Une crise démographique : la peste de Marseille (1720)

La peste de Marseille à la Tourette, tableau de M. Serre, musée Atger (Montpellier)

Marseille, ville morte et isolée, par mer d’abord, et par terre, du reste du monde. Le parlementUne cour de justice de l’Ancien régime où siègent des magistrats représentant la justice royale. Parlements de Paris, Aix, Rennes, Grenoble, etc. d’Aix, le 30 juillet 1720, interdit les communications aux muletiers et aux voituriers à peine de la vieSous peine de mort.. La ville est ravitaillée par mer, au bout de la pique, sans aucun contact. L’interdit de Marseille s’étend aux autres ports français. La France, un an plus tard, n’est pas libre de communiquer avec Marseille sous peine de subir le boycott de l’Europe […] Il faudra trois ans et deux mois pour que Cadix finisse par s’entrouvrir au commerce de Marseille avec mille réserves et restrictions.

La dernière grande peste de l’Occident (à Marseille, en Languedoc, en Provence, on lui doit bien 100 000 morts, 50 000 sûrs à Marseille) est une peste à puces, sans rat. La peste, on le sait, se présente sous trois formes, elle se transmet du rat à l’homme, normalement par la puce du rat. La peste, maladie endémique du rat noir, explose en épidémies périodiques, l’épicentre est dans l’Inde, les relais en direction de la Méditerranée, aux Échelles du Levant. Des populations de rats noirs sont atteintes par la peste ; ils meurent en grand nombre ; les puces qu’ils portent les abandonnent massivement pour l’homme; quand les rats meurent en masse, l’homme est menacé.

La peste de Marseille n’appartient pas au cycle classique, mais au second, plus rare, de la peste interhumaine, à un seul vecteurVéhicule, transmetteur.., la puce non plus du rat mais de l’homme. « La simple addition des cas humains dus à la piqûre des puces de rat ne peut donner, au plein feu de l’infection, qu’une morbiditéLétalité, proportion de cas fatals. ne dépassant pas 5 % en un mois par exemple, alors que la multiplication des cas par transmission interhumaine peut amener une morbidité de 80 p. 100 dans le même laps de temps […] » « En somme, la puce du rat additionne, celle de l’homme multiplie ».

Peste bubosepticémique interhumaine : une épidémie à peine sur dix prend cette forme. La peste de Marseille appartient à la famille des hécatombes historiques, celles du XIVe […], du XVIe et, sans doute, du début du XVIIe, non aux épidémies méditerranéennes classiques que l’on connaît au Moyen-Orient […] Bubosepticémique inter-humaine : normalement, c’est par millions qu’on aurait, quelques siècles plus tôt, compté les victimes. De 100 000 au million, la différence est à porter au bénéfice des États. Le magistrat interdit à la peste de tuer les sujets du roi […] Ne pas oublier, toutefois, que dans son bon combat, Dieu a aidé le roi. Le rat noir reste le meilleur allié de la peste. On ne peut juguler facilement le cycle de la peste. Depuis la fin du XVIIe siècle, le rat noir recule, chassé par un concurrent plus fruste et mieux doué, le rat d’égout, ou surmulot, venu de Norvège. Il atteint la France, à la fin du premier tiers du XVIIIe siècle. Ce rustaud refuse le rôle traditionnel de second vecteur. Ce bienfait venu du nord s’ajoute à d’autres. Il n’y aura plus de peste de Marseille.


Pierre Chaunu, La civilisation de l’Europe des Lumières, Paris, 1971, p. 126.

 


  • 1. Nature du texte.
  • 2. Pourquoi la ville est-elle ravitaillée au bout de la pique ? Cadix a-t-elle un autre intérêt à boycotter les marchandises de Marseille ?
  • 3. Comment la peste se transmet-elle d’ordinaire ? Quelle est la particularité de la peste de Marseille ? Dans quelle proportion trouve-t-on ce type de peste ? Quelle est en principe sa létalité ?
  • 4. Quelles sont les deux raisons pour lesquelles la peste de 1720 à Marseille n’a pas fait davantage de victimes ?
  • 5. Expliquez la place de la peste de 1720 dans l’histoire des populations d’Europe depuis l’Antiquité.