Parce que la notion est complexe, sa définition ne saurait être simple. On peut admettre, avec Jean_François Sirinelli, qu’il s’agit d’une sorte de code et d’un ensemble de référents, formalisés au sein d’un parti ou plus largement diffus au sein d’une famille ou d’une tradition politiques « . De cette définition, on retiendra deux faits fondamentaux : d’une part, l’importance du rôle des représentations dans la définition d’une culture politique qui en fait autre chose qu’une idéologie ou un ensemble de traditions ; et, d’autre part, le caractère pluriel des cultures politiques à un moment donné de l’histoire et dans un pays donné.
Il va cependant de soi qu’il n’est guère possible de se satisfaire d’une définition globale, nécessairement abstraite, et qu’il est indispensable d’examiner le contenu de la notion si on veut pouvoir l’utiliser et la tester au banc de son efficacité explicative. On ne reviendra pas ici sur le détail de ce contenu qui a fait l’objet en son temps d’une proposition permettant d’en délimiter l’approche. L’objet était de montrer que la culture politique constituait un ensemble cohérent dont tous les éléments sont en relation étroite les uns avec les autres et qui permettent de définir une forme d’identité de l’individu qui s’en réclame. Si l’ensemble est homogène, les composantes en sont diverses et aboutissent à une vision du monde partagée, dans laquelle entrent en symbiose un soubassement philosophique ou doctrinal, le plus souvent exprimé sous forme d’une vulgate accessible au plus grand nombre, une lecture commune et normative du passé historique qui connote positivement ou négativement les grandes périodes du passé, une vision institutionnelle qui traduit au plan de l’organisation politique de l’Etat les données philosophiques ou historiques précédentes, une conception de la société idéale telle que la voient les tenants de cette culture et, pour exprimer le tout, un discours codé dans lequel le vocabulaire employé, les mots clés, les formules répétitives sont porteuses de signification, cependant que rites et symboles jouent au niveau du geste et de la représentation visuelle le même rôle signifiant.
C’est la mise en scène des cultures politiques dominantes du dernier siècle qui a fait l’objet de l’ouvrage collectif Le Modèle républicain dans lequel les auteurs constataient que la culture républicaine s’inscrivait dans la lignée philosophique des Lumières et du positivisme, se réclamait de l’héritage historique idéalisé de la Révolution française, en tirait la conclusion institutionnelle de l’adéquation totale de ces références avec un régime de type parlementaire, préconisait une société de progrès graduel au sein de laquelle l’action de l’État combinée au mérite des individus devait aboutir à la création d’un monde de petits propriétaires maîtres de leurs instruments de travail ou à une promotion dont l’école serait le moteur, enfin trouvait pour s’exprimer un vocabulaire au sein duquel le terme de » citoyens » , les » grands ancêtres » , les » immortels principes » ou le » progrès » constituaient des mots clés, cependant que le bonnet phrygien, le drapeau tricolore, le chant de La Marseillaise, la représentation de Marianne, si finement analysée par Maurice Agulhon, mettaient en place un langage symbolique adéquat aux données majeures de cette culture politique. C’est dire que la culture politique suppose tout à la fois » une commune lecture du passé et une » projection dans l’avenir vécue ensemble.
Cette proposition de grille de lecture du politique à travers la culture politique n’a évidemment d’intérêt que si elle offre une possibilité de mieux comprendre la nature et la portée des phénomènes dont elle est supposée rendre compte. Sans quoi, elle ne serait qu’un terme de plus ajouté, sans profit au jargon technique des historiens. C’est la vérification expérimentale qu’a tentée la revue Vingtième siècle en proposant dans un numéro spécial à une quinzaine d’historiens et de politologues d’appliquer cette notion à l’étude des grandes familles politiques de la France contemporaine (le communisme, le gaullisme, le centrisme, le socialisme, le Front national), mais aussi des sensibilités philosophiques ou religieuses (la culture laïque, le catholicisme), de courants neufs apparus dans le champ du politique (l’écologie ou les femmes), des spécificités infra_ ou supranationales (la culture politique du Nord ou de l’Aquitaine ou l’Europe face à la culture politique française). La fécondité des résultats surprend.
Serge Berstein, in RIOUX, Jean-Pierre / SIRINELLI, Jean-François (sous la direction de) Pour une histoire culturelle, Le Seuil, 1997.