Victor Hugo, Notre Dame de Paris

« (…) Enfin, le quatrième compartiment qui se dessinait de lui-même dans l’agglomération des toits de la rive droite, et qui occupait l’angle occidental de la clôture et le bord de l’eau en aval, c’était un nouveau noeud de palais et d’hôtels serrés aux pieds du Louvre. Le vieux Louvre de Philippe-Auguste, cet édifice démesuré dont la grosse tour ralliait vingt-trois maîtresses tours autour d’elle, sans compter les tourelles, semblait de loin enchâssé dans les combles gothiques de l’hôtel d’Alençon et du Petit-Bourbon. Cette hydre de tours, gardienne géante de Paris, avec ses vingt-quatre têtes toujours dressées, avec ses croupes monstrueuses, plombées ou écaillées d’ardoises, et toutes ruisselantes de reflets métalliques, terminait d’une manière surprenante la configuration de la Ville au couchant.

Ainsi, un immense pâté, ce que les Romains appelaient insula, de maisons bourgeoises, flanqué à droite et à gauche de deux blocs de palais couronnés l’un par le Louvre, l’autre par les Tournelles, bordé au nord d’une longue ceinture d’abbayes et d’enclos cultivés, le tout amalgamé et fondu au regard ; sur ces mille édifices, dont les toits de tuiles et d’ardoises découpaient les uns sur les autres tant de chaînes bizarres, les clochers tatoués, gaufrés et guillochés des quarante-quatre églises de la rive droite ; des myriades de rues au travers ; pour limite d’un côté une clôture de hautes murailles à tours carrées (celle de l’Université était à tours rondes) ; de l’autre, la Seine coupée de ponts et charriant force bateaux : voilà la Ville au quinzième siècle.

(…) Enfin, au delà du Louvre on voyait s’allonger dans les prés le faubourg Saint-Honoré, déjà fort considérable alors, et verdoyer la Petite-Bretagne, et se dérouler le Marché-aux-Pourceaux, au centre duquel s’arrondissait l’horrible fourneau à bouillir les faux-monnayeurs. Entre la Courtille et Saint-Laurent votre oeil avait déjà remarqué au couronnement d’une hauteur accroupie sur des plaines désertes une espèce d’édifice qui ressemblait de loin à une colonnade en ruine debout sur un soubassement déchaussé. Ce n’était ni un Parthénon, ni un temple de Jupiter Olympien. C’était Montfaucon. »

Victor Hugo, Notre Dame de Paris, 1831, Livre III, II. repris de http://www.intratext.com

english version :

« (…) Finally, the fourth compartment, which stretched itself out in the agglomeration of the roofs on the right bank, and which occupied the western angle of the enclosure, and the banks of the river down stream, was a fresh cluster of palaces and Hôtels pressed close about the base of the Louvre. The old Louvre of Philip Augustus, that immense edifice whose great tower rallied about it three and twenty chief towers, not to reckon the lesser towers, seemed from a distance to be enshrined in the Gothic roofs of the Hôtel d’Alençon, and the Petit-Bourbon. This hydra of towers, giant guardian of Paris, with its four and twenty heads, always erect, with its monstrous haunches, loaded or scaled with slates, and all streaming with metallic reflections, terminated with wonderful effect the configuration of the Town towards the west.

Thus an immense block, which the Romans called iusula , or island, of bourgeois houses, flanked on the right and the left by two blocks of palaces, crowned, the one by the Louvre, the other by the Tournelles, bordered on the north by a long girdle of abbeys and cultivated enclosures, all amalgamated and melted together in one view ; upon these thousands of edifices, whose tiled and slated roofs outlined upon each other so many fantastic chains, the bell towers, tattooed, fluted, and ornamented with twisted bands, of the four and forty churches on the right bank ; myriads of cross streets ; for boundary on one side, an enclosure of lofty walls with square towers (that of the University had round towers) ; on the other, the Seine, cut by bridges, and bearing on its bosom a multitude of boats ; behold the Town of Paris in the fifteenth century. (…) »

Victor Hugo, The Hunchback of Notre Dame, 1831. repris de Gutenberg

Charles Baudelaire, Tableaux parisiens

LXXXIX – Le Cygne

« À Victor Hugo

(…) Comme je traversais le nouveau Carrousel. Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville Change plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) ;

Je ne vois qu’en esprit tout ce camp de baraques, Ces tas de chapiteaux ébauchés et de fûts, Les herbes, les gros blocs verdis par l’eau des flaques, Et, brillant aux carreaux, le bric-à-brac confus.

(…)

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie N’a bougé ! palais neufs, échafaudages, blocs, Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.

Aussi devant ce Louvre une image m’opprime : Je pense à mon grand cygne, avec ses gestes fous, Comme les exilés, ridicule et sublime Et rongé d’un désir sans trêve ! et puis à vous,

Andromaque, des bras d’un grand époux tombée, Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus, Auprès d’un tombeau vide en extase courbée Veuve d’Hector, hélas ! et femme d’Hélénus !

Je pense à la négresse, amaigrie et phtisique Piétinant dans la boue, et cherchant, l’œil hagard, Les cocotiers absents de la superbe Afrique Derrière la muraille immense du brouillard ;

A quiconque a perdu ce qui ne se retrouve Jamais, jamais ! à ceux qui s’abreuvent de pleurs Et tètent la Douleur comme une bonne louve ! Aux maigres orphelins séchant comme des fleurs !

Ainsi dans la forêt où mon esprit s’exile Un vieux Souvenir sonne à plein souffle du cor ! Je pense aux matelots oubliés dans une île, Aux captifs, aux vaincus !… à bien d’autres encor ! »

Baudelaire, Les Fleurs du Mal (section « Tableaux parisiens), Le cygne (89), 1857.

Le Louvre, ouverture sur le monde

Le Louvre, c’est aussi Paris qui s’ouvre au monde…

« Quelquefois, [Frédéric] s’arrêtait au Louvre devant de vieux tableaux ; et son amour l’embrassant jusque dans les siècles disparus, il la substituait aux personnages des peintures. Coiffée d’un hennin, elle priait à deux genoux derrière un vitrage de plomb. Seigneuresse des Castilles ou des Flandres, elle se tenait assise, avec une fraise empesée et un corps de baleines à gros bouillons. Puis elle descendait quelque grand escalier de porphyre, au milieu des sénateurs, sous un dais de plumes d’autruche, dans une robe de brocart. D’autres fois, il la rêvait en pantalon de soie jaune, sur les coussins d’un harem ; — et tout ce qui était beau, le scintillement des étoiles, certains airs de musique, l’allure d’une phrase, un contour, l’amenaient à sa pensée d’une façon brusque et insensible. »

Gustave Flaubert, L’éducation sentimentale, 1869.

repris de http://www.univ-rouen.fr/flaubert/01oeuv/educsent.htm