Révolution industrielle et émigration paysanne

« Une révolution silencieuse s’accomplit dans la société, une révolution à laquelle il faut se soumettre et qui se soucie des existences humaines qu’elle sacrifie aussi peu qu’un tremblement de terre s’inquiète des maisons qu’il détruit. Les classes [sociales] et les races qui sont trop faibles pour maîtriser les nouvelles conditions de la vie doivent succomber. Peut-il y avoir quelques chose de plus puéril et de plus borné que les opinions de ces économistes qui se figurent très sérieusement que ce lamentable état de transition ne signifie rien d’autre que l’adaptation de la société à l’instinct de gain des capitalistes, propriétaires fonciers ou barons de la finance ? En Grande-Bretagne, ce processus est transparent. L’application des méthodes scientifiques à la production expulse les hommes de la campagne et les concentre dans les villes industrielles.

(…) La population paysanne, l’élément le plus sédentaire et le plus conservateur de la société disparaît, tandis que le prolétariat industriel, à cause précisément du mode moderne de production, se voit entassé dans de grands centres, où il est entouré des puissantes forces productives dont la genèse a été jusqu’ici le martyrologe des travailleurs. Qui est-ce qui empêchera les ouvriers de faire un pas de plus et de s’emparer des forces qui se sont jusqu’ici emparées d’eux ? Où sera la puissance capable de leur résister ? Nulle part ! »

extrait de Karl Marx, « L’Emigration forcée », 1853, W VIII, p. 544-545

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La Monarchie de juillet jugée par Karl Marx

« Après la révolution de juillet [1830], lorsque le banquier libéral Laffite conduisait en triomphe son compère le duc d’Orléans [le nouveau roi Louis-Philippe après l’abdication de Charles X] à l’hôtel de ville, il laissa échapper ces mots :  » Maintenant, c’est le début du règne des banquiers. » Laffite avait trahi le secret de la révolution. La bourgeoisie française ne régnait pas sous Louis-Philippe, c’était une fraction de celle-ci : banquiers, rois de la Bourse, rois des chemins de fer, propriétaires de mines de charbon et de fer, propriétaires de forêts et la partie de la propriété foncière ralliée à eux, ce que l’on appelle l’aristocratie financière. Elle trônait, elle dictait les lois aux Chambres, distribuait les charges publiques, depuis les ministères jusqu’aux bureaux de tabac.

La bourgeoisie industrielle proprement dite formait une partie de l’opposition officielle, c’est-à-dire qu’elle était minoritaire dans les Chambres. Son opposition se fit de plus en plus résolue au fur et à mesure que le développement de l’hégémonie de l’aristocratie financière devenait plus net ; après les émeutes de 1832, 1834 et 1839 qu’elle noya dans le sang, elle crut elle-même sa domination sur la classe ouvrière plus assurée …

La petite bourgeoisie dans toutes ses nuances et la classe paysanne étaient complètement exclues du pouvoir politique. Enfin se trouvaient dans l’opposition officielle, ou complètement en dehors du pays légal, les représentants idéologiques et les porte-parole des classes que nous venons de citer, leurs savants, leurs avocats, leurs médecins, etc., en un mot ce que l’on appelait les capacités.

Dès le début, la pénurie financière mit la monarchie de juillet sous la dépendance de la haute bourgeoisie … L’endettement de l’Etat était … l’intérêt direct de la fraction bourgeoise qui gouvernait et légiférait avec les Chambres. Le déficit de l’Etat était l’objet même de ses spéculations et la source principale de son enrichissement. A la fin de chaque année, nouveau déficit. Au bout de quatre ou cinq ans, nouvel emprunt. Or chaque nouvel emprunt fournissait à l’aristocratie financière une nouvelle occasion de frustrer l’Etat, qui, maintenu artificiellement au bord de la banqueroute, était obligé de traiter avec les banquiers, dans les conditions les plus défavorables … Le pillage de l’Etat en grand, tel qu’il se pratiquait avec les emprunts, se répétait en détail dans les travaux publics. Les relations entre la Chambre et le Gouvernement se trouvaient multipliées sous forme de relations entre certaines administrations et certains entrepreneurs …

La monarchie de juillet n’était qu’une société par actions fondée pour exploiter la richesse nationale française, dont les dividendes étaient partagés entre les ministres, les Chambres, deux cent quarante mille électeurs et leur clientèle. Louis-Philippe était le directeur de cette société : Robert Macaire sur le trône. Le commerce, l’industrie, l’agriculture, la navigation, les intérêts de la bourgeoisie industrielle étaient menacés et lésés sans cesse par ce système …

La bourgeoisie industrielle voyait ses intérêts menacés, la petite bourgeoisie était moralement indignée, l’imagination populaire s’insurgeait. Paris était inondée de pamphlets : « La dynastie Rothschild », « Les Juifs, rois de l’époque », etc., où l’on dénonçait, flétrissait avec plus ou moins d’esprit, la domination de l’aristocratie financière.

Rien pour la gloire ! La paix partout et toujours ! La guerre pèse sur le cours du trois et du quatre pour cent. Voilà ce qu’avait écrit sur son drapeau la France des Juifs de la Bourse. Aussi sa politique étrangère sombra-t-elle dans une série d’humiliations du sentiment national français, qui réagissait avec d’autant plus de vivacité que l’annexion de Cracovie par l’Autriche avait consommé le pillage de la Pologne et que Guisot, dans la guerre du Sonderbund helvète, s’était mis activement du côté de la Sainte-Alliance. La victoire des libéraux suisses dans ce semblant de guerre redonna de la confiance à l’opposition bourgeoise en France, le soulèvement sanglant du peuple à Palerme agit comme une décharge électrique sur la masse populaire paralysée et réveilla ses grands souvenirs et ses passions révolutionnaires. »

Extrait de Les luttes de classes en France , édit. le/18, pp. 68-73

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Lettre de Karl Marx à Proudhon, le 5 mai 1846

C’est en 1846 que Marx, Engels et également Philippe Gigot organisèrent un réseau de correspondants dispersés à travers l’Europe et portant le nom de «Comités de correspondance communistes ». Karl Marx, alors à Bruxelles, envoie des lettres à différentes personnes pour constituer ce réseau communiste. Ici, Karl Marx essaie de convaincre Proudhon d’en faire partie. Proudhon va refuser.

« Conjointement avec deux de mes amis, Frédéric Engels et Philippe Gigot (tout deux à Bruxelles) j’ai organisé avec les communistes et socialistes allemands une correspondance suivie, qui devra s’occuper de la discussion de questions scientifiques, de la surveillance à exercer sur les écrits populaires, et de la propagande socialiste qu’on peut faire en Allemagne par ce moyen. Le but principal de notre correspondance sera pourtant celui de mettre les socialistes allemands en rapport avec les socialistes français et anglais ; de tenir les étrangers au courant des mouvements socialistes qui seront opérés en Allemagne et d’informer les Allemands en Allemagne des progrès du socialisme en France et en Angleterre. De cette manière, les différences d’opinions pourront se faire jour ; on arrivera à un échange d’idées et à une critique impartiale. C’est là un pas que le mouvement social aura fait dans son expression littéraire, afin de se débarrasser des limites de la nationalité. Et au moment de l’action il est certainement d’un grand intérêt pour chacun d’être instruit de l’état des affaires à l’étranger aussi bien que chez lui. Outre les communistes en Allemagne, notre correspondance comprendra aussi les socialistes allemands à Paris et à Londres. Nos rapports avec l’Angleterre sont déjà établis ; quant à la France, nous croyons tous que nous ne pouvons y trouver un meilleur correspondant que vous : vous savez que les Anglais et les Allemands vous ont jusqu’à présent mieux apprécié que vos propres compatriotes.
Vous voyez donc qu’il ne s’agit que de créer une correspondance régulière, et de lui assurer les moyens de poursuivre le mouvement social dans les différents pays, d’arriver à un intérêt riche et varié, comme le travail d’un seul ne pourra jamais le réaliser .»

Tiré du « Manifeste du Parti communiste » de Marx et Engels, édition Nathan de 1992.

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Qu’est-ce que la société ?

« Qu’est-ce que la société, quelle que soit sa forme ? Le produit de l’action réciproque des hommes. Les hommes sont-ils libres de choisir telle ou telle forme sociale ? Pas du tout. Posez un certain état de développement des facultés productives des hommes et vous aurez une telle forme de commerce et de consommation. Posez de certains degrés de développement de la production, du commerce, de la consommation, et vous aurez telle forme de constitution sociale, telle organisation de famille, des ordres ou des classes, en un mot telle société civile. Posez telle société civile, et vous aurez tel État politique, qui n’est que l’expression officielle de la société civile. (…) :

Il n’est pas nécessaire d’ajouter que les hommes ne sont pas libres arbitres de leurs forces productives – qui sont la base de toute leur histoire – car toute force productive est une force acquise, le produit d’une activité antérieure. Ainsi les forces productives sont le résultat de l’énergie pratique des hommes, mais cette énergie elle-même est circonscrite par les conditions dans lesquelles les hommes se trouvent placés, par les forces productives déjà acquises, par la forme sociale qui existe avant eux, qu’ils ne créent pas, qui est la production de la génération antérieure. (…)

Les hommes ne renoncent jamais à ce qu’ils ont gagné, mais cela ne vient pas à dire qu’ils ne renoncent jamais à la forme sociale, dans laquelle ils ont acquis certaines forces productives. Tout au contraire. Pour ne pas être privé du résultat obtenu, pour ne pas perdre les fruits de la civilisation, les hommes sont forcés, du moment où le mode de leur commerce ne correspond plus aux forces productives acquises, de changer toutes leurs formes sociales traditionnelles. (…)

Ainsi les formes économiques sous lesquelles les hommes produisent, consomment, échangent, sont transitoires et historiques. Avec de nouvelles facultés productives acquises, les hommes changent leur mode de production, et avec leur mode de production, ils changent tous les rapports économiques qui n’ont été que les relations nécessaires de ce mode de production déterminé.»

K. Marx, Lettre à Paul Annenkov, 26 décembre 1846, in Etudes philosophiques, Editions Sociales 1968, pp. 147-149.


Principes du communisme (1847)

« X. PAR QUOI LE PROLETAIRE SE DISTINGUE-T-IL DE L’OUVRIER DE MANUFACTURE ?

L’ouvrier de manufacture du XVIe au XVIIIe siècle avait encore presque partout en sa possession un instrument de travail : son métier à tisser, son rouet pour sa famille, un petit champ qu’il cultivait pendant ses heures de loisir. Le prolétaire n’a rien de tout cela. L’ouvrier de manufacture vit presque toujours à la campagne et entretient des rapports plus ou moins patriarcaux avec son propriétaire ou son employeur. Le prolétaire vit dans les grandes villes et n’a avec son employeur qu’un simple rapport d’argent. L’ouvrier de manufacture est arraché par la grande industrie à ses rapports patriarcaux, perd la petite propriété qui lui restait encore et c’est alors qu’il devient un prolétaire.

XI. QUELLES FURENT LES CONSEQUENCES DIRECTES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ET DE LA DIVISION DE LA SOCIETE EN BOURGEOIS ET PROLETAIRES ?

Premièrement, le vieux système de la manufacture ou de l’industrie reposant sur le travail manuel fut complètement détruit, par suite de la diminution des prix des produits industriels réalisée dans tous les pays à la suite de l’introduction du machinisme. Tous les pays semi-barbares, qui étaient restés jusque-là plus ou moins en dehors du développement historique et dont l’industrie avait reposé sur le système de la manufacture, furent violemment arrachés à leur isolement. Ils achetèrent les marchandises anglaises à bon marché et laissèrent mourir de faim leurs propres ouvriers de manufacture. C’est ainsi que des pays qui n’avaient réalisé aucun progrès depuis des siècles, tels que l’Inde, furent complètement révolutionnés et que la Chine elle-même va maintenant au-devant d’une révolution. L’invention d’une nouvelle machine en Angleterre peut avoir pour résultat de condamner à la famine, en l’espace de quelques années, des millions d’ouvriers chinois. De cette manière, la grande industrie a relié les uns aux autres tous les peuples de la terre, transformé tous les marchés locaux en un vaste marché mondial, préparé partout le terrain au progrès et à la civilisation et fait en sorte que tout ce qui se passe dans les pays civilisés doit nécessairement exercer ses répercussions sur tous les autres pays ; de sorte que si, maintenant, les ouvriers se libèrent en Angleterre ou en France, cela doit entraîner comme conséquence dans tous les autres pays des révolutions qui, tôt ou tard, aboutiront, là aussi, à la libération des ouvriers.
Deuxièmement, la révolution industrielle, partout où la grande industrie a remplacé la production manufacturière, a eu pour résultat un développement extraordinaire de la bourgeoisie, de ses richesses et de sa puissance, et a fait d’elle la première classe de la société. En conséquence, partout où cela s’est produit, la bourgeoisie s’est emparée du pouvoir politique et a évincé les classes jusque-là dominantes : l’aristocratie et les maîtres de corporations, ainsi que la monarchie absolue qui les représentait toutes deux. La bourgeoisie anéantit la puissance de l’aristocratie, de la noblesse, en supprimant les majorats, c’est-à-dire l’inaliénabilité de la propriété foncière, ainsi que tous les privilèges féodaux. Elle détruisit la grande puissance des maîtres de jurande, en supprimant toutes les corporations et tous les privilèges corporatifs. Elle leur substitua la libre concurrence, c’est-à-dire un état de la société où chacun a le droit d’exercer la branche d’activité qui lui plaît et où rien ne peut l’arrêter dans cette activité que l’absence du capital nécessaire. L’introduction de la libre concurrence est, par conséquent, la proclamation publique que, désormais, les membres de la société ne sont inégaux que dans la mesure où leurs capitaux sont inégaux, que le capital est la puissance décisive et qu’ainsi les capitalistes, les bourgeois, sont devenus la première classe de la société. Mais la libre concurrence est indispensable, au début, au développement de la grande industrie, parce qu’elle est le seul régime qui permette à la grande industrie de croître. Après avoir ainsi anéanti la puissance sociale de la noblesse et de la corporation, la bourgeoisie anéantit également leur puissance politique. Devenue la première classe au point de vue économique, elle se proclame également la première classe au point de vue politique. Elle y parvient au moyen de l’introduction du système représentatif, qui repose sur l’égalité bourgeoise devant la loi et la reconnaissance légale de la libre concurrence, et qui fut établi dans les pays d’Europe sous la forme de la monarchie constitutionnelle. Dans ces monarchies constitutionnelles n’ont le droit de vote que ceux qui possèdent un certain capital, par conséquent seulement les bourgeois. Les électeurs bourgeois élisent des députés bourgeois et ces derniers, usant du droit de refuser les impôts, élisent à leur tour un gouvernement bourgeois.
Troisièmement, la révolution industrielle a partout provoqué le développement du prolétariat dans la mesure même où elle permettait le développement de la bourgeoisie elle-même. Au fur et à mesure que les bourgeois s’enrichissaient le nombre des prolétaires augmentait, car, étant donné que les prolétaires ne peuvent être occupés que par le capital et que le capital ne peut s’accroître qu’en occupant des ouvriers, il en résulte que l’augmentation du prolétariat va exactement de pair avec l’augmentation du capital. La révolution industrielle a également pour résultat de grouper les bourgeois comme les prolétaires dans de grandes agglomérations, où l’industrie est pratiquée avec le plus d’avantages, et de donner au prolétariat, par cette concentration des grandes masses dans un même espace, la conscience de sa force. D’autre part, plus la révolution industrielle se développe, plus on invente de nouvelles machines qui éliminent le travail manuel, plus la grande industrie a tendance, comme nous l’avons déjà dit, à abaisser le salaire à son minimum, rendant ainsi la situation du prolétariat de plus en plus précaire. La révolution industrielle prépare ainsi, du fait du mécontentement croissant du prolétariat, d’une part, et du fait du développement de sa puissance, d’autre part, une révolution sociale que conduira le prolétariat.

XII. QUELLES FURENT LES AUTRES CONSEQUENCES DE LA REVOLUTION INDUSTRIELLE ?

La grande industrie créa, avec la machine à vapeur et autres machines, les moyens d’augmenter rapidement, à peu de frais et jusqu’à l’infini la production industrielle. La libre concurrence imposée par cette grande industrie prit rapidement, à cause de cette facilité de la production, un caractère extrêmement violent. Un nombre considérable de capitalistes se jetèrent sur l’industrie, et bientôt on produisit plus qu’on ne pouvait consommer. La conséquence fut que les marchandises fabriquées ne trouvèrent pas preneur et que survint ce qu’on appelle une crise commerciale. Les usines durent arrêter le travail ; les fabricants firent faillite et les ouvriers furent condamnés à la famine. Il en résulta partout une grande misère. Au bout de quelque temps, les produits superflus vendus, les usines commencèrent de nouveau à travailler, les salaires augmentèrent et, peu à peu, les affaires marchèrent mieux que jamais. Mais pas pour longtemps, car, de nouveau, on produisit trop de marchandises et une nouvelle crise se produisit, qui prit exactement le même cours que la précédente. C’est ainsi que, depuis le début de ce siècle, l’état de l’industrie a constamment oscillé entre des périodes de prospérité et des périodes de crise, et presque régulièrement, tous les cinq ou sept ans, une crise semblable s’est produite, entraînant chaque fois une grande misère pour les ouvriers, une agitation révolutionnaire générale, et un extrême danger pour tout le régime existant. »

in ENGELS, Friedrich, Principes du communisme (1847), d’après la traduction aux Éditions sociales, Paris, 1968
sur https://www.marxists.org/francais/marx/47-pdc.htm, II 2015

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Le manifeste du parti communiste (1848)

BOURGEOIS ET PROLETAIRES

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de luttes de classes.

Homme libre et esclave, patricien et plébéien, baron et serf, maître de jurande et compagnon, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante, ont mené une guerre ininterrompue, tantôt ouverte, tantôt dissimulée, une guerre qui finissait toujours soit par une transformation révolutionnaire de la société tout entière, soit par la destruction des deux classes en lutte.(…)

La société bourgeoise moderne, élevée sur les ruines de la société féodale, n’a pas aboli les antagonismes de classes. Elle n’a fait que substituer de nouvelles classes, de nouvelles conditions d’oppression, de nouvelles formes de lutte à celles d’autrefois.

Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l’époque de la bourgeoisie, est d’avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.

Des serfs du moyen âge naquirent les petits bourgeois des premières villes ; de cette population municipale sortirent les premiers éléments de la bourgeoisie. La découverte de l’Amérique, la circumnavigation de l’Afrique offrirent à la bourgeoisie naissante un nouveau champ d’action. Les marchés des Indes Orientales et de la Chine, la colonisation de l’Amérique, le commerce colonial, la multiplication des moyens d’échange et, en général, des marchandises donnèrent un essor jusqu’alors inconnu au négoce, à la navigation, à l’industrie et assurèrent, en conséquence, un développement rapide à l’élément révolutionnaire de la société féodale en dissolution.

L’ancien mode d’exploitation féodal ou corporatif de l’industrie ne suffisait plus aux besoins qui croissaient sans cesse à mesure que s’ouvraient de nouveaux marchés. La manufacture prit sa place. La moyenne bourgeoisie industrielle supplanta les maîtres de jurande ; la division du travail entre les différentes corporations céda la place à la division du travail au sein de l’atelier même.

Mais les marchés s’agrandissaient sans cesse : la demande croissait toujours. La manufacture, à son tour, devint insuffisante. Alors, la vapeur et la machine révolutionnèrent la production industrielle. La grande industrie moderne supplanta la manufacture ; la moyenne bourgeoisie industrielle céda la place aux millionnaires de l’industrie, aux chefs de véritables armées industrielles, aux bourgeois modernes.

La grande industrie a créé le marché mondial, préparé par la découverte de l’Amérique. Le marché mondial accéléra prodigieusement le développement du commerce, de la navigation, des voies de communication terrestres. Ce développement réagit à son tour sur l’extension de l’industrie ; et, au fur et à mesure que l’industrie, le commerce, la navigation, les chemins de fer se développaient, la bourgeoisie grandissait, décuplant ses capitaux et refoulant à l’arrière-plan les classes léguées par le moyen âge.

La bourgeoisie moderne, nous le voyons, est elle-même le produit d’un long développement, d’une série de révolutions dans les modes de production et d’échange.(…)

La bourgeoisie a joué dans l’histoire un rôle éminemment révolutionnaire.

Partout où elle a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales et idylliques. Tous les liens complexes et variés qui unissent l’homme féodal à ses supérieurs naturels, elle les a brisés sans pitié pour ne laisser subsister d’autre lien, entre l’homme et l’homme, que le froid intérêt, les dures exigences du paiement au comptant . Elle a noyé les frissons sacrés de l’extase religieuse, de l’enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d’échange ; elle a substitué aux nombreuses libertés si chèrement conquises, l’unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l’exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. (…)

Toutes les classes qui, dans le passé, se sont emparées du pouvoir essayaient de consolider leur situation acquise en soumettant la société aux conditions qui leur assuraient leurs revenus propres. Les prolétaires ne peuvent se rendre maîtres des forces productives sociales qu’en abolissant leur propre mode d’appropriation d’aujourd’hui et, par suite, tout le mode d’appropriation en vigueur jusqu’à nos jours. Les prolétaires n’ont rien à sauvegarder qui leur appartienne, ils ont à détruire toute garantie privée, toute sécurité privée antérieure.

Tous les mouvements historiques ont été, jusqu’ici, accomplis par des minorités ou au profit des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement spontané de l’immense majorité au profit de l’immense majorité. Le prolétariat, couche inférieure de la société actuelle, ne peut se soulever, se redresser, sans faire sauter toute la superstructure des couches qui constituent la société officielle.

La lutte du prolétariat contre la bourgeoisie, bien qu’elle ne soit pas, quant au fond, une lutte nationale, en revêt cependant tout d’abord la forme. Il va sans dire que le prolétariat de chaque pays doit en finir, avant tout, avec sa propre bourgeoisie. (… )

Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais, pour opprimer une classe, il faut pouvoir lui garantir des conditions d’existence qui lui permettent, au moins, de vivre dans la servitude. Le serf, en plein servage, est parvenu à devenir membre d’une commune, de même que le petit bourgeois s’est élevé au rang de bourgeois, sous le joug de l’absolutisme féodal. L’ouvrier moderne au contraire, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, descend toujours plus bas, au-dessous même des conditions de vie de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme s’accroît plus rapidement encore que la population et la richesse. Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir plus longtemps son rôle de classe dirigeante et d’imposer à la société, comme loi régulatrice, les conditions d’existence de sa classe. (…)

L’existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l’accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l’accroissement du Capital ; la condition d’existence du capital, c’est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie est l’agent sans volonté propre et sans résistance, substitue à l’isolement des ouvriers résultant de leur concurrence, leur union révolutionnaire par l’association. Ainsi, le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d’appropriation. Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables. »

Extraits de K. Marx – F. Engels, « Manifeste du parti Communiste », Londres, 1848

La doctrine marxiste (autre découpage et extraits)

« L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de la lutte de classes. (…) La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. A mesure que grandit la bourgeoisie, se développe aussi le prolétariat, la classe des ouvriers modernes (…).

Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution du prolétariat en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. (…) Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher peu à peu à la bourgeoisie tout capital, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’Etat (…) Cela ne pourra se faire, naturellement, au début, que par une intervention despotique dans le droit de propriété et les rapports bourgeois de production (…)

A la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association dans laquelle le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »

K. Marx – F. Engels, « Manifeste du parti communiste », Londres, 1848.

Bourgeoisie, salaire et prolétariat

« La condition essentielle de l’existence et de la domination de la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse entre les mains des particuliers, la formation et l’accroissement du capital ; la condition d’existence du capital, c’est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie, dont la bourgeoisie reste l’agent sans volonté et sans résistance, substitue à l’isolement des ouvriers qui résulte de leur concurrence, leur union révolutionnaire par l’association. Le développement de la grande industrie sape sous les pieds de la bourgeoisie le terrain même sur lequel elle a bâti son système de production et d’appropriation. La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Son déclin et la victoire du prolétariat sont également inévitables. »

Karl Marx, Le manifeste du parti communiste (1848) Paris, 10/18, 1993, chap. I, p. 34

La victoire du prolétariat est inévitable

« En esquissant à grands traits les phases du développement du prolétariat, nous avons retracé l’histoire de la guerre civile, plus ou moins larvée, qui travaille la société actuelle jusqu’à l’heure où cette guerre éclate en révolution ouverte, et où le prolétariat fonde sa domination par le renversement violent de la bourgeoisie.

Toutes les sociétés antérieures, nous l’avons vu, ont reposé sur l’antagonisme de classes oppressives et de classes opprimées. Mais, pour opprimer une classe, il faut pouvoir lui garantir des conditions d’existence qui lui permettent, au moins, de vivre dans la servitude [et d’améliorer si possible son sort]. L’ouvrier moderne au contraire, loin de s’élever avec le progrès de l’industrie, descend toujours plus bas, au-dessous même des conditions de vie de sa propre classe. Le travailleur devient un pauvre, et le paupérisme s’accroît plus rapidement encore que la population et la richesse. Il est donc manifeste que la bourgeoisie est incapable de remplir plus longtemps son rôle de classe dirigeante (…). La société ne peut plus vivre sous sa domination, ce qui revient à dire que l’existence de la bourgeoisie n’est plus compatible avec celle de la société.

L’existence et la domination de la classe bourgeoise ont pour condition essentielle l’accumulation de la richesse aux mains des particuliers, la formation et l’accroissement du Capital ; la condition d’existence du capital, c’est le salariat. Le salariat repose exclusivement sur la concurrence des ouvriers entre eux. Le progrès de l’industrie, (…) [grâce à la concentration des prolétaires dans les usines favorise] leur union révolutionnaire par l’association. Ainsi, le développement de la grande industrie sape, sous les pieds de la bourgeoisie, le terrain même sur lequel elle a établi son système de production et d’appropriation . Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables. »

Extrait du « Manifeste du Parti communiste » de Karl Marx, 1848.

La dictature du prolétariat

« La première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe régnante, la conquête du pouvoir public par la démocratie. Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production dans les mains de l’Etat, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe régnante, et pour augmenter au plus vite les masses des forces productives disponibles. Ceci, naturellement, ne pourra s’accomplir, au début, que par une violation despotique des droits de propriété et des rapports de production bourgeoise, c’est-à-dire par la prise de mesures qui, au point de vue économique, paraîtront insuffisantes et insoutenables ».

Karl Marx et Frederick Engels, Le manifeste du parti communiste, 1848, cité dans Henry-Thierry Deschamp et René Paligo, époque comptemporaine, Tome 4, 1789-1870 collection recueil de textes historiques, édition H. Dessain (traduction française Karl MARX et Frédéric ENGELS, Manifeste du Parti Communiste,
Paris, V. Glard et E. Brière, 1897.)

Le but des communistes

« Le but immédiat des communistes est le même que celui de tous les partis ouvriers : constitution des prolétaires en classe, renversement de la domination bourgeoise, conquête du pouvoir politique par le prolétariat. Les conceptions théoriques des communistes (…) ne sont que l’expression générale des conditions réelles d’une lutte de classes existante, d’un mouvement historique qui se déroule sous nos yeux. L’abolition des rapports de propriété qui ont existé jusqu’ici n’est pas le caractère distinctif du communisme. Le régime de la propriété a subi de continuels changements, de continuelles transformations historiques. La Révolution française, par exemple, a aboli la propriété féodale au profit de la propriété bourgeoise. Ce qui caractérise le communisme, ce n’est pas l’abolition de la propriété en général, mais l’abolition de la propriété bourgeoise. Or, la propriété privée d’aujourd’hui, la propriété bourgeoise est la dernière et la plus parfaite expression du mode de production et d’appropriation fondé sur des antagonismes de classes, sur l’exploitation des uns par les autres.En ce sens, les communistes peuvent résumer leur théorie dans cette formule unique : abolition de la propriété privée. »

Karl Marx, Le manifeste du parti communiste (1848) Paris, 10/18, 1993, chap. II, p. 36

Le programme communiste du prolétariat

« L’exploitation d’une partie de la société par l’autre est un fait commun à tous les siècles passés. Donc, rien d’étonnant si la conscience sociale de tous les siècles, en dépit de toute sa variété et de sa diversité, se meut dans certaines formes communes, formes de conscience qui ne se dissoudront complètement qu’avec l’entière disparition de l’antagonisme des classes [sociales].
La révolution communiste est la rupture la plus radicale avec le régime traditionnel de propriété ; rien d’étonnant si, dans le cours de son développement, elle rompt de la façon la plus radicale avec les idées traditionnelles.
Mais laissons là les objections faites par la bourgeoisie au communisme.
Nous avons déjà vu plus haut que la première étape dans la révolution ouvrière est la constitution du prolétariat en classe dominante, la conquête de la démocratie.
Le prolétariat se servira de sa suprématie politique pour arracher petit à petit tout le capital à la bourgeoisie, pour centraliser tous les instruments de production entre les mains de l’État, c’est-à-dire du prolétariat organisé en classe dominante, et pour augmenter au plus vite la quantité des forces productives.
Cela ne pourra naturellement se faire, au début, que par une violation despotique du droit de propriété et du régime bourgeois de production, c’est-à-dire par des mesures qui, économiquement, paraissent insuffisantes et insoutenables, mais qui, au cours du mouvement, se dépassent elles-mêmes et sont indispensables comme moyen de bouleverser le mode de production tout entier.
Ces mesures, bien entendu, seront fort différentes dans les différents pays.
Cependant, pour les pays les plus avancés, les mesures suivantes pourront assez généralement être mises en application :
1. Expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’État.
2. Impôt fortement progressif.
3. Abolition de l’héritage.
4. Confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles.
5. Centralisation du crédit entre les mains de l’État, au moyen d’une banque nationale, dont le capital appartiendra à l’État et qui jouira d’un monopole exclusif.
6. Centralisation entre les mains de l’État de tous les moyens de transport.
7. Multiplication des manufactures nationales et des instruments de production ; défrichement des terrains incultes et amélioration des terres cultivées, d’après un plan d’ensemble.
8. Travail obligatoire pour tous ; organisation d’armées industrielles, particulièrement pour l’agriculture.
9. Combinaison du travail agricole et du travail industriel ; mesures tendant à faire graduellement disparaître la distinction entre la ville et la campagne.
10. Éducation publique et gratuite de tous les enfants. Abolition du travail des enfants dans les fabriques tel qu’il est pratiqué aujourd’hui. Combinaison de l’éducation avec la production matérielle, etc.
Les antagonismes des classes une fois disparus dans le cours du développement, toute la production étant concentrée dans les mains des individus associés, alors le pouvoir public perd son caractère politique. Le pouvoir politique, à proprement parler, est le pouvoir organisé d’une classe pour l’oppression d’une autre. Si le prolétariat, dans sa lutte contre la bourgeoisie, se constitue forcément en classe, s’il s’érige par une révolution en classe dominante et, comme classe dominante, détruit par la violence l’ancien régime de production, il détruit, en même temps que ce régime de production, les conditions de l’antagonisme des classes, il détruit les classes en général et, par là même, sa propre domination comme classe.
À la place de l’ancienne société bourgeoise, avec ses classes et ses antagonismes de classes, surgit une association où le libre développement de chacun est la condition du libre développement de tous. »

in Karl Marx, Friedrich Engels, Le Manifeste du Parti Communiste, 2006 (1848), http://www.ebooksgratuits.com/, pp. 60-63

Le Manifeste, préface à l’édition allemande de 1883

« Il me faut malheureusement signer seul la préface de cette édition.

Marx, l’homme auquel toute la classe ouvrière d’Europe et d’Amérique doit plus qu’à tout autre, Marx repose au cimetière de Highgate, et sur sa tombe verdit déjà le premier gazon. Après sa mort, il ne saurait être question moins que jamais de remanier ou de compléter le Manifeste. Je crois d’autant plus nécessaire d’établir expressément, une fois de plus, ce qui suit.

L’idée fondamentale et directrice du Manifeste, à savoir que la production économique et la structure sociale qui en résulte nécessairement forment, à chaque époque historique, la base de l’histoire politique et intellectuelle de cette époque; que, par suite (depuis la dissolution de la propriété commune du sol des temps primitifs), toute l’histoire a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploitées et classes exploitantes, entre classes dominées et classes dominantes, aux différentes étapes de leur développement social ; mais que cette lutte a actuellement atteint une étape où la classe exploitée et opprimée (le prolétariat) ne peut plus se libérer de la classe qui l’exploite et l’opprime (la bourgeoisie), sans libérer en même temps et à tout jamais la société entière de l’exploitation, de l’oppression et des luttes de classes; cette idée maîtresse appartient uniquement et exclusivement à Marx.

Je l’ai souvent déclaré, mais il faut maintenant que cette déclaration figure aussi en tête du Manifeste.

Friedrich Engels
Londres, 28 juin 1883 »

Karl Marx et Friedrich Engels, « Manifeste du Parti communiste », in Etudes Marxistes No 41, INEM, février 1998, p. 7

Préface à l’édition anglaise du « Manifeste du Parti communiste » de 1888

 » Le Manifeste est le programme de la Ligue des communistes, association ouvrière, d’abord exclusivement allemande, ensuite internationale et qui, dans les conditions politiques qui existaient sur le continent avant 1848,ne pouvait qu’être une société secrète. Au congrès de la Ligue qui s’est tenu à Londres, en novembre 1847, Marx et Engels se voient confier la tâche de rédiger, aux fins de publication, un ample programme théorique et pratique du Parti. Travail achevé en janvier 1848, et dont le manuscrit allemand fut envoyé à Londres pour y être imprimé, à quelques semaines de la révolution française du 24 février. La traduction française vit le jour à Paris, peu avant l’insurrection de juin 1848. La première traduction anglaise, due à Miss Hélène Macfarlane, parut dans le Red Republican de George Julian Harney, Londres 1850. Ont paru également les éditions danoise et polonaise.

La défaite de l’insurrection parisienne de juin 1848 – la première grande bataille entre prolétariat et bourgeoisie – devait de nouveau, pour une certaine période, refouler à l’arrière-plan les revendications sociales et politiques de la classe ouvrière européenne. Depuis lors, seuls les divers groupes de la classe possédante s’affrontaient de nouveau dans la lutte pour la domination, tout comme avant la Révolution de Février ; la classe ouvrière a dû combattre pour la liberté d’action politique et s’aligner sur les positions extrêmes de la partie radicale des classes moyennes. Tout mouvement prolétarien autonome, pour peu qu’il continuât à donner signe de vie, était écrasé sans merci. Ainsi, la police prussienne réussit à dépister le Comité central de la Ligue des communistes, qui à cette époque avait son siège à Cologne. Ses membres furent arrêtés et, après dix-huit mois de détention, déférés en jugement, en octobre 1852. Ce fameux «procès des communistes à Cologne» dura du 4 octobre au 12 novembre ; sept personnes parmi les prévenus furent condamnées à des peines allant de trois à six ans de forteresse. Immédiatement après le verdict, la Ligue fut officiellement dissoute par les membres demeurés en liberté. Pour ce qui est du Manifeste, on l’eût cru depuis lors voué à l’oubli.

Lorsque la classe ouvrière d’Europe eut repris suffisamment de forces pour un nouvel assaut contre les classes dominantes, naquit l’Association internationale des travailleurs. Cependant, cette Association qui s’était constituée dans un but précis – fondre en un tout les forces combatives du prolétariat d’Europe et d’Amérique – ne pouvait proclamer d’emblée les principes posés dans le Manifeste. Le programme de l’Internationale devait être assez vaste pour qu’il fût accepté et par les trade-unions anglaises, et par les adeptes de Proudhon en France, Belgique, Italie et Espagne, et par les lassalliens en Allemagne. Marx, qui rédigea ce programme de façon à donner satisfaction à tous ces partis, s’en remettait totalement au développement intellectuel de la classe ouvrière, qui devait être à coup sûr le fruit de l’action et de la discussion communes. Par eux-mêmes les événements et les péripéties de la lutte contre le Capital – les défaites plus encore que les succès – ne pouvaient manquer de faire sentir l’insuffisance de toutes les panacées et d’amener à comprendre à fond les conditions véritables de l’émancipation ouvrière. Et Marx avait raison. Quand, en 1874, l’Internationale cessa d’exister, les ouvriers n’étaient plus du tout les mêmes que lors de sa fondation en 1864. Le proudhonisme en France, le lassallisme en Allemagne étaient à l’agonie et même les trade-unions anglaises, conservatrices, et ayant depuis longtemps, dans leur majorité, rompu avec l’Internationale, approchaient peu à peu du moment où le président de leur congrès qui s’est tenu l’an dernier à Swansea, pouvait dire en leur nom : «Le socialisme continental ne nous fait plus peur.» A la vérité, les principes du Manifeste avaient pris un large développement parmi les ouvriers de tous les pays.

Ainsi, le Manifeste s’est mis une nouvelle fois au premier plan. Après 1850, le texte allemand fut réédité plusieurs fois en Suisse, Angleterre et Amérique. En 1872, il est traduit en anglais à New York et publié dans Woodhull and Claflin’s Weekly. Une traduction française d’après ce texte anglais, a été publiée par Le Socialiste new-yorkais. Par la suite, parurent en Amérique au moins encore deux traductions anglaises plus ou moins déformées, dont l’une fut rééditée en Angleterre. La première traduction en russe, faite par Bakounine, fut éditée aux environs de 1863 par l’imprimerie du Kolokol d’Herzen, à Genève — La deuxième traduction, due à l’héroïque Véra Zassoulitch, sortit de même à Genève en 1882. Une nouvelle édition danoise est lancée par la Socialdemokratisk Bibliothek à Copenhague en 1885 ; une nouvelle traduction française a été publiée par Le Socialiste de Paris, en 1886. D’après cette traduction, a paru une version espagnole, publiée à Madrid en 1886. Point n’est besoin de parler des éditions allemandes réimprimées, on en compte au moins douze. La traduction arménienne, qui devait paraître il y a quelques mois à Constantinople, n’a pas vu le jour, comme on me l’a dit, uniquement parce que l’éditeur avait craint de sortir le livre avec le nom de Marx, tandis que le traducteur refusait de se dire l’auteur du Manifeste. Pour ce qui est des nouvelles traductions en d’autres langues, j’en ai entendu parler, mais n’en ai jamais vu. Ainsi donc, l’histoire du Manifeste reflète notablement celle du mouvement ouvrier contemporain ; à l’heure actuelle, il est incontestablement l’oeuvre la plus répandue, la plus internationale de toute la littérature socialiste, le programme commun de millions d’ouvriers, de la Sibérie à la Californie. (…)

Bien que le Manifeste soit notre oeuvre commune, j’estime néanmoins de mon devoir de constater que la thèse principale, qui en constitue le noyau, appartient à Marx. Cette thèse est qu’à chaque époque historique, le mode prédominant de la production et de l’échange économiques et la structure sociale qu’il conditionne, forment la base sur laquelle repose l’histoire politique de ladite époque et l’histoire de son développement intellectuel, base à partir de laquelle seulement elle peut être expliquée ; que de ce fait toute l’histoire de l’humanité (depuis la décomposition de la communauté primitive avec sa possession commune du sol) a été une histoire de luttes de classes, de luttes entre classes exploiteuses et exploitées, classes dominantes et classes opprimées ; que l’histoire de cette lutte de classes atteint à l’heure actuelle, dans son développement, une étape où la classe exploitée et opprimée – le prolétariat – ne peut plus s’affranchir du joug de la classe qui l’exploite et l’opprime -la bourgeoisie- sans affranchir du même coup, une fois pour toutes, la société entière de toute exploitation, oppression, division en classes et lutte de classes. Cette idée qui selon moi est appelée à marquer pour la science historique le même progrès que la théorie de Darwin pour la biologie, nous nous en étions tous deux approchés peu à peu, plusieurs années déjà avant 1845. Jusqu’où j’étais allé moi-même dans cette direction, de mon côté, on peut en juger clairement par mon livre La Situation de la classe laborieuse en Angleterre. Quand au printemps 1845 je revis Marx à Bruxelles, il l’avait déjà élaborée et il me l’a exposée à peu près aussi clairement que je l’ai fait ici, moi-même.

(…) Le Manifeste est un document historique que nous ne nous reconnaissons plus le droit de modifier.

Friedrich Engels ; Londres, 30 janvier 1888″

in préface de l’édition anglaise du « Manifeste du parti communiste », 1888

Communisme contre nationalisme

« En outre on a accusé les communistes de vouloir abolir la patrie, la nationalité.

Les ouvriers n’ont pas de patrie. On ne peut leur prendre ce qu’ils n’ont pas. Comme le prolétariat doit en premier conquérir le pouvoir politique, s’ériger en classe nationale, se constituer lui-même en nation, il est encore par là national, quoique nullement au sens où l’entend la bourgeoisie.

Déjà les démarcations nationales et les antagonismes entre peuples disparaissent de plus en plus avec le développement de la bourgeoisie, la liberté du commerce, le marché mondial, l’uniformité de la production industrielle et les conditions d’existence qu’elle entraîne.

Le prolétariat au pouvoir les fera disparaître plus encore. Son action commune, dans les pays civilisés tout au moins, est l’une des premières conditions de son émancipation.

A mesure qu’est abolie l’exploitation de l’homme par l’homme, est abolie également l’exploitation d’une nation par une autre nation.

Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. »

K. Marx, F. Engels, Manifeste du Parti communiste (1ère édition en 1848), Editions sociales, Paris, 1976.

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Le marxisme. Infrastructure et superstructure.

Prenons, par exemple l’art grec… Il est bien connu que la mythologie grecque fut non seulement l’arsenal de l’art grec, mais aussi sa terre nourricière. L’idée de la nature et des rapports sociaux qui alimentent l’imagination grecque, et donc la (mythologie) grecque, est-elle compatible avec les métiers à filer automatiques, les locomotives et le télégraphe électrique ? Qu’est-ce que Vulcain auprès de Roberts and Co, Jupiter auprès du paratonnerre et Hermès à côté du Crédit mobilier ? Toute mythologie dompte, domine, façonne les forces de la nature, dans l’imagination, et par l’imagination; elle disparaît donc, au moment où ces forces sont dominées réellement. (…) L’art grec suppose la mythologie grecque, c’est-à-dire la nature et les formes sociales, déjà élaborées au travers de l’imagination populaire d’une manière inconsciemment artistique. Ce sont là ses matériaux. Non pas une mythologie quelconque, c’est-à-dire une façon quelconque de transformer inconsciemment la nature en art (ici le mot nature désigne tout ce qui est objectif, y compris la société). (…) Mais en tout cas, il fallait une mythologie. En aucun cas, l’art grec ne pouvait éclore dans une société qui exclut tout rapport mythologique avec la nature et qui demande, par conséquent, à l’artiste une imagination ne s’inspirant pas de la mythologie.

D’autre part : Achille est-il possible dans l’ère de la poudre et du plomb ? Ou toute l’Iliade est-elle compatible avec la presse d’imprimerie et la machine à imprimer ? Les chants et les légendes et la Muse ne disparaissent-ils pas nécessairement devant le barreau du typographe, donc les conditions nécessaires de la poésie épique ne s’évanouissent-elles pas ?

Mais la difficulté n’est pas de comprendre que l’art grec et l’épopée soient liés à certaines formes de l’évolution sociale. Ce qui est paradoxal c’est qu’ils puissent encore nous procurer une joie esthétique et soient considérés à certains égards comme norme et comme modèle inimitable.

Un homme ne peut redevenir enfant sans tomber en enfance. Mais ne se réjouit-il pas de la naïveté de l’enfant, et ne doit-il pas lui-même aspirer à reproduire, à un niveau plus élevé, la vérité de l’enfant naïf ? Est-ce que dans la nature enfantine, le caractère original de chaque époque ne revit pas dans sa vérité naturelle ? Pourquoi l’enfance sociale de l’humanité, au plus beau de son épanouissement, n’exercerait-elle pas, comme une phase à jamais disparue, un éternel attrait ? Il y a des enfants mal élevés et des enfants précoces. Beaucoup de peuples anciens appartiennent à cette catégorie. Les Grecs étaient des enfants normaux. L’attrait qu’a pour nous leur art n’est pas en contradiction avec l’état peu développé de la société où cet art s’est épanoui. Il en est plutôt le résultat ; il est plutôt indissolublement lié au fait que les conditions sociales inachevées où cet art est né, et où seul il pouvait naître, ne pourront jamais revenir.

Karl Marx, introduction de 1857 à la Critique de l’Economie Politique

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Le taux de la plus-value

Marx prend un exemple chiffré . le capitaliste avance un capital pour produire des filés de coton, de 500 : soit 410 en capital constant et 90 en capital variable (salaires). Comme l’ouvrier travaille deux fois plus de temps qu’il n’est nécessaire pour produire sa force de travail, le capitaliste récupère après production : 590 , soit 90 de plus que la capital avancé ; ces 90 constituent la plus-value.
c = capital constant ; v = capital variable ; p = plus-value et C = capital total (capital constant + capital variable)

« D’après notre supposition, la valeur du produit = c + v + p, soit 410 + 90 + 90 . Le capital avancé = 500 . De ce que la plus-value = 90 et le capital avancé = 500 , on pourrait conclure que le taux de la plus-value = 18 %. Mais en réalité, le taux de la plus-value égale non pas p/C, mais p/v. Il est non pas 90/500, mais 90/90 = 100 %, plus de cinq fois le degré d’exploitation apparent.
Telle est donc en résumé la méthode à employer pour le calcul du taux de plus-value. »

Un exemple concret

« Entrons d’abord dans une filature. Les données suivantes appartiennent à l’année 1871 et m’ont été fournies par le fabricant lui-même. La fabrique met en mouvement 10 000 broches et produit chaque semaine une livre de filés par broche. Le déchet du coton se monte à 6 %. Ce sont donc par semaine 10 600 livres de coton que le travail transforme ne 10 000 livres de filés et 600 livres de déchet. En avril 1871, ce coton coûtait la somme ronde de 342 . L’usure des broches se monte chaque semaine à 20 . La location des bâtiments est de 6 par semaine. Le charbon coûte chaque semaine 4 et 10 shillings ; la consommation pour toutes les matières auxiliaires est de 10 . La portion de la valeur constante par conséquent = 378 .

Le salaire des ouvriers se monte à 52 par semaine ; le prix des filés est pour 10 000 livres de 510 . La valeur produite chaque semaine est par conséquent = 510 – 378 = 132 . Si maintenant nous en déduisons le capital variable = 52 , il reste une plus value de 80 .

Le taux de la plus-value est donc 80/52 = 153 % »

Marx, Le Capital, Editions sociales, t. I, p. 215-216

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La révolution n’était pas mûre en 1848, comme le croyait Karl Marx et F. Engels.

« L’histoire nous a donné tort à nous aussi, elle a révélé que notre point de vue d’alors était une illusion. Elle est encore allée plus loin : elle n’a pas seulement dissipé notre erreur d’alors, elle a également bouleversé totalement les conditions dans lesquelles le prolétariat doit combattre. Le mode de lutte de 1848 est périmé aujourd’hui sous tous les rapports (…)

L’histoire nous a donné tort à nous et à tous ceux qui pensaient de façon analogue. Elle a montré clairement que l’état du développement économique sur le continent était alors bien loin d’être mûr pour l’abolition de la production capitaliste; elle l’a prouvé par la révolution économique qui depuis 1848 a gagné tout le continent et qui n’a véritablement donné droit de cité qu’à ce moment [1895] à la grande industrie en France, en Autriche, en Hongrie, en Pologne et dernièrement en Russie et fait vraiment de l’Allemagne un pays industriel de premier ordre (…) Il était impossible en 1848 de conquérir la transformation sociale par un simple coup de main.  »

Engels, écrit en 1895

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Karl Marx et la fondation de la 1ere Internationale

En 1864, Karl Marx est chargé de rédiger les statuts provisoires de l’Association Internationale des Travailleurs (1ère Internationale) lors de sa fondation à Londres. Le texte est resté célèbre en particulier pour son préambule.

« Considérant,

Que l’émancipation de la classe ouvrière doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ; que la lutte pour l’émancipation de la classe ouvrière n’est pas une lutte pour des privilèges et des monopoles de classe, mais pour l’établissement de droits et de devoirs égaux, et pour l’abolition de toute domination de classe ;

Que l’assujettissement économique du travailleur au détenteur des moyens du travail, c’est-à-dire des sources de la vie, est la cause première de la servitude dans toutes ses formes, de la misère sociale, de l’avilissement intellectuel et de la dépendance politique ;

Que, par conséquent, l’émancipation économique de la classe ouvrière est le grand but auquel tout mouvement politique doit être subordonné comme moyen ;

Que tous les efforts tendant à ce but ont jusqu’ici échoué, faute de solidarité entre les travailleurs des différentes professions dans le même pays et d’une union fraternelle entre les classes ouvrières des divers pays ;

Que l’émancipation du travail, n’étant un problème ni local ni national, mais social, embrasse tous les pays dans lesquels existe la société moderne et nécessite, pour sa solution, le concours théorique et pratique des pays les plus avancés ;

Que le mouvement, qui vient de renaître parmi les ouvriers des pays industriels avancés de l’Europe, tout en réveillant de nouvelles espérances, donne un solennel avertissement de ne pas tomber dans les vieilles erreurs et de combiner le plus tôt possible les efforts encore isolés ;

Pour ces raisons,

Les soussignés, membres du Comité tenant leurs pouvoirs en vertu de la résolution adoptée au meeting public tenu le 28 septembre 1864 à St-Martin’s Hall, à Londres, ont pris les mesures nécessaires pour fonder l’Association Internationale des Travailleurs.

Ils déclarent que cette Association Internationale et toutes les sociétés et individus y adhérant reconnaîtront comme base de leur comportement les uns envers les autres et envers tous les hommes, sans distinction de couleur, de croyance et de nationalité, la vérité, la justice et la morale.

Ils considèrent que c’est le devoir de l’homme de revendiquer les droits de l’homme et du citoyen, non seulement pour lui-même, mais pour tout homme qui fait son devoir. Pas de devoirs sans droits, pas de droits sans devoirs.

C’est dans cet esprit qu’ils ont rédigé les Statuts provisoires suivants de l’Association Internationale :

1 – L’Association est établie pour créer un point central de communication et de coopération entre les sociétés ouvrières des différents pays aspirant au même but, savoir : la protection, le progrès et le complet affranchissement de la classe ouvrière.

2 – Le nom de cette association sera : Association Internationale des Travailleurs.

(…)

4 – Le Conseil Central, ayant son siège à Londres se composera de travailleurs appartenant aux différentes nations représentées dans l’Association Internationale. Il choisira dans son sein les membres du bureau nécessaires pour la gestion des affaires, tels que président trésorier, secrétaire général, secrétaires-correspondants pour les différents pays, etc.

(…)

6 – Le Conseil Central fonctionnera comme agent international entre les différents groupes nationaux et locaux, de telle sorte que les ouvriers de chaque pays soient constamment au courant des mouvements de leur classe dans les autres pays; qu’une enquête sur l’état social des différents pays d’Europe soit faite simultanément et sous une direction commune; que les questions d’intérêt général, proposées par une société, soient examinées par toutes les autres, et que, l’action immédiate étant réclamée, comme dans le cas de querelles internationales, tous les groupes de l’Association puissent agir simultanément et d’une manière uniforme. Suivant qu’il le jugera opportun, le Conseil Central prendra l’initiative des propositions à soumettre aux sociétés locales et nationales. »

Tiré de : Le Conseil général de la Première Internationale 1864-1866. Procès verbaux, Moscou, 1972, pp. 243-244.

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Les réponses de Karl Marx au célèbre questionnaire de Proust plus connu à son époque sous le nom de « Confessions » .

« Votre vertu préférée : La simplicité
Votre vertu préférée chez un homme : La force
Votre vertu préférée chez une femme : La faiblesse
Votre trait caractéristique principale : La ténacité
Votre idée du bonheur : Combattre
Votre idée du malheur : La soumission
Le défaut que vous pardonnez le plus : La crédulité
Le défaut que vous détestez le plus : La servilité
Votre aversion : Martin Tupper Auteur victorien populaire
Occupation favorite : Dévorer des livres
Poète favori : Shakespeare, Eschyle, Goethe
Prosateur favori : Diderot
Héros favori : Spartacus, Kepler
Héroïne favorite : Marguerite
Fleur favorite : Le Daphné
Couleur favorite : Le rouge
Nom favori : Laura, Jenny
Plat favori : Le poisson
Maxime favorite : Rien de ce qui est humain m’est étranger [Nihil humani a me alienum puto]
Devise favorite : Douter de toute chose [De omnibus dubitandum] »

Ce questionnaire a été tiré du livre de Francis Wheen, Karl Marx biographie inattendue, France, Calmann-Lévy, 2003

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L’Internationale

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain.

Debout ! les damnés de la terre.

Debout ! les forçats de la faim !

La raison tonne en son cratère,

C’est l’éruption de la fin.

Du passé faisons table rase,

Foule esclave, debout ! debout !

Le monde va changer de base :

Nous ne sommes rien, soyons tout !

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain.

Il n’est pas de sauveurs suprêmes :

Ni Dieu, ni César, ni tribun,

Producteurs, sauvons-nous nous-mêmes !

Décrétons le salut commun !

Pour que le voleur rende gorge,

Pour tirer l’esprit du cachot,

Soufflons nous-mêmes notre forge,

Battons le fer quand il est chaud !

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain

L’État comprime et la loi triche;

L’impôt saigne le malheureux;

Nul devoir ne s’impose au riche;

Le droit du pauvre est un mot creux.

C’est assez languir en tutelle,

L’égalité veut d’autres lois;

« Pas de droits sans devoirs, dit-elle,

Égaux, pas de devoirs sans droits ! »

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain

Hideux dans leur apothéose,

Les rois de la mine et du rail

Ont-ils jamais fait autre chose

Que dévaliser le travail?

Dans les coffres-forts de la bande

Ce qu’il a créé s’est fondu.

En décrétant qu’on le lui rende

Le peuple ne veut que son dû.

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain

Les rois nous soûlaient de fumées,

Paix entre nous, guerre aux tyrans !

Appliquons la grève aux armées,

Crosse en l’air et rompons les rangs !

S’ils s’obstinent, ces cannibales,

À faire de nous des héros,

Ils sauront bientôt que nos balles

Sont pour nos propres généraux.

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain

Ouvriers, paysans, nous sommes

Le grand parti des travailleurs;

La terre n’appartient qu’aux hommes,

L’oisif ira loger ailleurs.

Combien de nos chairs se repaissent !

Mais, si les corbeaux, les vautours,

Un de ces matins, disparaissent,

Le soleil brillera toujours !

C’est la lutte finale :

Groupons-nous, et demain,

L’Internationale

Sera le genre humain

Vous trouverez aussi quelques extraits de Marx et Engels dans ce fichier,

et l’oeuvre de Karl Marx (dans les Classiques des sciences sociales, ainsi que l’oeuvre de Engels et des deux ensemble).