, unissent leurs pleurs au bon villageois dont je vous ai parlé, à ce respectable père ; s’il est vrai que telle mère, ici présente, verse des larmes sur la perte d’un fils ; telle sœur sur la mort d’un frère ; si vous-mêmes, jacobins, cherchez en vain, à côté de vous, un ami, un parent, un bon et loyal jacobin, péri pour la défense de la patrie, unissez-vous tous, formez une masse importante… »

Mittié fils, Discours sur le jugement de Louis Capet, Société des amis de la liberté et de l’égalité, 1793, p. 4-6 in University of Alabama, http://content.lib.ua.edu

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Ère de la République

L’histoire et son rapport au temps, comme un instrument des pouvoirs en place et de leurs visions des faits humains : l’exemple de l’ère républicaine.

« Citoyens,
Je viens, au nom du Comité d’instruction publique, soumettre à votre discussion un travail sur l’ère de la République, que vous l’aviez chargé de vous présenter.

Vous avez entrepris une des opérations les plus importantes aux progrès des arts et de l’esprit humain, et qui ne pouvait réussir que dans un temps de révolution : c’est de faire disparaître la diversité, l’incohérence et l’inexactitude des poids et mesures qui entravaient sans cesse l’industrie et le commerce, et de prendre, dans la mesure même de la terre, le type unique et invariable de toutes les mesures nouvelles.

Les arts et l’histoire, pour qui le temps est un élément ou un instrument nécessaire, vous demandent aussi de nouvelles mesures de la durée, qui soient pareillement dégagées des erreurs que la crédulité et une routine superstitieuse ont transmises des siècles d’ignorance jusqu’à nous.

L’ère vulgaire prit naissance chez un peuple ignorant et crédule, et au milieu des troubles précurseurs de la chute prochaine de l’empire romain. Pendant dix-huit siècles, elle servit à fixer, dans la durée, les progrès du fanatisme, l’avillissement des nations, le triomphe scandaleux de l’orgueil, du vice et de la vertu, le talent et la philosophie sous des despotes cruels, ou qui souffraient qu’on le fût en leur nom.

Verrait-on sur les mêmes tables, gravées tantôt par un burin avili, tantôt par un burin fidèle et libre, les crimes honorés des rois et l’exécration à laquelle ils sont voués aujourd’hui, les fourberies religieusement révérées de quelques prêtres, et l’opprobre qui poursuit justement les infâmes et astucieux confidents de la corruption et du brigandage des cours ? Non : l’ère vulgaire fut l’ère de la cruauté, du mensonge, de la perfidie et de l’esclavage ; elle a fini avec la royauté, source de tous nos maux.

La Révolution a retrempé les âmes des Français ; elle les forme chaque jour aux vertus républicaines. Le temps ouvre un nouveau livre à l’histoire ; et dans sa marche nouvelle, majestueuse et simple comme l’égalité, il doit graver d’un burin neuf et vigoureux les annales de la France régénérée.

Tel est l’esprit de votre décret du 22 septembre 1792, qui ordonne qu’à compter de ce jour tous les actes publics seront datés de l’an premier de la République. C’est le développement de ce décret que je vous présente aujourd’hui.

(…) Chez tous les peuples, le calendrier a été un talisman puissant que les prêtres ont toujours su diriger avec succès, pour s’attacher la classe nombreuse des esprits faibles. Chaque mois, chaque jour, chaque heure offraient à leur crédulité de nouveaux mensonges. C’est aux Français de la nouvelle ère qu’il appartient de faire servir le calendrier à propager le vrai, le juste, l’utile, en faisant aimer la patrie et tout ce qui peut assurer sa prospérité. »

Source : Gilbert Romme, « Rapports sur l’ère de la République fait à la convention nationale dans la séance du 20 septembre de l’an II de la République (1793), in Une éducation pour la démocratie. Textes et projets de l’époque révolutionnaire, présentés par Bronislaw Baczko, Garnier, Paris, 1982, pp. 402-3 et 411.

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DISCOURS DE MAXIMILIEN DE ROBESPIERRE A LA CONVENTION SUR LE PROCES DE LOUIS XVI ( 3 décembre 1792)

« Il n’y a point de procès à faire. Louis n’est point un accusé, vous n’êtes point des juges ; vous êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’Etat et les représentants de la nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme, mais une mesure de salut public à prendre, un acte de Providence nationale à exercer. (On applaudit.) Quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la République naissante ? C’est de graver profondément dans les coeurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi. Donc, présenter à l’univers son crime comme un problème, sa cause comme l’objet de la discussion la plus imposante, la plus religieuse, la plus difficile qui puisse occuper les représentants du peuple français, mettre une distance incommensurable entre le seul souvenir de ce qu’il fut, et la dignité de citoyen, c’est précisément avoir trouvé le secret de la rendre encore plus dangereux à la liberté. Louis fut roi, et la République est fondée. La question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots : Louis est détrôné par ses crimes ; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armes des tyrans ses confrères.

La victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle. Louis ne peut donc être jugé, il est déjà condamné ; il est condamné, ou la République n’est point absoute (Applaudissements). Proposer de faire le procès de Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire car c’est mettre la révolution elle-même en litige. En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, Louis peut être absous ; il peut être innocent ; que dis-je ! il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé. Mais si Louis peut être présumé innocent, que devient la révolution ? N’est-elle pas encore incertaine et douteuse ? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la Liberté deviennent des calomniateurs et les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l’innocence opprimée ; tous les manifestes des Cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice ; la détention même que Louis a subie jusqu’à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l’empire français sont coupables, et le grand pendant au tribunal de la nature, entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie.

Citoyens, prenez-y garde, vous êtes trompés ici par de fausses notions. Vous confondez les règles du droit civil et positif, avec les principes du droit des gens ; vous confondez la relation des citoyens entre eux avec les rapports des nations à un ennemi qui conspire contre elles ; vous confondez encore la situation d’un peuple en révolution, avec celle d’un peuple dont le gouvernement est affermi…

Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne vendent point de sentences, ils lancent la foudre ; ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant, et cette justice vaut bien celle des tribunaux. Si c’est pour son salut que le peuple s’arme contre ses oppresseurs, comment serait-il tenu d’adopter un mode de les punir qui serait pour eux un nouveau danger ? Nous nous sommes laissé induire en erreur par des exemples étrangers qui n’ont rien de commun avec nous. Que Cromwell ait fait juger Charles Ier par une Commission judiciaire, dont il disposait ; qu’Elisabeth ait fait condamner Marie d’Ecosse par des juges, il est naturel que les tyrans qui immolent leurs pareils, non au peuple, mais à leur ambition, cherchent à tromper l’opinion du vulgaire par des formes illusoires ; il n’est question là ni de principes, ni de liberté, mais de fourberie et d’intrigues. Mais le peuple, quelle autre loi peut-il suivre, que la justice et la raison, appuyées de sa toute puissance ? »

In Moniteur universel, n° 340 du 5 décembre 1792, p.1441.

Autre découpage du même discours

« Citoyens,

L’assemblée a été entraînée, à son insu, loin de la véritable question. Il n’y a point ici de procès à faire. Louis [XVI] n’est point un accusé ; vous n’êtes point des juges ; vous n’êtes, vous ne pouvez être que des hommes d’État, et les représentants de la nation. Vous n’avez point une sentence à rendre pour ou contre un homme ; mais une mesure de salut public à prendre, un acte de providence nationale à exercer. Un roi détrôné, dans la République, n’est bon qu’à deux usages : ou à troubler la tranquillité de l’État et à ébranler la liberté, ou à affermir l’une et l’autre à la fois. Or, je soutiens que le caractère qu’a pris jusqu’ici votre délibération va directement contre ce but.

En effet, quel est le parti que la saine politique prescrit pour cimenter la République naissante ? C’est de graver profondément dans les cœurs le mépris de la royauté, et de frapper de stupeur tous les partisans du roi. Donc, présenter à l’univers son crime comme un problème ; sa cause comme l’objet de la discussion la plus imposante, la plus religieuse, la plus difficile qui puisse occuper les représentants du peuple français ; mettre une distance incommensurable entre le seul souvenir de ce qu’il fut, et la dignité d’un citoyen, c’est précisément avoir trouvé le secret de le rendre encore dangereux à la liberté.

Louis fut roi, et la République est fondée : la question fameuse qui vous occupe est décidée par ces seuls mots. Louis a été détrôné par ses crimes ; Louis dénonçait le peuple français comme rebelle ; il a appelé, pour le châtier, les armées des tyrans, ses confrères ; la victoire et le peuple ont décidé que lui seul était rebelle : Louis ne peut donc être jugé : il est déjà condamné, ou la République n’est point absoute. Proposer de faire le procès à Louis XVI, de quelque manière que ce puisse être, c’est rétrograder vers le despotisme royal et constitutionnel ; c’est une idée contre-révolutionnaire ; car c’est mettre la Révolution elle-même en litige.

En effet, si Louis peut être encore l’objet d’un procès, il peut être absous ; il peut être innocent. Que dis-je ? il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé. Mais, si Louis est absous, si Louis peut être présumé innocent, que devient la Révolution ? Si Louis est innocent, tous les défenseurs de la liberté deviennent des calomniateurs. Tous les rebelles étaient les amis de la vérité et les défenseurs de l’innocence opprimée ; tous les manifestes des Cours étrangères ne sont que des réclamations légitimes contre une faction dominatrice. La détention même que Louis a subie jusqu’à ce moment est une vexation injuste ; les fédérés, le peuple de Paris, tous les patriotes de l’empire français sont coupables ; et ce grand procès, pendant au tribunal de la nature, entre le crime et la vertu, entre la liberté et la tyrannie, est enfin décidé en faveur du crime et de la tyrannie. (…)

Les peuples ne jugent pas comme les cours judiciaires ; ils ne rendent point de sentences ; ils lancent la foudre ; ils ne condamnent pas les rois, ils les replongent dans le néant ; et cette justice vaut bien celle des tribunaux. Si c’est pour leur salut qu’ils s’arment contre leurs oppresseurs, comment seraient-ils tenus d’adopter un mode de les punir qui serait pour eux un nouveau danger ? »

Robespierre, Discours et rapports à la Convention, Paris, Union Générale d’Editions (coll. 10/18), 1965, pp. 65-9.
Cité dans BOUQUET Françoise et Jean-Jacques, HERMAN Jacques, HUBLER Lucienne, 150 documents d’histoire générale, 1789-1973, Lausanne, Payot, 1974, p. 13-14.

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La Terreur

Le jacobin Laplanche écrit le 19 octobre 1793 à la Convention :

« Vous m’aviez envoyé dans les départements du Loiret et du Cher ; je n’avais pas des instructions particulières du Comité de salut public ; mais j’ai pensé que je devais me conduire révolutionnairement. J’ai mis partout la terreur à l’ordre du jour, j’ai taxé les riches et les aristocrates. »

Cité dans LEBRUN, François, « La logique de la Terreur », in L’Histoire no 113, juillet/août 1988.

Le citoyen Milhaud, représentant auprès de l’armée du Rhin à Strasbourg, le 6 novembre 1793 :

« La terreur est à l’ordre du jour sur cette frontière ; les tribunaux révolutionnaires et militaires rivalisent de sévérité contre les égoïstes et les conspirateurs ; tous les riches contre-révolutionnaires et fanatiques des villes et des campagnes sont arrêtés par nos ordres. »

Cité dans LEBRUN, François, « La logique de la Terreur », in L’Histoire no 113, juillet/août 1988.

Le 12 août 1793, Robespierre, qui est entré au Comité de salut public le 27 juillet, proclame à la tribune de la Convention :

« Que le glaive de la loi, planant avec une rapidité terrible sur la tête des conspirateurs, frappe de terreur leurs complices ! Que ces grands exemples anéantissent les séditions par la terreur qu ‘ils inspireront à tous les ennemis de la patrie ! »

Au cour des débats du Club, le jacobin Royer demande, le 30 août :

« Qu’on place la terreur à l’ordre du jour, c’est le seul moyen de donner l’éveil au peuple et de le forcer à se sauver lui-même. »

Cité dans LEBRUN, François, « La logique de la Terreur », in L’Histoire no 113, juillet/août 1988.

Dans son rapport du 18 novembre 1793 sur le gouvernement révolutionnaire, Billaud-Varenne, membre du Comité de salut public et s’exprimant au nom de celui-ci :

« Si les tyrans se font précéder de la terreur, cette terreur ne frappe jamais que sur le peuple. Au contraire, dans une république naissante, quand la marche de la révolution force le législateur de mettre la terreur à l’ordre du jour, c’est pour venger la nation de ses ennemis ; et l’échafaud, qui naguère était le partage du misérable et du faible, est enfin devenu ce qu’il doit être : le tombeau des traîtres, des intrigants, des ambitieux et des rois. »

Cité dans LEBRUN, François, « La logique de la Terreur », in L’Histoire no 113, juillet/août 1988.

Robespierre, dans un rapport présenté à la Convention le 5 février 1794 :

« Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur ; la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu’une conséquence du principe général de démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie. (…) Sous le régime constitutionnel, il suffit presque de protéger les individus contre l’abus de la puissance publique ; sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre toutes les factions qui l’attaquent. Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort. »

Cité dans LEBRUN, François, « La logique de la Terreur », in L’Histoire no 113, juillet/août 1988.
Il y a deux autres extraits du même discours plus loin dans cette page.

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Les suspects sous la Terreur

« Commune de Paris

Le 20e jour du 1er mois de l’an II de la République française. [20 vendémiaire an II = 11 octobre 1793]

Extrait du registre des délibérations du Conseil général.

Caractères qui doivent distinguer les hommes suspects, et à qui on doit refuser le certificat de civisme.

1 Ceux qui, dans les assemblées du peuple, arrêtent son énergie par des discours astucieux, des cris turbulents et des menaces.

2 Ceux qui, plus prudents, parlent mystérieusement des malheurs de la République, s’apitoyent sur le sort du peuple, et sont toujours prêts à répandre des mauvaises nouvelles avec une douleur affectée.

3 Ceux qui ont changé de conduite et de langage selon les événements; qui, muets sur les crimes des royalistes et des fédéralistes, déclament avec emphase contre les fautes légères des patriotes et affectent, pour paraître républicains, une austérité, une sévérité étudiées, et qui cèdent aussitôt qu’il s’agit d’un modéré ou d’un aristocrate.

4 Ceux qui plaignent les fermiers et les marchands avides contre lesquels la loi est obligée de prendre des mesures.

5 Ceux qui ayant toujours le mot de Liberté, République et Patrie sur les lèvres, fréquentent les ci-devant nobles, les prêtres contre-révolutionnaires, les aristocrates, les feuillants, les modérés, et s’intéressent à leur sort.

6 Ceux qui n’ont pris aucune part dans tout ce qui intéresse la révolution et qui, pour s’en disculper, font valoir le paiement de leurs contributions, leurs dons patriotiques, leur service de la garde-nationale par remplacement ou autrement, etc.

7 Ceux qui ont reçu avec indifférence la constitution républicaine et ont fait part de fausses craintes sur son établissement et sa durée.

8 Ceux qui n’ayant rien fait contre la liberté, n’ont aussi rien fait pour elle.

9 Ceux qui ne fréquentent pas leur section et donnent pour excuse qu’ils ne savent pas parler, ou que leurs affaires les en empêchent.

10 Ceux qui parlent avec mépris des autorités constituées, des signes de la loi, des sociétés populaires, des défenseurs de la liberté.

11 Ceux qui ont signé des pétitions contre-révolutionnaires, ou fréquenté des sociétés et clubs anti-civiques.

12 Les partisans de La Fayette et les assassins qui se sont transportés au Champ-de-Mars.

Le Conseil général, après avoir entendu la lecture des caractères qui distinguent les gens suspects, en approuve la rédaction, et considérant qu’il est du plus grand intérêt pour la République d’établir sur des bases fixes les motifs de rejet ou d’adoption pour les places,

Arrête l’impression, l’envoi aux quarante-huit sections et aux sociétés populaires des caractères distinctifs des gens suspects.

Signé : Lubin, vice-président, Dorat-Cubières, secrétaire, greffier-adjoint.

Pour copie conforme : Coulombeau, secrétaire-greffier. »

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Les sans-culottes

« Les sans-culottes, il ne faut pas les chercher dans les palais, ni dans les magasins des gros marchands et des trafiquants, mais dans les greniers qu’ils habitent. Veut-on connaître la fine fleur de la sans-culotterie, que l’on visite les galetas (mansardes) des ouvriers. »

Extrait de « Le Père Duchêne« 

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1987, p. 79.

« Dans tous les temps, dans tous les pays les gens de commerce n’eurent ni coeur, ni âme ; ils ne savent que tromper et voler ; ils tondraient sur un oeuf, et ils attraperaient jusqu’à leurs pères ; ils trafiquent de tout, même de chair humaine ; ce sont leurs vaisseaux qui vont sur les côtes d’Afrique enlever les nègres qu’ils traitent comme un vil bétail. Devait-on s’attendre que des êtres aussi vils deviendraient citoyens ? (…) La patrie, foutre ! Les négociants n’en ont point. Tant qu’ils ont cru que la révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue, ils ont prêté la main aux sans-culottes pour détruire la noblesse et les parlements ; mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates. »

Extrait de « Le Père Duchêne« 

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1987, p. 79.

« Un sans-culotte, Messieurs les Coquins ? C’est un être qui va toujours à pied, qui n’a point de millions, comme vous voudriez tous en avoir, point de châteaux, point de valets pour le servir, et qui loge tout simplement avec sa femme et ses enfants, s’il en a, au quatrième ou cinquième étage.

Il est utile, car il sait labourer un champ, forger, scier, limer, couvrir un toit, faire des souliers et verser jusqu’à la dernière goutte de son sang pour le salut de la République.

Le soir, il se présente à sa section, non pas poudré, musqué, botté dans l’espoir d’être remarqué de toutes les Citoyennes des tribunes, mais bien pour appuyer de toute sa force les bonnes motions, et pulvériser celles qui viennent de la faction abominable des hommes d’état.

Au reste, un sans-culotte a toujours son sabre avec le fil : pour fendre les oreilles de tous les malveillants, quelquefois il marche avec sa pique ; mais au premier son du tambour, on le voit partir pour la Vendée, pour l’armée des Alpes, ou pour l’armée du Nord. »

Extrait de « Le Père Duchêne« 

Cité dans « Histoire Seconde« , éditions Hachette, 1996, p. 189.

« Pour tuer d’un coup l’aristocratie fermière et marchande, que l’on divise toutes les grandes terres en petites métairies. Si, en même temps, on ne vend les domaines nationaux qu’en petites portions, si on met en culture tous les parcs des émigrés, (…) nous aurons des subsistances à revendre, et jamais nous n’éprouverons la disette. Pour faire cesser ce bougre de tripotage des agioteurs et la cupidité des marchands, que l’on double, que l’on triple l’armée révolutionnaire, foutre qu’il en soit envoyé de forts détachements dans tous les départements ; c’est le seul moyen d’établir le maximum. Que les têtes des affameurs du peuple tombent comme celles des traîtres et des conspirateurs…  »

Extrait de « Le Père Duchêne« 

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1987, p. 87.

« Le mot vous est contre le droit de l’égalité ; ce mot n’a été que pour appuyer les droits de la féodalité et le mot toi est le vrai nominatif dont les hommes libres doivent se servir. Les membres se traiteront de frères, se tutoieront et s’appelleront par citoyen en abjurant absolument le mot monsieur.  »

Extrait du Règlement de la société populaire de Sceaux, décembre 1792.

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1996, p. 217.

« Ce n’est pas assez d’avoir déclaré que nous sommes républicains français, il faut encore que le peuple soit heureux, il faut qu’il y ait du pain ; car où il n’y a plus de pain, il n’y a plus de lois, plus de liberté, plus de République.  »

Députation des 48 sections de Paris à la Convention, février 1793.

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1996, p. 217.

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La carmagnole

La carmagnole, ronde originaire du Piémont, reçut à la fin de 1792 des paroles révolutionnaires et devint la chanson des sans-culottes.

« Chantons notre victoire,
Vive le son (bis),
Chantons notre victoire,
Vive le son du canon.

Madame Veto avait promis
De faire égorger tout Paris.
Ses projets ont manqué
Grâce à nos canonniers

Dansons la carmagnole
Vive le son (bis),
Dansons la carmagnole
Vive le son du canon.

Monsieur Veto avait promis
D’être fidèle à son pays,
Mais il y a manqué
Le fourbe est encagé.

Dansons la carmagnole, etc. »

Cité dans « Histoire Seconde« , sous la direction de R. Frank, éditions Belin, 1996, p. 216.

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LE MESSIANISME RÉVOLUTIONNAIRE
Discours de Robespierre (1758-1794) du 17 décembre 1793 devant la Convention.

« Citoyens représentants du peuple, (…)

Au sortir du chaos où les trahisons d’une cour criminelle et le règne des factions avaient plongé le gouvernement, il faut que les législateurs du peuple français fixent les principes de leur politique envers les amis et les ennemis de la République ; il faut qu’ils déploient aux yeux de l’univers le véritable caractère de la nation qu’ils ont la gloire de représenter. Il est temps d’apprendre aux imbéciles qui l’ignorent, ou aux pervers qui feignent d’en douter, que la république française existe ; qu’il n’y a de précaire dans le monde que le triomphe du crime et la durée du despotisme ! Il est temps que nos alliés se confient à notre sagesse et à notre fortune, autant que les tyrans armés contre nous redoutent notre courage et notre puissance !

Que la liberté périsse en France, la nature entière se couvre d’un voile funèbre, et la raison humaine reculé jusqu’aux abîmes de l’ignorance et de la barbarie ; l’Europe serait la proie de deux ou trois brigands, qui ne vengeraient l’humanité qu’en se faisant la guerre, et dont le plus féroce, en écrasant ses rivaux, nous ramènerait au règne des Huns et des Tartares (…).

Oh ! qui de nous ne sent pas agrandir toutes ses facultés, qui de nous ne croit s’élever au-dessus de l’humanité même en songeant que ce n’est pas pour un peuple que nous combattons, mais pour l’univers ? pour les hommes qui vivent aujourd’hui mais pour tous ceux qui existeront ? (…)

Nous vous proposons à cet égard le décret suivant : (…)

La Convention nationale, (…)

Décrète ce qui suit :

Art. 1er. La Convention nationale déclare, au nom du peuple français, que la résolution constante de la République est de se montrer terrible envers ses ennemis, généreuse envers ses alliés, juste envers tous les peuples. (…) »

Maximilien de ROBESPIERRE, « Rapport sur la situation politique de la République « . Discours prononcé à la Convention le 27 Brumaire an II (17 décembre 1793).

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Un discours de Robespierre sur le gouvernement intérieur

« (…) Nous voulons un ordre de choses ou toutes les passions basses et cruelles soient inconnues, toutes les passions bienfaisantes et généreuses éveillées par les lois ; où l’ambition soit le désir de mériter la gloire et de servir la patrie ; où les distinctions ne naissent que de l’égalité même ; où le citoyen soit soumis au magistrat, le magistrat au peuple et le peuple à la justice ; où la patrie assure le bien-être de chaque individu et ou chaque individu jouisse avec orgueil de la prospérité et de la gloire de sa patrie ; où toutes les âmes s’agrandissent par la communication continuelle des sentiments républicains et par le besoin de mériter l’estime d’un grand peuple ; où les arts soient les décorations de la liberté qui les ennoblit, le commerce la source de la richesse publique, et non pas seulement de l’opulence monstrueuse de quelques maisons.

Nous voulons substituer, dans notre pays, la morale à l’égoïsme, la probité à l’honneur, les principes aux usages, les devoirs aux bienséances, l’empire de la raison à la tyrannie de la mode, le mépris du vice au mépris du malheur, la fierté à l’insolence, la grandeur d’âme à la vanité, l’amour de la gloire à l’amour de l’argent, les bonnes gens à la bonne compagnie, le mérite à l’intrigue, le génie au bel esprit, la vérité à l’éclat, le charme du bonheur aux ennuis de la volupté, la grandeur de l’homme à la petitesse des grands, un peuple magnanime, puissant et heureux, à un peuple aimable, frivole et misérable, c’est-à-dire toutes les vertus et tous les miracles de la République, à tous les vices et à tous les ridicules de la monarchie. (…)

Quelle nature de gouvernement peut réaliser ces prodiges ? Le seul gouvernement démocratique ou républicain (…). »

Robespierre, « Sur les principes de morale politique qui doivent guider la Convention nationale dans l’administration intérieure de la République », séance du 17 pluviôse an II (5 février 1794), « œuvres de Maximilien Robespierre « , Paris, PUF, 1967, t, X, p. 352.

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Robespierre et la Terreur

« Le but du gouvernement constitutionnel est de conserver la République, celui du gouvernement révolutionnaire est de la fonder. (…) Le gouvernement révolutionnaire a besoin d’une activité extraordinaire précisément parce qu’il est en guerre. Il est forcé de déployer sans cesse des ressources nouvelles et rapides pour des dangers nouveaux et pressants.

Sous le régime constitutionnel, il suffit de protéger les individus contre l’abus de la puissance publique ; sous le régime révolutionnaire, la puissance publique elle-même est obligée de se défendre contre les factions qui l’attaquent. Le gouvernement révolutionnaire doit aux bons citoyens toute la protection nationale ; il ne doit aux ennemis du peuple que la mort. »

Robespierre, Rapport du 25 décembre 1793.

Cité dans « Histoire Seconde« , collection J. Marseille, éditions Nathan, 1996, p. 181.

 » Il n’y a pas [d’autres] citoyens dans la République que les républicains. Les royalistes, les conspirateurs, ne sont pour elle que des étrangers ou plutôt des ennemis (…). La première maxime de votre politique doit être qu’on conduit le peuple par la raison et les ennemis du peuple par la terreur (…). La terreur n’est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible (…).

On a dit que la terreur était le ressort du gouvernement despotique. Le vôtre ressemble-t-il donc au despotisme ? (…) Que le despote gouverne par la terreur ses sujets abrutis ; domptez par la terreur les ennemis de la liberté. Le gouvernement de la révolution est le despotisme de la liberté contre la tyrannie. »

Robespierre, Discours à la Convention, 5 février 1794.

Cité dans Berstein et Milza, « Histoire Seconde« , éditions Hatier, 1996, p. 233.

 » Il existe une conspiration contre la liberté publique, elle doit sa force à une coalition criminelle qui intrigue au sein même de la Convention ; cette coalition a des complices dans le Comité de Sûreté générale ; des membres du Comité de Salut public entrent dans ce complot ; la coalition ainsi formée cherche à perdre les patriotes et la patrie.

Quel est le remède à ce mal ? Punir les traîtres, épurer le Comité de Sûreté générale ; épurer le Comité de Salut public lui-même.

Je suis fait pour combattre le crime non pour le gouverner.  »

Robespierre, Discours du 26 juillet 1794.

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Voici un tableau chronologique de la Révolution française sous forme d’image au format GIF (à imprimer en orientation « paysage »).

chronologie.revolution.gif

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BILAN de la Révolution

Ce qui a changé en France globalement

– Situation AVANT et APRES la Révolution

1. POUVOIR CENTRAL

Avant
– Pas de constitution écrite
– Le roi confond dans ses mains et détient les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
– Il est roi de droit divin.
– Il n’y a pas d’assemblée législative permanente.
– La royauté est héréditaire.

Après
– Une constitution écrite.
– Les trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire sont séparés.
– La nation détient la souveraineté.
– Une ou des assemblées législatives permanentes sont élues au suffrage censitaire ou universel.
– Le chef de l’Etat peut être un roi, un empereur ou un président de la République.

2. POUVOIRS LOCAUX

Avant
– 32 généralités, 40 gouvernements, 293 provinces ou « pays » : extrême complication, chevauchements et diversité des administrations.
– Confusion des compétences.
– Administration exercée surtout par des officiers propriétaires de leur charge, vénale et héréditaire.
– Amorce de centralisation par les intendants, seuls « commissaires » à dépendre directement du roi.

Après
– Départements (préfet), arrondissements, cantons, communes (maire) : simplicité et uniformité des circonscriptions.
– Pouvoirs strictement délimités et hiérarchisés.
– Fonctionnaires nommés et rétribués par le pouvoir central. (élus au début de la Révolution)
– Centralisation très forte et croissante avec les préfets.

3. MONNAIE ET FINANCES

Avant
– Livre tournois de 20 sous.
– Pas de banque centrale.
– Inégalité devant l’impôt : les privilégiés sont largement exemptés. (inégalité aussi entre provinces)
– Impôts indirects : prédominants, perçus par des fermiers généraux (gabelle, aides, péages, douanes intérieures et extérieures).
– Impôts directs : payés essentiellement par le Tiers Etat (taille royale, capitation, vingtième).
– Ni prévision, ni vote budgétaire.

Après
– Franc germinal de 100 centimes.
– Banque de France ayant le monopole d’émission des billets de banque.
– Principe de l’égalité de tous devant l’impôt.
– Impôts indirects : croissants, mais d’abord très minoritaires.
– Impôts directs : prédominants au moins au début.
– Budget proposé par le gouvernement et consenti par un vote du Parlement.

4. ORGANISATION JUDICIAIRE

Avant
– Diversité et confusion des juridictions entre justices : royale, ecclésiastique, seigneuriale.
– Juges propriétaires de leur charge.
– Justice payante.
– Diversité des droits utilisés : coutumier, romain.

Après
– Juridictions simplifiées et hiérarchisées.
– Juges magistrats rémunérés par le pouvoir central. (introduction du jury)
– Justice gratuite.
– Unification du droit par une série de codes. (code Napoléon)

5. EGLISE ET CULTE

Avant
– Concordat de 1516 définissant les rapports entre l’Eglise et l’Etat.
– Rôle social : état civil, enseignement, assistance.
– Rôle financier : le clergé a un statut fiscal privilégié ; il lève un impôt, la dîme, pour l’entretien du clergé séculier.
– L’Eglise est la plus grosse fortune de France ; elle possède un dixième des terres du pays.

Après
– Concordat de 1801 définissant les rapports entre l’Eglise et l’Etat.
– Rôle social : assistance et pendant longtemps enseignement.
– Abolition des impôts perçus par l’Eglise.
– Clergé séculier rémunéré par le budget des cultes.
– Droit de recevoir des donations, qui permet à l’Eglise de reconstituer peu à peu sa fortune.

6. VIE ÉCONOMIQUE

Avant
– Droits seigneuriaux pesant sur la terre.
– Douanes intérieures.
– Pas d’unité des poids et mesures.
– « Compagnies à charte » ayant monopole du commerce extérieur.
– Exclusif et « monopole du pavillon » pour le commerce colonial.
– Protection douanière.
– Réglementation du travail artisanal par les corporations.

Après
– Abolition des droits seigneuriaux sur la terre.
– Suppression des douanes intérieures.
– Système décimal unifié pour les poids et mesures.
– Suppression des compagnies à charte.
– Maintien de l’exclusif.
– Protection douanière.
– Abolition des corporations ; libre concurrence entre les producteurs.

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